PREMIÈRE PARTIE : LES CARACTÉRISTIQUES DE L'OBÉSITÉ

I. UNE MALADIE COMPLEXE

A. DANS SON EVALUATION CLINIQUE

1. L'index de masse corporelle

L'obésité se définit comme une accumulation anormale ou excessive de graisse corporelle qui peut nuire à la santé.

Comme le rappelle le professeur Arnaud Basdevant dans son ouvrage « Médecine de l'obésité », définir médicalement l'obésité suppose, en toute rigueur, que l'on soit capable d'évaluer la masse grasse dans l'organisme, ce qui requiert des méthodes sophistiquées et trop coûteuses pour être utilisées au quotidien. Une mesure simple pour définir l'obésité est l'Indice de masse corporelle (IMC).

L'IMC (ou indice de Quételet) est le rapport du poids sur le carré de la taille, exprimé en kg/m².

Il présente l'avantage d'être peu dépendant de la taille des individus adultes, d'être bien corrélé au risque de mortalité et morbidité et d'être représentatif de la masse grasse totale du corps.

Outre son utilisation facile (une toise et une balance sont suffisantes), l'IMC est la mesure la plus pertinente du surpoids et de l'obésité au niveau de la population car elle s'applique aux deux sexes et à toutes les tranches d'âge adulte.

Les valeurs retenues pour considérer les individus en surpoids ou obèses sont fondées sur l'approche probabiliste des compagnies d'assurance nord-américaines qui, dans les années 1950-1960, avaient identifié l'obésité comme un facteur de risque de morbidité et de mortalité cardiovasculaire. Un seuil a été fixé à partir duquel, selon les études épidémiologiques, la mortalité augmente rapidement.

Etat

IMC

Maigreur

< 18,5

Etat de référence

18,5 - 24,9

Surpoids

25-29,9

Obésité

Obésité sévère

Obésité massive

30- 34,9

35 - 39,9

= 40

Cette définition fondée sur une relation statistique épidémiologique a un intérêt en termes de santé publique pour définir des populations à risque et des stratégies préventives et thérapeutiques collectives.

2. Les limites de cet indicateur

Néanmoins, l'IMC connaît deux limites majeures.

D'une part, sa valeur prédictive individuelle est faible.

D'autre part, son caractère normatif risque d'enfermer la réflexion médicale dans le cadre arbitraire du « poids idéal théorique ».

(1) Une valeur prédictive individuelle faible

Il ne faut pas oublier que pour un même IMC, la composition corporelle peut être très différente d'un individu à l'autre en fonction, en particulier, de la musculature et du sexe. L'application de cet indice aux membres de l'équipe nationale de rugby les classerait tous dans la catégorie « obèses », confondant ainsi masse musculaire et masse grasse.

Comme le rappelle Thibaut de Saint Pol dans « Le corps désirable », en fait la composition corporelle est différente selon le sexe : les hommes développent plus de muscles et les femmes plus de masse grasse. Le poids « normal » d'une femme non ménopausée est constitué de 18 à 25 % de tissu adipeux alors que la part de ce dernier dans le poids d'un homme est compris entre 10 et 15 %. Au seuil du surpoids, la masse grasse représente 25 % chez les hommes et 33 % chez les femmes.

Par ailleurs, au cours du vieillissement, le ratio masse grasse sur masse maigre augmente, même si l'IMC se maintient. Il a ainsi été montré qu'un sujet de poids « normal » augmente sa masse grasse de plus de 10 kg entre 25 et 50 ans.

L'IMC ne tient pas non plus compte des caractéristiques ethniques ou nationales. Ces seuils ont été construits à partir de l'étude de données sur des populations caucasiennes. A titre d'exemple, les sujets polynésiens ont moins de masse grasse pour un même IMC, alors qu'au contraire, la masse grasse des Asiatiques est en moyenne plus élevée que celle des Caucasiens.

En outre, l'IMC ne donne aucune indication sur la localisation de la masse grasse, alors que les risques liés à l'obésité dépendent au moins autant de la répartition du tissu adipeux que de sa quantité.

Schématiquement, on distingue deux types de localisation de la masse grasse.

On parle d'obésité gynoïde quand l'excès de graisse se situe principalement au niveau des cuisses comme c'est habituellement le cas chez la femme ("culottes de cheval").

On parle d'obésité androïde (ou abdominale ou encore viscérale) quand les dépôts de graisses sont principalement au niveau abdominal.

L'excès de dépôts adipeux abdominaux est associé à une prévalence accrue de maladies métaboliques et vasculaires.

Les résultats présentés dans le schéma sont tirés de l'étude d'une cohorte de 43 581 infirmières américaines suivies entre 1986 et 1994.

Il apparaît que le risque de développer un diabète de type 2 s'accroît de manière linéaire avec l'augmentation du tour de taille. Ainsi, le risque pour une femme avec un tour de taille supérieur à 96 cm est 24 fois plus élevé que pour une femme dont le tour de taille est inférieur à 71 cm.

Tour de taille et risque de devenir diabétique

Source : Carey et al. 1997

Par ailleurs, une méta-analyse des études prospectives sur la relation entre le tour de taille et les maladies cardiovasculaires montre que toute augmentation du tour de taille de 1 cm est associée à une augmentation de 2 % du risque cardiovasculaire après ajustement de l'âge et du traitement suivi par le patient.

En outre, la corrélation entre l'accroissement du tour de taille et l'augmentation du risque de diabète ou de survenue d'une maladie cardiovasculaire reste valable chez des sujets ayant un poids « normal » (soit un IMC < 25 kg/m2).

C'est ce qu'a démontré l'étude transversale IDEA (International Day for Evaluation of Abdominal Obesity).

Menée sur deux demi-journées, elle a mobilisé des médecins généralistes, tirés au sort, représentatifs de régions urbaines et rurales de chacun des 63 pays participants. L'enquête consistait à relever l'âge et la présence d'antécédents cardiaques ou de diabète, et à mesurer le tour de taille, le poids et la taille des participants, afin de déterminer leur indice de masse corporelle (IMC). Environ 170 000 patients, 69 409 hommes et 98 750 femmes, âgés de 18 à 80 ans, ont été inclus dans l'étude.

La prévalence du diabète chez les hommes
en fonction de l'IMC et du tour de taille

Source : Balkau Circulation 2007

Ainsi, pour un IMC de moins de 25, le taux de prévalence de diabète est de moins de 5 % pour les hommes dont le tour de taille est inférieur à 84 cm, alors qu'il est de plus de 10 % pour ceux dont le tour de taille est supérieur à 107 cm.

Par conséquent, le tour de taille apparaît comme un facteur de risque de maladie métabolique plus important que l'excès de masse grasse.

L'influence du tour de taille se retrouve dans l'analyse des facteurs de risque retenu pour diagnostiquer le syndrome métabolique 1 ( * ) . Trois des cinq facteurs de risque cardiométabolique suivants doivent être présents :

- l'obésité abdominale (un tour de taille = 102 cm pour les hommes et = 88 cm pour les femmes 2 ( * ) ) ;

- l'hypertension ;

- la glycémie à jeun élevée ;

- le taux élevé des triglycérides ;

- le faible niveau de cholestérol HDL.

L'IMC ne fait pas partie des critères retenus, contrairement à l'obésité abdominale.

(2) L'IMC et les risques de poids idéal théorique

Le caractère normatif de l'IMC risque d'enfermer la réflexion médicale dans le cadre arbitraire du « poids idéal théorique ».

Les développements précédents ont montré que la définition médicale de l'obésité est liée à ses conséquences néfastes en matière de santé. Néanmoins, l'outil de mesure retenu fait référence au poids qui renvoie lui-même à la corpulence et à l'apparence.

Or, cette dernière constitue un enjeu social avant d'être un enjeu de santé.

A cet égard, il est intéressant de voir comment les représentations de la corpulence « idéale » ont évolué avec le temps.

Comme le rappelle Jean-Pierre Poulain dans la partie de « Médecine sur l'obésité » consacrée à la sociologie de l'obésité, dans la plupart des cultures traditionnelles, l'idéal de beauté féminine est une beauté que l'on peut qualifier de « bien en chair ». Dans ces cultures, la capacité de stocker des matières grasses est considérée comme un signe de fertilité pour les femmes et, plus généralement, de bonne santé et de vitalité. Aussi, les individus présentant une forte adiposité atteignent souvent dans ces sociétés des positions sociales de pouvoir et de prestige. En effet, dans des contextes sociaux où les aliments sont rares, une forte corpulence est une qualité.

Le modèle esthétique de la minceur émerge au moment où se profile puis s'installe de façon durable l'abondance. Il permet de définir de nouveaux critères de distinction sociale entre les individus les plus aisés, soucieux de leur ligne, et les individus plus pauvres et souvent plus corpulents.

Cette distinction concerne surtout les femmes, notamment en France où les statistiques montrent que plus une femme est dans un ménage de niveau de vie élevé, plus sa taille est mince. Ce phénomène peut être la marque d'un mode de vie plus sain, mais il peut également renvoyer à l'existence d'une norme plus forte qui pousse au contrôle de son poids.

Or, la médicalisation du surpoids et de sa désignation comme pathologie à partir de la mesure de l'indice de masse corporelle renforce le contrôle social déjà existant sur le poids et contribue à l'illusion d'un poids idéal théorique.

Pourtant, comme le faisait remarquer le Pr Arnaud Basdevant dans un texte de synthèse de l'expertise INSERM sur l'obésité de l'enfant : « Préconiser la maigreur pour éviter l'obésité serait une proposition irréaliste, sans fondement et dangereuse. Il n'existe aucun argument pour définir un poids théorique auquel chacun devrait se référer de manière univoque : la zone de poids recommandable est large . »

Comme il a été indiqué précédemment, il est d'autant plus important de ne pas se focaliser uniquement sur l'IMC (et donc le poids) que la répartition de la masse grasse est un facteur de risque plus déterminant.

En outre, les situations individuelles sont éminemment variables et il importe de prendre en compte d'autres éléments tels que l'âge de constitution de l'obésité et son ancienneté, la composition corporelle, le mode de vie, autant d'éléments susceptibles de modifier la relation IMC-morbidité.


* 1 Le syndrome métabolique regroupe dans sa définition la présence de plusieurs anomalies métaboliques associées (obésité abdominale, hypertriglycéridémie, HDL-cholestérol bas, intolérance au glucose ou diabète de type 2, hypertension). Il prédispose à la survenue d'un diabète de type 2 et au développement de maladies cardiovasculaires.

* 2 Il s'agit des seuils retenus par l'American Heart Association et le National Heart, Lung, Blood Institute. Les seuils de la fédération internationale du diabète sont plus bas puisque l'obésité abdominale est définie par un tour de taille supérieur à 94 cm pour les hommes et 80 cm pour les femmes. En revanche, ces différentes sociétés savantes ont retenu les mêmes seuils pour définir l'obésité abdominale des Asiatiques : un tour de taille = 90 cm pour les hommes et = 80 cm pour les femmes.

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