4. Les médicaments « hors indication »

En l'absence de médicaments « classiques » pour gérer le poids, certains cliniciens utilisent les effets secondaires d'autres médicaments pour soigner leurs patients.

C'est par exemple le cas du topiramate autorisé pour le traitement des épilepsies chez les enfants.

Les psychiatres s'y sont intéressés pour lutter contre la boulimie. 5 études contrôlées montrent une réduction de la fréquence des accès boulimiques hyperphagiques. Entre 10 et 30 % des patients ont perdu plus de 10 % de leur poids avec un dosage de 96 mg. En outre, le topiramate maintiendrait et prolongerait les effets d'un régime hypocalorique.

En effet, le topiramate empêcherait la ghréline de donner un signal conscient selon lequel « il faut manger ». Les signaux alimentaires ne seraient ainsi pas transformés en comportement alimentaire.

Par ailleurs, chez l'animal, le topiramate diminuerait l'efficience énergétique.

Les effets secondaires les plus fréquemment mentionnés sont des fourmillements, de la fatigue et des troubles de la mémoire.

Selon les informations obtenues par votre rapporteur, un médicament contenant un mélange de topiramate et de naltrexone serait sur le point d'être commercialisé aux Etats-Unis.

Néanmoins, d'autres interlocuteurs ont insisté sur le fait qu'un essai du topiramate sur le poids chez des sujets diabétiques a été arrêté en raison des effets secondaires de ce médicament.

5. Les limites de la thérapie fondée sur la diététique et l'activité physique

Le traitement de l'obésité passe par la perte de poids. Puisque l'obésité résulte d'un déséquilibre entre les entrées et les sorties, il apparaît logique que les thérapeutiques mises en place reposent sur deux axes : les prescriptions diététiques afin de réduire la densité calorique de l'alimentation du patient obèse et l'activité physique pour faciliter le maintien du poids.

Néanmoins, si ces thérapies sont d'autant plus indispensables qu'il n'existe actuellement aucune alternative médicamenteuse, leur efficacité est malheureusement limitée. D'une part, la perte de poids souhaitée par la personne est souvent inconciliable avec son mode de vie, ce qui entraîne des déceptions et une reprise de poids d'autant plus importante que la perte avait été rapide. Ainsi, les résistances physiologiques et psychologiques à la perte de poids ne doivent pas être sous-estimées.

a) Perte de poids esthétique/perte de poids médical

Toutes les études scientifiques le montrent : une perte de poids limitée (entre 5 et 10 % du poids) est un facteur d'amélioration de certaines comorbidités associées à l'obésité telles que le diabète de type 2, l'hypertension artérielle, la dyslipidémie et les maladies cardiovasculaires. Elle a également des conséquences positives en matière d'arthrose, d'apnée du sommeil et d'infertilité. Elle contribue ainsi à améliorer la qualité de la vie des personnes obèses.

A cet égard, il faut rappeler que quelles que soient les modifications qualitatives des macronutriments dans un régime restrictif, le résultat sur la perte de poids est à peu près identique. L'important est l'adhésion du patient au régime qu'il fait.

En outre, il existe un consensus médical pour reconnaître qu'une perte de poids de 5 à 10% constitue un objectif réaliste (et donc pouvant être maintenu à long terme) dans la mesure où il évite une perte de poids très brutale obtenue par des méthodes qui non seulement ne sont guère tenables sur une longue période mais qui, en outre, contribuent à une reprise de poids égale et bien souvent supérieure aux kilos perdus.

Par ailleurs, cet objectif d'une perte de poids comprise entre 5 et 10 % du poids est compatible avec le plateau observé dans tous les régimes et qui correspond à une phase dans laquelle le patient va rencontrer des difficultés croissantes à maigrir.

Néanmoins, cette perte de poids correspond rarement aux attentes des personnes obèses, surtout si elles sont du sexe féminin, dans la mesure où elle ne correspond pas à leur idéal de poids, lui-même fortement influencé par les normes sociales privilégiant la minceur.

En outre, cet objectif apparaît inapproprié en cas d'obésité massive.

Paradoxalement, alors même que cet objectif est jugé largement insuffisant par les patients, peu d'entre eux arrivent à l'atteindre et encore moins parviennent à s'y maintenir.

b) Les résistances à la perte de poids

Les résistances à la perte de poids sont à la fois physiologiques et psychologiques.

Le concept de résilience métabolique a été avancé pour expliquer la résistance physiologique à l'amaigrissement. Confronté à un apport énergétique réduit, le corps réagit en diminuant sa dépense énergétique grâce à une amélioration de son efficience énergétique. Cette stratégie « inconsciente » peut avoir des effets redoutables comme le rapporte Angelo Tremblay dans son dernier ouvrage.

Dans le cadre d'une expérience exigeant de faire perdre à un groupe de femmes 3 à 4 kilos sur une période de 15 semaines, il avait été prescrit à l'une des participantes dont la consommation journalière avait été évaluée à 2 300 calories un régime de 1 800 calories. Or, au bout des 15 semaines, elle avait pris deux kilos.

La comparaison de son métabolisme de base avant et après régime a montré que ce dernier était passé de 1 400 à 900 calories par jour. La restriction calorique avait été entièrement compensée par la diminution du métabolisme de base. Comme la participante avait par ailleurs réduit son activité physique depuis son entrée dans l'étude, sa balance énergétique était déséquilibrée, entraînant une prise de poids.

En outre, la restriction calorique entraîne une augmentation du taux de ghréline dont l'action est orexigène et une diminution du taux de leptine dont l'action est anorexigène . Les sensations de faim sont donc exacerbées comme ont pu le démontrer des études scientifiques utilisant l'imagerie cérébrale. Ainsi, une stimulation plus forte du cortex est constatée auprès des personnes ayant perdu 10 % de leur poids par rapport à celles dont le poids corporel n'a pas été modifié. Comme l'a résumé Hans-Rudolf Berthoud rencontré par votre rapporteur au Pennington Biomedical Research Center à Bâton Rouge : « en perdant du poids, on crée un cerveau qui a biologiquement faim ! »

En revanche, des expériences sur les rongeurs montrent que lorsqu'on rétablit le taux de leptine antérieur à l'amaigrissement, l'augmentation de l'efficience énergétique disparaît. La prise de leptine ou d'une hormone équivalente après amaigrissement pourrait donc constituer une piste intéressante pour permettre aux personnes atteintes d'obésité de maintenir leur poids, voire de continuer à maigrir.

La résistance à l'amaigrissement pourrait également provenir de la modification physiologique du tissu adipeux .

Comme il a été indiqué précédemment, face à l'excès calorique, le développement d'une adipogénèse accrue conduit en fait schématiquement à l'accumulation de deux populations distincte d'adipocytes. La multiplication d'adipocytes (hyperplasie) au niveau des tissus périphériques (la graisse sous-cutanée) traduit la possibilité de gestion de l'excès calorique à travers le stockage des triglycérides. Dans cette phase, le tissu adipeux joue un rôle protecteur puisqu'il évite que les acides gras ne se répandent dans tout l'organisme.

Néanmoins, cette hyperplasie semble irréversible. Ceci explique pourquoi, au-delà d'une certaine ampleur et d'une certaine durée, le retour au poids antérieur n'est plus possible. Il est impossible de maintenir la taille cellulaire en dessous d'une certaine valeur sans déclencher l'ensemble des mécanismes de reconstitution de la masse grasse ; le niveau minimum de masse grasse qu'il est possible d'atteindre est limité par le nombre d'adipocytes.

Si ce nombre est élevé soit constitutionnellement, soit à la suite de recrutement de nouvelles cellules lors de la prise de poids, il est difficile d'abaisser le volume de la masse grasse en deçà d'un certain seuil, sauf restriction alimentaire permanente.

Par ailleurs, il a été montré précédemment que certains patients développent de la fibrose dans le tissu adipeux qui entrave l'élasticité de ces cellules et empêche la perte de masse grasse.

Selon les cliniciens rencontrés par votre rapporteur, l'âge des patients ainsi que la présence de diabète serait également un facteur de risque dans le phénomène de résistance à l'amaigrissement.

Enfin, les déterminants psychologiques ne doivent pas être sous-estimés. Le moteur de l'acte alimentaire est le plaisir : réduire l'apport alimentaire (notamment en diminuant la part des aliments palatables contenant du gras et du sucre) peut donc avoir des conséquences psychologiques non négligeables sur les individus et entrainer des frustrations ou encore des obsessions qui ne seront pas contrôlables à long terme, entraîneront des désinhibitions et contribueront à la reprise du poids.

Une approche cognitivo-comportementale est donc souvent utile pour mieux comprendre les déterminants du comportement alimentaire et pour aider le sujet à modifier éventuellement les conduites inappropriées.

En outre, dans la mesure où le contrôle volontaire de son alimentation n'est pas tenable à long terme, il est indispensable de réapprendre aux patients à écouter et respecter leurs sensations de faim et de satiété, déterminants essentiels dans la stabilisation du poids.

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Faut-il conclure à l'échec des thérapies fondées sur la diététique et l'activité physique ?

Les statistiques ne sont guère encourageantes.

Dans un colloque récent sur l'obésité, Patrick Ritz, professeur de nutrition et de diabétologie, estimait que 5 % des personnes seulement ne reprenaient pas le poids perdu au bout de 5 ans.

Une autre étude sur les critères de succès du maintien d'une perte volontaire de 10 % du poids initial au-delà d'un an montrait un taux de succès relativement faible (seuls 20% des individus y parvenaient) et des contraintes assez fortes et surtout permanentes comme la soumission à un régime bas en calories et faible en graisse, l'exercice d'une activité physique 4 à 6 heures par semaine, le fait de ne pas être diabétique et de continuer à rencontrer régulièrement le médecin traitant. Lors de son commentaire de cette étude, le professeur Olivier Ziegler a estimé qu'« il s'agit de prendre un aller simple sans retour ! »

Pour autant, il serait prématuré de conclure à l'échec de ce genre de thérapie d'une part parce que certains patients arrivent à perdre durablement du poids grâce à elles et, d'autre part, parce que les progrès de la science laissent espérer une inflexion des thérapies qui les rendra plus efficaces.

En effet, les nombreuses recherches mettant en avant les dangers des régimes trop restrictifs et la reconnaissance du caractère déterminant de la phase de maintien du poids ont vocation à modifier les approches thérapeutiques classiques en mettant moins l'accent sur la perte de poids et en renforçant l'accompagnement du patient vers une modification de son mode de vie.

En outre, comme le fait remarquer le professeur Arnaud Basdevant, la prise en charge des personnes obèses ne se limite pas à la perte de poids et vise :

- à prévenir les complications ou à les traiter ;

- à favoriser des ajustements psychologiques et sociaux ;

- à restaurer un équilibre psychosomatique compromis ;

- à corriger les effets délétères des thérapeutiques antérieures, en particulier les conséquences psychologiques ou somatiques de régimes trop restrictifs ;

- à interrompre d'incessantes et vaines variations pondérales ;

- à traiter un trouble du comportement alimentaire et ses déterminants.

« Le médecin doit hiérarchiser les objectifs au cas par cas, fixer des priorités et inscrire son projet thérapeutique dans la durée. L'obésité est en effet une maladie chronique et il serait illusoire et trompeur de faire croire au patient que son problème se réglera à court terme. »

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