V. ADAPTER LE RÉGIME DU SMIC ?

L'existence d'un salaire minimum est souvent mentionnée comme l'une de ces « institutions » du marché du travail français qui freinerait la production (et la croissance) et nuirait à la résorption du chômage.

C'est pourquoi des réformes du SMIC plus ou moins radicales sont parfois proposées (notamment par les « experts ») avec des effets pratiques inégaux 270 ( * ) .

Il n'est pas exclu que le SMIC ait des effets ambigus. Pour autant, toute réforme du SMIC ne saurait produire des effets favorables et tolérables que sous des conditions qui ne semblent pas entièrement réunies.

PRINCIPALES DISPOSITIONS DU CODE DU TRAVAIL
CONCERNANT LA REVALORISATION DU SMIC

L. 3231-2 - Le salaire minimum de croissance assure aux salariés dont les rémunérations sont les plus faibles :

1° la garantie de leur pouvoir d'achat ;

2° une participation au développement économique de la Nation.

L. 3231-4 - La garantie du pouvoir d'achat des salariés prévue au 1° de l'article L. 3231-2 est assurée par l'indexation du salaire minimum de croissance sur l'évolution de l'indice national des prix à la consommation institué comme référence par voie réglementaire.

L. 3231-5 - Lorsque l'indice national des prix à la consommation atteint un niveau correspondant à une hausse d'au moins 2 % par rapport à l'indice constaté lors de l'établissement du salaire minimum de croissance immédiatement antérieur, le salaire minimum de croissance est relevé dans la même proportion à compter du premier jour du mois qui suit la publication de l'indice entraînant ce relèvement.

L. 3231-6 - La participation des salariés au développement économique de la nation prévue au 2° de l'article L. 3231-2 est assurée, indépendamment de l'application de l'article L. 3231-4, par la fixation du salaire minimum de croissance, chaque année avec effet au 1 er janvier.

L. 3231-8 - En aucun cas, l'accroissement annuel du pouvoir d'achat du salaire minimum de croissance ne peut être inférieur à la moitié de l'augmentation du pouvoir d'achat des salaires horaires moyens enregistrés par l'enquête trimestrielle du ministère chargé du travail.

L. 3231-9 - Les relèvements annuels successifs du salaire minimum de croissance doivent tendre à éliminer toute distorsion durable entre sa progression et l'évolution de conditions économiques générales et des revenus.

LIBRE SYNTHÈSE DU RAPPORT DU CONSEIL D'ANALYSE ÉCONOMIQUE (CAE)
« SALAIRE MINIMUM ET BAS REVENUS : COMMENT CONCILIER JUSTICE SOCIALE
ET EFFICACITÉ ÉCONOMIQUE ? », NOVEMBRE 2008,
PAR PIERRE CAHUC, GILBERT CETTE ET ANDRÉ ZYLBERBERG

Dans son rapport de 2008, consacré au salaire minimum et aux bas revenus, le Conseil d'analyse économique fait trois grandes préconisations destinées à réformer les politiques publiques en faveur des bas revenus.

Ces propositions sont assises sur trois considérations d'ensemble :

L'uniformité réglementaire du SMIC français en contraste avec les institutions adoptées à l'étranger (des régimes conventionnels et souples des minimas salariaux) pose problème. « Son mode de revalorisation » (du SMIC) diffère sensiblement de ceux qui sont mis en oeuvre dans de nombreux pays où le salaire minimum est fixé soit par voie conventionnelle soit par voie légale, mais en admettant généralement des minima différents par âge, secteur, profession ou région. Une telle situation déresponsabilise les partenaires sociaux en réduisant l'espace conventionnel et l'intérêt de la négociation collective.

L'inefficacité du SMIC comme instrument de lutte contre les inégalités, en particulier contre la pauvreté

« Le salaire minimum n'est pas un instrument efficace de lutte contre les inégalités. L'idée selon laquelle le salaire minimum réduit les inégalités à un coût moindre pour la société que des politiques fiscales redistributives (qui prélèvent des impôts et versent des prestations sociales) est erronée. En réalité, la politique du salaire minimum légal uniforme et élevé comprime la distribution des salaires et contribue à réduire le dialogue social, sans grande efficacité pour lutter contre la pauvreté. Afin d'éviter les effets défavorables d'un SMIC élevé, d'importantes ressources publiques sont actuellement mobilisées sous forme d'allègements de charges sociales ciblés sur les bas salaires. Une autre approche permettrait, sans préjudice pour l'emploi, de déployer tout ou partie de ces ressources dans des prestations conditionnelles à l'activité, plus adaptées à la réduction des inégalités, tout en laissant une plus forte place à la négociation collective. »

Les effets discriminants du SMIC pour les jeunes d'autant qu'il s'accompagne d'une absence de politiques ciblée de réduction de la pauvreté

« Ce sont surtout les jeunes qui pâtissent d'une politique de soutien des bas revenus fortement adossée au salaire minimum et faisant peu de place à une politique fiscale cohérente ciblée vers la réduction de la pauvreté. En France, les jeunes sont condamnés à une double peine : le salaire minimum contribue à les exclure de l'emploi plus que leurs aînés et leur inéligibilité au RMI jusqu'à l'âge de 25 ans limite leurs ressources lorsqu'ils ne peuvent accéder à l'emploi. Ainsi, la proportion de pauvres est une fois et demie plus élevée parmi les personnes âgées de 18 à 24 ans que parmi celles de 25 à 54 ans. »

Les propositions du rapport sont présentées comme autant de remèdes à ces diagnostics qui ne sont pas consensuels. L'accent est mis sur la mise en oeuvre de dispositifs plus efficaces pour réduire les inégalités et lutter contre la pauvreté en donnant une place importante au dialogue social et à des mécanismes de redistribution


fondés sur des politiques fiscales (on peut s'étonner que le SMIC ne soit pas d'emblée appréhendé comme un instrument de valorisation du travail salarial). Il s'agit de fixer de nouvelles règles permettant que les évolutions du salaire minimum et des minima sociaux soient envisagées conjointement de façon cohérente afin de rendre plus efficace la lutte contre les inégalités et la pauvreté. « La mise en oeuvre de cette stratégie d'ensemble suppose de profonds changements non seulement du salaire minimum, mais aussi des minima sociaux. »

Il s'agit de passer à une situation caractérisée par :

- un mode de détermination des salaires planchers qui permet de prendre en compte la diversité des situations économiques des salariés et des entreprises, ce qui fait jouer un rôle de premier plan à la fixation des minima conventionnels par la voie de la négociation collective. Pour atteindre cet objectif, il est essentiel de profondément modifier les règles actuelles de détermination du salaire minimum ;

- une amplification de la politique fiscale ciblée sur l'amélioration des bas revenus et la réduction de la pauvreté. La redistribution qu'elle opérerait serait principalement fonction du revenu d'activité et de la situation familiale . Cette politique fiscale devrait par ailleurs ne pas avoir d'effet négatif sur l'offre de travail , comme c'est le cas actuellement du fait de son extrême complexité et du faible gain financier associé à une augmentation de l'activité pour les personnes les moins qualifiées travaillant à temps partiel.

La réforme des règles de revalorisation du salaire minimum

Un préalable est posé. La réforme du salaire minimum ne doit pas être synonyme d'une baisse du pouvoir d'achat des personnes à bas revenus. Le soutien du pouvoir d'achat des bas revenus par des mesures fiscales est, au contraire, jugé moins coûteux socialement qu'une politique reposant exclusivement sur le salaire minimum.

Par exemple, les hausses du SMIC effectuées entre 1971 (instauration du SMIC) et 2002 (avant le processus de convergence des minima salariaux) sont présentées comme répondant à des motivations politiques de court terme qui ont orienté les hausses du SMIC sans considération sérieuse pour les effets néfastes à long terme sur l'emploi, le dialogue social et la cohérence d'ensemble du système fiscal si bien qu'à l'avenir, il est souhaitable de choisir des règles garantissant une évolution du salaire minimum cohérente avec des préoccupations de moyen et long terme et avec l'ensemble de la politique fiscale .

Il est préconisé d' intégrer les revalorisations du SMIC aux projets de loi de finances (cette proposition ne semble pas en phase avec l'idée de décentraliser et de contractualiser les évolutions des salaires).

De même, la création d'une commission d'experts chargée de donner un avis sur les revalorisations du SMIC et des minima sociaux est préconisée. Cette recommandation a trouvé une issue concrète dans la création d'un groupe d'experts sur le SMIC (loi du 3/12/2008). Mais le souhait de voir le mandat d'une commission « salaire minimum » ne pas se limiter à l'étude des conséquences des modifications du salaire minimum et d'intégrer l'ensemble des politiques de soutien aux bas revenus a-t-il été satisfait ? Il ne le semble pas.

Les règles de revalorisation automatique du SMIC seraient caduques 271 ( * ) excepté pour les revalorisations infra-annuelles. Seule subsisteraient les revalorisations du salaire minimum lorsque l'indice des prix à la consommation hors tabac dépasse d'au-moins 2 % le dernier indice pris en compte lors de la précédente revalorisation. Les deux autres modalités actuelles de revalorisation du salaire minimum (automatique sur la moitié des gains de pouvoir d'achat du salaire horaire ouvrier et discrétionnaire par les « coups de pouce ») disparaîtraient.

La réforme des minima sociaux et des prestations devrait conduire, quant à elle, à :

- unifier les minima sociaux afin d'améliorer leur lisibilité,

- et à en étendre le bénéfice aux jeunes de 18 à 25 ans présentés comme subissant actuellement de plein fouet les défauts du système actuel.

L'objectif d'unification des minima sociaux et des prestations liées à l'activité a été retenu dans la logique du revenu de solidarité active (RSA) appelé à remplacer par un dispositif unique la prime pour l'emploi (au moins en partie), le revenu minimum d'insertion (l'allocation de parent isolé et d'autres transferts sociaux comme le complément de libre choix d'activité ainsi que les dispositifs transitoires d'intéressement à la reprise d'activité qui y sont associés ?).

Cette unification est vue comme un moyen d'amélioration de la lisibilité des prestations et des impôts pour mieux cibler les publics en difficulté. Elle permettrait de rendre plus transparent le lien entre le revenu d'activité et le revenu disponible, après impôts et prestations .

A. LE SMIC, UN FACTEUR DE RIGIDITÉ POUR L'ÉCONOMIE FRANÇAISE ?

Il y a de nombreux arguments pour réformer le SMIC ou, du moins, lui restituer son rôle initial de minimum salarial. On peut estimer que tout salaire minimum limite la production, crée du chômage et exerce des effets inéquitables sur les salariés, soit en réduisant certains de ceux-ci au chômage, soit en limitant la rémunération d'autres salariés en-deçà de leur productivité propre.

1. Le SMIC limiterait le volume des emplois et contribuerait au chômage notamment à celui des non-qualifiés

En situant le coût du travail à un seuil minimum élevé, le SMIC découragerait la production de biens et services qui, si leurs prix étaient plus bas, seraient demandés. Plus globalement, toutes les offres qui reposent sur des productivités marginales du travail inférieures au SMIC sont appelées à disparaître. En outre, en élevant le coût des biens et services, le SMIC altère la compétitivité des entreprises consommatrices, ce qui est défavorable à la création d'emplois.

Le SMIC contribue ainsi au chômage, notamment des peu qualifiés. Premièrement, les offres d'emplois peu qualifiés sont limitées. Deuxièmement, les salariés peu qualifiés passent aux derniers rangs dans la file d'attente que représente le chômage, car les employeurs leur préfèrent des salariés qualifiés, même pour ces emplois.

Il en résulte incidemment des phénomènes de surqualification qui sont synonymes de frustrations mais aussi de gaspillage de capital humain.

Ces processus seraient d'autant plus à l'oeuvre que l'économie d'aujourd'hui est globalisée et expose les salariés peu qualifiés à la concurrence des pays à bas coûts de la main d'oeuvre. Cette concurrence tend d'ailleurs à se renforcer au sein même des pays développés puisque si certains d'entre eux ont mis en place un salaire minimum parfois élevé (le Royaume-Uni), dans beaucoup d'autres, les salaires minima sont très faibles (faisant d'ailleurs naître une catégorie de plus en plus vaste de travailleurs pauvres
- cf. l'Allemagne).


* 270 Les propositions récentes de réforme de l'indexation du SMIC paraissent avoir étroitement inspiré les pratiques de revalorisation suivies ces dernières années.

* 271 Le SMIC serait revalorisé par les lois de finances.

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