C. UN DIAGNOSTIC À PROLONGER

Sur les constats d'un ralentissement de la croissance et des gains de productivité, il y a consensus, mais s'en tenir là serait insuffisant. Certes, les causes de ces évolutions sont encore en partie incertaines (ce qui conduit à recommander une amplification des travaux portant sur la croissance), mais on peut en envisager quelques unes et, plus particulièrement, se poser la question des interactions entre les équilibres atteints sur les marchés des facteurs de production et le rythme de la croissance .

1. Facteurs d'offre ou affaire d'équilibre ?

Il faut d'abord envisager, outre les relations entre le rythme de la croissance et l'accumulation du travail et les salaires, l'impact de la répartition des fruits de la croissance sur le dynamisme économique .

Sur le premier point , il existe au moins deux approches différentes et contradictoires.

Une lecture classique voit dans les rigidités salariales un frein structurel à l'accumulation du travail et une explication au chômage persistant. Le prix du travail serait trop élevé ce qui découragerait l'emploi, notamment pour les emplois à productivité faible. En outre, le chômage structurel atteindrait un haut niveau en France en raison des tensions salariales qui se déclencheraient dès qu'on y atteint le seuil des 9 % de chômeurs. Enfin, des rigidités institutionnelles élèveraient le coût du travail perçu par des employeurs exposés aux difficultés d'ajuster la main-d'oeuvre à une activité économique de plus en plus volatile. En bref, le chômage serait « classique » et celui-ci freinerait structurellement la croissance économique. Cette vision débouche sur des propositions de flexibilisation du marché du travail (déréglementation des salaires et de l'emploi) mais elle est également cohérente avec la proposition d'augmenter le capital humain pour disposer d'une main-d'oeuvre plus qualifiée capable de performances productives plus élevées, seules susceptibles de justifier un plus haut niveau de salaires.

Les lectures moins orthodoxes comprennent d'abord l'idée que ce n'est pas fondamentalement l'insuffisance de l'accumulation du travail qui explique le ralentissement de la croissance mais celui-ci qui est responsable du sous-emploi. Le coût du travail n'est pas l'obstacle premier. C'est l'insuffisance de la production qui, éventuellement, le rend tel. Cette sous-production s'explique elle-même par une demande conjoncturellement ou structurellement insuffisante.

En outre, d'un point de vue plus microéconomique, des analyses ont approfondi l'idée qu'il faut enrichir la conception du salaire pour ne plus voir en lui un simple élément quantitatif soumis à une contrainte exogène de productivité mais aussi un déterminant plus qualitatif qui, en soi, représente une incitation efficace à élever la productivité du travail.

Dans ces approches, l'abaissement du coût du travail exerce des effets contraires à ceux attendus dans les analyses classiques :

- elle accentue le désajustement entre offre et demande en déprimant celle-ci ;

- elle réduit la productivité en ôtant au salaire sa force d'incitation ;

- plus largement, le déclassement du travail qui est associé à la réification des salariés le dévalorise radicalement et, en alimentant un sentiment de précarité, anéantit la valeur des engagements réciproques entre les salariés et l'entreprise, qui représente une condition de la prospérité de l'entreprise mais aussi de relations sociales apaisées.

La popularité de ces deux lectures opposées des liens entre croissance et travail ne peut être considérée comme le tout indépassable de la question pour plusieurs raisons :

- en premier lieu, la croissance économique est tributaire d'autres variables que le travail ; et la productivité du travail est elle-même dépendante d'autres facteurs, irréductibles aux seuls paramètres de l'emploi. Ainsi, le rythme de l'investissement ou les gains de productivité résultant de l'innovation importent (et importeront de plus en plus v. infra ) sans qu'ils soient exclusivement explicables par les équilibres du marché domestique du travail ;

- en second lieu, il est possible (v. Malinvaud) que les freins à l'accumulation du travail soient non-exclusifs les uns des autres, autrement dit que les deux approches exposées plus haut puissent, chacune, rendre compte d'une partie des problèmes d'accumulation et de performances du travail. Il s'agirait alors non de privilégier un type d'action plutôt que l'autre mais de les concilier ce qui, pour être beaucoup plus difficile, serait aussi une condition essentielle de l'efficacité des politiques publiques.

Les difficultés rencontrées sur cette voie sont considérables. Elles tiennent à ce qu'elle conduit à affronter une série de dilemmes, parmi lesquels ceux-ci :

- un premier entre restauration de l'employabilité par une baisse des rémunérations salariales et maintien de l'incitation au travail ;

- un deuxième entre différenciation salariale et objectif de limiter les inégalités ;

- un troisième entre distribution inégalitaire des salaires et dynamique de la demande, de l'offre, et donc de la croissance ;

- un quatrième entre logiques de production et logiques de redistribution et d'intervention publique pour soutenir la croissance...

Outre les éléments techniques du diagnostic, deux attitudes différentes apparaissent fondamentales dans la résolution de ces dilemmes suivant le degré de confiance accordé respectivement aux mécanismes de marché et à l'intervention publique .

Dans cette réflexion globale, un dernier élément majeur doit être mentionné : le degré de confiance dans la capacité à passer d'une approche analytique à l'action pratique , dans un contexte où les relations économiques et sociales semblent ordonnées par des forces qui échappent de plus en plus à toute autorité venant les surplomber.

De ces points de vue, il apparaît particulièrement légitime dans le contexte de crise globale actuelle de se pencher sur les questions soulevées par la répartition des fruits de la croissance et de ses impacts notamment sur le rythme et l'horizon de celle-ci.

On peut envisager l'hypothèse que la répartition du revenu national ait instauré un équilibre conduisant à une production trop souvent en-deçà des capacités de production 31 ( * ) et que ce mauvais équilibre n'ait pas été suffisamment corrigé par des politiques économiques restées structurellement trop restrictives bien que comprenant des déséquilibres plus ou moins consentis.

Toutes ces questions appellent des approfondissements (dont certains sont envisagés dans la suite de ce rapport).

Des réponses qui pourraient leur être apportées dépend en partie l'avenir de la croissance française dont on peut craindre que les processus d'accumulation ne pourront la soutenir sensiblement dans un contexte de faible accroissement de la population active et de concurrence des espaces dans l'attraction des capitaux .


* 31 Le niveau souvent faible des taux d'utilisation des capacités de production en serait un indice parmi d'autres.

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