6. Mondialisation et concurrence sur le marché du travail

On a pu faire observer à partir de la considération de certains indicateurs de la mondialisation que celle-ci ne pouvait pas expliquer la réduction de la part des salaires dans la valeur ajoutée du fait d'un défaut de corrélation entre les deux phénomènes.

Sur le marché du travail, la mondialisation s'apparente à la constitution d'un marché du travail mondial. Selon Richard Freeman, le nombre de travailleurs mobilisables dans le monde est passé de 1,5 à 3 milliards entre 1980 et 2000. Ce processus qui vient surtout des pays en développement entraine plus de concurrence et exerce une pression à la baisse sur les salaires qui n'est pas limitée aux pays du Nord.

D'autres estimations indiquent que l'offre mondiale de travail corrigé par la part des exportations dans le PIB mondial a plus que doublé depuis 1980. Il en est allé de même du capital mobilisé par les échanges commerciaux internationaux.

Effet théorique du commerce Nord-Sud sur le marché du travail 1

L'intégration rapide dans l'économie mondiale des principales économies émergentes aurait induit une intensification de la concurrence entre les travailleurs peu qualifiés du monde entier.

Ce processus découle des avantages comparatifs des pays : les pays développés se spécialisent dans les tâches intensives en travail très qualifié alors que les pays émergents se spécialisent dans les tâches intensives en travail peu qualifié.

Dans les pays développés, les secteurs en expansion intensifs en travail qualifié accroissent la demande de travail qualifié, en revanche, les secteurs en déclin libèrent du travail peu qualifié. Dans les pays développés, un déséquilibre apparaît donc sur le marché du travail.

Dans le cadre du modèle Heckscher-Ohlin, la technologie et la demande sont identiques entre les pays qui diffèrent uniquement par leurs dotations factorielles distinctes. Dans ce cas, le commerce et les salaires sont uniquement liés aux variations du prix des biens. Ainsi, seules deux forces externes peuvent affecter le prix des producteurs :


• la réduction des coûts de transaction permise par la baisse des barrières tarifaires et non tarifaires, ainsi que les coûts de transport. Elle intensifie les échanges commerciaux entre les pays développés et les pays émergents et diminue ainsi le prix des biens intensifs en travail peu qualifié dans les pays développés ;


• l'évolution de l'offre de travail : l'expansion démographique de la population active dans les pays émergents accroît l'offre de travail des peu qualifiés, ce qui accroît la production et les exportations de biens intensifs en travail peu qualifié. Ce processus de spécialisation induit une baisse du prix relatif des biens intensifs en travail peu qualifié sur le marché mondial, et a fortiori dans les pays développés.

Selon Wood 2 , l'impact de ces forces externes sur les salaires varie suivant la situation du pays en termes d'ouverture et de dotation factorielle. En autarcie , les salaires sont déterminés par l'intersection entre les courbes d'offre et de demande de travail dont le niveau dépend de la dotation du pays en travail qualifié et peu qualifié. Après ouverture , Wood considère une économie dont la dotation factorielle lui permet de produire les deux types de biens (diversification du commerce). Dans ce cas, la demande de travail est infiniment élastique et n'est pas affectée par l'offre de travail domestique (on suppose que le pays est petit par rapport au reste du monde). En revanche, ce sont les prix relatifs mondiaux des biens qui déterminent les salaires relatifs : au niveau d'une offre de travail donnée, les salaires relatifs sont déterminés par les prix relatifs mondiaux des biens. Ainsi, si l'offre mondiale de travail peu qualifié s'accroît, le prix à l'importation des biens intensifs en travail peu qualifié devrait diminuer réduisant ainsi le salaire relatif du travail peu qualifié.

____________

1 Wood A. (1995) : «How Trade Hurt Unskilled Workers», The Journal of Economic Perspectives, Vol. 29, N° 3, pp. 57-80.

2 Extrait de Sylvie Montout : « Comment la mondialisation affecte-t-elle l'offre des facteurs de production ? » Economie et prévision n° 189, 2009/3

Pourtant, si le bilan complet de la mondialisation sur le marché du travail (situation des salariés, impact sur le chômage) est loin d'être stabilisé 387 ( * ) , des éléments de cadrage plutôt convaincants peuvent être réunis pour estimer les effets de la constitution d'un marché mondial du travail sur les salaires dans les pays développés. Ils convergent vers le constat d'une très forte asymétrie des effets de la mondialisation sur les revenus primaires : le travail peu qualifié subirait les conséquences de la mondialisation Nord-Sud soit par une baisse des salaires, soit par une hausse du chômage (les deux phénomènes pouvant se cumuler) tandis que les détenteurs du capital tireraient bénéfice d'une mondialisation qui implique une déformation du partage global de la valeur ajoutée au détriment des salariés. Parmi ceux-ci, les très qualifiés bénéficieraient de la mondialisation Nord-Sud mais de façon un peu précaire.

Schématiquement, la mondialisation est un processus de libéralisation des marchés qui rapprochent ceux-ci du fonctionnement d'une économie de concurrence pure et parfaite . Or, quand on passe d'un état où certaines positions économiques sont protégées de la concurrence vers un autre état où ces protections sont abolies ou réduites, les revenus qu'on tirait desdites protections ont vocation à disparaître ou à baisser.

Cet enchaînement n'est pas le seul qu'il faille associer à la libéralisation des marchés. En théorie, celle-ci permet (ne serait-ce d'ailleurs que parce qu'elle réduit les rentes) d'augmenter l'efficacité économique en accroissant la production et en diminuant les prix. Il reste que les effets économiques de la concurrence ne sont pas sans susciter de discussions.

Celles-ci portent en particulier sur l'impact de la concurrence sur la croissance et le bien-être 388 ( * ) , en lien notamment avec les réflexions sur les structures économiques des économistes de l'innovation.

Mais, l'essentiel est ailleurs pour notre propos où il s'agit de rendre compte des effets de la mondialisation sur la dynamique des revenus.

Pour ce faire, on ne peut qu'observer les effets asymétriques des processus de globalisation. Sans doute, cette asymétrie vient-elle de ce que l'ensemble des secteurs économiques ne sont dans un état de l'économie caractérisé par la concurrence pure et parfaite, et ne sont pas identiquement concernés par la libéralisation en cours. Les concurrences augmentent avec des différences d'intensité selon que le secteur est exposé ou non à la concurrence internationale. Pour autant, il n'y a pas de secteurs réellement immunisé contre les effets de la mondialisation. En effet, chaque activité mobilise des facteurs de production (travail, capital) et les marchés de ces facteurs ne sont pas étanches par secteur.

Ainsi, les influences de la mondialisation, qui transitent sans doute à travers les secteurs exposés, migrent sur chacun des marchés de facteurs si bien tous les secteurs sont potentiellement concernés par les effets de la mondialisation, y compris ceux qui, à première vue, paraîtraient les moins exposés.

C'est plutôt parce que la mondialisation provoque un renforcement très inégal des concurrences et s'exerce sur des acteurs dont les capacités de résistance (d'adaptation) sont hétérogènes qu'elle a des conséquences différentes pour les agents économiques .

Le renforcement des concurrences par la mondialisation concerne principalement les salariés et, parmi ceux-ci les salariés peu qualifiés 389 ( * ) . La capacité d'adaptation du capital à la mondialisation ressort comme relativement supérieur, même si elle est probablement très concentrée chez les acteurs disposant de marges de manoeuvre du fait de leur puissance financière ou de marché. Les travailleurs qualifiés tirent plutôt avantage de la mondialisation (à travers des effets sur les prix et leurs revenus) mais leurs perspectives sont plus incertaines (certaines études vont jusqu'à estimer que le travail qualifié est proportionnellement plus concerné par la mondialisation que le travail non qualifié).

Numériquement, la concurrence sur le marché du travail venant de l'ouverture économique concerne au premier chef les salariés non qualifiés. Elle exerce une pression à la baisse de leurs salaires et réduit la quantité d'emplois non qualifiés dans les pays développés. On relève souvent qu'il existe de ce pont de vue des combinaisons différentes dans les pays du Nord selon le degré de flexibilité des salaires. Dans les pays anglo-américains, la pression sur les non-qualifiés provoqueraient une baisse de leurs salaires (l'Allemagne est décrite comme rejoignant ce groupe) tandis qu'en Europe continentale ce serait par le chômage que se résoudrait cette pression.

Les graphiques ci-dessous illustreraient cette différence de réaction.

TAUX DE CHÔMAGE EN 2005 PAR NIVEAU DE QUALIFICATION

Source : OCDE

INÉGALITÉS DE SALAIRES DANS QUELQUES PAYS DE L'OCDE

Note : Les courbes représentent la distribution des salaires P90/P10 indiquant les 90 e , 10 e centiles de la distribution des salaires pour les salariés à temps plein (rebasé à 100 en 1986).

Source : OCDE

On y relève, en effet, que le taux de chômage des non qualifiés est plutôt plus faible aux Etats-Unis et au Royaume-Uni que dans l'Union européenne, où les performances de l'Allemagne ressortent comme particulièrement mauvaises 390 ( * ) , tandis que les inégalités salariales seraient moins fortes dans les pays européens.

Il existerait ainsi des arbitrages entre protection des salariés et chômage et protection des salariés et inégalités salariales. In fine , il faudrait accepter davantage d'inégalités salariales pour réduire le chômage des non qualifiés.

Mais, outre les habituels problèmes de comparabilité statistique que peuvent poser les comparaisons internationales sur des données faiblement harmonisées, ainsi que ceux relatifs à la signification des indicateurs sélectionnées, il existe une objection majeure à conclure d'une apparente corrélation (d'ailleurs contredite par l'exemple japonais) à l'existence d'une causalité 391 ( * ) . Reste surtout posée la question de la pertinence des choix économiques et sociaux que pourraient traduire les données mentionnées.

Il apparaît, en particulier, que l'accroissement de la main-d'oeuvre non qualifiée mondiale pourrait se poursuivre dans les années à venir en dépit des efforts (parfois évoqués) de formation initiale .

Aujourd'hui, un adulte sur cinq (et une femme sur quatre) est analphabète. C'est en Asie que les progrès de l'alphabétisation ont été les plus nets avec un taux dépassant 90 % pour l'enseignement de niveau primaire. De même, si le secondaire a connu un boom avec des taux de scolarisation secondaire qui atteignent 66 % en Asie et en Amérique latine, ils sont seulement 25 % en Afrique, l'Asie centrale étant à la traîne.

Pour le niveau tertiaire, le nombre d'étudiants a doublé entre 1991 et 2005 pour atteindre 138 millions. Mais si 70 % des individus suivent un enseignement supérieur en Europe de l'Ouest et en Amérique du Nord, seuls 23 % le font en Asie de l'Est et 5 % en Afrique subsaharienne.

Dans tous ces domaines, les progrès sont suspendus notamment au recrutement de professeurs (18 millions d'enseignants supplémentaires seront nécessaires pour réaliser un enseignement primaire universel en 2015) et il faudra dégager des financements supplémentaires.

En bref, la propension à se former reste très inégale selon les situations (urbains contre ruraux...) ou les régions du monde (Chine côtière contre Afrique subsaharienne...).

Or, à l'horizon de 2030 où la population active mondiale devrait passer à 5,1 ou 5,3 milliards (contre 4,2 milliards aujourd'hui), ce sont les gisements les moins perméables à la formation qui devraient fournir ce supplément de main-d'oeuvre. Même si la totalité de celle-ci ne sera pas employée dans le secteur exportateur des pays du Sud, qu'une faible proportion se présente sur ce segment du marché du travail suffirait à maintenir les avantages comparatifs des pays du Sud dans les secteurs où la main-d'oeuvre non-qualifiée abondante est un atout compétitif.

Ainsi, moyennant peut-être des reclassements géographiques où un « nouveau Sud » remplacerait l'actuel Sud-émergent, les coûts salariaux aujourd'hui très disparates devraient le rester malgré la convergence salariale qui se produit dans certains émergents. Sous cet angle, c'est en Chine que la croissance est la plus forte (+ 10 % par an en moyenne entre 1995 et 2005) ; en Russie, on passe de + 1,2 % l'an entre 1995 et 2000 à + 12 % entre 2000 et 2005.

Dans l'Union européenne, la croissance des salaires n'est que de 3 % en 2007, mais de 12 % pour les 12 nouveaux adhérents.

On admet parfois que le rattrapage des pays émergents serait réalisé d'ici quinze ans si on extrapolait les tendances passées, mais, outre que cette perspective n'est peut-être pas réaliste, elle laisse ouverte une prise de relais par d'autres pays du Sud.

COÛT HORAIRE DU TRAVAIL (SALAIRE, CHARGES SALARIALES, PRIMES...)
EN DOLLAR US POUR LES OUVRIERS DE PRODUCTION EN USINE DE 1975 À 2006*

* Hors prise en compte des progrès de productivité

Source : BLS (Bureau of Labor Statistics). International comparisons of hourly compensation costs in manufacturing. Washington, D.C. : BLS, 2008, 27 p.

Dans ces conditions, la préservation des emplois non qualifiés 392 ( * ) peut apparaître comme une stratégie défensive appelée à être débordée par les forces qui remodèlent les équilibres économiques mondiaux .

Jusqu'à présent, si ces forces ont affaibli la situation des salariés peu qualifiés - d'autres évolutions sont à l'oeuvre dans le même sens au niveau national (restructuration des demandes, organisation des entreprises dans le sens d'un accroissement des concurrences sur les activités externalisées, progrès techniques) -, elles ont davantage épargné les autres segments du salariat des pays développés.

Ainsi, si la part des peu-qualifiés dans la population active des pays développés a baissé de 29,7 à 21 % entre 1991 et 2005 , les travailleurs moyennement qualifiés sont proportionnellement stables et majoritaires (47,7 % de la population active) tandis que les très qualifiés sont en hausse à 31,3 % contre 24,2 % en 1991.

Avec ce processus, on assiste à une certaine stabilité des écarts structurels de qualification de l'offre de travail entre pays développés et reste du monde.

ÉCARTS DE DOTATION FACTORIELLE PAR NIVEAU DE QUALIFICATION

Note de lecture : rapport des parts de l'offre de travail par niveau de qualification des pays développés vis-à-vis du monde.

Source : OCDE

Mais ces ratios sont un peu trompeurs parce qu'ils agrègent la totalité des pays du Sud au dénominateur alors que seule une fraction d'entre eux exerce une concurrence tangible sur les pays du Nord.

Et, de fait, les pays émergents mobilisent pour leur commerce extérieur une proportion de plus en plus forte de moyennement qualifiés (de 16,7 à 22,1 % du total entre 1991 et 2005) ainsi que de très qualifiés (de 5,5 à 9,2 %).

Autrement dit, la spécialisation des pays du Sud ne s'arrête pas aux productions nécessitant une nombreuse main-d'oeuvre . Avec leur émergence, leurs dotations factorielles évoluent et voient se renforcer leurs qualifications avec pour effet probable une montée des concurrences directes sur l'ensemble des segments du marché du travail.

Ce processus qui traduit l'existence d'un effort de formation est également la conséquence des effets de la mondialisation sur les flux de capitaux. Ceux-ci sont désormais assez largement fluides .

Ainsi, pour les détenteurs de capital, la mondialisation crée moins de concurrence qu'elle ne démultiplie les opportunités . Elle est donc fondamentalement asymétrique quand on considère ses impacts selon les différentes catégories de facteurs de production.

Il faut également remarquer que la mondialisation s'accompagne, comme prévu par la théorie des avantages comparatifs, d'une intensification du capital, c'est-à-dire d'une déformation de la combinaison productive dans le sens de plus de capital par salarié, dans les pays développés.

Ceci résulte de la spécialisation accrue des économies développées dans des biens et services intensifs en capital, les productions intensives en travail refluant en proportion. Ce processus entraîne en soi une déformation du partage de la valeur ajoutée au détriment du travail sans que la rémunération unitaire du capital ait à augmenter pour que celle-ci se constate.

Le graphique ci-après rend compte que le phénomène d'augmentation du stock de capital mobilisé par les échanges extérieurs concerne également les pays émergents.

ÉVOLUTION DU STOCK DE CAPITAL PHYSIQUE LIÉ À L'OUVERTURE

Source : BIT, OCDE, Cepii CHELEM, calculs DGTPE.

Mais, on relève que le capital ainsi mobilisé dans les pays émergents est à un niveau très inférieur à celui des pays développés . L'intensité capitalistique des pays développés reste 19 fois plus forte que celle des pays émergents.

INTENSITÉ CAPITALISTIQUE : PAYS DÉVELOPPÉS/MONDE

Source : BIT, OCDE, Cepii CHELEM, calculs DGTPE.

Il n'empêche que la production mondiale destinée à satisfaire les échanges commerciaux dont la part s'accroît est de plus en plus exigeante en capital et que c'est dans les pays émergents que l'intensité capitalistique se renforce le plus.

INTENSITÉ CAPITALISTIQUE DES EXPORTATIONS PAR ZONE

Source : BIT, OCDE, Cepii CHELEM, calculs DGTPE.

Ce processus devrait se poursuivre avec, d'un côté, une spécialisation de plus en plus forte des pays développés dans les activités à forte intensité capitalistique et, de l'autre, une montée en gamme des productions des pays émergents 393 ( * ) .

L'équilibre actuel qui voit la diversion internationale épouser, avec quelques nuances, les prédictions de la théorie économique mentionnée plus haut pourrait évoluer assez vite selon le rythme de montée en gamme de certains émergents. Les anticipations que ceux-ci peuvent faire de leurs dynamiques démographiques, la disponibilité d'une épargne abondante et le degré d'accès à des transferts de technologie sont des variables stratégiques à cet égard.

Ces développements alternatifs ne seront pas sans conséquence sur la situation des segments du salariat aujourd'hui relativement préservés par la mondialisation.

De ce point de vue, si la qualification peut être assimilée à un capital, celui-ci protègerait d'autant plus le salariat qu'il sera plus élevé et adéquat aux nouvelles productions. Mais, il est possible que se pose, avec de plus en plus d'acuité, la contrainte de mobilité internationale des salariés les plus qualifiés si l'épargne mondiale devrait se concentrer de plus en plus vers des sites du Sud émergé.

*

* *

On ne peut finalement se déprendre de l'idée que la combinaison productive n'explique plus de la même manière la répartition de la valeur ajoutée et qu'elle ne répond elle-même plus de la même manière à celle-ci .

Le coût du capital dans un contexte d'économie globalisée peut être plus rigide qu'auparavant et l'investissement peut ne plus répondre au coût relatif des facteurs comme avant que la financiarisation de l'économie ne soit de règle.

Sur le premier point, la mondialisation exercerait des effets décevants mais pas vraiment étonnants. On en attendait une facilitation des financements par élargissement de l'épargne mobilisable. On n'en a sans doute pas assez mesuré les effets de sélection dans un monde où les rentabilités du capital restent hétérogènes, comme le sont les perspectives de croissance des espaces économiques nationaux.

Quant aux effets de la financiarisation, l'évolution du partage de la valeur ajoutée pourrait témoigner de l'impact de la hausse de la rémunération du capital qui l'aurait accompagnée.

En tout cas, plus fortes sont les exigences de rendement financier du capital, plus intenses sont les pressions pour que la rentabilité économique du capital (qui, à court terme, est influencée par les conditions du partage de la valeur ajoutée) soit forte (et la part de la valeur ajoutée consacrée aux salaires faible) alors même que l'investissement productif pourrait être dissuadé.

A cet égard, la totalité des personnes auditionnées par vos rapporteurs ont jugé que la dynamique et l'équilibre du régime économique étaient gravement mis en péril par des normes de rendement financier excessives qui, notamment en polarisant le pilotage des entreprises sur des impératifs de court terme, sacrifient le long terme.

Ajoutons qu'à court-moyen terme, la purge financière qu'appelle le rétablissement des situations d'endettement - privé ou public - des économies développées pèsera lourdement sur la dynamique des salaires et le niveau de la valeur ajoutée qui devrait leur revenir tant il est peu probable que les ajustements nécessaires empruntent, en Europe, les voies alternatives (monétisation des dettes, contribution des actionnaires) parfois suivies ailleurs.


* 387 Il en va de même s'agissant des effets de la mondialisation sur la rémunération du capital.

* 388 Schumpeter notamment qui apparaît sur ce point l'héritier d'une longue tradition faisant valoir les effets bénéfiques de l'accumulation - capitaliste montre que la croissance est sensible - heureusement selon lui car cela permet de dépasser l'état stationnaire prédit par les grands classiques - où l'innovation qui suppose un certain degré de concentration des richesses insusceptible d'être atteint.

* 389 On n'évoque pas ici les espaces nationaux - les Etats - non parce qu'ils seraient indemnes des effets de la mondialisation - au contraire, celle-ci joue sur eux un rôle majeur - mais pour la simplicité de l'exposé. Il faut malgré tout relever que, dans le même temps où la mondialisation crée des besoins sociaux susceptibles de réclamer des moyens très élevés, elle gêne les Etats dans leur rôle de satisfaction de ces besoins.

* 390 Sans doute, peut-on les associer à l'héritage historique du pays.

* 391 Les économies nationales demeurent singulières si bien que les chocs qu'elles subissent peuvent être différents ou provoquer des réactions différentes.

* 392 Les statistiques sur le chômage des non qualifiés ne donnent pas d'information directe sur ce point ; elles ne permettent pas de conclure à l'existence d'un tel choix. La faiblesse du taux de chômage des non qualifiés ne témoigne pas nécessairement d'une stratégie de préservation de ces emplois. Elle peut provenir de ce qu'il existe peu d'emplois de cette sorte dans une économie et cette dernière situation témoignerait de l'atteinte par cette économie d'un stade plus avancé dans la réorganisation de la spécialisation internationale à laquelle invite la nouvelle division internationale du travail provoquée par la mondialisation.

* 393 La question de la rapidité et de la hauteur de cette montée en gamme n'est pas résolue. D'un côté, la permanence d'avantages comparatifs du côté des biens intensifs en travail va dans le sens d'une orientation des productions dans les domaines concernés. De l'autre, l'abondance de l'épargne qui résulte de l'équilibre actuel de la répartition dans les pays émergents pourrait, si elle se confirmait, favoriser des stratégies ouvertes par le capital des firmes du Nord de rattrapage technologique rapide.

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