CHAPITRE III : DES ENTREPRISES MAL GOUVERNÉES DANS UN MONDE INGOUVERNABLE ?

RÉSUMÉ DU CHAPITRE

L'observation du passé montre que parmi les principaux facteurs déterminants du pacte social, s'agissant de la gouvernance des entreprises, figurent l'évolution des conditions économiques, financières et de concurrence, la légitimité et à la solidité du « système » de relations sociales, plus éventuellement l'impact des politiques publiques et leur capacité à infléchir les évolutions subies. Dans ce cadre, le scénario tendanciel est un scénario conflictuel susceptible de nuire à terme aux objectifs de productivité et de compétitivité de l'entreprise et de l'économie nationale :

- le transfert de pouvoir de l'entrepreneur familial au manager technocrate puis à l'investisseur financier « dilué » se poursuit dans le cadre d'une mondialisation non coopérative secouée par des crises ponctuelles ;

- la distance physique aux lieux de décisions et la poursuite d'objectifs principalement financiers continuent de miner le pacte social ;

- le dialogue social national demeure bipolaire et se révèle de plus en plus inadapté à la résolution de problèmes de dimension mondiale ;

- l'Etat renonce à agir et le gouvernement des entreprises ne trouve plus de contrepoids que dans une opinion publique influençable et versatile.

Comme l'a montré le titre I du présent rapport, le système français de représentation collective combine plusieurs formes de participation des salariés à la gestion des entreprises. Ces formes de participation à la gestion, issues de différentes strates historiques, sont censées permettre de faire entendre la voix des salariés dans la marche de l'entreprise.

En réalité, les auditions réalisées ont montré le caractère quelque peu virtuel de cette participation, qui fait du reste l'objet d'adaptations permanentes, en fonction des nouvelles problématiques surgissant au gré des mutations économiques et sociales.

Ces auditions ont également mis en évidence les contradictions des acteurs, tant syndicaux que patronaux. Les uns critiquent le caractère brusque ou lointain des décisions des entrepreneurs, sans souhaiter toutefois d'implication directe des salariés dans les organes de décision ; les autres tiennent des discours sur la responsabilité sociale dont l'objet et les destinataires réels (salariés ou marchés ?) sont ambigus.

Ces contradictions sont le reflet d'une crise de la représentativité qui participe à la crise du capitalisme dessinée par le présent rapport. Ce scénario « noir » se caractérise par la poursuite de tendances tendant à accroître le questionnement sur la légitimité d'un système qui apparaîtrait de moins en moins comme le corollaire de la démocratie sur le plan économique et de plus en plus comme l'expression d'un rapport de force.

Les principaux traits de ce scénario « noir » sont les suivants :

- La dépersonnalisation des relations dans l'entreprise tend à s'accroître : le transfert de pouvoir de l'entrepreneur familial au manager technocrate puis à l'investisseur financier « dilué » se poursuit dans le cadre d'une mondialisation non coopérative secouée par des crises ponctuelles. Cette dépersonnalisation affecte l'ensemble du tissu économique, à tous les niveaux y compris locaux, en raison des relations de dépendance existant entre entreprises. Le fonctionnement en réseau est déséquilibré, tous les points du réseau ne pesant pas le même poids.

- Dans ce réseau hiérarchisé, la dépersonnalisation est accrue par la distance physique aux lieux de décision et la poursuite d'objectifs d'ordre principalement financier . Dans le contexte d'une internationalisation toujours croissante des entreprises, lesdits lieux de décision, ainsi que les finalités poursuivies, sont de moins en souvent clairement identifiés par l'ensemble des parties prenantes. Par exemple, la tertiarisation se poursuivant, les salariés travaillent dans de petits établissements de proximité, mais toujours davantage dépendants d'autres acteurs, nationaux voire mondiaux. Les objectifs de rentabilité financière l'emportent sur la logique de service. Dans d'autres entreprises, ces objectifs supplantent durablement la logique industrielle , ce qui freine l'avènement de projets de long terme porteurs de croissance pour l'entreprise et d'effets externes pour l'ensemble de l'économie (par exemple par la diffusion du progrès technique). La « démocratisation » de l'entreprise se fait au profit des actionnaires minoritaires, au risque d'affaiblir la cohérence des stratégies d'ensemble des entreprises.

- La violence des crises financières et de leurs effets sur l'économie réelle souligne de façon récurrente les divergences d'intérêts entre parties prenantes . Les positions bipolaires des partenaires sociaux et les failles du système de représentation collective empêchent toute reformulation du pacte social, d'autant que le dialogue social national est un cadre inadapté à la résolution des questions soulevées par l'évolution des conditions économiques, financières et de concurrence au niveau mondial. En conséquence de ces divergences d'intérêt croissantes, dans un contexte de faiblesse persistante du syndicalisme, la conception contractuelle de l'entreprise tend à l'emporter sur la conception institutionnelle, l'entreprise n'étant plus perçue comme le lieu de la poursuite de finalités partagées.

- Le corollaire de la conception institutionnelle de l'entreprise que constitue le droit du travail, censé protéger le salarié, ne joue plus son rôle :


• d'une part car les États, peu enclins à accroître les rigidités susceptibles de nuire à la compétitivité de leurs entreprises nationales, jouent un jeu non coopératif améliorant temporairement leur situation individuelle tout en dégradant à long terme la situation collective d'ensemble ;


• d'autre part en raison d'une externalisation croissante des activités des entreprises, qui fait prévaloir les hiérarchies informelles.

Dans ce scénario « noir », correspondant à une accentuation des tendances actuelles, le pacte social vole en éclats et le gouvernement des entreprises ne trouve plus de contrepoids que dans une opinion publique influençable et versatile . L'État, lui-même soumis aux marchés financiers, n'a plus les moyens nécessaires pour jouer son rôle d' « État-providence ». Les divergences d'intérêt entre des États s'arque-boutant sur des cadres de souveraineté dépassés, empêchent l'émergence d'une coordination internationale qui soit à la hauteur des enjeux. A terme, cette situation a inévitablement des conséquences politiques, la démocratie étant érodée par l'absence d'un corollaire sur le plan économique.

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