II. LE RISQUE D'UN ENLISEMENT DANS LA COMPLEXITÉ

Sauf construction d'une infrastructure solide des négociations sociales, seul l'Etat semble en mesure, en France, de pouvoir :

- simplifier, d'une part, les règles juridiques du pacte social dans l'entreprise (la tâche est difficile et a déjà été tentée) ;

- entreprendre, d'autre part, la vaste réforme nécessaire pour optimiser l'employabilité en France.

A cet égard, un scénario d'inaction de l'Etat et d'abstention législative apparaît comme un scénario du pire, un scénario repoussoir.

A. LA COMPLEXIFICATION DU DROIT SOCIAL DU TRAVAIL, UN PHÉNOMÈNE D'AUTANT PLUS PERNICIEUX QU'IL SERAIT NON MAÎTRISÉ

1. Un phénomène en partie inévitable

Le fait que le droit social devienne de plus en plus complexe apparaît comme plus ou moins inévitable pour plusieurs raisons :

- les sources de production de normes se superposent et se multiplient : conventions internationales, « soft law », droit communautaire, lois nationales, conventions collectives ;

- les activités et les structures des entreprises évoluent profondément, parfois de façon contradictoire : le processus de production s'est allongé, internationalisé et segmenté. L'économie s'est « tertiarisée » et « financiarisée » : on assiste à la fois à une concentration et à une décentralisation de groupes qui cherchent à maximiser leur croissance tout en externalisant beaucoup de leurs activités, pour se recentrer sur leur coeur de métier.

Sur le plan juridique, il n'est pas facile, dans ces conditions, de définir précisément la notion d'entreprise, ni d'identifier qui prend réellement les décisions, qui a autorité sur les salariés, à quel niveau les conventions collectives doivent être négociées (groupe multinational, européen ou français ? établissement, unité de production ou collectivité de travail ?...).

Le développement de la « parasubordination » (ou de la fausse sous-traitance) complique en outre les choses dans un contexte de chômage important qui tend à entraîner un développement du travail indépendant en compensation d'une certaine érosion de l'emploi salarié. Par ailleurs, le nombre de contrats « atypiques » se multiplie, ce qui, naturellement, augmente encore la complexité du droit du travail.

La complication du droit est donc, dans une certaine mesure, inhérente à celle d'une économie non seulement de plus en plus mondialisée et concurrentielle, mais aussi davantage diversifiée dans le poids économique de ses intervenants, ses produits et les attentes des consommateurs, et soumises à des réglementations proliférantes (environnementales, sécuritaires, etc.).

Le phénomène n'est donc pas, à cet égard, propre à la France. Tous les pays de droit écrit, héritiers du droit romain, peinent, notamment, à mettre les nouvelles règles qu'ils adoptent en cohérence avec les dispositions préexistantes. Dans les pays de « common law », cette remise en ordre est plus aisée. Elle incombe au juge. Mais le droit y est aussi moins précis. En tout cas, la République française, malgré son caractère « indivisible » proclamé par notre Constitution, subit une complexification juridique qui est de nature à remettre en cause, sinon cette indivisibilité, du moins les principes républicains les plus fondamentaux.

Comme cela a été exposé plus haut, le système français de relations professionnelles, tout d'abord, présente la particularité d'articuler trois niveaux de négociation collective. D'autres pays privilégient soit la branche, soit l'entreprise. En France, les accords interprofessionnels importent également du fait du caractère centralisé de notre pays et d'un besoin de régulation nationale pour remédier aux inconvénients de l'émiettement conventionnel constaté au niveau de la branche.

La France apparait comme un pays caractérisé par ses divisions, bien qu'administré par un Etat unitaire :

- méfiance entre les partenaires sociaux et entre ceux-ci et l'Etat qui préfère rédiger des lois complexes plutôt que de remettre franchement en cause certaines législations unitaires ;

- rivalités syndicales ;

- forte segmentation des statuts des travailleurs (au-delà du simple dualisme le plus souvent évoqué) ;

- multiplicité d'aides et de formes d'intervention des collectivités publiques...

- coexistence, dans les établissements de représentants des syndicats (délégués, sections) et d'élus du personnel (comités d'entreprise).

Cette situation peut apparaître comme inextricable : des tentatives de simplification de notre droit du travail ont déjà eu lieu. Elles n'ont pas empêché ce dernier de demeurer particulièrement complexe. Les complications juridiques tenant souvent au souci de tenir compte du plus grand nombre de cas particuliers, il est difficile, dans ces conditions, de simplifier le droit sans paraître plus ou moins remettre en cause certains avantages spécifiques, donc provoquer des mécontentements.

Enfin, légiférer sur le pacte social sans complexifier davantage les codes du travail, de la sécurité sociale ou le code général des impôts, peut sembler relever de la gageure.

Ces différents motifs paraissent militer pour une inertie voire une inaction du législateur, l'Etat se contentant de faciliter la conclusion par les partenaires sociaux de conventions collectives.

Mais s'abstenir de tenter de réduire actuellement des règles du pacte social en France présente plus d'inconvénients que d'avantages.

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