B. MULTILATÉRALISER ET EUROPÉANISER LA POLITIQUE DE COOPÉRATION EN AFRIQUE

1. L'Europe : un acteur de la sécurité en Afrique qui s'affirme

L'Europe ne peut se désintéresser d'un continent qui comptera près de 2 milliards d'habitants en 2050.

Historiquement fondée sur les relations avec les pays ACP, les relations entre l'Union européenne et l'Afrique subsaharienne ont pris un réel tournant en 2000 au premier sommet UE-Afrique au Caire.

Cette orientation politique a été rendue possible en particulier par l'évolution des objectifs et des moyens de la politique africaine de la France. En effet, le passé unilatéraliste de la politique africaine française a été un élément dissuasif pour certains Etats européens qui craignaient d'associer leur image à une politique jugée d'inspiration néocoloniale.

À partir de 2007, l'Union européenne est devenu un gros contributeur financier en matière de paix et de sécurité. Dès 2005 18 ( * ) l'Union a développé un volet stratégique africain de la PESD. En 2006, le Conseil du 13 novembre adoptait des conclusions pour le « renforcement des capacités dans la prévention, la gestion et la résolution des crises. Depuis 2007 l'Union européenne et l'Union africaine ont une stratégie conjointe autour de huit partenariats dont le premier concerne la paix et la sécurité. Cette stratégie conjointe constitue un cadre très structurant pour la coopération.

La France, qui a favorisé l'approche multilatérale, hormis les opérations d'évacuation des ressortissants dont elle conserve l'entière maîtrise, agit dans ce cadre de coopération. Depuis le coup d'Etat en Mauritanie en 2008, la France n'est intervenue dans aucune des crises nationales au Niger, en Guinée, en Mauritanie, ou à Madagascar. Ces interventions se sont faites à travers l'Union africaine comme par exemple aux Comores où la France a transporté des troupes sous mandat de l'Union africaine. Cette nouvelle légitimité de l'action de la France a fait taire les commentaires sur la Francafrique. Les récentes implications de forces militaires françaises pour tenter de délivrer nos ressortissants enlevés au Niger se sont faites avec l'accord et à la demande des autorités des pays concernés.

En raison de son engagement en Irak puis en Afghanistan et de la crise économique qui le touche, le Royaume-Uni n'est plus le partenaire principal en Afrique. La Grande-Bretagne s'est désengagée en Afrique de l'Ouest et a retiré les officiers qui étaient insérés dans les troupes des autres pays africains. Ils ne disposent plus que d'un centre de formation à Accra qui sert non seulement à la préparation de leurs forces en Afghanistan mais aussi à la formation de troupes régionales. Ce retrait n'empêche pas la Grande-Bretagne d'agir au niveau humanitaire, par exemple en mettant à disposition 10 millions de livres sterling pour le Niger récemment.

Le partenariat UE-Afrique pour la paix et la facilité européenne pour la paix

Le sommet UE-Afrique de Lisbonne (8-9 décembre 2007) a établi un nouveau partenariat politique stratégique pour l'avenir qui a pour ambition de dépasser les relations établies sur le mode bailleur de fonds/bénéficiaires en s'appuyant sur des valeurs et des objectifs communs dans la recherche de la paix et de la stabilité, de la démocratie et de l'État de droit, du progrès et du développement.

Le partenariat stratégique pour la paix et la sécurité vise à :

• renforcer le dialogue sur les défis à relever en matière de paix et de sécurité, notamment dans les enceintes internationales, afin de dégager des positions communes et de mettre en oeuvre des approches conjointes en ce qui concerne les défis en matière de paix et de sécurité en Afrique, en Europe et au niveau mondial ;

• rendre pleinement opérationnelle l'architecture africaine de paix et de sécurité (AAPS), afin d'en assurer le bon fonctionnement et de lui permettre de relever les défis en matière de paix et de sécurité en Afrique, notamment en ce qui concerne la prévention et la reconstruction au lendemain des conflits ;

• assurer le financement prévisible des opérations de soutien de la paix conduites par l'Afrique, notamment en oeuvrant ensemble à l'élaboration, dans le cadre du chapitre VIII de la Charte des Nations unies, d'un mécanisme de l'ONU visant à financer de manière durable, souple et prévisible les opérations de maintien de la paix menées par l'UA ou sous son autorité et approuvées par le Conseil de sécurité de l'ONU.

Dès l'origine, l'Union européenne a apporté un soutien au renforcement des capacités africaines de gestion des crises et à la Force africaine en attente, notamment à travers la pérennisation d'un nouvel instrument financier : la Facilité européenne pour la paix en Afrique, créée en 2003. 19 ( * ) Les 9e et 10e FED ont créé une facilité de paix dotée de 300 millions d'euros, montée à 450 millions depuis. Cette facilité finance des actions au profit de la paix de manière à pourvoir aux opérations de paix des Africains sur le continent. En effet, si l'Union africaine prononce des sanctions, elle ne dispose pas encore de moyens pour les mettre en application. Sur l'ensemble de son budget de 250 millions de dollars, seuls 45 millions proviennent des cotisations des Etats membres. Au sein de cet ensemble, seuls quelques pays contribuent de manière significative.

Un nouveau sommet UE-Afrique a eu lieu à Syrte, en Libye, en novembre 2010.

La déclaration de Tripoli en date du 1 er décembre 2010 souligne notamment que « Nous sommes fermement décidés à rendre l'architecture africaine de paix et de sécurité pleinement opérationnelle, en étroite coopération avec les organisations régionales. Pour ce qui est des opérations de maintien de la paix dirigées par l'UA, il a été convenu d'oeuvrer à l'obtention de financements souples, prévisibles et durables. »

L'européanisation du concept RECAMP20 ( * )

Le concept RECAMP (renforcement des capacités africaines de maintien de la paix), créé en 1996-1997, constitue une véritable percée conceptuelle et est un véritable succès à l'international. 21 ( * ) S'il est à l'origine une initiative française et si la France en constitue toujours l'ossature et le principal intervenant, le programme RECAMP est clairement européanisé et placé sous l'égide de l'ONU. Il est emblématique de la nouvelle posture de la France en matière de paix et de sécurité en Afrique.

Cette évolution vers l'européanisation des actions de paix et de sécurité en Afrique correspond aux intérêts et aux orientations de la politique française. Elle permet une mutualisation des moyens, génératrice d'économies financières et une certaine « dépolitisation » des interventions de l'ancienne puissance coloniale à laquelle on est toujours prompt à prêter des intentions cachées.

Il est toutefois évident que la France demeure le principal intervenant en Afrique du fait de sa connaissance profonde des réalités africaines et de ses forces prépositionnées. Aucun autre pays européen n'est susceptible de prêter son concours au niveau nécessaire. A l'exception de l'Italie au sein de la FINUL, ce sont les contingents français et la France qui assurent la participation principale des actions menées sous le drapeau européen. Ce fut en particulier le cas au Tchad, dans le cadre de l'opération EUFOR, sous commandement irlandais.

2. Accompagner la montée en puissance de l'Union africaine

Parallèlement au sommet de Syrte (8-9 septembre 1999) Union africaine Durban 2002, l'organisation de l'unité africaine (OUA) a décidé de mettre en place une nouvelle organisation fondée sur une nouvelle légitimité : l'Union africaine (UA) qui sera officiellement lancée par la déclaration de Durban en 2002, les 9 et 10 juillet lors de la première session ordinaire de l'UA.

La mise en place de l'Union africaine constitue une véritable rupture. Cette organisation a l'ambition d'être un interlocuteur au niveau international et de devenir l'acteur de sa propre sécurité. C'est ainsi que, à l'initiative de l'Union africaine et des communautés économiques régionales (CER), nait en 2003 le projet d'architecture africaine de paix et de sécurité (AAPS) qui souligne la volonté des Africains de s'approprier leur sécurité et de développer une architecture sécuritaire au plan continental. Elle met sur pied un processus de résolution des conflits et une force africaine de paix (force en attente) qui se fixe l'objectif d'être opérationnelle d'ici 2010.

L'article 5-2 de l'acte fondateur de l'Union Africaine (2002) institue ainsi le Conseil de Paix et Sécurité (CPS) qui « constitue un système de sécurité collective et d'alerte rapide, visant à permettre une réaction rapide et efficace aux situations de conflit et de crise en Afrique ». La mise en place d'une Force africaine en attente (FAA) doit permettre d'atteindre ces objectifs et de permettre aux Africains de ne plus dépendre de la communauté internationale pour la résolution des crises survenant sur leur continent.

Le schéma général adopté par les chefs d'États africains prévoyait la mise en place progressive de la force en attente d'ici 2010. L'essentiel des forces sera en réalité géré au niveau d'organisations régionales : la Communauté Économique des États d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), la Communauté Sud-africaine de Développement (SADC), l'Autorité Intergouvernementale pour le Développement (IGAD), la Communauté Économique et Monétaire de l'Afrique Centrale (CEMAC) et l'Afrique du nord.

Chacune de ces régions devra abriter une brigade de la FAA sous le commandement d'un Etat-major régional (EMR). À l'exception de la CEDEAO et de la SADC, la décision donnant mandat à ces forces d'intervenir reste néanmoins du ressort exclusif de l'Union africaine.

Par rapport à ce schéma initial, le bilan de la mise en place de la FAA est mitigé. La récente conférence d'Akosombo de décembre 2009 a constaté les indéniables progrès effectués et fixé de nouveaux objectifs à atteindre. L'horizon 2010, fixé comme aboutissement à l'origine, doit être mis dans une perspective plus progressive.

De plus, au travers de ses zones économiques (CDEAO, IGAD, SADC, FAZSOI, CEEAC) -- qui toutes ont précédé la création de l'Union africaine -- l'Afrique à vocation à une véritable intégration économique.

D'autres dates importantes ont accompagné l'évolution de la perception de la politique de sécurité et de défense en Afrique et notamment :

• le sommet de l'ONU de septembre 2000 fixant les objectifs du millénaire (ODM) qui soulignent qu'il ne peut y avoir de développement sans sécurité ;

• le lancement, en 2001, de l'initiative NEPAD (Nouveau Partenariat pour le Développement de l'Afrique) 22 ( * ) ;

• et l'adoption en 2002 par le G8 d'une stratégie pour l'Afrique.

Il s'agit donc d'un véritable regain d'intérêt pour l'Afrique au sens du développement sans pour autant que ces initiatives conduisent à un continent apaisé.

Ces évolutions rejoignent les objectifs fixés aux forces françaises en Afrique par le Président de la République, M. Nicolas Sarkozy qui avaient été précédés par :

• le projet RECAMP (renforcement des capacités africaines de maintien de la paix) qui, comme son nom l'indique, a pour objectif d'aider les pays africains qui s'engagent sur le maintien de la paix ;

• dès 2002 la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis ont été les Etats les plus actifs pour supporter l'Union africaine dans le domaine du maintien de la paix 23 ( * ) ;

• à partir de 2005 au plan militaire, la France a fait évoluer sa structure de commandement en nommant des officiers généraux à Dakar en 2006 et à Libreville en 2007. Ces officiers généraux inscrivent leurs actions dans un projet régional d'une coopération militaire qui épousent en fait les contours d'une zone de coopération économique. L'ensemble des services proposés tend à encourager les pays africains à contribuer à la force de maintien de la paix de l'Union africaine.

La crise en Côte d'Ivoire et la manière dont elle sera résolue par les Africains eux-mêmes constitue indéniablement un test de cette volonté et de la capacité de l'Afrique à prendre en main sa propre sécurité.


* 18 Conseil de l'Union européenne, 19 décembre 2005 « L'UE et l'Afrique : vers un partenariat stratégique »

* 19 la facilité pour le soutien de la paix en Afrique a été créée le 11 décembre 2003 en réponse à une demande formulée par le sommet de l'union africaine réunie à Maputo en juillet de la même année. Ce fonds a été doté d'un montant initial de 250 millions d'euros pour une période de trois ans. Ces fonds émanent du fonds européen de développement (FED). Le conseil des ministres a décidé le 11 avril 2006 de prolonger cette initiative pour la période 2008 -- 2010 à travers un financement de 300 millions d'euros dans le cadre du programme indicatif intra-ACP du 10 ème FED. Ce montant peut être mobilisé pour financer les coûts qui résultent, pour les pays africains, du déploiement de leurs forces de maintien de la paix dans un ou plusieurs états africains (frais de transport des troupes, frais de séjour des soldats, développement des capacités etc.), mais en aucun cas les dépenses militaires et en armement. La facilité de soutien à la paix repose sur le principe de l'appropriation africaine. La facilité a financé quatre opérations de paix africaines: la mission de l'UA au Soudan (AMIS, plus de 300 millions d'euros); la mission de l'UA en Somalie (AMISOM, 15,5 millions d'euros); la FOMUC en République centrafricaine (23,4 millions d'euros) et la mission de l'UA aux Comores (AMISEC, 5 millions d'euros). Elle a également soutenu des actions de renforcement des capacités en matière de prévention des conflits et de gestion des crises au niveau régional et sous-régional (à hauteur de quelque 35 millions d'euros au total).

* 20 Devenu EURORECAMP lors de la conférence de l'Union africaine à Addis-Abeba tenue le 21 novembre 2008.

* 21 Voir annexe 3

* 22 Le NEPAD provient de la fusion de deux autres plans proposés pour l'Afrique : le Plan Oméga et le Millenium African Plan ou Plan MAP. Ceux-ci, apparus au cours de l'année 2000, cherchaient à pallier le retard immense qu'avait pris l'Afrique en matière de développement sur la scène internationale. L'Afrique est en effet le seul continent dont le développement et la présence internationale régressent. C'est pour cela que le président sénégalais Abdoulaye Wade proposa en janvier 2001, au sommet France - Afrique de Yaoundé, le Plan Oméga. Celui-ci visait à "résorber l'écart entre pays développés et pays sous-développés par des investissements massifs d'origine externe, coordonnés à l'échelle continentale, pour poser les bases du développement du continent africain". De leurs côtés, le président algérien Abd El-Aziz Bouteflika, le président nigérian Olusegun Obasanjo et le président d'Afrique du Sud Thabo Mbeki proposèrent le plan MAP, qui tentait principalement d'incorporer l'Afrique au sein des actions mondiales. C'est en Juillet 2001, au sommet des chefs d'Etats de Lusaka, que ces deux plans fusionnèrent sous le nom de NEPAD. Le NEPAD n'est pas une institution complètement autonome. C'est avant tout un projet, et ce projet est sous la tutelle de l'Union africaine. Il est l'un de ses programmes. Son ultime but est de combler le fossé séparant l'Afrique du reste du monde

* 23 Le Royaume-Uni, mais surtout les États-Unis sont les partenaires de cette ambition. Les États-Unis ont considérablement augmenté le nombre de leurs attachés de défense, organisent des missions de formateurs pour le maintien de la paix, des formations militaires aux États-Unis, développent des programmes antiterroristes, de lutte contre le sida ou encore d'un programme de coopération et d'aide des vétérinaires militaires. Mais depuis l'échec du commandement AFRICOM en 2007 qui visaient à créer des bases militaires en Afrique, les États-Unis se sont beaucoup rapprochés de la France en raison de l'expertise qu'elle détient. Toutefois, contrairement à la France, si les États-Unis ont de nombreux moyens ils sont peu perméables aux cultures des autres ce qui est, en Afrique en particulier, un handicap.

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