C. UNE ILLUSTRATION PAR LE CAS DE L'INDUSTRIE AUTOMOBILE

La majeure partie des constatations qui précèdent concernant l'industrie de l'Allemagne par rapport à celle de la France sont confirmées par la comparaison entre les secteurs de l'automobile dans les deux pays : un poids plus important, une spécialisation plus intense et des performances supérieures outre-Rhin.

1. Un secteur particulièrement intéressant à étudier

L'industrie automobile est particulièrement intéressante à étudier parce que, comme le souligne l'OCDE 70 ( * ) , elle se caractérise à la fois par une forte intensité capitalistique, un rapport capital-travail relativement élevé et, dans de nombreux pays (dont la France et l'Allemagne), l'exportation d'une large part de la production. En outre, les effets induits par la construction automobile sur le reste de l'économie (coefficient multiplicateur de presque 3) sont supérieurs à la moyenne de ceux des autres activités industrielles.

L'automobile constitue une filière complexe, pyramidale, avec au sommet les constructeurs, puis, au niveau intermédiaire, les équipementiers, qui fournissent des sous-ensembles ou modules complets, enfin, à la base, des entreprises de sous-traitance qui fabriquent des composants élémentaires ou des parties de sous-ensembles.

Un récent rapport de l'Organisation internationale du travail (OIT) 71 ( * ) traitant des relations entre l'industrie automobile et ses équipementiers rappelle que les estimations de la part de la valeur des véhicules fabriqués attribuable aux fournisseurs d'équipements et de systèmes varient entre 65 et 75 % 72 ( * ) .

Il souligne combien il est difficile d'estimer les effectifs et les coûts salariaux de l'ensemble des entreprises concernées.

Enfin, il décrit les évolutions de la situation des équipementiers et des fournisseurs et de leurs relations avec les constructeurs (intégration des équipementiers et des fournisseurs mais maintien de petites entreprises spécialisées dans des niches très étroites, recours accru à la sous-traitance, y compris pour des activités de recherche, exigences des constructeurs concernant les prix...).

2. Un poids, absolu et relatif, inégal

Toute comparaison entre des secteurs donnés d'activité des deux pays doit prendre en compte leurs différences de dimension démographiques et économiques.

La population de l'Allemagne est ainsi de 82 millions d'habitants, celle de la France métropolitaine de 62 millions.

En 2008, le PIB de l'Allemagne atteignait 2 495,8 milliards d'euros et celui de la France 1 950 milliards d'euros (soit une différence de presque 30 %).

Quant à l'industrie, sa part dans la valeur ajoutée marchande était, en 2007, de 30 % en Allemagne (en ce qui concerne l'industrie manufacturière), contre seulement 16 % en France : presque du simple au double.

Au 30 mars 2009, la part de l'emploi industriel dans l'emploi total n'était plus que de 13 % en France, alors qu'elle était encore de 20 % outre-Rhin.

Pour en venir à l'automobile, l'écart initial est encore plus important car la spécialisation de l'Allemagne dans cette branche est plus forte.

Selon une note de la DGTPE 73 ( * ) , la valeur ajoutée de la branche automobile représente ainsi presque 3 % du PIB chez notre voisin germanique contre environ 1 % chez nous.

S'agissant de l'emploi, 2,6 millions de personnes (soit 6,6 % de l'emploi total) travailleraient en Allemagne pour l'industrie automobile, dont 860 000 directement (2,1 % de l'emploi total), selon une étude réalisée par le service de recherche économique de Natixis 74 ( * ) . Ce secteur, d'après la même source, emploierait directement en France 256 000 personnes, soit trois fois moins.

Concernant le commerce extérieur, l'automobile représente 40 % des exportations allemandes, 13 % seulement des nôtres.

Au total, l'Allemagne produisait, en 2007, 5,7 millions de véhicules (un peu plus de 10 % de la production mondiale), la France, 2,5 millions (un peu moins de 5 % du total de la fabrication de l'ensemble des pays producteurs).

On le voit, les différences d'ordre de grandeur entre les chiffres mesurant le poids de l'industrie automobile en Allemagne et en France varient de un à deux (pour le nombre de véhicules produits) et de un à trois (pour les effectifs employés). Cet écart traduit celui existant entre les dimensions des économies des deux pays, mais aussi une plus forte spécialisation et une synergie avec d'autres secteurs d'excellence germaniques comme la mécanique ou l'électronique, dont notre voisin a su tirer avantage.

3. Des contraintes communes

Les constructeurs d'automobiles des deux pays sont confrontés aux mêmes défis : une tendance à la saturation de la demande dans les pays occidentaux 75 ( * ) compensée par la croissance de celle des pays émergents, une internationalisation croissante, en conséquence, de la production et des ventes, de fortes contraintes liées à la préservation de l'environnement, qui s'imposent d'autant plus que les prix du pétrole sont orientés, à long terme, à la hausse.

Aux effets de ces évolutions structurelles s'ajoutent ceux des variations de la conjoncture.

Les cycles de l'automobile ont, en effet, une amplitude plus forte que ceux de l'économie avec lesquels ils sont en phase : « la volatilité de l'industrie automobile , comme le souligne l'OCDE 76 ( * ) , est plus élevée que celle des industries manufacturières dans leur ensemble ».

« La récession de l'industrie automobile - observe cette organisation fin 2008 77 ( * ) - s'est caractérisée par une synchronisation élevée. Les ventes de véhicules ont reculé en moyenne de plus de 20 % dans les pays membres entre septembre 2008 et janvier 2009. Simultanément, les exportations d'automobile ont plongé. »

L'industrie automobile a donc subi de plein fouet la crise économique récente, en France et en Allemagne comme dans le reste du monde. Des mesures de soutien particulières à ce secteur, qui se sont montrées efficaces, ont donc été prises dans les deux pays.

Mais les effets de la crise, malgré leur ampleur 78 ( * ) , ne sont pas susceptibles de modifier les conclusions qui peuvent être tirées de l'observation des évolutions précédentes des situations respectives du secteur de l'automobile dans les deux pays.

4. L'insolente bonne santé allemande

Soumise, globalement, aux mêmes conditions que l'industrie française (euro fort ; saturation des besoins de la clientèle ouest européenne, traditionnellement la plus importante ; mondialisation de la fabrication et des échanges...), l'automobile allemande a, si l'on en croit ses résultats, mieux tiré son épingle du jeu.

Les deux graphiques suivants montrent, en effet, qu'avant la crise :

- la production automobile allemande a continué à croître, de 2005 à 2008, alors que celle de la France déclinait ;

- l'emploi direct dans le secteur automobile a beaucoup mieux résisté en Allemagne qu'en France aux tendances érosives auxquelles il est exposé dans les pays de l'OCDE.

Comme l'a constaté la délégation de la mission lors de son déplacement à Stuttgart, le recours au chômage partiel, en réaction à la crise, de préférence aux licenciements, a ensuite contribué à une moindre dégradation de l'emploi outre-Rhin et devrait faciliter la reprise.

Concernant le commerce extérieur, de 2000 à 2007, l'Allemagne a, par ailleurs, accru son excédent tandis que celui de la France 79 ( * ) se réduisait à partir de 2005 :

Résultats des échanges de véhicules à moteur
(en millions d'euros)

2000

2005

2006

2007

Allemagne

23 272

29 152

30 892

32 037

France

1 697

2 331

1 252

1 013

Source : Eurostat

Les échanges bilatéraux entre les deux pays sont, au demeurant, déséquilibrés puisque la part de marché en France des voitures particulières allemandes (qui dépasse 20 % en incluant la marque Opel 80 ( * ) ) est près de deux fois supérieure à celle des véhicules français en Allemagne (9,8 % en 2007 81 ( * ) ).

En outre, selon l'agence Germany Trade & Invest 82 ( * ) (l'équivalent d'Ubifrance), l'industrie automobile allemande, qui n'a pas été épargnée par la crise (- 18 % en 2009), paraît sortir cependant de la récession plus vite et plus fortement que prévu : en effet, pour le premier semestre de 2010, le rythme de progression de ses exportations est de + 44 % et celui de sa production intérieure de + 23 %.

Les constructeurs allemands ont confiance dans leur pays.

Les constructeurs allemands investissent en Allemagne

Un balayage de la presse automobile permet de s'assurer de la bonne santé de cette branche industrielle en Allemagne.

Les annonces concernant des projets d'investissement (créations ou extensions de capacités de production) ou des décisions d'embauche outre-Rhin sont, en effet, nombreuses :

- créations de capacités dans de nouvelles usines à Leipzig (BMW, modèles hybrides et électriques), nouvelle chaîne de production de Volkswagen à Osnabrück, production de moteurs électriques par le même groupe sur son site de Kassel-Baumatal, projet de Daimler de construction d'une usine de fibre de carbone dans le Bade-Wurtemberg ;

- extensions de capacités à Brême (Mercedes) et à Weissach (centre de développement de Porsche) ainsi qu'à Kaiserslautern (moteurs d'Opel) et à Leipzig (production de la Cayenne, création d'un centre de logistique et d'essais par Porsche) ;

- intensification de la production de la Phaeton (VW) à Dresde (deuxième équipe). 60 % des BMW sont encore fabriquées en Allemagne (mais le groupe compte investir aux États-Unis) et 90 % des Audi (la nouvelle Audi TT sera fabriquée à Ingolstadt mais aussi en Hongrie).

Les constructeurs embauchent, profitent de l'affaiblissement de l'euro, de l'élargissement de leurs gammes et de la reprise des ventes des voitures de catégorie supérieure. Les équipementiers (ZF, Bosch) ne sont pas en reste.

Que se passe-t-il, pendant ce temps, en France ?

Carlos Ghosn a déclaré qu'une partie de la future Clio IV serait produite à Flins, ce site étant également partiellement dédié à la fabrication du véhicule électrique Zoe.

Dernièrement (le 2 février), des décisions importantes ont été annoncées : 5,7 milliards d'euros d'investissement d'ici 2013 dont 40 % en France, avec un rééquilibrage des sites au profit de Douai et la production du futur moteur électrique (fourni, dans un premier temps, par l'équipementier allemand Continental) à Cléon.

5. Le déclin du site France

- Le poids relatif de l'automobile dans l'industrie est moindre, on l'a vu, en France qu'en Allemagne.

Néanmoins, il est important car il représente :

- 7,2 % de l'emploi industriel total, construction exclue 83 ( * ) (800 000 emplois sont concernés dans les branches connexes, en amont et en aval 84 ( * ) ) ;

- 14 % du chiffre d'affaires total de l'industrie hors énergie 85 ( * ) (s'agissant donc l'industrie manufacturière, sans tenir compte de l'industrie agro-alimentaire) ;

- 10 % des exportations de biens en 2009 86 ( * ) (55 % à 60 % de la production étant vendue à l'étranger) ;

- 15 % des investissements de l'industrie manufacturière (l'automobile est le premier investisseur industriel devant la chimie et la métallurgie, son taux d'investissement est le plus élevé de tous les secteurs d'activité concernés) ;

- enfin, 17,5 % de la dépense intérieure de recherche et développement des entreprises (DIRDE), ce qui met l'automobile au premier rang de toutes les industries en terme de volume des dépenses considérées.

Le poids de l'industrie automobile en France étant donc relativement important, l'impact économique de tout ce qui affecte cette activité l'est aussi.

Or, les signes de déclin se multiplient et se confirment.

- Le graphique suivant montre tout d'abord une baisse des effectifs dans la branche, comme dans l'industrie manufacturière considérée dans son ensemble.

Emploi intérieur salarié par banche en « équivalent temps plein »

Entre 1950 et 1974, le nombre de salariés dans l'automobile avait doublé. Il a atteint un maximum de 350 000 « équivalents temps plein » en 1978. Mais à partir de 1980, l'effectif de la branche va diminuer d'un tiers en dix ans, soit de près de 100 000 personnes.

Ce recul tendanciel qui se poursuivait depuis le début des années 2000 87 ( * ) dans l'ensemble de l'industrie s'est accentué avec la crise, particulièrement dans l'automobile qui a perdu, en termes absolus et relatifs le plus d'emplois : - 13 000 en 2008, soit - 4,9 %, - 6 000 au premier trimestre 2009. L'intérim a été encore plus touché (- 6,7 % en 2008).

- La production automobile en France s'est également repliée, de façon très nette à partir de 2004, s'agissant surtout des constructeurs français (la production de véhicules sur notre territoire par des constructeurs étrangers ayant légèrement augmenté de 2005 à 2007).

Toutefois, d'un point de vue conjoncturel, les effets conjugués du « bonus écologique » mis en place en décembre 2007 (à la suite du Grenelle de l'environnement), d'un renouvellement de gamme, puis de la « prime à la casse » instaurée le 4 décembre 2008, ont permis un redressement de la production à la mi 2007, puis une limitation 88 ( * ) de la baisse, liée à la crise, des immatriculations de voitures neuves en 2008. Pourtant, après s'être stabilisée au premier trimestre, la production avait reculé de 6 % au deuxième trimestre.

- L'industrie automobile française est tournée vers l'exportation : en 2006, trois véhicules sur quatre fabriqués en France étaient vendus à l'étranger dont les trois quarts en Europe 89 ( * ) .

Mais les résultats de nos échanges, très positifs à la fin des années 90 et au début des années 2000 90 ( * ) , n'ont cessé de se détériorer à partir de 2005, devenant même déficitaires en 2008 et 2009.

Solde des échanges automobiles
(en points de PIB)

2004

2005

2006

2007

2008

2009

0,7

0,5

0,3

0,0

- 0,2

- 0,3

Source : rapport économique social et financier - PLF 2011

Tandis que les exportations tendaient à diminuer (sauf en 2006), et s'effondraient en 2008 (- 10,9 %) en raison de la crise, les importations augmentaient et la part de marché des groupes français en Europe s'effritait. Supérieure à un quart (25,7 %) en 2002, elle n'était plus que d'environ un cinquième (21,2 %) en 2007. Sur le marché intérieur aussi le recul était net, la part de marché des marques françaises, qui était encore de 60,6 % en 2002, n'atteignait plus que 55,3 % en 2006, cet accroissement de la pénétration étrangère ayant surtout profité aux marques allemandes 91 ( * ) .

Cette dégradation de la situation et du solde des échanges du secteur automobile a suscité des commentaires publiés dans les rapports annuels de l'INSEE et de la Banque de France.

En 2006, cette dernière 92 ( * ) rendait la construction automobile responsable d'environ un tiers de la détérioration du solde hors énergie de notre balance commerciale.

Elle s'inquiétait pour l'emploi et invoquait une internationalisation accrue de la production (dont témoignait la croissance des importations en provenance des PECO, de Turquie et d'Espagne) ainsi que le vieillissement des gammes et leur inadaptation aux besoins de nos principaux clients, italiens, britanniques et surtout allemands.

De son côté, l'INSEE 93 ( * ) mettait également en avant la division des processus productifs à l'échelon international, marquée par une spécialisation des sites par segments de valeur ajoutée, soulignant, par ailleurs, que plus d'un véhicule français sur deux était désormais produit à l'étranger (contre 41 % en 2000).

Nos statisticiens nationaux incriminaient également une perte de compétitivité prix des produits français et leur inadaptation à une demande des consommateurs délaissant le milieu de gamme, favori de nos constructeurs, au profit soit de voitures « low cost », soit, au contraire, de modèles haut de gamme (4x4 de luxe et voitures sportives).

Dans l'« Économie française en 2009 », Thierry Méot analyse dernièrement les « mutations à la chaîne » subies par l'industrie automobile en France depuis 1950 ainsi que les effets produits sur elle par la mondialisation.

Les constructeurs français ne sont pas les seuls - montre-t-il - à délocaliser leurs activités : les dix premiers groupes automobiles mondiaux (y compris Volkswagen) réalisent la majorité de leur production hors de leur territoire d'origine.

Part de production réalisée sur leur territoire d'origine
par les dix premiers groupes automobiles mondiaux en 2007

Mais cette évolution, en ce qui concerne la France, a été particulièrement brutale à compter de 2005 ;

Les constructeurs français produisent annuellement
entre cinq et six millions de véhicules dans le monde

On voit sur ce graphique qu'avant la crise, la diminution rapide de la production des constructeurs français en France n'empêchait pas leur production dans le monde d'augmenter.

Le déclin du site France ne signifie donc pas celui de l'industrie automobile française à l'échelle planétaire.

Mais ses conséquences sur notre économie nationale sont loin d'être négligeables en ce qui concerne :

- l'emploi, d'abord, comme cela a déjà été souligné ;

- l'activité industrielle dans son ensemble : la contribution de l'industrie automobile à l'évolution de la production manufacturière (hors énergie et agro-alimentaire) a été négative en 2008 94 ( * ) ;

- le commerce extérieur enfin. Selon la DGTPE 95 ( * ) , la disparition de l'excédent commercial des échanges de produits manufacturés en 2007 est ainsi principalement due au ralentissement des exportations automobiles 96 ( * ) .

En d'autres termes, la valeur ajoutée de la branche automobile en France décroît depuis 2005, ce qui freine la croissance :

Variations en volume en moyenne annuelle

2003

2004

2005

2006

2007

2008

5,9

3,5

- 4,8

- 8,8

0,3

- 15,4

Le secteur automobile n'est plus que le quatrième secteur de spécialisation 97 ( * ) de la France (derrière la mécanique, la chimie et l'agro-alimentaire) alors qu'il était le premier en 2005. L'Allemagne, au contraire, a accru ses avantages comparatifs dans le domaine concerné.

Pour quelles raisons ?

6. Le salut par le haut de gamme ?

Les performances de l'automobile française sur le plan mondial demeurent honorables.

En effet, les constructeurs français fabriquent 8 % de la production mondiale alors que le PIB de la France représente 4,7 % de celui du monde et sa population 1 % de celle de la planète 98 ( * ) . Deux d'entre eux figurent parmi les dix premiers : PSA (Peugeot et Citroën), au 8 ème rang, et Renault, ensemble avec son allié Nissan, au 4 ème .

Concernant les équipementiers, en incluant les pneumatiques, on trouve également deux français dans le « top ten » : Michelin et Faurecia, Valéo suivant de près.

On peut donc considérer que, sur le plan mondial, la France « tient son rang » dans l'automobile, obtenant de meilleurs résultats que ceux de l'Italie ou du Royaume-Uni.

Mais concernant ce qui se passe sur le territoire national, l'activité automobile est plutôt, en revanche, sur une mauvaise pente, accélérant le déclin de l'industrie française dans son ensemble.

L'automobile allemande fait beaucoup mieux 99 ( * ) . Pourquoi ?

Il ne semble pas, tout d'abord, que la modération salariale allemande soit la raison principale de la surperformance germanique dans ce secteur. Tout d'abord, cette évolution a affecté, en premier lieu, les services, ce qui a contribué ensuite à faire baisser l'inflation, donc à tempérer les revendications des ouvriers de l'industrie.

Dans l'automobile, le niveau des rémunérations a toujours été relativement élevé, du fait d'un fort taux de syndicalisation et de conventions collectives généreuses. Volkswagen, notamment, était considérée, ces dernières années, comme un laboratoire social de l'industrie 100 ( * ) . Ce qui s'est passé dans les années récentes n'a pas conféré à l'Allemagne un avantage décisif en matière de coûts salariaux unitaires dans l'industrie automobile. Cela a plutôt consisté à supprimer un handicap dont souffrait l'industrie automobile allemande en raison d'un niveau de rémunérations accordé à ses employés supérieur à celui octroyé à ceux de ses principaux concurrents.

Les charges salariales des constructeurs allemands, autrefois nettement supérieures, sont aujourd'hui comparables à celles supportées par leurs concurrents français 101 ( * ) .

Une évolution des coûts salariaux unitaires (CSU)
qui n'a pas été déterminante
102 ( * )

Selon une note du CERFA, le coût salarial horaire dans les industries allemandes de transformation était estimé, fin 2007 à 33,00 euros, contre 32,30 € en France, mais les salaires allemands augmentaient moins vite : + 1,2 % contre + 3,2 %.

Les coûts élevés persistants auraient eu des conséquences structurelles vertueuses : dynamiser les exportations en incitant le capital à s'investir dans les secteurs les plus compétitifs au niveau international.

Une autre note du même organisme 103 ( * ) évoquait de son côté une insuffisante productivité de la main d'oeuvre allemande dans l'automobile, un niveau du personnel inadapté aux standards internationaux et des surcapacités évidentes, le tout impliquant une politique de prix élevés des constructeurs allemands (acceptés cependant, semble-t-il par le consommateur !)

Cela prouve bien qu'en tout cas vu d'Allemagne, la surperformance allemande ne s'explique pas essentiellement par des salaires inférieurs et une meilleure productivité.

Supprimer un handicap ne revient pas à créer un avantage. Les vraies raisons de la supériorité allemande sont ailleurs. Elles tiennent vraisemblablement, pour l'essentiel, à des choix stratégiques et à des positionnements de gamme différents, ainsi qu'à une compétitivité « hors prix » remarquable.

Il est probable que la plupart des explications avancées précédemment au sujet des succès du commerce extérieur allemand de biens manufacturés sont valables pour la filière automobile (40 % des exportations) qui en constitue une composante essentielle.

On rappellera ici que pour le Conseil d'analyse économique, c'est le recours massif par les industriels allemands à l'externalisation de segments de production à forte intensité de main d'oeuvre dans des pays à bas coûts salariaux, qui est la source principale de la surperformance des entreprises allemandes par rapport à leurs concurrentes françaises.

Cela est très probablement vrai pour l'automobile. Alors que les constructeurs allemands ont choisi de concevoir et d'assembler en Allemagne des modèles fabriqués à partir de pièces détachées importées depuis les PECO 104 ( * ), les constructeurs français, selon le Conseil d'analyse économique, ont plus souvent décidé de délocaliser l'ensemble de la production de certains modèles.

Cela ne les a malheureusement pas empêchés de perdre des parts de marché tant en Europe (deux tiers de leurs ventes à l'étranger) que sur le territoire national (cf. supra ).

Seuls des modèles de haute ou de moyenne gamme semblent pouvoir continuer à être fabriqués en France, dans la mesure où leurs ventes dégagent des marges suffisantes 105 ( * ) pour permettre aux constructeurs nationaux de s'affranchir des contraintes de coût qui les conduisent à produire les autres voitures de préférence à l'étranger.

C'est ce qui se passe en Allemagne. Mais, plus de 80 % des voitures neuves immatriculées en France appartiennent à la gamme inférieure et à la gamme moyenne inférieure.

Les constructeurs français devraient donc - selon ces considérations - se tourner vers l'exportation et apprendre à satisfaire la clientèle de pays où ils sont peu présents et où les modèles allemands (Mercedes, BMW), actuellement, sont maîtres.

Exportations
(en % du total)

Allemagne

France

Vers l'Asie

14 %

0,7 %
(Chine)

Vers l'Amérique

14 %

2,2 %
(États-Unis, Brésil)

Il leur faudrait, à cette fin, acquérir le savoir-faire et la rigueur qui leur a fait défaut dans leurs précédentes tentatives 106 ( * ) , proposer des modèles séduisants et mieux valoriser, en termes d'images, les succès remarquables du sport automobile français.

« En Allemagne , conclut Hans Brodersen, professeur à HEC, dans tous les secteurs fortement capitalisés et exportateurs comme l'automobile, les productions à plus forte utilisation de main d'oeuvre sont progressivement délocalisées vers des pays à bas salaires. Le pays à hauts salaires ne conserve que la conception et la production des éléments les plus sophistiqués, assemble les éléments produits sur place ou importés et expédie le produit final dûment estampillé Made in Germany ». L'augmentation continue des exportations est le moteur de la croissance et maintient et crée en Allemagne des emplois très qualifiés dans les industries concernées (puis, de façon induite et à un moindre niveau dans les autres secteurs).

Les constructeurs français doivent-ils ainsi se tourner vers le haut de gamme pour préserver, en France comme en Allemagne, l'emploi et la production nationale 107 ( * ) ?

Le moment pour suivre, sur ce point, le « modèle » allemand, n'est peut-être pas actuellement le mieux choisi, en raison de la forte augmentation des prix du pétrole. Helmut Becker, dans sa note précitée du CERFA 108 ( * ) dénonce, par ailleurs, « les erreurs stratégiques d'investissements de l'industrie automobile allemande, notamment dans sa volonté de privilégier l'industrie de luxe, marché surévalué dans la conjoncture actuelle ... »

Il évoque également « la baisse de la demande, l'augmentation des prix de l'énergie et des matières premières, la priorité environnementale... qui représentent autant de défis que l'industrie automobile allemande doit défier ».

Il suggère d'investir massivement dans la recherche et le développement , recommandation qui ne peut qu'être considérée comme valable aussi pour la France.

« En fait , comme le souligne Thierry Méot 109 ( * ) , pour sortir de la crise actuelle tout en répondant aux défis du futur, notamment énergétique et écologique, les constructeurs vont sans doute devoir une nouvelle fois révolutionner leur industrie... avec la production en grande série de véhicules électriques, l'industrie automobile changera une nouvelle fois de physionomie ».

Les projets dans cette perspective ne manquent pas, et PSA et Renault en France ont déjà une certaine expérience en la matière.


* 70 OCDE, Perspectives économiques n° 86, 2009. L'industrie automobile se situe, en France, au troisième rang, après les activités immobilières et l'énergie, pour l'intensité capitalistique (rapport des immobilisations corporelles et incorporelles à l'effectif salarié) et au deuxième pour le montant des frais de personnel par salarié (la part des frais de personnel dans la valeur ajoutée est de 74 %).

* 71 OIT, Les évaluations de l'industrie automobile qui ont une incidence sur les équipementiers , 2005.

* 72 Selon la Fédération des industries des équipements pour véhicules (FIEV), les coûts de mise sur le marché d'un véhicule se décomposeraient en : 53 % pour les équipements (constructeurs et fournisseurs) ; 17 % pour les frais d'assemblage ; 30 % pour les frais de distribution et de promotion.

* 73 Trésor-Éco n° 43, septembre 2008.

* 74 Sylvain Broyer et Costa Brunner, Quel est le poids de l'automobile dans l'économie ?, Natixis, Flash économie n° 176, 14 avril 2009.

* 75 Le taux d'équipement de la population de ces pays est élevé et la longévité des véhicules augmente. Les seules opportunités de développement des ventes résultent de la multi motorisation des foyers ou du renouvellement du parc (auquel peuvent inciter les primes à la casse et bonus écologiques et la généralisation de technologies propres). Le rattrapage des populations sous-équipées des nouveaux pays membres a créé aussi des occasions nouvelles pour les constructeurs à chaque élargissement de l'Union.

* 76 Perspectives économiques n° 86.

* 77 Les autres grandes crises de l'automobile ont eu lieu en 1974, après le premier choc pétrolier, et en 1993 (difficultés monétaires européennes).

* 78 France 2008, quatrième trimestre : - 27 % en volume (en glissement annuel) ; Allemagne 2008, quatrième trimestre : - 16,9 %.

* 79 Ce solde résulte de celui de l'évolution des deux sous-secteurs :

- la construction automobile (deux tiers de l'ensemble) dont le déficit, apparu en 2007, tend à s'aggraver (- 5 milliards d'euros en 2008, - 7 milliards d'euros en 2009) ;

- les équipements (un tiers) qui connaît, en revanche, un excédent de l'ordre de 2 milliards d'euros (2,1 en 2008 ; 2,5 en 2009) - Source : Secrétariat d'État au commerce extérieur.

* 80 Opel a été reprise par General Motors.

* 81 Mais les ventes françaises ont bondi en 2009 (+ 45 %), sous l'effet de la prime à la casse allemande instaurée le 14 janvier 2009.

* 82 Germany Trade & Invest , The automative industry in Germany , Issue 2010/2011.

* 83 En 2007, selon la Banque de France (Bulletin n° 179 - mai-juin 2008).

* 84 Selon l'INSEE - Économie française en 2009.

* 85 INSEE - SESSI - Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Emploi, Panorama de l'industrie française , édition 2008.

* 86 Selon le secrétariat d'État au Commerce extérieur.

* 87 De 2004 à 2008, la perte d'emplois dans la branche automobile a été de 8 %. Ses effectifs sont passés de 220 000 équivalents temps plein en 2004 à 202 000 en 2007, soit une perte de 18 000 équivalents temps plein.

* 88 Selon le Comité des constructeurs français d'automobiles (CCFA), la baisse des immatriculations n'a été ainsi que de 0,7 % et a affecté davantage les marques étrangères (- 2,7 %) que les marques françaises (+ 1,2 %) dont la part de marché est passée à 52,8 % (contre 51,8 % en 2007).

* 89 Cf. Panorama de l'industrie en France , édition 2008 : Automobile.

* 90 Excédent constant d'environ 0,7 % du PIB de 1997 à 2004.

* 91 INSEE, L'économie française en 2006 .

* 92 Benoît Usciati, D'où vient la dégradation du solde commercial français hors énergie ? Une analyse par types de produits , Bulletin de la Banque de France n° 173, mai-juin 2008.

* 93 INSEE, L'économie française en 2006, Vue d'ensemble.

* 94 DGCIS, « 4 pages », mai 2009.

* 95 Direction Générale du Trésor, Trésor-Éco n° 43, septembre 2008.

* 96 Selon Mathilde Lemoine (rapport précité n° 81 du CAE sur les exportations de la France et de l'Allemagne), la mauvaise performance de l'industrie automobile française à l'exportation expliquerait, à elle seule, environ 40 % du recul global des parts de marché de la France dans la zone euro.

* 97 Selon les indicateurs d'avantages comparatifs révélés utilisés par le CEPII.

* 98 Pour l'Allemagne, ces proportions sont, respectivement de 6 % (pour la part du PIB) et de 1,2 %, s'agissant de la population.

* 99 Selon le CCFA, sur les neuf premiers mois de 2007 (avant la crise), la tendance concernant l'évolution de la production automobile (tous véhicules) était de + 6,6 % en Allemagne et de - 7,3 % en France.

* 100 Les salaires, dans le groupe, étaient supérieurs de 20 % en 2004 aux normes fixées, pour l'ensemble de la branche, par les conventions collectives. Aussi Peter Hartz, ancien ministre du Chancelier Schröder et père des réformes du marché du travail allemand portant son nom, avait-il annoncé, lorsqu'il avait été nommé membre du Directoire, vouloir réduire de 30 % d'ici 2011 la masse salariale.

* 101 Comme le souligne le rapport précité de l'OIT sur les relations entre les constructeurs et leurs fournisseurs, équipementiers et sous-traitants, les chiffres concernant les salaires versés par les entreprises de la filière sont impossibles à obtenir. Selon des notes du Comité d'études des relations franco-allemandes (CERFA), ils demeurent, en Allemagne, parmi les plus élevés du monde.

* 102 Hans Brodersen, Le « modèle allemand » à l'exportation : pourquoi l'Allemagne exporte-t-elle tant ?, CERFA note 57, novembre 2008.

* 103 Helmut Becker (directeur de l'Institut d'analyse économique et de communication de Munich), Crises et défis de l'industrie automobile allemande, CERFA note 72, mars 2010.

* 104 Cf. note précitée n° 57 du CERFA - Pourquoi l'Allemagne exporte-t-elle tant ?

* 105 Ce qui est aussi le cas des utilitaires.

* 106 Échecs relatifs de la Peugeot 607, de la Velsatis, de la Laguna. La production du haut de gamme de Renault (50 000 à 60 000 seulement de véhicules par an) devrait être transférée prochainement de Sandouville à Douai.

* 107 INSEE, L'économie française en 2009, L'industrie automobile en France depuis 1950.

* 108 Crises et défis de l'industrie automobile allemande, CERFA note 72, mars 2010.

* 109 INSEE, L'économie française en 2009 , L'industrie automobile en France depuis 1950.

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