II. DES CAUSES PARTAGÉES MAIS DES EFFETS DIFFÉRENTS PARMI LES PAYS INDUSTRIALISÉS

A. LA TENDANCE À UNE BAISSE RELATIVE DU POIDS ÉCONOMIQUE DES ACTIVITÉS MANUFACTURIÈRES DANS LES PAYS INDUSTRIALISÉS

Dans aucun grand pays développé comparable à la France, l'industrie n'échappe aux tendances qui viennent d'être décrites, susceptibles de provoquer une diminution, en tout cas apparente, de son poids dans l'activité économique.

Partout, ce sont les services qui bénéficient :

- de l'externalisation croissante des activités industrielles ;

- de la déformation de la structure de la demande intérieure, sous l'effet des gains de productivité de l'industrie.

Enfin, dans une économie de plus en plus ouverte et mondialisée, aucun pays d'industrialisation ancienne comme la France n'échappe bien sûr à la concurrence des puissances émergentes, ni aux difficultés dues aux fluctuations du prix des monnaies et de l'énergie.

Mais les évolutions selon les pays, les régions, les branches ou les périodes de l'histoire industrielle récente ne sont pas identiques, ce qui appelle une analyse approfondie de ces tendances.

B. UN PROCESSUS QUE CERTAINS PAYS RÉUSSISSENT MIEUX QUE D'AUTRES À FREINER OU À ENRAYER

Le graphique suivant montre que la part de la valeur ajoutée de l'industrie dans le PIB a commencé à diminuer dans les principaux pays de l'OCDE, à partir du début des années 1980.

Mais le profil de cette baisse n'est pas du tout identique, dans le temps, selon les États concernés.

On constate des paliers :

- de 1993 à 1997 pour le Japon ;

- de 1992 à 1995 pour l'Italie, puis de 1997 à 1999 ;

- de 1991 à 1994 pour les États-Unis ;

- depuis 1999 en ce qui concerne l'Allemagne.

Le déclin de l'industrie française, enfin, a été freiné de 1993 à 1998.

Ces paliers ou ces infléchissements résultent de politiques publiques ou de la stratégie des entreprises dont l'efficacité possible est ainsi démontrée.

Le graphique ci-après, qui couvre une période plus récente (jusqu'en 2008), témoigne des bonnes performances, à cet égard, de l'industrie manufacturière allemande et malheureusement aussi de la médiocrité de sa concurrente française dont la part dans la valeur ajoutée marchande totale diminue de six points passant de 22 % à 16 % (soit le plus mauvais résultat de la zone euro).

C. LA MONDIALISATION N'EST PAS UN OBSTACLE INSURMONTABLE

1. La France demeure un pays attractif

La France demeure leader dans des secteurs liés notamment au luxe et conserve des grands champions (aéronautique...). Elle bénéficie également d'une protection dans des secteurs pour lesquels il est difficile d'exporter : transport de marchandises, fabrication de plaques de plâtre ou de verre plat...

Selon les statistiques de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), la France était en 2009 le premier pays d'accueil en Europe pour les stocks entrants et sortants d'investissement étranger direct à l'étranger (IDE), derrière les États-Unis et devant le Royaume-Uni, et le troisième pour les flux d'IDE.

Ces chiffres doivent toutefois être relativisés dans la mesure où une partie des investissements correspondent à des opérations financières réalisées par des groupes français avec leurs filiales implantées à l'étranger, selon M. Lionel Fontagné. De plus, lorsque l'investissement correspond à l'acquisition par un groupe étranger d'une entreprise en difficulté, il peut se traduire par une réduction d'emploi ayant pour but d'améliorer la compétitivité. Certaines implantations répondent également à un marché public et n'ont pas vocation à s'inscrire durablement dans le tissu économique français.

2. Les défis posés par la mondialisation à l'industrie française
a) Les délocalisations, un phénomène limité au plan national mais aux effets déstructurants localement

L'impact des délocalisations au sens propre ne concernerait que 20 000 à 30 000 emplois par an 30 ( * ) , ce qui est faible par rapport au nombre total d'emplois créés en France dans le même temps.

Ce chiffre ne donne toutefois qu'une vision partielle de l'impact réel des délocalisations, surtout dans les territoires en crise : la fermeture d'une usine réduit les demandes aux sous-traitants et la consommation de services au niveau local, affectant l'économie locale dans son ensemble.

Les délocalisations sont certes parfois réversibles. Des entreprises constatent que le coût de production dans les pays à main d'oeuvre bon marché n'est pas si bas qu'il y paraît, si l'on prend en compte l'ensemble des coûts directs et indirects (transport, gestion de la production à distance, formation...). De plus, elles ne trouvent pas toujours dans ces pays le même niveau de qualité qu'en France. Les exemples sont nombreux : retour de l'équipementier Le Coq Sportif dans l'Aube, du groupe Rossignol en Haute-Savoie, de l'opticien Atol dans le Jura, du fabricant de meubles Majencia en Picardie...

Ces relocalisations ne constituent toutefois qu'un phénomène limité, qui concerne quelques dizaines d'emplois à chaque opération. Ainsi, l'opticien Atol a-t-il gagné le pari de la relocalisation dans un territoire doté d'un grand savoir-faire grâce à un gros effort d'innovation qui permettait de justifier un prix à la vente plus élevé.

Le Gouvernement a annoncé à l'été 2010 la création d'un fonds d'aide à la relocalisation, doté de 200 millions d'euros, afin de favoriser son amplification.

b) Le choix de produire à l'étranger : recherche d'opportunité ou perte de compétitivité du site « France » ?

La composante principale de la désindustrialisation, au niveau national, concerne les créations d'activités, qui ont de moins en moins lieu en France.

Comme l'ont souligné la plupart des industriels reçus par la mission, les entreprises choisissent de plus en plus de « produire dans le pays pour le pays ». Si la conception demeure souvent réalisée dans des bureaux d'étude en France, la production, elle, est réalisée dans le pays ou la région où elle sera vendue. Or les marchés de croissance concernent plutôt les pays émergents en Asie ou en Amérique latine, ce qui explique la croissance de la part de la production réalisée dans ces pays. La part de la production des groupes français à l'étranger est ainsi supérieure à 50 % 31 ( * ) .

L'argument le plus souvent avancé est toutefois la baisse de compétitivité dont souffre le système productif français au niveau international, par rapport à l'Allemagne comme aux économies émergentes d'Europe de l'Est ou d'Asie. Cette perte de compétitivité aurait détruit un tiers des deux millions d'emplois perdus dans l'industrie 32 ( * ) .

Elle doit toutefois être relativisée : selon l'OFCE, la mesure précise de la compétitivité devrait prendre en compte la répartition de la valeur ajoutée tout au long de la chaîne de production, sans se limiter à la simple mesure des volumes d'importation et d'exportation. L'écart de compétitivité mesuré entre les économies de l'Allemagne et de la France pourrait être moins élevé si on prenait davantage en compte la délocalisation partielle des activités allemandes en Europe de l'Est.

c) La mondialisation de la chaîne de production

La chaîne de production des biens industriels, qui au temps de Chaplin dans Les Temps modernes occupait une seule usine, s'étend aujourd'hui sur l'ensemble de la planète.

L'économiste Daniel Cohen cite à cet égard l'exemple de la poupée Barbie :

« La célèbre poupée Barbie donne une excellente illustration de la nature du commerce mondial aujourd'hui. La matière première - le plastique et les cheveux - vient de Taïwan et du Japon. L'assemblage est fait aux Philippines avant de se déplacer vers des zones de salaires moindres, l'Indonésie ou la Chine. Les moules proviennent des États-Unis tout comme la dernière couche de peinture avant la vente... ». 33 ( * )

Ce processus se généralise aujourd'hui à un nombre croissant de produits manufacturés et même, comme on l'a vu dans l'exemple des carcasses animales découpées en Allemagne, dans l'agroalimentaire.

Or cette mondialisation s'accompagne trop souvent d'une diminution de la valeur produite en France c'est-à-dire celle qui revient in fine aux producteurs français. Selon l'Observatoire du « fabriqué en France », la valeur de la production revenant aux acteurs français des filières est passée de 1999 à 2009 de 75 % à 69 %. Cette tendance ne touche toutefois pas toutes les filières : dans la mode et le luxe, ce taux a au contraire augmenté de 71 % à 80 % tandis qu'il diminuait très fortement dans l'aéronautique (de 65 % à 53 %) et dans l'industrie ferroviaire (de 79 % à 62 %).

La mondialisation représente de plus une pression forte sur les sous-traitants, notamment de rang 2, par le recours à la méthode du « global sourcing », qui a été exposée à la mission notamment dans le secteur médical lors de son déplacement en Midi-Pyrénées : au lieu d'établir une relation durable avec un fournisseur local, un donneur d'ordre met en concurrence des fournisseurs potentiels présents sur l'ensemble de la planète en passant par des intermédiaires. Le global sourcing, s'il favorise la réduction des coûts pour les donneurs d'ordre, s'oppose à la constitution d'une filière cohérente et durable.

Les déplacements dans les territoires ont mis en avant des pratiques de donneurs d'ordre demandant à leur fournisseur des conditions tarifaires ne pouvant s'obtenir que par la délocalisation de certaines productions, voire de la totalité des sites de production. Ces pratiques ont accentué la fragilisation des PME/TPE. Une critique du global sourcing s'impose si l'on veut développer une politique de filière.

De plus, la mission propose d'accorder une attention soutenue aux initiatives visant à faire émerger des PME/TPE sous-traitantes généralistes, moins dépendantes de leurs donneurs d'ordre habituels.

d) L'émergence de concurrents dans les pays émergents

Les pays émergents remontent peu à peu la chaîne de production depuis la fabrication d'éléments jusqu'à l'assemblage et à la conception. Ainsi la Chine, qui produit déjà des avions commerciaux court-courriers, devrait-elle être en mesure de développer une gamme complète d'avions commerciaux d'ici à 2020 et pourrait devenir ainsi le troisième grand acteur de l'aéronautique mondiale avec Airbus et Boeing 34 ( * ) .

Cette remontée est due à la performance de ces pays et notamment à la mise en place de systèmes éducatifs et de formation de qualité, mais résulte aussi en partie de transferts de technologie en provenance des pays qui se sont développés plus tôt. La mondialisation de la production facilite l'apprentissage des technologies et rend également plus difficile la protection de la propriété intellectuelle.


* 30 Chiffres fournis par M. Lionel Fontagné lors de son audition devant la mission commune d'information.

* 31 Lionel Fontagné, audition devant la mission.

* 32 Chiffre donné par Xavier Timbeau (OFCE) lors de son audition devant la mission.

* 33 Daniel Cohen, Trois leçons sur la société post-industrielle , 2006, Seuil.

* 34 La Chine a fait voler les premiers prototypes de l'avion régional Comac ARJ21, dont les premières livraisons sont prévues en 2011. Elle a également enregistré en novembre 2010 les premières commandes de son futur avion moyen-courrier C919, qui concurrencera l'Airbus A320 et le Boeing 747.

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