III. LES MODALITÉS DE MISE EN oeUVRE DU PROJET : LES ENJEUX STATUTAIRES, PATRIMONIAUX ET MUSÉOGRAPHIQUES

A. RÉSOUDRE LES QUESTIONS STATUTAIRES

Une des missions de l'association de préfiguration de la Maison de l'Histoire de France consiste à donner un contenu juridique concret et opérationnel à la constitution d'un établissement public qui s'appuierait sur un socle confédéral réunissant neuf musées nationaux qui, jusqu'ici, disposent du statut de services à compétence nationale (SCN) pour huit d'entre eux, et d'établissement public à caractère administratif (EPA) pour un seul d'entre eux. La réflexion statutaire doit également permettre de dégager des garanties d'autonomie de gestion administrative et budgétaire et de programmation scientifique et culturelle en faveur des musées nationaux constitutifs du socle de la Maison de l'Histoire de France.

En effet, dans la lettre de mission adressée à M. Jean-François Hebert, le ministre de la culture et de la communication a souligné la nécessité de garantir le maintien dans ces musées nationaux d' « une programmation scientifique liée à leur vocation propre ».

Dans cet esprit, M. Jean-François Hebert préconise la mise en place d'une structure multipolaire réunissant un noyau dur de musées nationaux dont les directeurs respectifs se verraient responsables d'un département scientifique au sein du futur musée de l'Histoire de France. Ainsi, le directeur du musée d'archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye se verrait confier la direction d'un département « Des origines à l'an Mil », et il en irait de même pour le directeur du musée national du Moyen-Âge de Cluny s'agissant de la période médiévale, et ainsi de suite. La constitution de ce noyau dur, sur le modèle de la Cité de l'architecture et du patrimoine, permettrait, en outre, d'alimenter un socle de collections permanentes en vue de la constitution de la galerie chronologique de la Maison de l'Histoire de France.

Afin de permettre à la future institution de préserver l'autonomie de gestion et de programmation scientifique et culturelle des musées nationaux qu'elle réunira en son sein, le cadre confédéral du Centre Georges Pompidou et le montage juridique du musée d'Orsay ont été cités en exemple.

Il a été acté par la présidence de la République que seront partie intégrante de la nouvelle institution, dont ils constitueront le socle, les neuf musées nationaux suivants :

- le musée national de la préhistoire des Eyzies-de-Tayac (SCN) ;

- le musée d'archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye (SCN) ;

- le musée national du Moyen-Âge de Cluny (SCN) ;

- le musée national de la Renaissance d'Ecouen (SCN) ;

- le château de Pau (SCN) ;

- le château de Fontainebleau (EPA) ;

- la Malmaison (SCN) ;

- le château de Compiègne (SCN) ;

- le musée des plans-reliefs situé aux Invalides (SCN).

À l'image de ce qui vaut pour la plupart des grands musées de beaux-arts, le futur musée de l'Histoire de France devrait être doté du statut d' établissement public à caractère administratif . C'est du reste l'objectif qui est clairement assigné, dans ses statuts, à l'association de préfiguration de la Maison de l'Histoire de France. La question de l'autorité de tutelle sous laquelle cet établissement public a vocation à être placé a été rapidement réglée par la décision du ministère de la défense de se désolidariser de la direction de ce projet, à la suite de l'opposition très vive manifestée par les militaires à l'idée de voir la Maison de l'Histoire de France s'installer dans l'hôtel des Invalides. Le ministre chargé de la culture, et donc, au niveau administratif, la direction générale des patrimoines du ministère de la culture et de la communication et sa direction des musées de France, assureront logiquement la tutelle sur cet établissement.

La création de cet établissement public, prévue pour le 1 er janvier 2012, sera précédée des travaux de l'association de préfiguration de la Maison de l'Histoire de France, chargée de préciser ses missions, de fixer son programme et de préparer la mise en place des organes dirigeants de la future structure.

Lors de son audition par votre rapporteur, Mme Marie-Christine Labourdette, directrice des musées de France au ministère de la culture et de la communication indiquait qu' « il faudra un établissement public de nature confédérale, qui garantira à ses éléments constitutifs une autonomie scientifique et de gestion par rapport au centre. Les compétences du centre devront être exclusives des compétences des parties. À ce titre, le musée d'Orsay constitue un précédent dont il faut s'inspirer ».

1. L'avenir statutaire des services à compétence nationale

Le statut de service à compétence nationale (SCN) a été établi par le décret n° 97-464 du 9 mai 1997 relatif à la création et à l'organisation des services à compétence nationale. Aux termes de l'article 1 er du décret précité, « les services à compétence nationale peuvent se voir confier des fonctions de gestion, d'études techniques ou de formation, des activités de production de biens ou de prestation de services, ainsi que toute autre mission à caractère opérationnel, présentant un caractère national et correspondant aux attributions du ministre sous l'autorité duquel ils sont placés ». L'article 2 précise, en outre, que les SCN sont rattachés directement au ministre dont ils relèvent lorsqu'ils sont créés par décret, ou à un directeur d'administration centrale, à un chef de service ou à un sous-directeur lorsqu'ils sont créés par arrêté .

Les premiers services à compétence nationale à finalité muséale ont été créés à compter du 1 er janvier 1999, par l'arrêté du 16 décembre 1998 érigeant divers services de la direction des musées de France en services à compétence nationale. Ainsi, les services à compétence nationale à vocation culturelle et muséale dépendent directement de l'organigramme de la direction des musées de France, au sein de la direction générale des patrimoines du ministère de la culture et de la communication.

Dans son rapport public thématique du 24 mars 2011 intitulé « Les musées nationaux après une décennie de transformations (2000-2011) », le Cour des comptes souligne, ainsi, que « les SCN constituent une structure intermédiaire entre un service administratif de l'État traditionnel et un établissement public ». Dans son rapport de mars 2010 intitulé « Un Grand Palais rénové - Pour un nouvel opérateur culturel », M. Jean-Paul Cluzel explique que les services à compétence nationale ont « une réelle autonomie scientifique sous la responsabilité de leurs directeurs , qui sont généralement issus du corps des conservateurs du patrimoine. En revanche, ils n'ont pas d'autonomie de gestion administrative et financière, et leurs directeurs ne sont pas responsables de leur budget ».

Pour autant, les chefs de ces services à compétence nationale se voient, en général, reconnaître le rang d' ordonnateurs secondaires des recettes et des dépenses de fonctionnement de leur service , ainsi que des crédits d'investissement qui leur sont délégués. Ils sont habilités à négocier et à passer des contrats et des marchés. Ils exercent leur autorité sur l'ensemble des personnels de leur service.

Ainsi, votre rapporteur a identifié deux différences fondamentales entre le statut d'établissement public et celui de service à compétence nationale :

- en ce qui concerne la personnalité morale : les SCN, en tant que démembrements de l'État, sont nécessairement rattachés à la personnalité morale de l'État, alors qu'un établissement public dispose d'une personnalité morale propre, distincte de celle l'État, incarnée par son conseil d'administration ;

- en ce qui concerne la gestion des recettes : les établissements publics à finalité muséale perçoivent directement leurs ressources de billetterie, alors que les musées nationaux au statut de SCN ne maîtrisent pas leurs recettes. C'est la Réunion des musées nationaux, établissement public à caractère industriel et commercial, qui, dans le cadre d'un système de mutualisation des recettes de billetterie des musées nationaux, réaffecte à ces derniers une partie du produit mutualisé des droits d'entrée.

Dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, un premier relevé de décisions du conseil de modernisation des politiques publiques (CMPP), en décembre 2007, prévoyait la disparition des musées-SCN à travers l'adossement de certains d'entre eux à la Réunion des monuments nationaux (RMN) et la transformation d'autres en établissements publics comme dans le cas du château de Fontainebleau et du musée Picasso. Le CMPP a posé le principe de « la fin de la gestion directe par la direction des musées de France des musées nationaux ».

Dans le même esprit, un rapport de la mission d'évaluation et de contrôle sur le musée du Louvre, présenté par MM. Nicolas Perruchot, Richard Dell'Agnola et Marcel Rogemont, députés, appelait également à « généraliser le statut d'établissement public administratif à l'ensemble des musées nationaux » et à « procéder, chaque fois que cela est pertinent, au regroupement des musées nationaux établissements publics administratifs ou à leur rattachement à des établissements plus importants » 34 ( * ) .

Cette volonté politique et administrative de mettre fin au statut des SCN à vocation muséale relève plus du présupposé historique et de la posture doctrinale. Elle ne se fonde sur aucun argument juridique qui justifierait l'incompatibilité du statut de SCN avec la loi organique relative aux lois de finances du 1 er août 2001. Du reste, force est de constater que ce statut est destiné à perdurer puisque même les services de Bercy continuent d'en créer, et pas des moindres : l'Agence des participations de l'État, l'Agence France Trésor, France Domaine, etc.

Il s'agit, en réalité, en ce qui concerne les musées nationaux-SCN de mettre fin au système, déjà ancien et qui tend à se déliter, de mutualisation de leurs recettes de billetterie sous l'égide de la RMN. Depuis la fusion de la RMN et du Grand Palais au sein d'un seul et même EPIC, effective depuis janvier 2011 35 ( * ) , la RMN-Grand Palais n'est désormais tenue par des obligations statutaires de collecte et de réaffectation du produit des droits d'entrée que vis-à-vis des musées nationaux ayant conservé jusqu'ici le statut de SCN. La RMN-Grand Palais opère, en revanche, en tant que prestataire de service auprès des musées nationaux devenus établissements publics dans le cadre de conventions, sur un mode contractuelle. À terme, la révision générale des politiques publiques entend généraliser à l'ensemble des musées nationaux, devenus établissements publics ou regroupés au sein d'établissements publics, ce type de relation conventionnelle avec la RM-Grand Palais.

Il est à noter que la perspective d'une intégration directe des services à compétence nationale à finalité muséale au sein de la RMN a été vivement critiquée par les directeurs de musées, en raison de leur volonté de s'affranchir de leur lien consubstantiel à la RMN et d'acquérir une autonomie financière plus complète, et par les organisations syndicales compte tenu du statut d'établissement public à caractère industriel et commercial de cette dernière. Leur adossement à la RMN, dont la majorité des employés est supposée disposer de contrats de droit privé, aurait conduit à un bouleversement de la situation statutaire de leurs personnels.

La possibilité de rattacher des SCN au Centre des monuments nationaux (CMN), établissement public à caractère administratif, semble également devoir être écartée. En effet, la vocation première du CMN consiste à valoriser la dimension patrimoniale de sites historiques et non pas à gérer des collections sur le plan scientifique. Toutefois, sous l'impulsion de son actuelle présidente, le CMN s'est récemment doté d'une direction scientifique qui oeuvre au rapprochement du monde des monuments et de celui des musées. Si le CMN ne revendique pour l'heure l'intégration en son sein d'aucun musée-SCN, il ne serait pas illogique que certains SCN lui soient rattachés, en particulier dans le cas du musée national de la préhistoire des Eyzies-de-Tayac.

Compte tenu des observations précédentes, votre rapporteur s'est intéressée de près aux modalités d'un possible rattachement des services à compétence nationale à finalité muséale et gérant des collections à caractère historique au futur établissement public à caractère administratif que devrait constituer la Maison de l'Histoire de France. En effet, dès lors que le statut de SCN a vocation à disparaître dans le cadre de la RGPP et que la taille réduite de certains ne permet d'envisager leur transformation en établissements publics viables, il semble indispensable de les réunir, en fonction de leur vocation et de leur identité respectives, au sein d'un établissement public afin de constituer un ensemble atteignant une taille critique.

Dans son rapport public thématique précité, la Cour des comptes souligne que des « adossements de bon sens ont déjà été réalisés avec l'adjonction du musée Hébert et de l'Orangerie des Tuileries au musée d'Orsay, celle du musée Delacroix au musée du Louvre et celle du musée d'Ennery au musée Guimet ».

L'enjeu principal consistera donc à aménager les garanties statutaires suffisantes pour préserver l'autonomie administrative et de programmation scientifique et culturelle des services à compétence nationale qui ont vocation à être réunis dans le socle de la Maison de l'Histoire de France. À cet égard, plusieurs précédents juridiques parmi nos établissements publics à vocation culturelle, notamment dans le domaine des beaux-arts, sont à étudier.

Il convient de souligner qu'un certain nombre de SCN à finalité muséale ne disposent pas, à l'heure actuelle, des moyens techniques et financiers leur permettant d'exploiter et de mettre en valeur l'ensemble de leurs collections. C'est en particulier le cas du musée d'archéologie national de Saint-Germain-en-Laye et du musée des plans-reliefs.

Au cours de sa visite du musée des plans-reliefs, situé dans l'hôtel des Invalides, votre rapporteur a été particulièrement frappée par l'ampleur des espaces disponibles mais qui demeurent, pour l'heure, inutilisables en raison de l'interruption des travaux de restauration et de réaménagement. En effet, le principe d'un réaménagement du musée des plans-reliefs avait été décidé à la suite du transfert avorté de ses collections à Lille (1985-1986), compte tenu de la vétusté des installations. Le nouveau projet de réaménagement adopté prévoyait l'aménagement d'environ 4 500 m², au sein des locaux traditionnels au 4 e étage de l'hôtel des Invalides, sur les quatre côtés de la cour d'honneur.

La partie actuellement ouverte au public, qui regroupe la galerie Arçon ainsi que la salle Dantzig, située sur le côté Est de la cour d'honneur, a été inaugurée en 1997. Elle est conçue comme la première de quatre tranches organisées sur un principe géographique et présente 28 plans-reliefs de l'Ouest et du Sud de la France.

Les autres tranches devaient être réalisées à la suite de la première. Toutefois, pour des raisons à la fois administratives et financières, le projet s'est enlisé. En 2005-2006, l'ancienne direction de l'architecture et du patrimoine du ministère de la culture a décidé de le relancer ; une étude de programmation technique assortie d'un chiffrage a été effectuée. Le réaménagement devait être financé à partir de 2007 à raison de deux millions d'euros par an. Or, ces crédits n'ont toujours pas été accordés. Ainsi, restent à aménager entièrement les galeries Louis-le-Grand (Ouest) et Asfeld (Sud), actuellement démolies, et à reprendre le corridor Nord, partiellement utilisé. Le coût total de cette opération a été estimé à douze millions d'euros en valeur 2007. Les travaux peuvent être divisés en plusieurs tranches sur une base géographique ou fonctionnelle. Ce montant ne comprend pas la restauration des oeuvres.

Par conséquent, la situation actuelle est particulièrement préjudiciable à la visibilité et au dynamisme du musée des plans-reliefs, puisque l'inachèvement des travaux de réaménagement limite l'activité de l'établissement et prive le public et les chercheurs, depuis près de 25 ans, de la plus grande partie de la collection.

D'autre part, cet inachèvement encourage les revendications d'autres institutions présentes aux Invalides (notamment le musée de l'armée et, plus récemment, le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationales) sur les locaux actuellement inutilisés, bien qu'une convention de « superposition d'affectation », conclue en 2007 entre les ministères de la culture et de la défense, garantisse en principe l'emprise actuelle du musée.

Il faut, par conséquent, espérer que l'intégration du musée des plans-reliefs au sein d'un établissement public à la légitimité solide lui permettra de retrouver les moyens budgétaires nécessaires à sa relance. La perspective d'une exposition des plans-reliefs au Grand Palais au mois de février 2011 semble aller dans ce sens.


* 34 Rapport d'information déposé par la commission des finances, de l'économie générale et du plan de l'Assemblée nationale en conclusion des travaux de la mission d'évaluation et de contrôle sur le musée du Louvre, et présenté par MM. Nicolas Perruchot, Richard Dell'Agnola et Marcel Rogemont.

* 35 Décret n° 2011-52 du 13 janvier 2011 relatif à l'établissement public de la Réunion des musées nationaux et du Grand Palais des Champs-Élysées.

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