4) LE DÉFI SOCIAL ET DES MIGRATIONS

- Stratifications sociales et stratifications spatiales

- Bidonvilles : extension ou éradication ?

- Les présupposés de la mixité sociale

- Les déplacés économiques et climatiques

- Les moyens de la mixité sociale : politiques volontaristes,  dispositions législatives et réglementaires, offres urbaines  qualitatives

Près d'un milliard d'êtres humains sur les 3 milliards actuels de citadins - soit environ 15 % de la population mondiale totale -, vit dans des bidonvilles. Si les campagnes comptent beaucoup de paysans pauvres, c'est néanmoins dans les villes que les populations les plus défavorisées vivent dans les conditions les plus pénibles. En Amérique du Sud, 26 % de la population vit dans des bidonvilles, en Afrique du Nord, 25 %, en Asie du Sud, 14 %, au Moyen-Orient, 13 %. 90 % des bidonvilles se trouvent au Sud, la Chine et l'Inde concentrant toutes deux 40 % des taudis du monde. Dans toute l'Afrique, ce sont trois urbains sur quatre qui vivent dans des « slums ».

IMPORTANCE DE LA POPULATION HABITANT DANS DES BIDONVILLES

Source : www.worldmapper.org

Pour autant, malgré l'augmentation de la population mondiale, l'extrême pauvreté tend à diminuer. Mais la pauvreté recule moins vite dans les villes que dans les campagnes. C'est une des tendances fortes à prendre en considération dans les prochaines décennies, celle de la concentration de la pauvreté dans les aires urbaines du fait du fort mouvement de concentration dans les villes de paysans chassés de leur terre par la misère et qui auront beaucoup de mal à sortir de cette extrême pauvreté citadine 40 ( * ) .

POURCENTAGE DE LA POPULATION VIVANT DANS DES BIDONVILLES

Source : UN-Habitat 2005

Alors que la population urbaine des pays du Sud doit doubler d'ici à 2050, passant de 2,5 à 5,3 milliards d'habitants, l'étalement urbain dans cette partie du monde va créer encore plus d'exclusion et d'inégalités . Les observations de l'agence des Nations-Unies pour l'habitat (ONU-Habitat) montrent bien combien les populations les plus pauvres sont assignées à résidence au sein des villes dans les zones d'habitat précaire. Dans son rapport, l'ONU indique que, si entre 2000 et 2010, 227 millions de pauvres ont pu échapper aux bidonvilles grâce à des politiques d'amélioration du logement, en revanche sur la même période, la population des bidonvilles a continué à progresser puisqu'elle était d'environ 776 millions d'habitants en 2000 et qu'elle atteint désormais le milliard d'habitants.

Dans un rapport de 2009 41 ( * ) sur les 19 mégacités de plus de 10 millions d'habitants et les conditions de vie de leurs populations, l'ONU a analysé les problèmes résultant du gigantisme de leur organisation ou de leur inorganisation. Ces cités aggravent d'abord les inégalités sociales.

POPULATIONS N'AYANT PAS ACCÈS
À DES SERVICES SANITAIRES CONVENABLES

Source : Philippe Rekacewicz Le Monde Diplomatique mars 2008

Ensuite, elles rendent plus incertaine la sécurité alimentaire des populations du fait de la complexité des systèmes de distribution, de la cherté des produits de base, des conditions particulières requises pour l'agriculture suburbaine forte consommatrice d'engrais et de produits chimiques, de la mauvaise alimentation liée aux conditions médiocres de restauration.

Par ailleurs, comme le montrent les exemples thématiques et géographiques analysés plus loin, les grandes conurbations urbaines accentuent les phénomènes de ségrégation sociale en raison du coût du foncier dans les centres-villes qui rejette les populations les plus pauvres à la périphérie. D'autres phénomènes apparaissent, comme ceux des quartiers fermés protégés des populations considérées comme dangereuses du fait de leur pauvreté.

Quels outils pour permettre la mixité sociale ?

Alors qu'auparavant la ville était source de diversité sociale, nous assistons depuis une vingtaine d'années, dans de nombreuses mégalopoles, à un processus urbain de « gentrification », processus par lequel le profil sociologique et social d'un quartier se transforme au profit d'une couche sociale supérieure . L'augmentation continue du prix des biens immobiliers fait que les villes se trouvent scindées en plusieurs îlots avec, d'un côté, des zones (en périphérie dans la plupart des cas) où ne sont présentes que les classes populaires et où la présence d'équipements publics fait défaut et, de l'autre, des zones (dans les centres-villes et également en périphérie sous la forme de lotissements fermés) dans lesquelles on assiste à une concentration de foyers à hauts revenus bénéficiant d'un accès facilité aux services financés par la municipalité.

Une fois ce tableau dressé, on se rend compte que la ville ne remplit plus son rôle d'échange, de partage, en d'autres termes d'intégration. L'ambition de mixité sociale a été en grande partie abandonnée et c'est aujourd'hui l'entre-soi qui est recherché. Néanmoins, notons que des actions ont commencé à être mises en place pour enrayer ce phénomène. Ainsi, à Piracicaba, au Brésil, « une taxe foncière progressive » affecte « la rentabilité des terrains inoccupés sur lesquels les propriétaires spéculent, les obligeant à les utiliser ou à les revendre » 42 ( * ) . Par ce biais, les classes populaires peuvent théoriquement acquérir des terrains à des prix raisonnables sans s'éloigner du centre-ville. Malheureusement, la taxe n'est toujours pas appliquée, certains propriétaires faisant valoir leurs intérêts auprès de la municipalité.

Autre configuration à Delhi, où il a été créé des « Special Economic Zones (SEZ) » afin que certaines zones enclavées attirent les investisseurs et que les inégalités territoriales se réduisent. Là encore, les résultats escomptés ne sont pas au rendez-vous car la loi n'impose « aucune restriction sur la localisation géographique de ces dernières, ce qui a entraîné la concentration de ces zones sur les territoires déjà développés du pays où les infrastructures sont les meilleures » 43 ( * ) : si des outils existent, c'est bel et bien l'absence de volonté politique qui fait que les engagements pris ne se traduisent pas en actes.

LES MIGRATIONS ÉCONOMIQUES À LA FIN DU XXÈME SIÈCLE

Source : Le Monde Diplomatique février 2006

A ces populations réfugiées dans les quartiers des banlieues informelles, s'ajouteront très probablement celles des déplacés climatiques « personnes qui, pour des raisons impérieuses liées à un changement environnemental soudain ou progressif influant négativement sur leur vie... sont contraintes de quitter leur foyer habituel ou le quittent de leur propre initiative, temporairement ou définitivement, et qui, de ce fait, se déplacent à l'intérieur de leur pays ou en sortent » selon la définition de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM).

Source : Forces canadiennes

Plusieurs phénomènes seront nécessairement à l'oeuvre d'ici à 2050 selon les travaux du Groupe intergouvernemental sur le changement climatique (GIEC) : la sécheresse qui a déjà poussé de nombreux nomades ou agriculteurs hors de leurs territoires naturels (par exemple dans l'Afrique sub-saharienne), la montée des eaux des océans qui va toucher de nombreux territoires urbains en Asie notamment dans les deltas du Gange ou du Mekong, mais aussi en Egypte dans le delta du Nil, voire en Europe, dans le delta du Rhône ou aux Pays-Bas, la pluviométrie qui va rendre de plus en plus difficile la vie le long des grands fleuves du fait d'inondations plus fréquentes dans des zones très habitées, les cyclônes ou les tornades enfin dans les zones tropicales. Potentiellement des centaines de millions de personnes concernées par ces phénomènes extrêmes pourront rejoindre les paysans des bidonvilles.

L'armée canadienne s'est ainsi préoccupée des futurs conflits d'origine climatique qui pourraient intervenir dans les prochaines décennies : conflits pour le contrôle des ressources au niveau local, mais aussi « pressions causées par les migrations » qui pourraient entraîner « une recrudescence de tensions ethniques, religieuses ou territoriales, de l'instabilité et peut-être l'effondrement d'Etats », rapporte la presse canadienne.

Les experts militaires estiment que les émeutes de la faim de 2008 « donnent un avant-goût des effets déstabilisateurs de l'insuffisance des ressources alimentaires et des crises humanitaires à venir ». Ce seront l'Afrique et l'Asie du Sud qui seront les plus touchées, selon cette étude canadienne. « A mesure que les impacts négatifs de ces phénomènes affecteront les pays en développement, déjà aux prises avec des difficultés économiques et des troubles sociaux, les tensions et les facteurs d'instabilité déjà existants s'accentueront ».

*

* *

Indépendamment des considérations précédentes, les migrations constituent et constitueront dans le cours du XXI e siècle un fait majeur qui ira en s'amplifiant.

C'est la conséquence des écarts de revenus croissant entre les populations et les pays. C'est aussi la conséquence de la mondialisation, du développement des modes de transport, des flux économiques et financiers, mais encore des fortes incitations invitant les étudiants de tous les pays à faire une partie de leurs études dans un autre pays, etc.

Ces migrations peuvent susciter - on le voit ! - des réactions de refus.

Le phénomène est néanmoins irréversible, ce qui ne veut pas dire qu'on ne puisse pas et ne doive pas l'organiser dans le cadre de relations entre pays.

Le risque c'est bien sûr que ces migrations se traduisent dans les villes par des assignations - de facto - à résidence. Il y a eu des ghettos. Il y a nombre de quartiers dans le monde où les habitants « issus de l'immigration » sont majoritaires.

Là encore, il n'est de solution que dans la mixité sociale que les lois peuvent promouvoir et encourager. Mais les lois ne suffisent pas. Il faut aussi créer les conditions permettant de construire (ou de réhabiliter) dans toutes les parties de l'aire urbaine des logements accessibles et de qualité. Il faut encore s'orienter vers la nécessaire mixité fonctionnelle, gage du retour à une meilleure urbanité dans chaque secteur et sur chaque site.

Il faut enfin - et ce n'est pas le plus facile - modifier les comportements et les jugements a priori.

Il y aura toujours plus de migrations. Même si celles-ci posent des problèmes, elles sont d'abord une richesse.

Le concept de « ville monde » ne doit pas concerner que les vitrines les plus huppées de la mondialisation. La vraie « ville monde » est celle du partage et du « vivre ensemble » entre citoyens du monde.

MEGAPOLES MENACÉES PAR LA MONTÉE DU NIVEAU DE LA MER

Ville

Pays

Population

en 2000*

(en millions)

Population prévue en 2025**

(en millions)

Observations

Tokyo

Japon

26

29

Mombay

Inde

18

26

Ville en très forte progression

Sao Paulo

Brésil

18

20

Villes côtières dont la majeure partie située à 800 m d'alt

New York

Etats-Unis

17

18

Lagos

Nigéria

13

25

Ville en très forte progression

Calcutta

Inde

13

17

Shanghai

Chine

13

18

Los Angeles

Etats-Unis

13

14

Dhaka

Bangladesh

12

20

A l'intérieur du      territoire mais située sur le delta du Gange et du Brahmapoutre.

Karachi

Pakistan

12

19

Ville en très forte progression

Buenos Aires

Argentine

12

14

Djakarta

Indonésie

11

14

Manille

Philippines

11

15

La Caire

Egypte

11

14

Osaka

Japon

11

11

Riode Janeiro

Brésil

10

12

Istanbul

Turquie

9

12

* Source Klein, Nicholls, Thomalla, The resilience of coastal megacities to weather-related  hazards, 2002;

** Source Cité des sciences (www.cité-sciences.fr).


* 40 Pour les gens de la campagne, la ville est d'abord une CHANCE. Et les chiffres le montrent : la   ville est d'abord facteur d'enrichissement (même si certaines populations en sont exclues).

* 41 Megacities and urban health World Health Organisation, Centre for Heathl Development 2009

* 42 Voir texte sur Piracicaba, « Piracicaba, the city as a growth machine » dans le Tome II

* 43 Voir texte sur Delhi, « Les transformations urbaines en Inde : Delhi et l'émergence de nouvelles formes urbaines » dans le Tome II

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