VILLES DU MOYEN- ORIENT

1. Audition de FABRICE BALANCHE, maître de conférences à l'Université Lyon 2 et membre du Groupe de Recherches et d'Études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient à la Maison de l'Orient

Moyen Orient : l'avancée inexorable de la ville informelle

M. Fabrice Balanche , est maître de conférences à l'Université Lyon 2 et membre du Groupe de Recherches et d'Études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient à la Maison de l'Orient.

La question urbaine se pose différemment au Maghreb, en Syrie et en Égypte que dans les pays du Golfe . En Syrie comme au Liban, on assiste depuis plusieurs décennies à une urbanisation galopante du fait de la démographie qui progresse de 2,5 % par an (soit un doublement de la population en trente ans) : la population de Damas (5 millions d'habitants) a été multipliée par dix depuis les années 50.

Les grandes métropoles du Proche-Orient subissent maintenant les conséquences de la globalisation qui conduit à des écarts importants de niveau de vie au sein de la population . Les classes aisées profitent de la globalisation, tandis que les banlieues deviennent le réceptacle de la misère des populations souvent d'origine rurale déracinées. Le fossé se creuse entre les anciens paysans venu du monde « sauvage » des campagnes (rif), souvent de confession chiite au Liban , et les habitants « civilisés » des villes (hadâra), de confession sunnite. Cette situation perdure du fait d'une forte endogamie qui maintient le clivage villes-campagnes, chiites-sunnites au Liban, et alaouites-sunnites dans les villes côtières de Syrie.

Les États qui, dans le passé, avaient mené des politiques pour limiter les inégalités entre les populations, n'ont plus maintenant les moyens de poursuivre ces efforts, en particulier pour résister à l'étalement urbain. Le développement anarchique et informel des banlieues offre désormais une nouvelle opportunité de contrôle de ces populations défavorisées par la distribution d'exception ou de tolérances - notamment en matière de constructions illicites - pour ceux qui font allégeance au pouvoir. C'est un moyen de créer des réseaux de clientélismes lesquels alimentent les frustrations déjà fortes dans ces quartiers.

Sur ces villes au développement informel s'ajoutent depuis quelques décennies les quartiers nouveaux des villes globalisées sur le modèle de Dubaï. C'est le cas à Beyrouth où l'autoroute qui mène à l'aéroport traverse des banlieues déshéritées alors que les quartiers de la mondialisation se sont installés sur le front de mer. L'opposition entre ces vitrines de la globalisation et la misère des quartiers populaires ne peut que renforcer les attentes de ces habitants.

Dans les prochaines décennies, on ne peut attendre des évolutions différentes . Les antagonismes entre les deux types de quartiers ne pourront que s'accentuer et c'est une utopie que d'envisager une autre forme d'évolution des villes du Proche et du Moyen Orient. La ploutocratie fera tout son possible pour continuer à attirer les capitaux extérieurs. Le système de clientélisme ne peut que se maintenir.

Malgré les efforts déployés dans le passé en faveur des petites villes des cantons ruraux, la concentration des populations dans les grandes métropoles est inéluctable , même si certaines populations aisées cherchent à s'installer à une cinquantaine de kilomètres du centre pour bénéficier de meilleures conditions de vie.

La situation ne peut pas changer fondamentalement, parce que la bourgeoisie au Proche-Orient a un comportement de rente . Seules les activités de service et de commerce peuvent s'y développer. La bureaucratie et la concurrence asiatique bloquent toute forme de progrès de l'industrie et un développement de l'économie de la connaissance exigerait plus de démocratie. De ce point de vue, la situation est sans doute plus favorable en Tunisie, pays déjà ouvert sur le monde avec une population mieux formée, qu'en Égypte où le système traditionnel se maintient.

En Syrie et en Egypte, les municipalités, qui sont élues dans le cadre du parti unique, ont peu de pouvoir . Elles cherchent parfois à améliorer la situation, mais elles n'ont que peu de marges d'action et l'Etat ne s'occupe des banlieues que lorsqu'il y a des problèmes. C'est sans doute en Jordanie, à Amman, qu'il y a une réflexion sérieuse sur l'évolution de l'urbanisme ; le souverain éclairé a facilité la venue de consultants ; des infrastructures routières ont été créées et des terrains viabilisés. Dans les autres pays, les services urbains et les infrastructures ne sont réalisés qu'en échange d'une forme d'allégeance politique des habitants.

En Syrie, à côté des universités publiques qui sont peu coûteuses et qui drainent des masses d'étudiants, des universités privées, où la scolarité est très coûteuse, ont été installées en dehors des centres villes pour éviter officiellement la concurrence avec les universités publiques. Officieusement il s'agit d'éviter l'affichage d'un système universitaire à deux vitesses qui ne correspond pas aux idéaux défendus par le parti Baath.

Les préoccupations environnementales sont marginales . Les architectes répondent aux commandes, mais ils ne développent pas de réflexions prospectives sur l'étalement urbain et les banlieues. Un travail de thèse a été mené sur la ville d'Alep qui sera communiqué au rapporteur. La banlieue est en fait une forme d'urbanisation par le bas qui, par la force des choses, tend progressivement à s'intégrer dans la ville.

Les centres mondialisés, pour échapper au magma urbain des quartiers de villes informels, ont tendance à se déplacer vers les périphéries des grandes agglomérations. C'est dans ces périphéries que se développent de plus en plus des « gated communities » lesquelles contribuent à l'accroissement de la ségrégation sociale.

Devant cette avancée inexorable de la ville informelle et des quartiers misérables, on constate une forme de fatalisme ; c'est le résultat d'un système de pouvoir en place qui ne peut changer à court ou même à moyen terme. C'est ainsi que depuis dix ans, il n'y a plus de plan directeur d'urbanisme à Damas.

Le système urbain ressemble beaucoup au modèle européen des années 50 avec le rôle primordial de l'automobile . Le tramway qui empièterait sur les rues dédiées aux voitures, le vélo ou d'autres formes de déplacements plus écologiques, sont considérés comme des curiosités baroques. Sans doute faudra-t-il que ces villes rencontrent un mur pour qu'un autre modèle soit envisagé.

Pour l'instant, les classes dirigeantes du Proche et du Moyen-Orient plébiscitent le modèle globalisé de Dubaï qui est un modèle énergivore (déplacements par voitures, climatisation, grands axes surchauffés, étalement urbain etc....). Le prix de l'énergie n'est pas encore une donnée prise en compte. Il n'y a pas encore de prise de conscience de la nécessité de changer de modèle de développement urbain. Mais ce qui fonctionne à Dubaï parce que les infrastructures - et notamment les réseaux - existent et sont entretenus, ne fonctionne pas nécessairement dans les villes du Moyen-Orient où le quartier de la mondialisation est plaqué sur un ensemble urbain préexistant. Nous assistons à une déconnection des services urbains entre les quartiers de la mondialisation et le reste du tissu urbain.

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