LE POINT DE VUE DE L'ASSEMBLÉE DES COMMUNAUTÉS DE FRANCE
Communication de M. Dominique BRAYE
L'AdCF a pris connaissance de la quasi-totalité des projets de schémas départementaux de la coopération intercommunale (SDCI) présentés par les préfets devant les CDCI entre fin avril et fin mai. Une première analyse synthétique des documents a été présentée et débattue par son conseil d'administration le 12 mai. Une journée nationale de l'AdCF est consacrée à ce sujet mercredi 22 juin pour éclairer la phase de délibération des communes et communautés et préparer la phase ultérieure d'examen et d'amendement par les CDCI des propositions de l'Etat.
Sur l'ensemble des projets de SDCI (près de 90) analysés par l'AdCF, la tendance générale constatée est celle d'un degré d'ambition assez marqué des préfets pour achever la carte de l'intercommunalité mais, surtout, pour en rationaliser les contours et réduire le nombre de syndicats techniques. L'AdCF recense plusieurs centaines de suggestions de fusions de communautés qui conduiraient à un taux de réduction d'environ 35 % du nombre de communautés. Il serait de 32 % pour le nombre de syndicats mais il convient de noter des différences d'écriture des documents à ce sujet ; certaines suppressions, fusions ou absorptions de syndicats étant présentées comme optionnelles ou laissées à l'appréciation des élus concernés.
Dans son document d'analyse, l'AdCF a constaté néanmoins la très forte hétérogénéité des documents initiaux des préfets tant sur le plan formel que propositionnel.
Sur le plan formel, certains projets s'en tiennent à quelques pages (cf. Calvados, Lozère...), là ou d'autres constituent des documents très substantiels (Cf. Nord, Isère...) accompagnés de nombreux documents cartographiques et annexes. De nombreux projets de SDCI s'efforcent, dans l'esprit de la loi, de proposer une analyse fine des périmètres intercommunaux au regard des bassins de vie, des critères de solidarité fiscale et financière, de l'exercice des compétences... Quelques projets sont en revanche très pauvres en termes de diagnostic et proposent des évolutions qui peuvent sembler insuffisamment justifiées. Plusieurs documents semblent s'en tenir à l'objectif d'achèvement de la carte et de franchissement du seuil des 5 000 habitants par les communautés, négligeant l'effort de cohérence recherché avec les bassins de vie.
Sur le plan propositionnel, l'AdCF a constaté plusieurs tendances dominantes qui, naturellement, connaissent des contre-exemples :
- les préfets ont veillé dans la plupart des cas à limiter les hypothèses de « démembrement » de communautés existantes pour privilégier des rapprochements respectant l'intégrité des communautés initiales,
- les propositions de périmètres inter-départementaux sont relativement rares et, dans quelques cas, donnent lieu à des divergences entre projets de SDCI (cf. Vaucluse/Bouches-du-Rhône sur le devenir du Sud-Luberon),
- un travail de qualité a été en général conduit sur l'activité des syndicats intercommunaux et l'identification des grandes familles pouvant connaître des rationalisations (production d'eau, scolaire, syndicats primaires d'électrification quand ils demeurent...),
- les propositions de constituer des très grandes communautés (60 communes et plus), à l'échelle des pays ou des SCOT, sont plutôt rares même si plusieurs projets de SDCI vont dans ce sens (Nord, Pas-de-Calais, Lot...) en négligeant parfois le caractère opérationnel et « gouvernable »,
plus d'une vingtaine de créations de communautés d'agglomération supplémentaires est envisagée à travers l'extension des communautés existantes mais également la disposition relative aux chefs-lieux de département (ex. : Digne, Lons-le-Saunier...),
- les périmètres des grandes communautés urbaines et d'agglomération sont fréquemment marqués par le choix du statu quo (ou d'évolutions à la marge) ; les extensions importantes concernant plutôt des petites ou moyennes agglomérations (cf. Roanne, Blois, Brive, Carcassonne...). Parmi les grandes agglomérations dont est programmée l'extension, l'AdCF a néanmoins recensé les cas de Bordeaux, Toulon, Nice...
- Seulement trois hypothèses de métropoles sont évoquées dans les projets de SDCI (Nice, Bordeaux, Strasbourg...) mais les projets de SDCI font référence à plusieurs projets de pôles métropolitains envisagés par les communautés.
En ce qui concerne la concertation menée en amont avec les élus mais également les réactions suscitées par les projets préfectoraux, l'AdCF constate là aussi une assez forte hétérogénéité. Il reste que de nombreux adhérents de l'AdCF font état d'un effort réel de concertation préalable par les préfets. Les documents analysés mentionnent souvent les nombreuses réunions tenues, parfois à l'échelle des arrondissements, et font même parfois état directement des positions exprimées par les élus sur certaines options de rattachement de communes ou fusions de communautés.
Dans quelques départements, les élus ont considéré la concertation insuffisante voire inexistante et le travail de l'Etat réalisé de manière trop unilatérale, ou en liaison avec les seuls « grands élus » du département. Ces départements sont ceux au sein desquels la présentation du document devant la CDCI a été la plus mouvementée.
Plusieurs questions récurrentes sont aujourd'hui posées par les élus :
- le périmètre des sujets sur lesquels il leur est demandé de délibérer dans le délai de trois mois (ensemble du SDCI ou sujets les concernant directement),
- la difficulté à disposer de simulations financières fiables sur les incidences des recompositions de périmètres,
- la date d'entrée en vigueur des nouvelles règles de plafonnement de la taille du conseil communautaire et du nombre de vice-présidents,
- les conditions d'exercice des pouvoirs renforcés des préfets en 2012 puis en 2013 (notamment pour imposer une fusion dont les élus ne voudraient pas).
L'AdCF constate que les capacités des CDCI à réunir les deux tiers de leurs membres sur des projets alternatifs à ceux proposés par les préfets seront extrêmement inégales. Il n'est pas exclu que les CDCI parviennent dans certains cas à refuser l'adoption du projet de SDCI présenté par le préfet (règle de majorité simple) sans être en mesure pour autant de présenter un document alternatif. Il faudra par conséquent analyser avec une acuité particulière les situations départementales dans lesquelles les préfets auront à prendre des initiatives en dehors de tout schéma.
De manière générale, le conseil d'administration de l'AdCF a souhaité que soit donnée une réelle ambition au SDCI pour tendre vers des communautés cohérentes avec les bassins de vie et capables de porter un véritable projet de développement. Cette ambition doit néanmoins être conjuguée avec le principe de réalité qui milite pour que les fusions de communautés reposent sur une adhésion locale forte et un effort de conviction. Compte tenu de la nécessité d'assurer le bon fonctionnement ultérieur de la communauté (redéfinition des statuts, réorganisations administratives, élaboration d'un projet de territoire, harmonisation fiscale...), il est peu envisageable de programmer des fusions qui ne reposeraient sur aucune volonté locale. Par ailleurs, il convient d'être conscients que certains projets de fusion, notamment les plus complexes, prendront du temps compte tenu de la forte hétérogénéité des compétences exercées par les communautés concernées et de leurs modalités d'organisation administrative. Un effort de convergence préalable sera parfois nécessaire. Certains projets de SDCI ont à cet égard le mérite de vérifier la faisabilité de leurs propositions (analyse comparée des compétences et des potentiels financiers) pour en définir un calendrier de mise en oeuvre réaliste.
L'AdCF a donc souhaité que soient clairement distingués les objectifs à poursuivre et mettre en oeuvre dans les temps courts (d'ici 2013), des objectifs de moyen terme qui peuvent faire consensus sur le fond mais qui nécessiteront un temps de préparation incompressible. Les incertitudes suscitées par la réforme de la fiscalité locale contribuent à susciter cette demande d'une mise en oeuvre en deux temps.
Au demeurant, l'AdCF considère que les évolutions de la carte intercommunale seront progressivement de plus en plus difficiles à assurer, compte tenu des évolutions de la fiscalité communautaire mais également du renforcement des projets et compétences intercommunaux. Elle souhaite par conséquent que soit avancée la « clause de revoyure » prévue par la loi RCT du 16 décembre 2010. Prévue tous les six ans, cette « revoyure » devrait être plutôt programmée dans la première partie du mandat prochain (actualisation du SDCI en 2015 et pouvoirs renforcés des préfets en 2016, plutôt que 2017 et 2018).
LES CONCLUSIONS DE VOTRE DÉLÉGATION
La phase de préparation des projets de SDCI par les préfets s'achève dans un climat qui, d'une manière générale, et sans négliger certaines difficultés plus ou moins prégnantes selon les départements, invite plutôt à l'optimisme.
Néanmoins, l'essai, pour être transformé (et pour que la saine entreprise d'achèvement et de rationalisation de la carte intercommunale soit pleinement réussie), suppose certains préalables :
1. Des simulations précises et rapidement disponibles sur les conséquences des projets de SDCI, notamment en cas de fusion d'EPCI à systèmes fiscaux différents, tant en ce qui concerne leurs implications financières et fiscales qu'au regard de leurs effets sur les dotations de l'État
Votre Délégation est parfaitement consciente des difficultés d'un tel exercice, dans un contexte de profonde modification du cadre législatif. Il ne lui semble cependant pas impossible et s'avère en tout état de cause indispensable : l'esprit de coopération avec les élus locaux, correspondant au voeu clairement exprimé du législateur et relayé par le Gouvernement, serait évidemment vidé de sa substance si les principaux intéressés devaient émettre des avis « à l'aveuglette » qui auraient, dans le futur, des effets négatifs qui n'auraient pas été envisagés au moment de la fusion.
2. Un assouplissement des règles de création de syndicats de communes pour éviter, tout particulièrement dans les grandes intercommunalités envisagées, un alignement par le bas des compétences mutualisées
Le risque a été souligné de voir, en cas de fusion d'EPCI, les compétences de la nouvelle intercommunalité se limiter au plus petit commun dénominateur des compétences qui avaient été transférées aux intercommunalités appelées à fusionner ; il en résulterait alors la possibilité d'une remise en cause de certaines compétences optionnelles et de nombreuses compétences optionnelles (puisqu'il sera exceptionnel que celles-ci soient les mêmes dans tous les EPCI fusionnés).
C'est ainsi que l'on imagine mal que de très grands EPCI prennent en charge, par exemple, la compétence scolaire ; sauf à trouver une solution de substitution, cette compétence retournerait alors aux communes membres. Il y aurait donc un véritable recul de la mutualisation en totale opposition avec l'esprit de la réforme de 2010.
La solution peut résider dans une « coopération renforcée » entre certaines communes au sein de la nouvelle intercommunalité sous la forme de syndicats de communes.
3. Une clause de revoyure sur les SDCI impérative pour l'année 2015
La loi de décembre 2010 exige une révision des SDCI « au moins tous les six ans ». Elle n'interdit donc pas formellement de réviser en 2014 ou 2015 des schémas adoptés en 2011. Mais elle ne l'impose pas non plus, si bien que, à l'heure où ils en débattront, les élus locaux n'auront pas l'assurance de pouvoir « rectifier le tir » avant 2017.
La perspective d'un rendez-vous plus précoce semble pourtant de nature à apaiser les esprits et à rassurer les élus réticents face à « la peur de l'inconnu ».
Telles est la raison pour laquelle il est souhaitable de prévoir dès aujourd'hui une clause de rendez-vous impérative en 2015 (qui donnerait donc une année entière, et même un peu plus, aux élus de 2014).
4. Le report à 2014 de l'application des nouvelles règles relatives à la gouvernance des EPCI
Il est impératif de lever la grave inquiétude née, chez beaucoup de responsables locaux, de la perspective de voir s'appliquer dès la création de nouveaux EPCI, autrement dit dès la mise en oeuvre des SDCI, les nouvelles règles de plafonnement de la taille des conseils communautaires et du nombre de vice-présidents.
Le ministre chargé des relations avec les collectivités territoriales a pris sur ce point, notamment devant le Sénat, des engagements clairs auxquels il conviendra donner corps dans le cadre du projet de loi n° 61.
Claude BELOT Jacqueline GOURAULT Dominique BRAYE