M. Jean-François Monteils,
secrétaire général du ministère de l'écologie,
du développement durable, des transports et du logement

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M. François Patriat , président . - Nous avons reçu M. Baroin il y a trois semaines : il a dressé un bilan élogieux de la RGPP. Lors d'une conférence de presse, il a indiqué qu'elle avait produit 7 milliards d'euros d'économies, bientôt 10 milliards. Selon lui, les trois objectifs ont été atteints, moindres dépenses, meilleure efficacité, réaménagement.

Nous avons entendu des élus locaux, maires ruraux, responsables d'intercommunalités, petites villes, départements, régions bientôt... Nous souhaiterions avoir votre sentiment sur les résultats de la RGPP, en particulier l'efficacité du service rendu aux territoires et l'amélioration des performances.

M. Jean-François Monteils, secrétaire général du ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement . - La RGPP a concerné l'ensemble du ministère et de ses opérateurs. Les nombreuses réformes ont touché tous les pans de l'action ministérielle. Mais le sujet le plus symbolique fut la réorganisation de l'administration territoriale, qui a eu un impact énorme sur ce ministère.

La réforme était pilotée par le secrétariat général. J'ai effectué de nombreuses visites sur le terrain. Nombre des objectifs sont à présent atteints, mais une marge d'amélioration subsiste, des gains sont encore possibles. Le Sénat, en juin 2000, avait publié un rapport d'information sur l'administration territoriale. Il estimait alors que « l'effet des restructurations est trop limité », que « trop de directions se côtoient dans un même département». Il mettait en avant l'expérimentation menée depuis 1997 dans quelques départements et appelait de ses voeux une simplification et un regroupement autour de quelques pôles : population, santé, sécurité, équipement, économie. Prescience de la Haute Assemblée, car c'est à présent le système en vigueur ! Mais il aura fallu plus de dix ans pour y parvenir.

Le point de départ était intéressant, ciblé sur les missions et non sur les économies de moyens. Je songe au pôle de l'équipement et aux actuelles directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), qui forment l'armature principale de l'administration locale de notre ministère. La dénomination est intéressante également. Elle n'aurait pas été choisie en 1997, mais entre temps, le vocable de développement durable a prospéré.

Les regroupements entre administrations devaient apporter lisibilité, rationalité d'organisation, évolution des missions. Depuis 1997, les enjeux socio-politiques et la demande sociale ont évolué. Avant tout, la réorganisation de l'administration territoriale de l'Etat a eu pour objet et pour effet de permettre au ministère de s'adapter à ses nouvelles missions. Les Dreal comprennent les anciennes Drire, Diren, DRE : mélange de cultures et de traditions difficile à opérer, jamais lancé à pareille échelle. L'effort a été gigantesque pour adapter les structures aux missions.

Le but essentiel de la RGPP et de la réorganisation était de permettre aux administrations de répondre à la nouvelle demande sociale et politique mais aussi d'être capables de répondre, dans l'avenir, à ce que l'on ne pouvait encore prévoir. C'est que les nouvelles structures étaient installées pour au moins trente ans !

Les demandes évoluent constamment. Celles touchant la protection des populations ont connu un bouleversement le 11 mars dernier... La nouvelle structuration en région répond bien à ces sujets. La Dreal de la région Paca, avec le Centre d'études techniques et de nombreux partenaires, vient de mener un remarquable travail sur « la sismicité et le risque nucléaire » : il est le fruit de la transversalité.

M. François Patriat , président . - M. Delaveau nous a parlé des PPRI : l'administration demande désormais que l'on prenne en compte les crues non pas centenaires mais millénaires. Qui l'a décidé : l'Etat ? Un fonctionnaire pris d'excès de zèle ? En Bourgogne, appliquer aux barrages sur les canaux le même type d'exigences a des conséquences terribles pour les collectivités locales, qu'il s'agisse des équipements sportifs, touristiques ou autre !

M. Jean-François Monteils. - C'est le ministre qui décide. Il détient l'autorité politique et décide en fonction des retours d'expérience, des travaux et études menés. La décision est proposée par les services ministériels mais j'hésiterais avant d'affirmer que l'instruction se substitue à l'autorité politique !

M. Gérard Bailly . - Mais un préfet prend sur le terrain une décision contraire à celle du ministre...

M. Jean-François Monteils. - Vous touchez du doigt un problème essentiel, l'articulation entre le préfet et les services territoriaux, la collaboration entre des services auparavant complètement séparés et qui se renvoyaient la balle. A présent, un seul guichet, une seule direction... Votre réflexion soulève la question de l'évolution de la décision. Notre ministère a une culture de discussion et de négociation. Le Grenelle de l'environnement a ainsi défini une gouvernance à cinq, société civile, ONG et associations, partenaires sociaux, élus, Etat. Aujourd'hui, les sujets sont complexes et exigent une fluidité dans la prise de décision et la mobilisation de partenariats.

M. François Patriat , président . - La réorganisation du ministère est pertinente, dites-vous, elle répond aux défis d'aujourd'hui. Dans cette nouvelle organisation, les directions régionales ont-elles les moyens de leurs missions ? Je songe à la délimitation des zones inondables, à une ouverture de carrière par une entreprise : la Drire sollicitée le 11 mars dernier fixe un rendez-vous le 2 mai prochain ! Y a-t-il moyen de répondre dans des délais normaux aux élus et aux acteurs économiques ?

M. Jean-François Monteils. - C'est la question que je me pose au quotidien, celle sur laquelle je devrai être jugé. Mais sans la réorganisation, les moyens humains auraient-ils été mieux adaptés ? Non. Il faut distinguer entre réorganisation et réduction des effectifs, une donnée avec laquelle il faut composer. On a demandé aux chefs de services de construire des directions départementales ou régionales en prenant en compte l'évolution des missions et la réduction des effectifs. C'est à peine imaginable. Mais en France, on ne réforme que lorsque l'on ne peut plus faire autrement.

Les moyens humains ne sont pas seulement quantitatifs. Sur le plan qualitatif, la réorganisation passe par un effort gigantesque de formation. Et une adaptation culturelle... Vous exprimez une frustration devant une attitude que l'on peut, certes, encore rencontrer. Les origines culturelles des agents sont hétérogènes. L'administration de l'équipement, qui avait toujours construit des routes et des ponts, a dû depuis trente ans faire face à un complet changement de missions : elle est déstabilisée.

Le ministère de l'écologie a longtemps compté très peu d'agents, travaillant sur des thématiques auxquelles personne ne croyait. On leur on disait « faites avec ce que vous avez », c'est-à-dire avec pas grand-chose. L'action administrative, pour eux, passe essentiellement par des réglementations coercitives.

Quant aux agents de la Drire, ils ont une culture industrielle, une conception proche de celle du ministère des finances : contrôle et accompagnement. Il faut opérer un mélange entre ces diverses origines pour forger une administration de solutions. Comment y parvenir ? Cela prendra du temps mais la mutation culturelle est indispensable, parallèlement à la réorganisation administrative. La mue concerne d'ailleurs l'Etat dans son entier.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Nos interlocuteurs précédents ont souligné la coexistence de deux mouvements en sens contraires au sein de l'Etat : désengagement et reprise en main. Tous ceux que nous avons interrogés nous ont dit ne pas avoir été associés au projet de RGPP. Actuellement, un fonctionnaire en retraite sur deux n'est pas remplacé. Pourtant, dans votre domaine, on observe une montée en puissance et des besoins, liés à la prégnance croissante des thématiques environnementales... Comment concilier les fonctions de contrôle et les fonctions de conseil ? Quels moyens avez-vous pour assurer l'accompagnement ?

La logique de la RGPP privilégie la région pour assumer la coordination et l'animation. Celles-ci sont confiées aux préfets de région. Mais la réalité budgétaire est différente, les crédits demeurent attribués ministère par ministère. Si sur un territoire un agent de la Dreal s'en va, si le préfet estime que l'on peut prélever un poste sur la Drac, comment faites-vous ?

M. Gérard Bailly . - Les services de l'environnement devraient être proches du terrain. Quand les agents de la Diren doivent se rendre à 120 kilomètres de Besançon sur un site classé, imaginez-vous l'émission de CO2 correspondante ? Pourquoi ces services sont-ils rattachés à l'administration régionale ?

M. Charles Revet . - Cette réorganisation était nécessaire, imposée notamment par les directives européennes. Avoir un interlocuteur unique coordonnant les actions de l'Etat était mon rêve ! Hélas, l'Etat n'assume plus l'une de ses deux principales missions sur le terrain, ayant abandonné l'accompagnement, l'aide à la maîtrise d'ouvrage, pour renforcer le contrôle -ce qui est peut-être une façon de reprendre les choses en mains ?

Les missions de contrôle et de conseil sont-elles incompatibles ? Je suis président d'un syndicat d'eau et d'assainissement. Nous avons voulu construire une unité de dénitritation : trois ans se sont écoulés entre l'appel d'offre et les travaux car l'administration ajoutait sans cesse une nouvelle exigence. Si nous avions été conseillés par l'administration au départ, les choses n'auraient pas traîné ainsi.

M. Jean-François Monteils. - Accompagnement et contrôle : ces deux rôles de l'Etat vous donnent l'impression d'un double mouvement de désengagement et de reprise en main. Il faut faire face à une baisse des effectifs sans que la qualité en souffre, et ce, alors que la nature des missions évolue. L'Etat aujourd'hui n'a plus une mission globale dans les territoires comme il y a cinquante ans. Il ne décide plus seul de l'opportunité d'une opération, de la pertinence d'un tracé ou d'une construction. Les problématiques sociales, environnementales, les questions de voisinage, de nuisances, sont de plus en plus présentes. On pourrait parler de nouvel engagement de l'Etat dans un cadre nouveau. Quoi qu'il en soit, le plus simple pour améliorer la qualité chimique des cours d'eau est encore d'édicter une interdiction : la reprise en main n'est pas forcément condamnable sur ces questions ! Les modes d'intervention continueront du reste à évoluer.

Vous décrivez un fonctionnement qui n'est pas encore optimal. Mais il faut aussi tenir compte du nécessaire apprentissage de l'Etat, confronté à de nouvelles exigences, de nouvelles problématiques. Naguère, s'il fallait installer un éclairage public, l'administration savait tout mettre en place, de la source d'énergie au réverbère. Or aujourd'hui, à peine est-on habitué à une réglementation qu'une nouvelle préoccupation prend le pas. Il importe donc de disposer d'une administration moderne et souple, c'est-à-dire des services regroupés qui sachent tirer le bon fil.

M. Charles Revet . - J'ai eu affaire à des sociétés d'équipement portuaire néerlandaises : en Hollande, lorsqu'un permis de construire est accordé, il est valable pendant cinq ans même si la réglementation change ; en France un changement de règle peut remettre en cause un permis accordé six mois auparavant !

M. Jean-François Monteils. - La durée de validité d'une autorisation est celle inscrite aux articles législatifs du code... Aux parlementaires de décider.

La ministre et le secrétaire d'Etat au logement réfléchissent à une révision du droit de l'urbanisme : le président de la République en a demandé la simplification, ce qui est un travail compliqué.

J'ai vu, dans le cadre d'autres fonctions, le fonctionnement de l'administration dans des pays comme l'Allemagne, les pays nordiques, la Hollande. Et je me félicite qu'une réglementation « tatillonne » nous ait assuré une qualité de vie et un aménagement du territoire que nos voisins nous envient.

L'Etat aurait-il été bien reçu s'il avait voulu être associé à la réorganisation des conseils généraux ?

Mme Michèle André . - Il ne s'en est pas privé !

M. Jean-François Monteils. - En France nous savons fort bien confondre concertation et blocage. Cette réforme était indispensable, elle devait être menée rapidement et énergiquement. Le rythme a été très rapide, les agents ont été bousculés, les habitudes de travail bouleversées. Il a fallu ramer. Mais enfin, la réforme est faite !

Montée des besoins, réduction des moyens, tel est effectivement le défi qui nous est lancé et pour y répondre il faut aborder les choses différemment : proposer des solutions bien bâties, accompagner, contrôler. Je ne dis pas que nous remplissons entièrement ces objectifs. Mais parmi les éléments très encourageants, je veux citer la transversalité dans les Dreal. La réorganisation est partie des structures puis a touché les missions -c'est qu'il est plus difficile de réformer les missions ! Aujourd'hui, il faut une adéquation entre les missions et les moyens et l'Etat s'est résolu à abandonner des missions pour lesquelles il n'avait pas forcément la meilleure légitimité.

La logique régionale de l'administration est-elle en contradiction avec la réforme des collectivités locales ? Je n'en suis pas certain. Les départements conservent au niveau de l'organisation administrative d'Etat une importance majeure. Les régions sont en charge du développement durable. On partait d'une conception simpliste de l'articulation entre la région et le département, « la première pilote, les autres exécutent » -passons sur les états d'âme des préfets. Aujourd'hui, on sait qu'un cours d'eau peut traverser plusieurs régions et que les missions relevant de l'environnement sont de niveau planétaire ; mais, de plus en plus, les départements exercent une vraie mission de proximité à haute valeur ajoutée. Ils ont une connaissance fine du terrain. Leurs cadres de haut niveau, leurs contrôleurs travaillent dans une administration de mission, plus concentrée mais en lien étroit avec le « back-office » régionalisé et mutualisé. La région exerce des missions d'expertise, de pilotage et de coordination, par sa vision d'ensemble elle est à même de donner de la cohérence aux actions menées.

L'administration préfectorale, traditionnellement, a tendance à estimer que tout procède du département mais celui-ci ne peut pas répondre à toutes les questions ; lesquelles exigent à la fois le pilotage par le préfet de département et l'expertise par la région -voire par le niveau zonal pour les questions de sécurité. Il faut poursuivre la réflexion sur l'articulation entre région et département, car le schéma préfectoral exagère la coupure entre les deux. Le préfet de région n'apprécie guère qu'un directeur de mon ministère s'adresse directement à une préfecture de département, mais le lien est pourtant indispensable : nous sommes donc encore loin du schéma ultime.

Les transferts de postes -je ne parle pas ici des agents mais des postes- sont possibles dans le cadre de l'autorisation parlementaire, c'est-à-dire le budget de chaque ministère. La mutualisation ouvre des possibilités mais le changement de périmètre se heurte à cette limite. Quant à l'échange d'agents, il pose une vraie difficulté, dés lors que la réorganisation intervient dans une période de réduction des moyens. Nos schémas d'emploi limitent la venue d'agents d'autres ministères. Cette absence de fluidité est un frein, incontestablement.

M. Charles Revet . - Comment les agences s'articulent-elles avec les nouvelles directions et la nouvelle organisation ?

M. Jean-François Monteils. - Ce ministère compte plus d'une centaine d'opérateurs et d'agences. Ils sont, comme la langue d'Esope, la meilleure et la pire des choses. Une agence, l'Ademe par exemple, c'est une politique publique bien identifiée, dotée de moyens précis. Lorsque le système dépasse la mission, lorsque l'agence devient technocratique, servant à sanctuariser des crédits ou prenant ses décisions hors le pilotage du préfet, des difficultés peuvent apparaître... Une réflexion pourrait être menée sur le pilotage des opérateurs. Mme Corinne Etaix qui m'accompagne aujourd'hui est la directrice du service du pilotage et de l'évolution des services ministériels -sur l'ensemble du territoire. Elle est chargée de coordonner le pilotage des opérateurs. Autrement dit, vos questions vont recevoir des réponses structurelles grâce à la création de ce service.

Mme Michèle André . - Je suis rapporteur spécial de la mission « Administration générale et territoriale de l'Etat » et je me suis livrée dans ce cadre à un contrôle approfondi du fonctionnement des préfectures. Je me suis rendue dans des préfectures de région, de département, de tailles variables. Chaque fois j'ai tenu à discuter sur place de la réorganisation. Je constate une difficulté des gros départements à admettre l'autorité de la préfecture de région, par exemple en région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Dans les différentes directions, les cultures sont très différentes. Le secrétariat général aux affaires régionales (Sgar) ajoute encore une autre problématique. Le ministère de l'intérieur a une culture d'ordre et de sécurité publique : lorsque l'on veut promouvoir un fonctionnement interministériel, est-il judicieux de placer tous les services sous sa tutelle ? Celle du Premier Ministre ne serait-elle pas plus indiquée ?

Dans le Puy-de-Dôme, les services de la Dreal ont mené sans en informer aucunement les élus locaux une étude sur une réserve nationale qui s'installerait sur le territoire Natura 2000. Ce fut un tollé quand la chose s'ébruita ! Le projet fut rejeté d'emblée. Les fonctionnaires de la direction régionale en furent malheureux. Ce fut un beau gâchis. Quand l'Etat intervient dans un cadre incompréhensible, quand on ne sait qui décide, quand un fonctionnaire sur deux disparaît, on cumule toutes les difficultés et cela n'est pas dans l'intérêt public. Reste alors au préfet de région à aller calmer les élus...

M. Jean-François Monteils. - Je partage votre avis à 100 % ! Les mutations ne sont pas seulement culturelles. Des répercussions importantes se font sentir sur le fonctionnement même des ministères régaliens. Et l'évolution que vous tracez ne résoudrait sans doute pas tout mais elle poserait le dernier clou de la construction en cours.

J'ajoute que, fort heureusement, ce n'est pas un poste de fonctionnaire sur deux qui disparaît, mais un fonctionnaire partant en retraite sur deux qui n'est pas remplacé. Ce n'est pas la même chose.

M. François Patriat , président . - Je sais le pouvoir immense qu'ont les parlementaires pour faire bouger les budgets... (Sourires)

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