MM. Daniel Delaveau, président,
et Christophe Bernard, secrétaire général,
de l'assemblée des communautés de France (AdCF)

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M. François Patriat , président . - Nous auditionnons maintenant M. Daniel Delaveau, président de l'assemblée des communautés de France (ACDF), ainsi que M. Christophe Bernard, secrétaire général. Messieurs, quel bilan faites-vous de la RGPP ?

M. Daniel Delaveau, président de l'assemblée des communautés de France (AdCF). - Pour être vécue diversement dans les territoires, la RGPP fait l'objet de bien des critiques : les élus intercommunaux constatent un désengagement de l'Etat, en particulier pour l'expertise technique, et ils relient souvent ce qu'ils appellent une « déliquescence » des services extérieurs de l'Etat, à une réaffirmation du contrôle étatique, qui devient parfois tatillon. Je crois ne rien vous apprendre par ce constat, qui est aussi fait par le Médiateur de la République. Chacun convient que la modernisation de l'Etat est un défi à relever, mais l'approche seulement financière est trop réductrice pour tenir lieu de politique. Ce qu'il faut faire plutôt, c'est adapter l'administration territoriale aux évolutions de la société, objectif qui ne saurait se contenter du chas de l'approche comptable.

L'intercommunalité est bien souvent l'échelle pertinente de l'action territoriale, mais les institutions intercommunales sont trop souvent décriées au motif qu'elles exerceraient des compétences qui relèveraient de l'Etat lui-même, en le doublonnant, et l'inflation normative ajoute de la difficulté à la bonne administration territoriale. Je crois qu'il faut tirer davantage les conséquences de la décentralisation, en demandant à l'Etat de se focaliser sur ses missions régaliennes et en aidant les collectivités locales, en particulier les intercommunalités, à gérer leurs territoires.

M. François Patriat , président . - Vous dites qu'il y a des doublons, mais l'Etat, selon vous, assume-t-il correctement ses missions régaliennes ?

M. Daniel Delaveau. - Sur ses missions régaliennes mêmes, l'Etat a désormais besoin de ses partenaires territoriaux et il ne saurait leur imposer des décisions. Mais quand il n'assume pas entièrement ses compétences, les citoyens se retournent naturellement vers les collectivités locales, ce qui nous force à agir. On le voit par exemple en matière de droit d'asile : des collectivités mobilisent des logements d'urgence, alors que la compétence est entièrement entre les mains de l'Etat, qui ne le fait pas. De fait, les agents territoriaux de l'Etat déplorent eux-mêmes la déliquescence des services extérieurs de l'Etat, le constat est unanime.

M. Christophe Bernard, secrétaire général de l'AdCF. - La RGPP a directement visé les missions régaliennes de l'Etat -en supprimant des casernes, des palais de justice, des trésoreries-, avec des conséquences évidentes pour les territoires, elle a aussi diminué considérablement les moyens d'expertise de l'Etat, mais celui-ci paraît se faire plus tatillon dans le contrôle de règlements toujours plus nombreux, notamment dans le domaine de l'environnement. C'est cette disjonction que les élus intercommunaux critiquent.

M. Daniel Delaveau. - Nous constatons diverses formes de recentralisation, une volonté de l'Etat de contrôler davantage l'action publique à mesure qu'il diminue sa participation -c'est le cas avec « l'agencification », la multiplication d'agences nationales, par exemple l'ANRU, qui enjoignent aux collectivités d'agir dans telle ou telle direction, définie à l'échelle nationale, ou encore avec des appels à projets, qui font dépendre le soutien étatique de la poursuite de tel ou tel objectif défini sans tenir compte des contextes locaux. Nous avons le sentiment que moins l'Etat a de moyens, plus il paraît vouloir contrôler, tout en tâchant d'accréditer l'idée que les collectivités locales seraient dispendieuses et mal gérées.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Vous nous donnez votre impression, mais nous avons besoin de faits : avez-vous des éléments plus tangibles ? N'est-ce pas contradictoire, ensuite, de dire que l'Etat retire des moyens, et qu'il contrôle davantage ? La décentralisation implique un certain retrait de l'Etat, c'est légitime ; mais l'Etat exerce-t-il correctement ses missions régaliennes ? Considérez-vous que les EPCI aient vocation à remplacer l'Etat dans les missions d'accompagnement et d'assistance à maîtrise d'ouvrage ?

M. Daniel Delaveau. - Pour citer Gilles Deleuze, je dirais que personne n'est jamais mort de ses contradictions, et si je vous dis mon sentiment vis-à-vis de la RGPP, sachez qu'il ne tombe pas des nues et qu'il se fonde sur des réalités. Un exemple : dans un dossier de construction, un fonctionnaire a exigé que le plan de prévention des risques d'inondation (PPRI) contienne une étude du risque de crues non pas centenaires, comme le prévoient les textes, mais millénaires ! Cet exemple est caricatural, il n'en n'est pas moins bien réel et il démontre que l'Etat entre parfois en contradiction avec les règles qu'il édicte.

Les EPCI jouent déjà un rôle important et peuvent aller bien plus loin. On le voit dans les politiques du logement, où ils sont délégataires de l'aide à la pierre et où les agglomérations mettent souvent plus de moyens que l'Etat lui-même. A côté de cela, dans le cadre de la politique de la ville, on assiste à des réunions pléthoriques pour distribuer de maigres subventions à des associations locales : c'est là qu'on mesure l'effet de la RGPP ! Ne serait-il pas plus simple et plus efficace de déléguer ces subventions aux territoires, en exerçant un contrôle a posteriori ? Les outils contractuels existent, au service d'une nouvelle étape de la décentralisation, qui passe par plus de confiance dans les administrations territoriales et par une meilleure reconnaissance du fait urbain, je songe en particulier à la métropole.

M. François Patriat , président . - Les intercommunalités ont-elles dû créer des services suite à un désengagement de l'Etat ?

M. Daniel Delaveau. - Oui, par exemple en matière d'urbanisme, où nos agences n'ont plus rien à envier aux services de l'Etat. C'est bien pourquoi je crois que la réforme territoriale doit s'appuyer sur des intercommunalités plus fortes, ou, selon les territoires, sur le département, qui peut devenir, comme le déclarait mon prédécesseur Marc Censi, « le Sénat des intercommunalités » et mutualiser bien des outils inaccessibles à chacune d'elles.

M. François Patriat , président . - Vous prônez le couple département-intercommunalités, comme nous prônons le couple Etat-régions...

M. Charles Revet . - Vous paraît-il possible que l'Etat, sans revenir aux missions de conseil et de maîtrise d'ouvrage telles qu'il les assumait il y a quinze ou vingt ans, puisse cependant aider les collectivités locales dans l'élaboration de leurs projets ? Ressentez-vous que les services extérieurs de l'Etat vont au-delà des exigences réglementaires, en particulier pour l'application du Grenelle ? S'agissant des marchés publics, que pensez-vous de l'idée de relever les seuils de déclenchement des appels d'offres, pour se rapprocher de ce que pratiquent nos voisins ? Ne pensez-vous pas que nous avons des progrès à faire sur la gestion même de certains de nos équipements publics ? Je pense à une piscine municipale sur mon territoire : elle est gérée par une association et nous nous en trouvons fort bien ! Enfin, n'y a-t-il pas une certaine redondance entre les départements, les communautés d'agglomération et les métropoles ?

M. Daniel Delaveau. - Je crois que l'Etat doit s'en tenir à exercer ses missions régaliennes et à contrôler la légalité de notre action.

M. Christophe Bernard. - La ligne de partage entre la pédagogie et la prescription est parfois ténue, de même que celle entre l'Etat concepteur et l'Etat accompagnateur.

M. Daniel Delaveau. - Ce qui gêne bien souvent les collectivités c'est l'enchevêtrement des procédures et des prescriptions sur un même dossier, qui fait perdre du temps et de l'efficacité. De fait, le délai de réalisation des projets s'est considérablement allongé.

M. François Patriat , président . - Par manque de moyens ?

M. Daniel Delaveau. - Je dirais plutôt par l'enchevêtrement des procédures.

Mme Valérie Létard . - Les collectivités ont souvent besoin d'une ingénierie à proximité, telle que l'Etat la leur apportait auparavant. Il s'agirait aujourd'hui, en quelque sorte, de coproduire les projets avec l'Etat, avec un conseil en amont, de telle sorte qu'on ne se heurte pas à une opposition qui apparaît en fin de parcours, par le contrôle, et qui nous oblige à revoir tout le dossier. Une telle procédure est-elle envisageable ?

M. Daniel Delaveau. - On parle de l'Etat au singulier, mais les difficultés concrètes tiennent à ce que l'Etat est pluriel : trop souvent, des services n'interprètent pas les règles de la même façon et nous devons recourir à l'arbitrage du préfet.

M. Gérard Bailly . - Mais qui est l'Etat, aujourd'hui ? Le ministre, le préfet, l'attaché de préfecture zélé ? Qui a exigé, dans le dossier que vous citez, qu'on tienne compte d'une crue millénaire ? Pour l'avenir, ne croyez-vous pas que la coordination de l'action revienne à la direction départementale des territoires ?

M. François Patriat , président . - Le Parlement vote la loi, l'administration applique la réglementation, constatez-vous des décalages territoriaux ?

M. Charles Revet . - J'ai décidé de construire une unité de dénitratation des eaux, rendue nécessaire par la réglementation. Mon appel d'offres est terminé depuis trois ans, mais nous commençons tout juste les travaux, ceci parce que nous avons rencontré à chaque étape de nouvelles obligations, dont nous n'avions pas été informés : nous avons besoin d'un mode d'emploi et nous perdrions moins de temps si l'on nous disait les choses en début de projet !

M. Daniel Delaveau. - La crue millénaire, c'était un service de l'Etat, et j'ai dû remonter au Préfet pour régler le problème.

L'Etat a-t-il les moyens de ses politiques ? Je crois que c'est le problème et qu'il est complexe puisqu'il inclut celui de la modernisation de l'action publique. Ce que nous constatons, c'est le dépit des fonctionnaires eux-mêmes, qui nous disent ne plus avoir suffisamment de moyens pour remplir leurs missions, ou encore leur frustration de ne plus être considérés pour leurs compétences.

M. Michel Bécot . - Vous nous parlez de déliquescence technique des services de l'Etat et d'une « recentralisation » via les agences nationales, les appels à projets ou la contractualisation. Cependant, dès lors que la décentralisation se met en place, comment vous donner plus de moyens pour développer vos propres services ?

M. Daniel Delaveau. - De fait, une mutation est en cours, où se définit une nouvelle action publique territoriale. Je crois beaucoup, pour y parvenir, à la contractualisation, dans son sens plein et entier, celui où le contrat rassemble deux partenaires qui respectent chacun les compétences et les responsabilités de l'autre. Les contrats de plan Etat-région ont montré la voie, celle d'un Etat stratège et animateur.

M. Michel Bécot . - Cependant, pour que cela fonctionne, il faut que l'Etat ait une vision à long terme, ce dont il paraît dépourvu actuellement : cette vision à long terme est davantage du côté des collectivités locales.

M. Daniel Delaveau. - L'idée de contrat renvoie au projet, à la définition d'objectifs, non à la notion d'administration courante.

M. Christophe Bernard. - Le contrat est le point de rencontre entre des objectifs nationaux légitimes de l'Etat - ceux définis par le Grenelle de l'environnement par exemple - et la territorialisation assumée par les collectivités.

Mme Valérie Létard . - La contractualisation est très intéressante pour la politique de la ville et l'accompagnement des populations. Or chaque année les dotations aux associations sont remises en question et chaque année l'Etat, les départements, les communes et les intercommunalités déploient des efforts considérables pour fixer à nouveau le budget de ces partenaires. Donnons-leur une sécurité budgétaire ! Nous l'avons expérimenté dans le Nord-Pas-de-Calais sur certains sujets sociaux, c'est parfaitement envisageable.

Avec les intercommunalités, nous réfléchissons à l'aide que nous pouvons apporter aux territoires en difficulté. Nous avons ainsi décidé de créer un pôle métropolitain : en effet, notre communauté d'agglomération est entourée de nombreuses petites intercommunalités dépourvues de moyens, en ingénierie tout particulièrement. Un syndicat mixte sert à mutualiser les moyens. Il faut optimiser l'action des collectivités, d'autant que les bons projets sont ceux qui sont présentés au bon moment... Lorsque l'Etat n'est plus là, une solution souple comme celle du pôle est intéressante.

M. Charles Revet . - Je suis bien d'accord.

Mme Valérie Létard . - Et l'on peut alors vraiment parler de coproduction ; on traite presque d'égal à égal avec l'Etat.

M. Daniel Delaveau . - Les pôles métropolitains ont le grand mérite de renforcer l'approche territoriale sur des sujets où celle-ci est très nécessaire.

M. François Patriat , président . - Quels sont les effets sur les intercommunalités de la réforme des cartes, militaire, judiciaire, scolaire, hospitalière ?

En 1989, j'étais maire d'une petite commune, sur le territoire de laquelle un groupe étranger investissait 300 millions de francs pour ériger un complexe hôtelier de luxe, avec un golf : je sentais que les difficultés allaient s'accumuler à mesure que le projet se développait. Je m'en suis ouvert au préfet de Bourgogne d'alors, Edouard Lacroix. Il a réuni tous les services concernés dans un local de la commune -jeunesse et sports, culture, DDE, DDA- et il nous a annoncé que nous sortirions de ce conclave... lorsque tous les problèmes seraient réglés. Le soir, tout était fini. Cela serait-il encore possible aujourd'hui ?

M. Daniel Delaveau. - J'ai bien connu le préfet Lacroix et cette anecdote ne m'étonne nullement !

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