DEUXIÈME PARTIE - LE MEDIATOR, LEVIER D'UNE RÉFORME AMBITIEUSE DU SYSTÈME DU MÉDICAMENT EN FRANCE

Après l'analyse des dysfonctionnements révélés par le cas du Mediator, et avec le recul apporté par plus d'une décennie de réflexion sur les insuffisances touchant le parcours des médicaments, la mission commune d'information s'est attachée à dessiner les contours d'une réforme adaptée répondant ainsi au diagnostic posé.

Entre les partisans de simples correctifs au dispositif actuel et ceux d'une remise à plat complète, la mission a privilégié une voie à la fois « révolutionnaire » et « pragmatique » : recommander un ensemble de mesures garantissant la prise en compte prioritaire des objectifs de santé publique dans toutes les décisions publiques touchant le médicament, d'une part et permettant la diffusion d'une culture de pharmacovigilance élargie à l'ensemble de la société, d'autre part.

Elle considère que pour réussir cette réforme devra impliquer toutes les parties prenantes : patients, professionnels de santé, autorités sanitaires.

I. GARANTIR LA PRIORITÉ DES OBJECTIFS DE SANTÉ PUBLIQUE DANS L'ENSEMBLE DU CIRCUIT ADMINISTRATIF DU MÉDICAMENT

La mission commune d'information a estimé que l'analyse des mécanismes ayant conduit au retrait du Mediator démontrait l'urgence et la nécessité d'une réforme en profondeur du système administratif d'évaluation et de contrôle du médicament dans notre pays.

Mais elle a également considéré qu'il serait inapproprié d'envisager de faire « table rase » des structures actuelles dans lesquelles des personnels exercent leur travail avec conscience et compétences, en respectant un cadre administratif et légal déjà assez contraignant.

Après un rappel de ce cadre, les grandes lignes de la réforme proposée seront exposées.

A. AFFERMIR LES FONDEMENTS JURIDIQUES ET DÉONTOLOGIQUES DE L'ACTION DES INSTANCES INTERVENANT DANS LE DOMAINE DU MÉDICAMENT

La rénovation du système passe prioritairement par le respect d'un cadre déontologique affermi, lequel est lui-même enserré dans des règles de nature constitutionnelle qu'il convient de rappeler ici.

1. Les limites juridiques à l'action administrative

L'action de police sanitaire dans le domaine des produits de santé et de la cosmétique découle d'un des principes particulièrement nécessaires à notre temps proclamés par le Préambule de la Constitution de 1946 : la Nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé » 157 ( * ) .

a) Des principes limitatifs

Ce principe doit être concilié avec un autre, doublement consacré par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le droit de propriété 158 ( * ) . En l'occurrence, ce droit est celui des firmes pharmaceutiques titulaires d'un brevet leur garantissant l'exclusivité d'exploitation d'une molécule pendant une période de vingt à vingt-cinq ans.

Les brevets relatifs aux médicaments sont une création relativement récente liée au développement de l'industrie du médicament dans l'après-guerre et ils ne sont rentrés dans le droit commun de la propriété intellectuelle, que très récemment, en 1968 159 ( * ) . Les brevets découlent d'une double nécessité publique : favoriser l'investissement dans la recherche par la garantie d'un retour sous forme de profits commerciaux, et encourager l'innovation en assortissant la protection des droits de propriété de l'obligation de divulguer l'invention.

Le droit de propriété des industriels sur les médicaments qu'ils élaborent et produisent est limité par la nécessité d'obtenir de l'Afssaps une autorisation de mise sur le marché (AMM) soumise à l'évaluation du rapport bénéfices-risques lié au produit . Le Leem, représentant des industries du médicament, estime à dix ans en moyenne le temps d'étude puis d'élaboration du dossier d'AMM, ce qui réduirait la durée de l'exploitation commerciale exclusive à dix ans, un brevet d'exploitation commerciale étant accordé pour vingt ans. En raison de cette spécificité liée à la sécurité du médicament qui impose une phase pré-commerciale particulièrement longue, les industriels peuvent obtenir un certificat complémentaire de protection d'une durée de cinq ans qui prolonge leur droit d'exploitation. La nécessité d'obtenir une AMM a donc des conséquences importantes sur l'exploitation d'un médicament, conséquences prises en compte par la possibilité de prolongement des droits exclusifs de propriété intellectuelle.

La suspension ou le retrait de l'AMM a également un impact commercial conséquent. Elles sont donc étroitement contrôlées par le juge communautaire et par le Conseil d'Etat. La décision de la Commission européenne de retirer un médicament du marché se prend sur recommandation de l'Agence européenne du médicament (EMA) et est soumise à la nécessité pour l'administration communautaire d'apporter la preuve que des connaissances scientifiques ou des données nouvelles, issues notamment de la pharmacovigilance, ont modifié les bases sur lesquelles l'AMM avait été accordée 160 ( * ) .

En France, l'article L. 5121-8 du code de la santé publique dispose que l'AMM est suspendue ou retirée dans des conditions déterminées par voie réglementaire et, en particulier, « lorsqu'il apparaît que l'évaluation des effets thérapeutiques positifs du médicament ou produit au regard des risques tels que définis au premier alinéa n'est pas considérée comme favorable dans les conditions normales d'emploi, que l'effet thérapeutique annoncé fait défaut ou que la spécialité n'a pas la composition qualitative et quantitative déclarée » . La nécessité d'établir que l'une ou plusieurs de ces conditions sont réunies incombe à l'Afssaps.

Cette nécessité est renforcée pour la suspension d'AMM qui, conformément au régime général des dispositions administratives pour lesquelles la procédure est allégée, est soumise au fait de prouver l'urgence de la décision. Il incombe dès lors à l'Afssaps d'apporter les « éléments établissant l'existence d'indices sérieux et concluants d'un risque grave pour la santé des patients, pour que la mesure de suspension [soit] justifiée par une situation d'urgence » , sous peine d'être regardée comme entachée d'une erreur manifeste d'appréciation 161 ( * ) .

Le contrôle du juge administratif est ainsi plus étroit pour les conditions de suspension que pour celles de retrait , à l'égard desquelles il se fonde sur l'appréciation des commissions de l'Afssaps et les résultats des études scientifiques qui ont servi de base à la décision 162 ( * ) . La contestation des signaux de pharmacovigilance, l'absence d'unanimité des experts ou d'étude scientifique prouvant l'existence d'un risque nouveau ou aggravé lié à l'usage du médicament fragilisent donc les fondements juridiques des décisions de suspension et de retrait d'un médicament de l'Afssaps. Il en résulte qu'en l'état du droit, de simples doutes ne peuvent pas permettre de retirer un médicament mis sur le marché, et ce quel que soit son niveau d'efficacité, dès lors que celle-ci n'est pas nulle. Ceci tend, de faut, à soumettre la sécurité sanitaire à la protection du droit de propriété.

A cette première limite légale à l'action de l'Afssaps, qui doit donc respecter le droit de propriété des industriels en apportant des preuves scientifiques suffisantes à l'appui de ses décisions de suspension ou de retrait d'un médicament, s'en ajoute une autre concernant l'usage du médicament .

Les médecins, en effet, ne sont pas tenus de suivre dans leurs prescriptions les usages déterminés par l'AMM. La liberté de prescription, fixée par l'article 8 du code de déontologie médicale (article R. 4127-8 du code de la santé publique) est également protégée par l'article L. 162-2 du code de la sécurité sociale. La prescription dite « hors AMM » a été présentée à la mission commune d'information comme une nécessité pour soigner certaines pathologies ou certains malades, suivant les données de la science, comme l'a notamment observé devant la mission d'information M. Bruno Toussaint, directeur de la revue Prescrire 163 ( * ) . Un exemple classique d'utilisation hors AMM est celui de l'aspirine utilisée pour soigner des maladies cardiovasculaires alors que sa mise sur le marché ne comportait que l'utilisation antalgique. L'Afssaps ne dispose donc d'aucun moyen d'interdire ces prescriptions et peut simplement agir par voie d'information des professionnels de santé et du public sur les effets indésirables, ainsi qu'elle l'a fait le 6 juin 2011 à propos de l'utilisation hors AMM du baclofène dans le traitement de l'alcoolo-dépendance 164 ( * ) . Ainsi, même si le directeur général de l'Afssaps décide, comme le prévoit l'article R. 5121-47 du code de la santé publique, de modifier d'office une AMM afin d'en restreindre le champ, l'agence ne peut obliger les praticiens à restreindre en conséquence leurs prescriptions. C'est alors la responsabilité du médecin prescripteur qui est en cause puisqu'il lui est interdit, en application de la loi du 4 mars 2002 165 ( * ) , de soumettre son patient à un risque inconsidéré et qu'il doit l'informer des risques qu'il encourt en acceptant le traitement 166 ( * ) .

Ainsi, l'Afssaps ne dispose pas d'un pouvoir discrétionnaire. Son action s'inscrit dans un cadre juridique qui défend des valeurs qui doivent être conciliées : la sécurité sanitaire, élément fondamental de la santé, que l'agence a pour mission spécifique de défendre, et le droit de propriété des laboratoires. La question se pose donc des règles de fonctionnement de l'Afssaps.

b) Le fonctionnement de l'Afssaps, instance décisionnaire

Etablissement public de l'Etat placé sous la tutelle du ministre chargé de la santé, l'Afssaps est un organisme administratif dépositaire d'un pouvoir autonome pour prendre des décisions individuelles en matière de sécurité sanitaire des produits de santé et des cosmétiques.

L'Afssaps n'est donc pas qu'une instance d'expertise. Par opposition à la HAS, elle est une instance décisionnaire. Son directeur général a pour mission de prendre les décisions nécessaires à la sécurité sanitaire. Ce pouvoir s'exerce dans le cadre légal applicable aux décisions administratives. Si le directeur général est libre de se déterminer par rapport aux avis des experts, son pouvoir est, cependant, strictement encadré. La mission ainsi confiée à l'Afssaps rend essentielle l'efficacité de son fonctionnement.

Pour prendre les décisions qui entrent dans son champ de compétences, elle doit être en mesure d'instruire les dossiers qui lui sont soumis, ce qui implique que les moyens matériels à sa disposition soient adéquats et son organisation efficace. Il importe, en effet, que les groupes d'experts puissent rendre leurs avis en ayant à leur disposition l'ensemble des éléments techniques. Cela implique que l'instruction des différentes pièces d'un dossier par les services ait été effective, ce qui suppose une bonne organisation des travaux et leur suivi. Comme l'a souligné le professeur Jean-Michel Alexandre, « l'administration n'est pas chargée d'évaluer les dossiers mais de servir de secrétariat, d'intendance, et de programmer le passage en séance des dossiers, prévoir un ordre du jour, veiller à la bonne tenue des réunions, faire un compte rendu, préparer les décisions pour le directeur général, veiller à ce que les études recommandées ou promises soient menées, convoquer s'il en est besoin des comités d'experts, autrement dit faciliter le travail. » 167 ( * ) Ces éléments d'infrastructure ne suffisent cependant pas à épuiser le caractère administratif de l'Afssaps, qui n'est pas simplement destinée à assurer l'intendance de groupes d'expertise.

Il appartient au directeur général, s'appuyant sur ses services, de s'assurer qu'il est répondu aux demandes d'informations des experts mais également d'assurer un suivi des dossiers et donc de signaler les dysfonctionnements constatés, ainsi, par exemple, le retard pris par une étude post-AMM. Veiller à ce que les experts soient consultés sur l'ensemble des points relatifs au suivi des médicaments et que les éléments nouveaux en ce domaine soient le plus rapidement possible portés à leur connaissance relève également de la responsabilité de l'administration. Elle agit donc comme garante du suivi de l'expertise.

Mais plus encore, elle doit dégager des avis des experts, une fois rendus, des décisions applicables. Or, cette mission, qui peut apparaître comme une simple transposition des avis rendus par la commission d'AMM quand il s'agit de l'autorisation d'un médicament, est particulièrement complexe quand le retrait d'un médicament est envisagé suite à un signal de pharmacovigilance.

Dans ce cas, il relève de la responsabilité administrative du directeur général de trancher, en limitant le plus possible les délais, les éventuelles divergences entre commissions d'experts, ceci afin de garantir que la santé des citoyens bénéficiera toujours du plus haut niveau de protection. Il importe donc, comme le relevait M. Michel Pot 168 ( * ) , ancien secrétaire général de l'Afssaps, que le directeur général assume ses responsabilités managériales et s'assure que l'Afssaps fonctionne d'une manière qui lui permette de prendre efficacement les décisions de santé publique nécessaires sans se trouver paralysée par les incertitudes ou les contradictions des experts.

Les moyens d'action de l'Afssaps sont donc soumis à l'efficacité de son administration, qui doit parvenir à prendre les décisions nécessaires à la protection de la santé publique, et par ailleurs limités par le cadre juridique qui lui impose d'apporter uniquement des limites scientifiquement justifiées au droit de propriété des laboratoires pharmaceutiques.

Ces éléments, moins connus du grand public que les questions de transparence des liens d'intérêts, doivent néanmoins être traités et faire l'objet d'un contrôle. Celui-ci incombe au ministère de la santé mais également au Parlement, notamment dans le cadre de ses contrôles budgétaires annuels.

La mission commune d'information souhaite donc que les rapports concernant les contrôles externes des agences sanitaires puissent être communiqués chaque année au Parlement , et singulièrement les rapports du Contrôle général économique et financier, qui assure un suivi permanent de l'activité des agences sanitaires.

2. Renforcer le cadre déontologique

Les règles de déontologie de la profession médicale et de l'expertise sanitaire sont anciennes. Plus que leur lettre, c'est la manière dont elles sont mises en oeuvre qui est appelée à évoluer , afin que soient renforcés le pluralisme des expertises, le principe de précaution et, avant tout, la transparence.

a) Mieux assurer la transparence

Le système français d'expertise se fonde sur les compétences des experts, dont la probité personnelle est présumée, et n'accordait jusqu'à récemment qu'une importance seconde à la transparence. Or celle-ci, sous l'influence du droit anglo-saxon 169 ( * ) repris par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, est devenue une exigence de plus en plus importante au cours des vingt dernières années.

Face au discrédit qui touche les institutions et les figures d'autorité, le principe de transparence peut permettre de dissiper le soupçon de partialité qui s'attache aux décisions publiques . Rendre disponibles l'ensemble des informations sur la prise de décision permet aux citoyens de s'assurer que c'est bien en toute indépendance et donc sans prendre en compte d'autres intérêts que ceux de la collectivité, que la décision a été prise. Ce principe s'applique tant aux personnes qu'aux procédures.

S'agissant des personnes , la transparence est garantie par la publication des liens d'intérêts de ceux qui sont appelés à participer à la prise d'une décision concernant le médicament.

La mission commune d'information propose que les déclarations d'intérêts des experts et des membres des commissions et collèges des agences sanitaires soient désormais adressées non plus aux agences elles-mêmes, mais à une instance extérieure indépendante. Celle-ci aurait pu être l'organisme prévu dans le volet gouvernance du Grenelle 170 ( * ) si elle avait été créée. Compte tenu de l'examen prochain d'un projet de loi relatif à la déontologie et la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique, qui crée une Autorité de déontologie , la mission suggère que celle-ci soit chargée du contrôle de l'expertise de santé publique.

Les principales missions de cette autorité indépendante de l'expertise seraient ainsi, en matière de santé publique : la rédaction de la charte de l'expertise, la définition des règles de recrutement des experts (de toutes les agences sanitaires), la mise en place de la formation des experts, le contrôle de l'indépendance des structures de formation et le contrôle des déclarations publiques d'intérêts (DPI).

Proposition n° 1

Confier le contrôle de l'expertise de santé publique
à l'Autorité de la déontologie de la vie publique

Il serait également utile d'introduire au sein de chaque agence, institut ou comité recourant à des experts, une cellule de veille déontologique, qui sera chargée de :

- suivre l'application de l'obligation de DPI pour les membres des commissions et des groupes de travail ainsi que pour les collaborateurs externes dans les organismes suivants : InVS, INPES, ABM, InCa, INSERM (pour des expertises scientifiques collectives), IRSN et ASN ;

- veiller à l'application des obligations législatives relatives à la gestion des conflits d'intérêts en séance par la mise en place d'un contrôle interne.

Proposition n° 2

Créer une cellule de veille déontologique auprès de chaque instance d'expertise sanitaire chargée du contrôle des déclarations publiques d'intérêts et de la gestion des conflits d'intérêts dans les réunions

Il conviendrait de compléter parallèlement le cadre déontologique. Il est nécessaire d'abord d'apporter une définition juridique plus précise de ce que sont les liens d'intérêts et surtout les conflits d'intérêts .

L'article R. 161-85 du code de la sécurité sociale relatif à la HAS, prévoit la publication de la déclaration des « liens, directs ou indirects, avec les entreprises ou établissements dont les produits entrent dans son champ de compétence, ainsi qu'avec les sociétés ou organismes de conseil intervenant dans ces secteurs », des personnes participant aux travaux de la HAS. La HAS, qui a développé une réflexion approfondie sur la question des liens d'intérêts, considère que ces liens sont constitués par la détention de capital au sein d'une des entreprises du secteur, de contrats avec elles ou de participation à des activités qu'elles financent.

Le fait de travailler dans une structure financée en tout ou partie par une entreprise, la détention d'un brevet dans le secteur ou l'existence de liens financiers entre un proche parent et une de ces entreprises sont également considérés comme des liens d'intérêts.

La mission ne sous-estime pas la difficulté de définir et cerner les situations. Jusqu'à quel degré d'éloignement entre l'entreprise et l'organisme pour lequel travaille l'expert le financement indirect doit-il être déclaré ? Qu'est-ce qu'un proche parent ? En théorie, les intérêts matériels et moraux peuvent avoir une définition extensive allant jusqu'à l'ensemble des liens de sociabilité, voire aux affinités intellectuelles. Or, prétendre faire la lumière sur ces liens est illusoire. Une définition juridique de ce qu'est un lien est donc nécessaire pour que chacun sache ce qu'il doit déclarer et que les déclarations puissent être contrôlées.

Par ailleurs, un lien d'intérêts ne constitue pas un conflit d'intérêts. C'est en fonction de la décision qui doit être prise qu'un lien peut devenir un conflit . Ici encore, l'absence de définition juridique de ce qu'est un conflit d'intérêts laisse une part importante à l'appréciation subjective des agences et des acteurs du système. On s'accorde en général à définir deux types de conflits, les conflits positifs, qui peuvent pousser à prendre une décision favorable, et les conflits négatifs, qui incitent à un refus fondé sur les intérêts personnels et non sur l'objectivité scientifique.

Un accord sur ce qui constitue les liens et les conflits d'intérêts est donc un préalable nécessaire pour garantir que la publication des déclarations d'intérêts mette un terme à la contestation des décisions.

La mission commune préconise donc de :

- définir juridiquement les liens d'intérêts et le conflit d'intérêts ;

- instaurer un modèle unique de formulaire de déclaration d'intérêts ;

- publier la charte de déontologie en santé publique élaborée au sein du comité d'animation du système d'agences (Casa).

Proposition n° 3

Compléter le cadre déontologique

Afin de tirer les enseignements de l'affaire du Mediator, la mission propose par ailleurs de planifier les responsabilités, en décidant de :

- ne plus faire participer les représentants de l'industrie à toutes les commissions et groupes de travail de l'Afssaps et de la HAS, y compris à celles où leur présence est pour l'instant prévue par la réglementation (CNPV, CTPV et commission de la publicité essentiellement) ;

- mieux faire appliquer l'art. L. 1114-1 du code de la santé publique modifié par l'art. 74 de la loi HPST relatif à la publication des liens financiers entre les associations de patients et les entreprises prévoyant des sanctions à l'encontre des entreprises de santé qui ne le respectent pas et en étendre cette obligation à toutes les formes de prestations dont elles bénéficient ;

- prévoir que le directeur général de l'Afssaps ainsi que le président de la HAS, de l'InCA et de l'Inserm ne doivent pas avoir de liens d'intérêts . Cette absence de lien doit être effective au moment de leur nomination depuis 3 à 5 ans et doit être maintenue pendant les 3 à 5 années qui suivent la fin des fonctions, ces délais correspondant à ceux habituellement observés pour les règles de « pantouflage » des fonctionnaires du plan national et européen ;

- nommer le directeur général de l'Afssaps après publication d'une fiche de poste et appel à candidatures.

Proposition n° 4

Clarifier les responsabilités au sein des agences sanitaires

La mission estime que les principes applicables aux hauts fonctionnaires ayant exercé une tutelle sur le secteur économique doivent s'appliquer au domaine de la santé publique.

Tout haut fonctionnaire d'une autorité sanitaire, d'une administration centrale ou membre d'un cabinet ne devrait plus pouvoir aller « pantoufler » dans l'industrie pharmaceutique moins de cinq ans après son départ.

Elle propose en outre de :

- vérifier si la présence des hauts fonctionnaires, directeurs d'autorité sanitaire ou d'administration centrale à des conférences, symposiums, séminaires... financés par l'industrie pharmaceutique est compatible avec leur fonction ;

- prohiber pour les fonctionnaires les liens directs ou indirects avec des entreprises, établissements, organisations professionnelles, associations ou clubs de réflexion entrant dans le champ de compétence de l'administration à laquelle ils appartiennent ;

- veiller à l'application de l'art. L.1421-3-1 du code de la santé publique relatif aux déclarations publiques d'intérêts pour les membres des commissions ou instances rattachées au ministre chargé de la santé dans les mêmes conditions que pour les autres organismes. Cette mission serait confiée à la nouvelle Autorité de déontologie de la vie publique.

Proposition n° 5

Veiller à l'application de règles déontologiques
par les hauts fonctionnaires et les membres de cabinet

La mission souhaite également qu'un dispositif analogue au Sunshine Act soit introduit en droit français 171 ( * ) afin que les règles de transparence puissent être observées à la fois par le bénéficiaire et l'entreprise qui accorde cet avantage.

Tout avantage, cadeau, invitation et convention liant l'industrie du médicament, du matériel médical à des médecins, des infirmiers, des assistants médicaux, des experts, des responsables associatifs, des responsables politiques, des membres des cabinets ministériels, des économistes de la santé, des sociétés savantes, des organisations professionnelles (syndicats, unions régionales des professions de santé) ou des associations de malades ainsi que toutes les contributions financières versées aux unités de recherche médicale par les firmes pharmaceutiques, devraient être rendus publics par les entreprises de santé et consultables sur un registre unique, global et homogène, mis en ligne et facilement consultable. Ce registre serait géré par la future Haute Autorité de la déontologie susmentionnée. Des sanctions seraient prévues à l'encontre de l'entreprise en l'absence de déclaration ou en cas de déclaration inexacte ou incomplète.

Sunshine Act

I. Définition

Adoptée aux Etats-Unis en 2010 et connue sous le nom de Physician Payments Sunshine Provisions ou de Physician Sunshine Act , cette loi n'est que l'un des volets d'une série de textes de loi appelés Sunshine Laws .

Ces lois ont été mises en place à partir du milieu des années 70 afin d'apporter plus de transparence aux décisions prises par le gouvernement et l'administration fédérale américaine, mais aussi à celles des Etats eux-mêmes, en obligeant les autorités à mettre à la disposition du public les comptes rendus de réunions et les documents les ayant conduites à prendre telle ou telle décision.

Le Sunshine Act exige que tout fabricant de médicaments, de dispositifs, de matériels médicaux ou biologiques ainsi que tout groupement d'achats de ces mêmes produits, déclare tout paiement consenti à un médecin ou à un centre hospitalier universitaire.

Est aussi concerné tout organisme appartenant à l'industrie et intervenant d'une façon ou d'une autre dans la production, la préparation, le développement, l'élaboration, la transformation, la commercialisation, la promotion, la vente ou la distribution de ces produits.

II. Modalités

Les sociétés concernées sont tenues de déclarer les nom, adresse, numéro d'identification de l'hôpital ou du praticien.

Doivent aussi être impérativement précisées le montant du paiement, sa date et la nature précise du « service » fourni par le médecin, ainsi que sa spécialité.

De plus, si l'argent a été versé pour une prestation dans le cadre d'une conférence organisée dans le but de promouvoir un produit, dans le cadre d'une formation ou d'un congrès de recherche y ayant trait, la société doit divulguer le nom du produit que le médecin a mis en avant.

Il n'est pas seulement question de numéraire (versements d'honoraires, de primes, d'avances de frais ou de royalties pour l'exploitation d'un brevet), mais aussi des cadeaux, loisirs, repas, voyages, dons ou autres intéressements au capital d'une entreprise. Tout ce dont la valeur est supérieure à 10 dollars (un peu plus de 7 euros) doit être déclaré. Une dispense est accordée pour tout ce qui est inférieur à 10 dollars, à condition que le cumul de ces modestes versements ou cadeaux ne dépasse pas 100 dollars par an. D'autres exceptions sont aussi prévues comme les échantillons ou le prêt de matériel d'essai pendant moins de 90 jours.

Le texte ne concerne pas seulement les praticiens ou les hôpitaux universitaires. Lorsqu'un médecin ou sa famille proche détient des actions d'une société concernée, cette dernière doit remplir une déclaration indiquant le montant de l'investissement et les modalités qui s'y rapportent.

En parallèle de ces obligations, la loi prévoit des sanctions en cas de non-respect de ces dernières. Les sociétés qui ne s'exécuteront pas dans les temps ou qui oublieront de déclarer tel ou tel lien d'intérêts seront passibles d'une amende comprise entre 1 000 et 10 000 dollars pour chaque manquement constaté, sans que le total puisse excéder 150 000 dollars (près de 110 000 euros). Si ces omissions ont été volontaires, l'amende sera comprise entre 10 000 et 100 000 dollars, avec un montant maximum cumulé de 1 000 000 dollars (un peu plus de 700 000 euros).

Inséré dans le Patient Protection Affordable Care Act , l'une des lois sanitaires et sociales emblématiques du président Obama, le Sunshine Act a pour origine un amendement proposé par le sénateur républicain Charles Grassley en 2008. Il est prévu qu'il s'applique au 1 er janvier 2012 s'agissant des faits à déclarer et au 31 mars 2013 concernant les déclarations elles-mêmes. Les premières déclarations seront rendues publiques le 30 septembre 2013, puis tous les 30 juin des années suivantes.

Le public pourra accéder à ces données à l'aide d'un site Internet prévu à cet effet. L'internaute pourra les consulter en demandant à les voir classées par société, par médecin ou par spécialité, par exemple.

A noter que plusieurs laboratoires n'ont pas attendu 2013 pour révéler les sommes versées aux personnels de santé. On peut, pour les trois premiers trimestres de 2010, comptabiliser plus de 4 500 de ceux-ci sur le site Internet américain de GSK ; et si certains d'entre eux reçoivent 250 dollars, d'autres émargent à plus de 80 000 dollars.

Proposition n° 6

Mettre en place un registre public des avantages consentis
par l'industrie du médicament aux professionnels de santé
géré par l'Autorité de déontologie de la vie publique

La gestion des conflits d'intérêts étant aussi importante que leur identification, ce sont les procédures mises en place qui doivent garantir la transparence des décisions prises. Plusieurs mesures peuvent là encore être envisagées.

Le niveau d'exigence en ce domaine s'est considérablement accru au cours des dernières années, puisque la non-participation au vote d'une personne ayant un conflit d'intérêts, qui a longtemps été jugée suffisante, ne suffit plus à permettre de considérer que la décision prise l'a été de manière indépendante. Il convient désormais, comme pour la cession d'un bien public ou la passation d'un marché public, que ceux qui ont un lien d'intérêts ne participent pas à l'étude du dossier et soient absents lors de la décision.

Pour garantir la transparence de toutes les procédures concernant l'Afssaps et la HAS, elle propose donc :

- des auditions publiques et formalisées pour les laboratoires et les associations de patients ;

- des réunions des commissions d'AMM et de la commission de la transparence ouvertes à la presse et filmées avec des inserts pour chaque intervenant afin qu'il puisse être identifié, les vidéos réalisées étant mises en ligne dans un délai de deux semaines ;

- la réalisation d'un verbatim public de chaque réunion de commission avec la mention des opinions minoritaires et indication nominative des votes. Cette mesure a une double finalité : permettre l'information complète sur le processus de décision et valoriser les échanges contradictoires, la publicité favorisant la mise en avant du dissensus ;

- la publication des avis motivés de la commission de la transparence relatifs aux médicaments qui ne sont pas ou plus commercialisés est faite dans les mêmes conditions que pour les autres.

L'expression visible des avis divergents doit amener à renforcer le recours à l'expertise contradictoire et garantir l'utilisation de l'ensemble des sources scientifiques en diminuant le risque de parti pris. Il faut cependant être conscient du fait que la plus grande diversité des opinions est susceptible d'accroître sans doute le rôle de l'administration appelée à trancher entre les points de vue des experts.

Proposition n° 7

Garantir la transparence de toutes les procédures
concernant l'Afssaps et la HAS

b) Améliorer le fonctionnement interne des commissions et des groupes de travail

Il convient aussi d'améliorer le fonctionnement interne des commissions et des groupes de travail :

- la présidence des commissions et conseils visés à l'article L. 1451-1 du code de la santé publique devrait être confiée à des personnalités indépendantes sans liens d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique ;

- le nombre de groupes de travail de l'Afssaps sur le médicament doit être sensiblement réduit ; chaque groupe ne devrait pas comporter plus de quinze membres de profils variés ;

- le nombre de mandats sera limité à deux pour les présidents de commission et à trois pour les autres membres ;

- le rôle de l'expertise interne serait clarifié par l' identification nominative des experts et l'élaboration de fiches (papier ou électroniques) de suivi d'un avis qui indiquent les différentes étapes d'élaboration et les experts, tant internes qu'externes, qui y ont participé 172 ( * ) .

Renforcer le pluralisme au sein des groupes d'experts vise à faire apparaître l'ensemble des questions entourant un produit et à promouvoir le doute face aux certitudes peut-être trop rapidement acquises sur la nature d'une molécule, ses indications ou ses effets.

Ce doute doit bénéficier à la sécurité sanitaire, et donc au patient, en poussant les experts et les autorités sanitaires à une vigilance accrue. Il pourrait être transcrit en droit en permettant à l'Afssaps de prévenir un risque potentiel posé par un médicament pour la santé publique par le retrait de l'AMM.

L'application en matière de retrait de l'AMM 173 ( * ) du principe de précaution, reconnu depuis plusieurs années comme un principe fondamental du droit communautaire par la Cour de justice et le tribunal de première instance, pourrait ouvrir la voie à cette solution en droit français. L'une des solutions envisageables serait de proportionner le niveau de preuve requis pour la suspension ou le retrait de l'AMM à l'efficacité du médicament en cause , un médicament d'utilité très faible pouvant ainsi être facilement retiré du marché en cas de doute sur sa nocivité.

Proposition n° 8

Améliorer le fonctionnement interne des commissions
et des groupes de travail

Le renforcement du cadre déontologique des décisions relatives au médicament doit également s'appuyer sur la réforme du fonctionnement des agences.


* 157 Alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946.

* 158 L'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (DDHC) place la propriété parmi les droits naturels et imprescriptibles de l'homme, l'article 17 déclare qu'il s'agit d'un droit inviolable et sacré et soumet l'expropriation à un constat légal de sa nécessité publique et à la condition d'une juste et préalable indemnité.

* 159 Loi n o 68-1 du 2 janvier 1968 sur les brevets d'invention.

* 160 Ce dispositif résulte de l'article 11 de la directive 65/65/CEE du Conseil du 26 janvier 1965 concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives, relatives aux spécialités pharmaceutiques que la Commission européenne, en l'absence de données scientifiques ou d'informations nouvelles, ne peut revenir sur l'appréciation positive qu'elle a émise de l'efficacité des substances en cause.

* 161 Voir en dernier lieu la décision n° 335101 du Conseil d'Etat, sous-sections réunies, en date du 7 juillet 2010, annulant la suspension par l'Afssaps du Ketum.

* 162 Voir en dernier lieu la décision de la section du contentieux du Conseil d'Etat n° 295994 en date du 7 juillet 2008 confirmant le caractère fondé des décisions de retrait d'AMM prononcés pour deux anorexigènes amphétaminiques.

* 163 « L'AMM est une autorisation en réponse à la demande d'une firme pharmaceutique qui souhaite avoir une part de marché pour une situation clinique précise, pour un problème de santé précis, pour un patient précis. Le champ est donc extrêmement étroit par rapport à l'ensemble des problèmes de santé à traiter. Il est logique par conséquent qu'il existe des prescriptions hors AMM. La difficulté consiste à savoir si les prescriptions hors AMM sont conformes aux données de la science. (...) Nous incitons donc parfois à prescrire hors AMM. Le cas n'est pas fréquent car souvent, la prescription hors AMM ne correspond pas à une bonne évaluation comparative de la balance bénéfices-risques et du progrès par rapport aux médicaments existants. La situation peut cependant se produire. » (Audition du 17 février 2011).

* 164 www.afssaps.fr .

* 165 Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.

* 166 Cf. Anne Laude, « Dans la tourmente du Mediator : prescription hors AMM et responsabilité », Recueil Dalloz, Chr., p. 253-258, 27 janvier 2011, n° 4.

* 167 Audition du 26 avril 2011.

* 168 Audition du 26 mai 2011.

* 169 L'exigence de transparence des décisions administratives est une extension de la nécessité de transparence de la justice telle qu'elle a été formulée dans un arrêt d'appel anglais relatif à l'impartialité des juges, Rex v Sussex Justices, Ex parte McCarthy ([1924] 1 KB 256, [1923] All ER 233). La formule employée dans ses conclusions par le Lord Chief Justice Gordon Hewart : « [It] is of fundamental importance that justice should not only be done, but should manifestly and undoubtedly be seen to be done » et son corollaire « Nothing is to be done which creates even a suspicion that there has been an improper interference with the course of justice» » ont été repris par la Cour de Justice européenne des droits de l'Homme pour orienter sa jurisprudence en matière de droit à un procès équitable.

* 170 Cette instance spécifique de garantie de l'indépendance de l'expertise est une des propositions du rapport du 23 janvier 2008 « Risques cliniques au quotidien : éthers de glycol et polluants de l'air intérieur. Quelle expertise pour notre santé ? ».

* 171 C'est ce que propose, pour les professions médicales et les pharmaciens, l'article 9 bis de la proposition de loi modifiant certaines dispositions de la loi HPST, en cours de discussion au Parlement.

* 172 Proposition de l'Igas, rapport du 11 avril 2011 relatif à l'indépendance de l'expertise.

* 173 TPICE 26 novembre 2002, Artegodan GmbH et autres c/ Commission.

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