C. DE L'AMÉNAGEMENT AU DÉVELOPPEMENT

Quatre lois en font leur objet :

- la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire ;

- la loi n° 99-533 du 25 juin 1999 d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire ;

- la loi n° 99-586 du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale ;

- la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains.

La première loi est une loi de correction, les autres procèdent au renouvellement de l'État.

1. Une loi de correction : la loi n°95-115 dite « loi Pasqua »

Présentant devant l'Assemblée nationale le projet de loi d'orientation pour le développement du territoire (qui deviendra la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire), le Premier ministre Edouard Balladur lui assigne cinq objectifs.

Il convient tout d'abord « de retrouver davantage de cohésion nationale, de restaurer l'équité sociale et de tirer le meilleur parti de l'ouverture de nos frontières ».

C'est ensuite faire de l'aménagement du territoire un élément positif de notre politique économique et sociale.

De manière plus synthétique, le projet de loi vise « le développement du territoire » et pas simplement l'aménagement : des « déséquilibres excessifs » sont à corriger par une redistribution, par une création de richesse.

La décentralisation, la construction européenne ont multiplié les organismes intervenant au plan local ; il convient de faire oeuvre simplificatrice pour libérer, favoriser l'épanouissement des initiatives locales ou individuelles. Toute cette dynamique ne peut exister que dans la concertation. Edouard Balladur précise : « Pour autant, la loi pour le développement du territoire n'est pas une loi de décentralisation. La décentralisation est acquise : il faut l'aménager ou la renforcer quand c'est nécessaire. La loi qui vous est soumise n'est pas l'expression d'un retour de l'État ».

Visant l'harmonie, la compétitivité, le Premier ministre plaide pour la coopération, la responsabilité, le plein exercice des droits et des devoirs pour « redresser le pays », « bâtir le nouvel exemple français » initié en mars 1993 29 ( * ) .

Charles Pasqua, ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du territoire, se réfère à la large concertation qui a précédé la saisine du Parlement et commence par rappeler que la France est un tout et non une juxtaposition de collectivités ou de communautés « aux destinées isolées ». Favorable aux différences, hostile aux divergences, il questionne : « Y aura-t-il encore en 2015 une France au sens où nous l'entendons et cette France sera-t-elle encore une République ? »

Il en appelle à l'État pour faire face au vieillissement, à l'intensification de la compétition mondiale, à l'arrêt de la croissance 30 ( * ) . Selon lui, les Français « invitent l'État à assumer de nouveau ses responsabilités en matière d'aménagement du territoire, ce qu'aucune loi d'ailleurs ne lui avait prescrit de délaisser... Faut-il laisser le marché décider seul du visage de la France et de son organisation géographique, humaine et sociale ? ».

Cet État ne doit pas être le même qu'hier : « il s'agit d'un État simplifié, accessible et déconcentré », qui partage clairement les compétences entres les administrations centrales et les administrations déconcentrées, qui responsabilise, qui identifie de nouveaux territoires de solidarité quotidienne, qui adapte son organisation, qui concerte 31 ( * ) .

Charles Pasqua veut armer la France pour l'horizon 2015, « reconquérir notre territoire » et « éviter qu'il ne se déchire davantage ». À l'État donc d'organiser des réseaux de villes, des systèmes de transport et de communications, de répartir la recherche, l'enseignement, d'organiser la formation au plus près des habitants avec les collectivités locales, les entreprises publiques et privées, d'aider à la genèse des projets de développement local intégrés à des stratégies adaptées.

Autant de réformes qui « appellent aussi celle de la décentralisation, de la finance et des finances locales. Mais elles exigent d'abord la réforme de l'État ».

Le ministre de l'Intérieur ouvre un « chantier législatif » qui s'étalera sur plusieurs années. Il en va de l'existence de la France, de la République dans les vingt ans qui viennent à condition que l'on s'investisse dans le « développement du territoire », que l'on sache dépasser des oppositions périmées telles que celles Paris-province, métropole-ville moyenne, ville-campagne.

Ces stéréotypes n'expliquent pas à eux seuls « les désordres urbains actuels, les menaces sur l'économie de nos territoires, les déficits d'entrepreneurs, les exclusions, le chômage, les abandons d'espaces ruraux ».

Le ministre de l'Intérieur sait que nos concitoyens voient juste car ils « perçoivent que ce sont tout autant sinon plus, des déficits de services publics, des lacunes dans l'organisation des services collectifs, l'insuffisance du tissu d'entreprises, des archaïsmes institutionnels et corporatifs qui empêchent le développement local, font obstacle à l'égal accès au service public, compromettent l'égalité des chances et l'insertion de tous dans le progrès général de la Nation ».

Il ne veut pas remettre en cause les transferts de compétences qui ont été opérés au profit des régions, des départements et des communes : « Ils ont eu suffisamment d'effets positifs pour que personne ne songe sérieusement à en contester le principe. Ces lois de décentralisation ont contribué de façon décisive à la modernisation d'une société dont la centralisation - ainsi que l'avait pressenti le Général de Gaulle - ne s'imposait plus ».

Conscient de ne pouvoir être exhaustif, Charles Pasqua défend « une loi de correction et non de rupture 32 ( * ) ».

Au final, la loi du 4 février 1995 (dite « loi Pasqua ») présente une grande cohérence formelle. À la suite d'un rappel de principes (égalité des chances du citoyen sur l'ensemble du territoire, condition d'égal accès au savoir, développement équilibré du territoire), le titre I crée un Schéma national et un Conseil national d'aménagement et de développement du territoire.

Ce schéma fixe des orientations, établit des principes et des propositions. Elaboré en consultation avec les collectivités territoriales, il est soumis au Parlement et approuvé par la loi. Les contrats de plan État-région en découlent.

Le Conseil national d'aménagement et de développement du territoire, présidé par le Premier ministre, comprend des parlementaires, des représentants des collectivités territoriales, de la société civile et des personnalités qualifiées.

Découlent du Schéma national, les directives territoriales d'aménagement (qui sont des décrets ou arrêtés pris après consultation et avis du Conseil d'État), des schémas régionaux d'aménagement et de développement. Le schéma régional d'aménagement et de développement, après consultation des principales collectivités territoriales et du Conseil économique et social régional, inspire le contrat de plan État-région.

L'article 9 de la loi institue un groupement d'intérêt public d'observation et d'évaluation de l'aménagement du territoire, chargé de recueillir des informations et des données nationales et internationales sur l'aménagement et le développement, ainsi que sur les expériences de développement local. Il lui revient de traiter et de diffuser ces informations aux utilisateurs publics et privés, de procéder à l'évaluation des politiques locales. Il peut bénéficier de l'apport du Comité des finances locales. Il comprend, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État, des parlementaires, des représentants des collectivités territoriales, des administrations de l'État, du Comité des finances locales et des personnalités qualifiées.

L'article 10 prévoit des schémas sectoriels et en énumère les thèmes : enseignement supérieur et recherche, équipements culturels, communication (transport et télécommunications), organisation sanitaire.

Le titre II consacre une disposition novatrice de la loi avec la reconnaissance des pays. Constaté par la commission départementale de la coopération intercommunale, le législateur en fait un territoire caractérisé par une cohésion géographique, culturelle, économique et sociale. Il doit exprimer une communauté d'intérêts économiques, sociaux et éventuellement des solidarités réciproques entre la ville et l'espace rural.

Les collectivités territoriales et leurs groupements définissent un projet commun de développement du pays et l'État tient compte de cette réalité pour l'organisation de ses services et la délimitation des arrondissements 33 ( * ) .

Le pays fera l'objet de débats ultérieurs, notamment lors de la discussion de la future loi 99-533 (dite « loi Voynet ») et, dix ans après, au sein de la Mission Belot.

Il nous a donc semblé utile de rappeler la diversité des approches (sans que celles-ci ne constituent une fracture déterminante). Pour Jean-Marie Girault, avocat des pays, ceux-ci sont l'émanation d'une culture de solidarité qui définit « un périmètre de solidarité » (cf. la loi ATR du 6 février 1992).

Adrien Zeller préfère à la notion de pays celle de « bassin d'aménagement » qui correspond « à la réalité actuelle notamment en ce qui concerne l'emploi et la formation, l'animation économique, l'insertion sociale et l'animation des jeunes ». Il se réjouit que cette idée ait été retenue.

Alain Peyrefitte surprend : « il faut vous féliciter d'avoir introduit une innovation capitale : la notion de pays...Une forte réalité, celle des bassins de vie ». Il souligne « l'insuffisance des limites administratives du département, de l'arrondissement ! ».

A l'Assemblée nationale, Daniel Colliard pense que ce n'est pas à l'autorité administrative de décider des frontières du pays : sa configuration relève des intéressés et des collectivités locales concernées. Le pays n'est pas « décrété » mais « constaté » 34 ( * ) .

Pour d'autres, réservés ou hostiles, c'est un concept flou au nom duquel ont peut obliger une commune à rejoindre une forme imposée de coopération.

Ils y voient un risque anti-départemental ou un moyen de remodeler nos régions dans une perspective d'intégration européenne. Cette thèse fut notamment soutenue par Félix Leyzour 35 ( * ) .

Le jugement porté sur les pays dépasse les appartenances partisanes : parmi les opposants nous trouvons des membres de la majorité (tels Pierre Mazeaud, Robert Pandraud) ou de l'opposition (tels Jean-Pierre Balligand ou Augustin Bonrepaux).

Le titre III traite de l'action territoriale de l'État et organise la poursuite - encadrée - de la déconcentration ouverte par la loi du 6 février 1992 (dans un délai de 18 mois après la publication de la présente loi), la réaffirmation départementale d'organisation et de modernisation des services publics - loi du 9 janvier 1985 - (propose au préfet et au président du conseil général d'être consultés sur le schéma départemental d'organisation et d'amélioration des services publics).

Le titre IV concerne « les instruments financiers de l'État » : le Schéma national d'aménagement et de développement fait l'objet de lois de programmation quinquennale, un fonds d'aménagement et de développement du territoire, géré par un comité, présidé par le Premier ministre est créé.

Dernier titre, important : le titre VI 36 ( * ) .

Le chapitre II du titre VI aborde un sujet déterminant : la péréquation et les finances locales.

Les rapporteurs (Gérard Larcher, Claude Belot, Jean-Marie Girault) font, à juste titre, de ce chapitre « le coeur de la loi ». Ils partent d'un constat simple : il existe de très forts écarts de richesse entre les collectivités et les dotations de l'État qui ont un rôle de compensation, ne jouent qu'un rôle mineur de péréquation.

Ces écarts proviennent à 75 % de la taxe professionnelle, à 90 % de la fiscalité des entreprises (taxe professionnelle et foncier bâti). Ces mêmes rapporteurs soulignent que, de 1980 à 1992, la part de la fiscalité dans les ressources totales des collectivités territoriales est passée de 34 % à 42 % alors que les concours de l'État ont baissé de 35 % à 28 %, les autres revenus (ex. : les emprunts) restant stables.

Pour Jean-Pierre Fourcade, président du Comité des finances locales : « voilà 20 ans que l'on fait de la péréquation entre collectivités territoriales, et ce par des moyens innombrables mais sans s'être fixé d'objectifs et sans mesurer les effets des dispositions qui sont prises. Et l'on découvre en chemin, ici ou là, à l'occasion des rapports que les décisions prises sont contradictoires et finissent par susciter des mécanismes pervers et contradictoires » . Il estime que le texte proposé est intéressant : il fixe un objectif central (la correction des écarts), retient une méthode de calcul de l'ensemble des ressources et simplifie les voies de la péréquation par la réforme de la DGF.

L'article 68 fixe effectivement « un objectif fondamental de la politique d'aménagement du territoire » : « La réduction des écarts de ressources entre les collectivités territoriales, en fonction de leurs disparités de richesse et de charges ». Il annonce une date : « à compter du 1 er janvier 1997, une péréquation financière est opérée entre les espaces régionaux de métropole ». Pour ce faire :

« II (...) l'ensemble des ressources, hors emprunts, des collectivités territoriales et de leurs groupements, au sein d'un même espace régional, fait l'objet d'un calcul cumulé. Ces ressources comprennent les concours de toute nature reçus de l'État, les recettes de péréquation provenant de collectivités territoriales extérieures à l'espace considéré, les bases de calcul de l'ensemble des ressources fiscales multipliées pour chaque impôt ou taxe par le taux ou le montant unitaire moyen national d'imposition à chacun de ces impôts ou de ces taxes, les produits domaniaux nets de la région, des départements qui composent celle-ci, des communes situées dans ces départements et de leurs groupements.

Les ressources ainsi calculées, rapportées, par an, au nombre des habitants de l'espace régional considéré, sont corrigées afin de tenir compte des charges des collectivités concernées et de leurs groupements. Elles ne peuvent être inférieures à 80 p. 100 ni excéder 120 p. 100 de la moyenne nationale par habitant des ressources des collectivités territoriales et de leurs groupements. Les éléments de calcul et les résultats des évaluations de ressources et de charges sont soumis chaque année, par le Gouvernement, à l'examen du Comité des finances locales.

III. - La péréquation financière prévue au II ci-dessus sera opérée prioritairement par une réforme conjointe des règles de répartition de la dotation globale de fonctionnement et des concours budgétaires de l'État aux collectivités territoriales et à leurs groupements, y compris ceux attribués au titre des contrats de plan et de la dotation globale d'équipement, d'une part, des mécanismes de redistribution des ressources de la taxe professionnelle, d'autre part ».

Pragmatique, le législateur veut une mise en oeuvre progressive de la péréquation mais « elle doit être effective en 2010 ». Dans cet objectif, le paragraphe IV de l'article 68 est ainsi rédigé :

« Le Gouvernement déposera devant le Parlement, avant le 2 avril 1996, un rapport comportant :

- un calcul, pour 1995, des ressources des collectivités territoriales et de leurs groupements selon les modalités définies au deuxième alinéa du II ;

- des propositions relatives à la détermination d'un indice synthétique permettant de mesurer les ressources et les charges des collectivités territoriales et de leurs groupements ;

- les résultats d'une étude sur les éventuelles corrélations entre le potentiel fiscal et l'effort fiscal ;

- des propositions tendant à renforcer la contribution des concours, dotations et ressources fiscales visés au III à la réduction des écarts de ressources entre collectivités territoriales en fonction de leurs disparités de richesse et de charges ;

- un bilan des effets des différents mécanismes de péréquation mis en oeuvre par les fonds national et départementaux de la taxe professionnelle, le fonds de correction des déséquilibres régionaux, le fonds de solidarité des communes de la région d'Île-de-France, ainsi que par les différentes parts de la dotation globale de fonctionnement et de la dotation globale d'équipement. Ce bilan sera assorti de propositions de simplification et d'unification tant des objectifs assignés aux différentes formes de péréquation que de leurs modalités d'application.

Les résultats de la révision générale des évaluations cadastrales seront incorporés dans les rôles d'imposition au plus tard le 1 er janvier 1997, dans les conditions fixées par la loi prévue par le deuxième alinéa du I de l'article 47 de la loi n° 90-669 du 30 juillet 1990 relative à la révision générale des évaluations des immeubles retenus pour la détermination des bases des impôts directs locaux ».

Ce rapport devra recueillir l'avis d'une commission d'élus parlementaires et d'exécutifs territoriaux désignés selon les dispositions d'un décret.

L'article 69 précise que le renforcement des mécanismes de péréquation sera opéré pour chaque niveau de collectivité territoriale et que, dans l'attente des mécanismes définitifs, « les moyens financiers qui pourront être dégagés au profit de la réduction des écarts de richesse entre collectivités territoriales en fonction du niveau de leurs ressources et de leurs charges seront principalement affectés à la correction des disparités de bases de taxe professionnelle. En 1995 ce renforcement concernera prioritairement les communes et les régions ».

L'article 70 crée un fonds national de péréquation entre les communes 37 ( * ) . Dans un délai de 18 mois à compter de la publication de la présente loi, le Gouvernement déposera un rapport devant le Parlement pour présenter ses propositions de réforme du système de financement des collectivités locales et en particulier de la taxe professionnelle.

L'article 75 rappelle la mission du Comité des finances locales : mission d'information, d'études, d'observation et d'évaluation au bénéfice du Gouvernement et du Parlement.

L'article 78 engage le Gouvernement à remettre au Parlement un rapport sur « les modalités selon lesquelles le nombre de catégories d'établissements publics de coopération intercommunale pourrait être réduit et leur régime juridique simplifié ».

Après avoir précisé la technique des ententes interrégionales (créées par décret en Conseil d'État), le texte législatif précise les modalités et le contenu de la consultation des électeurs communaux ou intercommunaux.

Cette consultation n'est qu'une demande d'avis d'un conseil municipal ou d'un établissement public de coopération intercommunale.

Décidée par l'organe délibérant à la demande du maire ou de la moitié des membres de l'assemblée délibérante ou du cinquième des électeurs inscrits ou de l'ensemble des maires de l'EPCI, elle est enfermée dans des conditions de temps afin de ne pas concurrencer les diverses élections et doit avoir un objet territorial.

Au 12 juillet 1994, il y avait eu 39 consultations populaires. Olivier Guichard y voit une atteinte à la démocratie représentative.

Robert Poujade hésite à adopter une mesure dont « les conséquences risquent d'être néfastes ».

Le député Patrice Martin-Lalande 38 ( * ) , qui a organisé une consultation dans sa commune de 4 500 habitants, énumère les trois conditions à respecter :

- réserver la consultation à un sujet stratégique pour la commune et son avenir ;

- élaborer un dossier exhaustif, transparent et ouvert ;

- intéresser les citoyens.

François Paour, président de la Fédération des maires ruraux, était favorable à la consultation populaire alors que Jean-Paul Delevoye, président de l'Association des maires de France, était réservé, tout comme l'AMGVF.

La future loi du 4 février 1995 puise à la bonne source : en 1994 le Sénat publie un important rapport intitulé « Refaire la France 39 ( * ) »

Selon ses auteurs, l'histoire de l'aménagement du territoire comprend deux périodes : l'une marquée par « le volontarisme » (1947-1973), l'autre par « le délabrement » (1973-années 90).

Un hommage est rendu à la décentralisation : elle a mobilisé les collectivités territoriales et leurs responsables « au service d'un développement régional, départemental et local comme jamais auparavant. Plans, programmes, démarches, institutions, projets, réalisations se sont multipliés aux quatre coins de l'hexagone... Ce surplus de motivations, impossible à quantifier mais décisif sur le terrain est du point de vue de l'aménagement du territoire, la principale retombée positive de la décentralisation ».

Il n'empêche que celle-ci, selon les sénateurs signataires, a entraîné trois conséquences fâcheuses qui ont accentué le déclin de l'aménagement du territoire :

1. Les lois de décentralisation « ont accentué le brouillage des compétences ». Ces lois « ne pouvaient à vrai dire ignorer les autres collectivités publiques pour l'exercice des compétences d'aménagement du territoire. L'auraient-elles fait qu'elles n'auraient sans doute pas été respectées ». Voilà donc un premier reproche... fortement tempéré. Il n'empêche que les sénateurs poursuivent : « ces enchevêtrements, recoupements et chevauchements de compétences amènent inévitablement une question : qui fait quoi ? Ce problème est d'autant plus délicat à résoudre qu'il se pose dans un État unitaire et que chaque collectivité peut estimer avoir un titre pour aménager "son" territoire, territoire évidemment "emboîté" dans celui d'une autre collectivité ».

2. La décentralisation a incité l'État à se désengager progressivement des responsabilités qui avaient été les siennes en matière d'aménagement du territoire : « Un État décentralisé n'est pas un État qui se replie 40 ( * ) » .

3. La décentralisation n'a été accompagnée d'aucune péréquation de ressources entre collectivités territoriales : « les lois de 1981 et 1982 ont renvoyé ces collectivités à leurs propres moyens, les riches à la richesse, les pauvres à la pauvreté. La Lozère à son dénuement, les Hauts-de-Seine à leur opulence...Les crédits baissent, les structures se délitent, les primes perdent leur caractère incitatif ».

Ces constats faits, voici les propositions de la Mission :

- Au nom de la « clarification des compétences », elle retient le principe du « chef de file » : « une compétence ne peut être exclusivement exercée sur une collectivité publique, dans l'indifférence ou l'ignorance des compétences des autres ».

Concertation, codécision, contractualisation sont incontournables pour « un exercice partenarial des compétences 41 ( * ) ». La contractualisation reçoit un soutien appuyé des sénateurs : elle permet d'élaborer en commun, de négocier, d'adapter, de mieux exécuter. Ils font une référence positive aux contrats de plan prévus par la loi du 29 juillet 1982 portant réforme de la planification 42 ( * ) .

Un partenariat suppose une organisation : oui à un « Conseil national d'aménagement du territoire » et à une « Conférence régionale de l'aménagement du territoire ».

- Les lois de finances promises par la loi du 2 mars 1982 n'ont jamais vu le jour. Sans le dire explicitement, la Mission est sensible à la « constitution financière » de l'Allemagne qui précise que les ressources d'un Land ne peuvent être inférieures à 95 % de la moyenne nationale (par habitant) ni supérieure à 110 %. Le principe d'une fourchette n'est pas une élucubration dans un pays qui opère un partage de ses impôts nationaux.

La Mission connaît la sensibilité du sujet : si elle suggère de retenir une fourchette, si elle affiche très consensuellement des objectifs (réduction des inégalités, transparence et durabilité des règles), elle finit par se demander s'il convient de choisir la spécialisation des impôts directs locaux, ou encore s'il faut imaginer de nouvelles ressources 43 ( * ) .


* 29 Dans son intervention, Edouard Balladur n'omet pas l'aspect financier du développement mais, dit-il, « on ne réforme pas les finances locales en quelques mois sans quelques études préalables ». Débat à l'Assemblée nationale le 7 juillet 1994 ; JO des débats, p. 4216.

* 30 Débat à l'Assemblée nationale le 7 juillet 1994 ; JO des débats, p. 4217 et suivantes.

* 31 Le ministre juge que l'État a abandonné les responsabilités que la loi avait certifiées, que la « décentralisation s'enlise dans l'impuissance ou se perd dans la rivalité ».

* 32 « Reste à l'évidence... une réforme des finances locales » (p. 4221). En 1993, le Gouvernement soumet à une commission l'étude de la réforme de la fiscalité locale et « tout d'abord de la taxe professionnelle ». Lors du débat législatif de juillet 1994, Charles Pasqua reprendra à son compte les critiques habituelles formulées à l'encontre de la taxe professionnelle : antiéconomique, complexe, imprévisible, perturbateur de gestion... Il évoque la valeur ajoutée pour servir d'assiette.

* 33 Cf. articles 22, 23, 24 de la loi.

* 34 Assemblée nationale, débats du 9 juillet 1994, p. 4504.

* 35 Sénat, débats du 4 novembre 1994, p. 5017 et suivantes.

* 36 Le titre V concerne la région de l'Ile-de-France et des zones prioritaires.

* 37 Ce fonds distribue des ressources en fonction du potentiel fiscal des communes. Cette notion est née de la loi du 3 janvier 1979 instituant une dotation globale de fonctionnement.

* 38 Débat Assemblée nationale du 12 juillet 1994 ; JO Débats, p. 4759.

* 39 Il émane d'une Mission présidée par Jean François-Poncet et compte parmi ses rapporteurs Roland du Luart, Claude Belot, Adrien Gouteyron et René-Pierre Signé.

* 40 Le rapport reproche la mise en sommeil de la DATAR.

* 41 Dans les pages 130 et suivantes, le rapport est très explicite : « Il est évident que l'exercice solitaire des compétences par une collectivité publique est impossible. Et il n'est d'ailleurs pas souhaitable en démocratie » ; « se concerter est le fait de plusieurs, décider est le fait d'un seul. Cette formule bien connue n'est plus adaptée à un État stratège qui, dans la plupart des grands secteurs d'activités, sollicite le soutien financier des collectivités décentralisées » ; « La codécision responsabilise les collectivités concernées qui de simples figurants, accèdent au rang d'acteurs de l'aménagement du territoire ».

* 42 Le rapport évoque le « foisonnement » contractuel, signe de vitalité, à condition de ne pas court-circuiter les normes supérieures.

* 43 La Mission voit bien les avantages de la spécialisation (simplicité, transparence, lien entre la compétence et l'assiette) mais elle l'écarte du fait de sa brutalité, de sa rigidité et de sa complexité.

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