b) Les produits médicamenteux

Certains médicaments, s'ils ne constituent pas des drogues en eux-mêmes, peuvent en devenir par destination, selon la façon dont ils sont accommodés et utilisés.

Ainsi en est-il par exemple des benzodiazépines , médicaments psychotropes utilisés dans le traitement de l'anxiété et des troubles phobiques, et constituant une alternative aux barbituriques. Le détournement de l'usage des benzodiazépines à des fins toxicomaniaques peut prendre la forme classique d'une toxicomanie isolée, mais a lieu le plus souvent en association avec d'autres substances psychoactives (héroïne ou alcool, le plus souvent).

Ce risque, que l'on rencontre davantage chez des publics féminins, est d'autant plus élevé que notre pays détient des records de prescriptions d'anxiolytiques, parmi lesquels les benzodiazépines sont les produits les plus prescrits. Or, leur prise provoque des effets de dépendance psychologique et physique induisant un besoin irrésistible de consommation, avec souvent la nécessité d'augmenter régulièrement les doses pour que soit maintenu l'effet recherché.

Mais le principal médicament faisant l'objet d'abus est un produit justement destiné au traitement des toxicomanes. Le mésusage de traitements de substitution est bien documenté par l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT). Selon celle-ci, en 2004, 5 % de leurs utilisateurs étaient concernés, et l'on pouvait aller jusqu'à 20 % avec des « intermittents de la substitution », usagers de drogues prêts à recourir à un traitement de substitution ou objets de rechute.

Utilisé comme substitut des opiacés chez les consommateurs d'héroïne, le Subutex - médicament dont le principe actif est la buprénorphine - fait aujourd'hui couramment l'objet de détournements à des fins toxicomanes. « Un tiers du marché de la buprénorphine servirait actuellement, dans notre pays, à contaminer de jeunes individus qui n'étaient pas encore passés aux agents morphiniques et entreront par ce sas dans l'héroïnomanie, dont on voit d'ailleurs le nombre de victimes croître à la mesure de l'augmentation de ce détournement. Il est insupportable qu'un produit qui coûte si cher à la collectivité nationale puisse être à ce point détourné » a ainsi témoigné M. Jean Costentin, président du Centre national de prévention, d'études et de recherches en toxicomanie (8 ( * )) . Les mésusages du Subutex sont connus et variés : injection intraveineuse, « sniff », utilisation comme première et unique drogue, et enfin, cumul avec des benzodiazépines.

Également utilisée comme substitut des opiacés chez les consommateurs d'héroïne, la méthadone fait en revanche l'objet de beaucoup moins de dérives. À la différence du Subutex, prescrit par un médecin de ville, elle voit sa distribution beaucoup plus encadrée, puisqu'elle ne peut être assurée que par des médecins exerçant en établissements de santé.

D' autres produits , moins connus, font aussi l'objet de mésusages, comme l'a indiqué M. Thierry Huguet, chef de la brigade des stupéfiants de la direction régionale de la police judiciaire : « nous constatons des détournements réguliers de produits pharmaceutiques utilisés de manière courante. Nous avons tous à l'esprit le détournement des produits de substitution aux opiacés, qui touche en effet beaucoup plus le Subutex que la méthadone. Mais la kétamine est aussi assez régulièrement détournée, notamment dans les milieux asiatiques. Cet anesthésique, du reste aujourd'hui essentiellement prescrit dans le domaine vétérinaire, est utilisé par certains toxicomanes à la recherche de sensations fortes - on parle de sensation de mort imminente ».

Le détournement de ces produits pharmaceutiques, outre les risques qu'il induit, n'est pas sans coût pour la collectivité. Le professeur Jean Costentin, membre de la commission sur les addictions de l'Académie nationale de médecine, a ainsi stigmatisé l'usage de « produits de substitution, Subutex et méthadone, qui font l'objet d'un trafic scandaleux. C'est particulièrement vrai pour le Subutex, dont un tiers des cachets, remboursés une fortune par la Sécurité sociale, sont absorbés par des jeunes gens qui n'étaient pas jusque-là usagers d'opiacés mais qui, quand ils ne se satisferont plus du Subutex, passeront à l'héroïne » (9 ( * )) .

En vue de mieux réguler le marché des médicaments ayant des effets psychotropes, et de prévenir en ce domaine les abus et mésusages, la mission d'information propose, comme cela sera précisé plus loin, de développer le recours à des ordonnances sécurisées pour ces produits.


* (8) Audition du 2 février 2011.

* (9) Audition du 2 février 2011.

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