B. UNE HYPOTHÈSE ENCORE À CONFIRMER : UN NOMBRE ÉLEVÉ DE MESURES NON JUSTIFIÉES

Le projet de loi a largement été construit autour du postulat selon lequel trop de mesures de protection juridique étaient décidées ou maintenues de manière infondée .

Notre ancien collègue Henri de Richemont, dans son rapport sur le projet de loi, soulignait que l'augmentation exponentielle du nombre de mesures tenait « à ce que, depuis plusieurs années, les régimes de protection des majeurs ont pu connaître, par rapport à leur esprit initial, deux types de dérives ».

La première de ces « dérives » consistait dans le prononcé d'une TPSA en parallèle d'une autre mesure, pour les raisons financières évoquées plus haut - tel était le cas de plus des deux tiers des TPSA avant la réforme 5 ( * ) .

La seconde « dérive » était l'utilisation des mesures de protection pour les personnes en grande difficulté sociale . Ainsi, trop de « curatelles sociales » auraient été prononcées pour des motifs tels que la prodigalité ou l'alcoolisme mais sans que l'on puisse constater une altération des facultés mentales.

Conformément aux principes de nécessité, de subsidiarité et de proportionnalité, une personne ne devrait se voir restreindre ses capacités juridiques que si une altération de ses capacités physiques ou mentales est médicalement constatée .

En 1998, un rapport d'inspection 6 ( * ) soulignait ainsi que, dans un quart des cas - à partir d'un échantillon de 200 mesures - le placement sous une mesure de protection n'était pas évidente au regard des éléments du dossier.

En conséquence, les mesures prises en faveur des personnes protégées apparaissaient disproportionnées au regard de la réalité de leur situation . Au surplus, les tribunaux et les tuteurs devaient traiter un nombre croissant de dossiers ne relevant pas de leur compétence.

La loi de 2007 visait donc à mettre fin à cette « sur-judiciarisation » de la protection des majeurs . A cette fin, elle a distingué un volet « judiciaire » et un volet « social » au sein des mesures de protection. Le volet « judiciaire » reprend le cadre existant mais la nécessité d'un motif médical est réaffirmée . Le nouveau volet « social » est confié aux départements. Il comprend les « mesures d'accompagnement social personnalisé » (MASP) et les « mesures d'accompagnement judiciaire » (MAJ) - ces dernières intervenant en cas d'échec des MASP et nécessitant une décision de justice.

Par ailleurs, le Gouvernement estimait, en 2007, qu'un nombre important de mesures était maintenu sans justification. En effet, elles n'étaient pas limitées dans le temps et le juge devait soit se saisir d'office ou être saisi d'une demande de mainlevée pour prononcer la fin d'une mesure. Afin de combattre cette inertie, le législateur a décidé que toutes les mesures doivent être revues tous les cinq ans 7 ( * ) - le stock devant, lui, faire l'objet de cette révision dans les cinq ans suivant la promulgation de la loi.

Dans le même objectif consistant à s'assurer du meilleur respect du principe de nécessité, le juge des tutelles ne peut plus se saisir d'office . Seuls les membres de la famille, une personne résidant avec le majeur ou le procureur de la République peuvent demander l'ouverture de la mesure.

Au total, la réforme devait permettre de diminuer tant le flux que le stock de mesures de protection afin de libérer du temps et des moyens pour les magistrats et les greffiers afin qu'ils se concentrent sur les mesures les plus importantes et qu'ils puissent contrôler l'activité des tuteurs, en particulier s'agissant des comptes de tutelles .

Du côté des majeurs protégés, l'instauration d'un volet social devait correspondre à une meilleure prise en compte des besoins de chaque adulte en fonction de sa situation personnelle.

Pour autant, la Cour des comptes relève que cette ambition initiale de la loi de 2007 est encore loin d'être atteinte. Elle note ainsi que « le nombre de demandes nouvelles de protection ne semble pas décroître , contrairement à ce qui avait été anticipé, même si le recul temporel est encore trop faible pour qu'une véritable tendance de moyen terme s'en dégage . Ainsi, le nombre de demandes enregistrées est passé de 137 954 en 2007 à 175 782 en 2009 et 181 279 en 2010 ».

Par ailleurs, elle souligne que « la croissance continue des demandes résulte pour partie de l'absence de communication sur le dispositif social et contractuel créé par la loi. Le rapport du Médiateur de la République [...] du 3 février 2011 pointait la méconnaissance de la loi du 5 mars 2007, à la fois par le grand public mais également par les professionnels ».

En tout état de cause, il apparaît que « le renouvellement [ne conduit que] très rarement à un allègement (2,4 % des mesures révisées en 2009, 2,2 % prévus en 2010 8 ( * ) ) ou à une mainlevée (9,6 % des mesures révisées en 2009, 6,6 % en 2010), ce qui accrédite l'idée que la mesure initiale était justifiée alors que la réforme reposait, dans son principe, sur le postulat contraire ».

De même, elle fait valoir que « le basculement des curatelles dites "sociales" vers les MASP ne semble pas encore avoir eu lieu, alors qu'il constituait l'une des hypothèses fortes de la réforme ».

L'absence de confirmation, voire l'infirmation - même si le recul historique est encore trop faible -, d'une des principales hypothèses de la réforme pourrait compromettre son économie générale. En effet, la charge de travail des tribunaux d'instance a été alourdie en prévision d'une diminution du nombre de dossiers à traiter. Si la « sur-judiciarisation » n'est pas corroborée dans les faits, l'engorgement des juridictions, déjà patent, pourrait devenir un problème insoluble .


* 5 Soit 40 891 TPSA sur un total 59 777 en 2005.

* 6 Rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), de l'Inspection générale des finances (IGF) et de l'Inspection générale des services judiciaires (IGSJ) sur le fonctionnement du dispositif de protection des majeurs, juillet 1998.

* 7 Un an pour les mesures de sauvegarde de justice.

* 8 Source : direction des affaires civiles et du Sceau.

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