b) Des dysfonctionnements affectant le système de recherche et de formation

L'évolution de notre système de formation, en France, ne fait qu'accentuer cette tendance à la désaffection et, pire, à la méconnaissance des sciences. Cette évolution n'est pas favorable, pour plusieurs raisons :

- réduction de la durée des enseignements scientifiques : Pierre Léna, délégué à l'éducation et à la formation et membre de l'Académie des sciences a déploré que moins de la moitié des écoles primaires aient mis en oeuvre les deux heures d'enseignement scientifique prescrites par les programmes 229 ( * ) .

Par ailleurs, la méthode active d'initiation aux sciences dans les écoles primaires, promue par « La main à la pâte » lancée il y a 15 ans par Pierre Léna et Georges Charpak, est trop peu présente dans les écoles.

De même, la réforme des programmes scientifiques de la classe de 1 re S s'est traduite, depuis la rentrée 2011, par la réduction d'1 h 30 par semaine de l'enseignement de physique. Quant aux 4 heures hebdomadaires consacrées aux mathématiques, Cédric Villani, Médaillé Fields, a douté qu'une telle durée soit suffisante pour former de futurs chercheurs ou même pour l'instruction de base des lycéens 230 ( * ) . Enfin, les sciences de la vie ont été mutualisées avec les sciences de la terre, ce qui les rend d'autant moins lisibles et attractives pour les lycéens.

Cette tendance à la réduction des enseignements scientifiques n'est pas propre à la France. Lars Merkel, professeur à l'Université technique de Berlin, nous a indiqué que l'Allemagne était confrontée au même phénomène.

- manque de professeurs : le rapport des académies nationales des États-Unis note que 46 % des professeurs quittent l'enseignement dans les cinq années ayant suivi leur entrée dans la carrière. C'est ce qui a conduit le Président Obama, dans son discours sur l'Etat de l'Union du 25 janvier 2011, à inciter les jeunes à s'engager dans la carrière enseignante.

Enfin, au Royaume-Uni, on constate qu'un quart des établissements de l'enseignement secondaire ne sont pas pourvus en professeurs de physique.

- insuffisance de la qualification des enseignants, dans les sciences notamment : le rapport des académies nationales américaines constate que 69 % des élèves scolarisés dans les classes allant du 5 e au 8 e degré 231 ( * ) se voient enseigner les mathématiques par des professeurs qui ne sont pas titulaires d'un diplôme en mathématiques. C'est la raison pour laquelle les académies nationales proposent que les 250 000 professeurs concernés puissent bénéficier d'un renforcement de leurs compétences au moyen du financement d'études complémentaires, qui leur permettraient d'obtenir des masters en sciences, en mathématiques ou dans les sciences de l'ingénieur. D'autres dysfonctionnements touchent directement la BS.

En tant que secteur émergent et ne bénéficiant pas d'une reconnaissance scientifique et institutionnelle confirmée, la BS est confrontée à une certaine frilosité académique. Aux États-Unis, Pamela Silver regrette ainsi que, à la différence du MIT, la Harvard Medical School ait négligé les relations entre l'université et les industriels, ce qui n'est effectivement pas de nature à favoriser les liens entre recherche fondamentale et recherche appliquée sur lesquels repose le développement de la BS. Pamela Silver a donc mis en place un programme destiné à modifier l'enseignement dispensé aux étudiants, s'appuyant davantage sur ce lien entre recherche fondamentale et application industrielle. Elle a également regretté le soutien trop faible du NIH pour la BS, accentué par la réduction des crédits accordés à l'enseignement et à la recherche, liée au contexte de crise économique et de réduction des dépenses publiques.

On retrouve cette même frilosité en France, puisque, comme on l'a vu, peu de projets ont obtenu le concours financier du CNRS ou de l'ANR, ce qui n'incite pas les étudiants à se diriger vers ce domaine encore trop peu reconnu et structuré. Une analyse récente de l'Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan) 232 ( * ) confirme ce déficit d'attractivité pour la BS.

Ce rapport souligne que la BS n'est pas très attractive pour les biologistes et constate que le cloisonnement, plus fort en France qu'ailleurs, entre les disciplines, pénalise d'autant plus un domaine aussi pluridisciplinaire que la BS.

Le rapport relève aussi les limites de la formation des biologistes. La formation aux enjeux de la BS ou, plus largement, à des biotechnologies, est pratiquement inexistante, en dehors des écoles d'ingénieurs en biotechnologie. De plus, la plupart des biologistes restent focalisés sur des problématiques telles que les modalités de fonctionnement du vivant ou ses dysfonctionnements et les moyens d'y remédier. L'utilisation du vivant ou l'imitation du vivant à d'autres fins leur est, en général, peu familière et ne les attire pas. Le rapport souligne les défauts d'interface entre les disciplines : si l'interface entre la chimie et la biologie fonctionne bien pour les chimistes, l'inverse n'est pas vrai. Une fracture comparable existe entre biologistes et chimie de synthèse. La chimie repousserait et rebuterait les biologistes. Or, rappelle le rapport, une cellule est une entité chimique exerçant un foisonnement d'activités chimiques exceptionnelles dans la nature.

La réduction croissante de l'enseignement de la biochimie en France 233 ( * ) ne contribue pas à renforcer l'interdisciplinarité, d'autant que, de son côté, la communauté des chimistes affiche un scepticisme ancien et bien établi envers la biocatalyse 234 ( * ) .

Les reproches formulés à l'encontre des biologistes et des chimistes concernent également nos grandes écoles scientifiques, puisque l'on ne recense aucun chercheur en BS à l'Ecole Polytechnique, pas plus que dans les différentes écoles normales supérieures.

Au Japon, la BS suscite quelques réserves de la part des scientifiques. En effet, la définition même de la BS est sujette à de nombreux débats de la part des biologistes et bioinformaticiens.

La BS est parfois considérée comme une simple évolution de la biologie moléculaire à cause de la part prépondérante de cette dernière dans les protocoles opératoires. En outre, la recherche et le développement de nouveaux projets sont freinés par les difficultés culturelles des Japonais à mettre en oeuvre une approche multidisciplinaire. 235 ( * )


* 229 Intervention lors de l'audition publique organisée le 12 octobre 2011 par Claude Birraux, Président de l'OPECST et par Jean-Yves Le Déaut, Vice-président de l'OPECST, « Quels outils pour une société innovante ?»

* 230 Intervention au colloque « Vérités scientifiques et démocratie », Assemblée nationale, 7 décembre 2011.

* 231 Le 5 e degré correspond à la classe de CM1 et le 8 e à la classe de 5 e du collège.

* 232 Alliance Aviesan, « Bases moléculaires et structurales du vivant », rapport précité, janvier 2011.

* 233 Les auteurs du rapport suggèrent que cette situation est imputable au souhait de ne pas décourager les étudiants.

* 234 La biocatalyse peut être définie comme l'accélération d'une réaction biochimique par une substance (biocatalyseur), qui n'est pas modifiée dans sa composition et sa concentration lorsque la réaction s'achève.

* 235 Eric Perrot, « La biologie synthétique au Japon », service pour la Science et la technologie de l'ambassade de France au Japon, 15 décembre 2011.

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