Troisième table ronde
Bilan et perspectives des communautés de communes

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M. Daniel Hoeffel, ancien ministre délégué auprès du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, chargé de l'aménagement du territoire et des collectivités locales, ancien vice-président du Sénat . - Si Jean-Pierre Sueur m'a invité à intervenir dans ce débat, c'est en fonction d'une certaine expérience : la loi ATR de 1992 a été précédée d'une expérience de terrain d'une vingtaine d'années et suivie de deux expériences de législateur.

En 1971, année qui vit l'adoption de la loi Marcellin, j'étais jeune maire, membre de la commission départementale chargée d'établir le plan de fusion et de regroupement de communes. A l'époque, selon une comparaison qui est devenue depuis à la mode, nos voisins allemands avaient engagé leur propre plan de fusion des communes. La loi Marcellin prévoyait deux voies : la fusion et le regroupement. Nous avons commencé par les SIVOM qui ont progressivement débouché sur les communautés. Nos voisins allemands ont choisi la voie de la fusion. En persévérant, ils ont recouvert, en peu d'années, leur territoire de communes fusionnées. Chez nous, la fusion est tombée en désuétude et l'intercommunalité a été renforcée, ce qui démontre probablement qu'on ne peut pas concevoir, même entre voisins européens, les structures communales de la même façon : le tempérament français passe par l'intercommunalité, le tempérament germanique privilégie la fusion. Nous devons rester réalistes et savoir adapter les structures aux mentalités, à l'histoire des uns et des autres.

Lors de la discussion parlementaire de la loi ATR, en 1992, j'étais porte-parole de mon groupe au Sénat, l'Union centriste, et je n'étais pas dans cette légère majorité qui l'avait approuvée. J'avais défendu la position suivante : pas de regroupement forcé, mais avancer vers l'intercommunalité. Il fallait un langage adapté à ce que nous entendions à la base et qui nous apparaissait nécessaire au sommet. La loi de 1992 est née. Succédant au ministère à Jean-Pierre Sueur en 1993, je n'ai remis en cause, sur aucun plan, les acquis de la loi, la consensualisant à cette occasion et je crois qu'il était bon qu'il en soit ainsi.

En revanche, nous avons abordé, dans les lois sur la dotation globale de fonctionnement, la fonction publique territoriale et l'aménagement du territoire, certains aspects de l'intercommunalité, notamment la notion de pays, dont il n'a pas été question jusqu'ici - et dont il n'est pas indispensable qu'il en soit différemment dans la suite de notre débat.

Ma dernière expérience a été celle de rapporteur de la loi Chevènement de 1999. Voyant ici M. Lallement, je me souviens des moments durs, difficiles et parfois impitoyables, même au Sénat, qui peuvent surgir dans des débats de cette nature. Nous sommes arrivés, par une commission mixte paritaire, à trouver un accord Assemblée-Sénat qui a assis définitivement les acquis de la loi ATR de 1992 : là encore, il est bon qu'il en soit ainsi.

Tout ce qui a été fait au cours des 40 dernières années a été marqué du sceau de la continuité. L'intercommunalité n'a jamais été remise en cause. Il y eut des périodes de freinage, auxquelles j'ai parfois participé. Il y eut des périodes d'accélération, et la loi de 1992 a été un formidable accélérateur. Une continuité a été tracée à travers les hauts et les bas. Alternativement, les uns et les autres, nous avons obtenu cet acquis très positif.

Malgré le caractère frondeur des Français et de leurs élus, l'intercommunalité est irréversible. Quel sera, à l'avenir, la forme que prendra ce caractère irréversible ? Tel est l'objet de cette table ronde. (Applaudissements)

M. Daniel Delaveau, président de l'Assemblée des communautés de France (ACdF), président de Rennes Métropole. - Je n'ai qu'une trentaine d'années d'expérience, comme vice-président du district, devenu communauté d'agglomération de Rennes, puis comme président de l'Assemblée des communautés de France où j'ai succédé à Marc Censi qui l'a créée, comme assemblée des districts, avec une idée simple, qui reste d'actualité : mettre le projet de territoire au coeur de notre action. Pierre-René Lemas l'a dit, c'est un mouvement, un processus, qui doit se poursuivre.

Le débat sur le nombre de communes n'est plus d'actualité. En revanche, cette question l'est : comment répondre aux besoins de nos concitoyens, compte tenu de l'évolution de nos territoires et de notre société ? La consolidation et le développement de l'intercommunalité est une clé majeure pour l'avenir.

L'intercommunalité se résume en trois « S ». Le premier : la solidarité. Je me souviens de « l'appel des jeunes élus » que nous avions lancé en 1986, pour demander le partage de la taxe professionnelle dans l'agglomération. Cela fut mis à l'étude, débattu pendant des années. En 1992, grâce à la loi ATR, l'agglomération de Rennes, présidée par Edmond Hervé, dont chacun a rappelé le rôle actif qu'il a joué, fut la première à adopter la taxe professionnelle unique (TPU). A l'époque, les écarts de richesse entre les 27 communes - qui sont aujourd'hui 37 - s'étendaient de 1 à 67 ; dix ans après, ils étaient de 1 à 4. C'est un exemple très concret de solidarité. La TPU a permis de remettre de l'ordre dans les zones d'activités sur l'ensemble du territoire, de mettre fin à des gabegies ou d'évidentes erreurs d'aménagement. Il faut poursuivre aujourd'hui ce mouvement. Nos territoires changent. Les enjeux d'aménagement et d'urbanisme sont majeurs pour nos concitoyens. Comment y répondre, si ce n'est par l'intercommunalité ?

« S » comme stratégie, ensuite : c'est le projet qui doit structurer le territoire, à partir du vécu de nos concitoyens, qui doivent se déplacer, se loger, travailler.

Le troisième « S » est celui de la subsidiarité, principe élémentaire de bon sens, que l'on oublie. Le débat ne porte pas sur la suppression des communes. La coopération intercommunale est là pour ce qu'on ne peut faire tout seul. Il faut mettre en oeuvre le principe de subsidiarité, comme le disaient Jean-Pierre Sueur et d'autres, en tenant compte de la diversité de nos territoires. Les lois sont utiles, nécessaires, mais doivent laisser une capacité d'autonomie. Pierre Joxe a rappelé, heureusement, l'ancienneté et la force du droit à l'expérimentation. On ne peut traiter de la même façon la Haute-Marne et l'Ille-et-Vilaine, qui sont dans des situations différentes. Il convient de trouver les moyens de donner la liberté aux élus de s'organiser et de décider. Dans cet esprit, l'on doit réfléchir aux compétences, notamment fiscales. La loi de 1999, dans la continuité de celle de 1992, en faisant apparaître la notion d'intérêt communautaire, est très riche. Il faut reconnaître aux élus le droit de déterminer ce qui peut être considéré comme tel.

Il faudra aussi avancer sur la question démocratique, qui a été soulevée. Le budget de l'agglomération que je préside, 500 millions d'euros, équivaut à celui de la ville-centre dont je suis le maire, 480 millions d'euros. La loi de décembre 2010 a marqué une première avancée. Il faut aller plus loin, simplifier. On n'a pas rajouté une structure avec les métropoles, mais il faut prendre en compte la notion de géométrie variable et le développement de l'intercommunalité.

La loi supprimant la taxe professionnelle a changé la nature de l'intercommunalité. On n'en a pas encore pris toute la mesure. En généralisant la fiscalité mixte, elle change le rapport au citoyen. Les communautés sous le régime de la TPU, dont la quasi-totalité des ressources provenait de l'impôt économique, n'ont pas la même approche que celles qui font appel à la fiscalité mixte et à l'impôt des ménages. Un jour ou l'autre, il faudra, dans nos communautés, poser la question de la TFU (taxe foncière unique) et de la THU (taxe d'habitation unique). Des inégalités profondes subsistent aujourd'hui au sein d'une même communauté, entre les impôts payés par les contribuables qui habitent sur le même territoire et bénéficient des mêmes services.

Opposer le rural et l'urbain relève d'un faux débat. Beaucoup d'intercommunalités témoignent d'une synergie, voire d'une symbiose, entre ces deux mondes. Nos territoires sont de plus en plus « rurbains ». Plus de 80 % de notre population vit en milieu urbain, qui ne se réduit pas à la ville : c'est aussi du territoire rural innervé par la ville et réciproquement.

1981, 1982, 1992, 2010 : les choses ont avancé et de nouvelles étapes restent à franchir. (Applaudissements)

M. Charles Guené , président de la communauté de communes d'Auberive Vingeanne et Montsaugeonnais, sénateur de la Haute-Marne, vice-président du Sénat . - Un anniversaire, c'est important, même si je n'ai pas l'assurance de faire complètement partie de la famille, ni d'avoir ma part de paternité, puisque je n'étais pas aux affaires à l'époque. J'ai toujours eu une affection particulière pour ce bébé. J'ai toujours été à l'avant-garde de l'intercommunalité, même si c'est, à l'origine, en grande partie, une idée de gauche.

Après avoir, jeune maire et conseiller général, créé une intercommunalité en 1992 dans un territoire très rural, 13 à 14 habitants au kilomètre carré ! J'ai fusionné fin 2010 trois intercommunalités, soit 53 communes pour 8 500 habitants. En Haute-Marne, le préfet a réalisé 100 fusions - alors que M. Marcellin n'avait pas réussi à en faire beaucoup dans son département !

Sans doute la dernière réforme a-t-elle demandé moins de temps que celle de 1992. Je rappelle cependant que la première intercommunalité de France, les municipalités cantonales de l'an III, avaient duré seulement cinq ans ! Nous nous inscrivons tous dans un long mouvement.

Les préfets ont été très critiqués : ils seraient des affreux personnages aux pouvoirs élargis à l'excès. Mais ils n'ont jamais eu aussi peu de pouvoir que dans les actuelles commissions départementales de coopération intercommunale ! Je fais partie de ceux qui ont introduit la règle de la majorité des deux-tiers, dans une salle de l'Assemblée nationale, et je peux vous affirmer que les préfets étaient plus tranquilles avant ! La réforme actuelle a confié l'initiative aux élus.

Fiscaliste de profession, je sais que la décentralisation conservera l'autonomie financière, mais qu'il n'y aura jamais plus d'indépendance fiscale. Si l'on n'a pas compris cela, l'on n'a rien compris. Cela fait beau temps que l'autonomie fiscale a disparu chez nos voisins. La réforme de la taxe professionnelle a jeté les bases fiscales nécessaires à la nouvelle intercommunalité. Car sans péréquation géographique, on ne pouvait plus avancer. Chacun doit l'admettre, l'impôt économique créait trop de disparités sur le plan national. La péréquation horizontale, qui représente une territorialisation de la ressource, sera longue à se mettre en place, mais le pied est dans l'embrasure de la porte ! L'agrégation de la ressource à l'échelle des bassins de vie est une approche judicieuse. Il me semble indispensable d'instaurer au sein de la conférence nationale des exécutifs une nouvelle gouvernance afin de gérer en concertation la ressource fiscale avec l'Etat. Si celui-ci continue à voir dans les collectivités locales une variable d'ajustement, si l'administration cherche à maintenir une tutelle sur les collectivités, cela ne fonctionnera pas. Réciproquement, les collectivités doivent comprendre qu'elles appartiennent à une nation et que l'évolution de la ressource doit être pensée en coordination avec l'Etat.

Je ne crois pas que notre pays soit mûr pour que l'on envisage le suffrage universel pour les intercommunalités. Il faut attendre, si nous voulons que celles-ci prospèrent. Les fusions récentes nous contraignent à revoir la notion d'intercommunalité en milieu rural. L'administration ne pourra demain y être identique à celle des grandes villes. La loi n'est pas allée suffisamment loin sur les métropoles. Nous sommes restés au milieu du gué. Il nous faudra encore travailler à la mutualisation des moyens en milieu rural sans oublier ce principe-clef qu'est la répartition claire des compétences. (Applaudissements)

M. Yves Détraigne , président de la communauté de communes de la Plaine de Bourgogne, sénateur de la Marne . - La Marne est un département d'intercommunalité ancienne, florissante, variée : deux communautés de communes y sont issues de districts ruraux créés dés 1972 ; aujourd'hui, avant mise en oeuvre du schéma départemental - adopté - il existe, pour 565 000 habitants, 56 communautés de communes et d'agglomération, dont 30 regroupent moins de 5 000 habitants ; et 6 sont à territoire disjoint - l'une en trois morceaux... Une vingtaine de communes ne sont pas encore en intercommunalité.

En nombre, c'est un succès, comme au niveau national, mais la diversité est grande, et je ne suis pas certain qu'un schéma d'intercommunalité puisse être conçu et bouclé dans un bureau parisien. Dans la Marne, les approches ne peuvent être identiques au sud, sur un territoire qui compte 7 habitants au kilomètre carré, et à Reims, au deuxième rang national pour la densité de population.

Quel est le territoire pertinent pour une intercommunalité efficace ? Il faut s'interroger, car le but est moins de boucler la carte des intercommunalités que de créer des structures durables, offrant à la bonne échelle des services que les communes seules ne peuvent proposer, de manière à rationaliser l'aménagement du territoire. Dans le département, une intercommunalité peut réunir 50 à 70 communes dans les zones à faible densité de population. Mais dans le département voisin, la communauté de communes des Crêtes préardennaises regroupe 103 communes - est-ce l'affaire de la population ou un objet bureau- ou mairocratique ? L'intercommunalité devient réalité pour la population lorsqu'elle correspond aux besoins locaux, qu'il s'agisse de 5 000 habitants dans une communauté rurale ou de plusieurs centaines de milliers de personnes au sein d'une agglomération. On ne peut déconnecter la taille de l'intercommunalité de la réalité territoriale.

Même à taille égale, les intercommunalités fonctionnent très diversement. Dans certains cas, elles ne sont qu'une simple caisse commune, où chacun puise pour réaliser son projet de son côté. Mais l'intérêt communautaire est désormais inscrit dans la loi et les communes tendent à se regrouper autour d'un projet commun, quelle que soit la municipalité dans laquelle sera implantée l'équipement ou le service. Il y a encore beaucoup de chemin à parcourir pour que cette conception se généralise. Et l'on ne progressera pas si le territoire intercommunal est trop étendu car, sinon, la population n'adhérera pas au projet.

La gouvernance ensuite. Les intercommunalités qui fonctionnent bien sont souvent celles qui ont à leur tête un élu de la ville-centre, celle où l'on a le plus l'expérience de la gestion et de la direction d'une administration, même modeste. C'est autour de cette commune-centre que s'organise l'intercommunalité, les élus le savent tous. Mais il n'est pas toujours facile de faire comprendre que le regroupement n'est pas mené au seul bénéfice de la ville-centre, que celle-ci ne cherche pas à avaler les autres. Il faut faire oeuvre de pédagogie... et, parfois, savoir mettre les pieds dans le plat !

Le modèle enfin. Souvent, l'intercommunalité est née d'un projet de regroupement scolaire. Chez moi par exemple, sur 620 communes, seules 241 ont encore une école. Le regroupement a été nécessaire, mais lorsqu'il a été achevé, on a cherché d'autres mutualisations possibles : or, on ne regroupe pas pour le plaisir de l'exercice, cette démarche n'a de sens que si le service rendu à la population en est amélioré. Aujourd'hui, l'intercommunalité est incontestablement un plus, car les familles qui, venues de la ville, s'installent en milieu rural veulent y trouver les mêmes services, accueil de la petite enfance, restauration scolaire, assainissement, etc. Je crois qu'il est bon de rationaliser, mais sans imposer un modèle en taille, en mode de fonctionnement, en projets ou en organisation territoriale. Qu'ont de commun l'arrondissement de Sainte-Menehould, qui compte 67 communes et 14 000 habitants (dont 4 800 au chef-lieu) et Reims ? Laissons vivre la diversité ! (Applaudissements)

Mme Évelyne Didier , vice-présidente de la communauté de communes du Jarnisy, sénatrice de Meurthe-et-Moselle . - M. le président Sueur a parlé du mouvement de l'Histoire. Ce mouvement a commencé en 1789 et, depuis lors, le pouvoir central a maintes fois tenté de promouvoir par la loi les fusions, les regroupements, les restructurations de communes, avec un objectif politique ou économique, mais toujours avec l'idée que trop de petites communes suscitaient trop de dépenses sociales improductives, opposées aux dépenses économiques, source de richesses futures. Les fusions autoritaires ne fonctionnant pas ou pas longtemps, on a manié la carotte fiscale, plus efficace.

La position des communistes a été constante : nous nous sommes prononcés contre la loi, parce que nous sommes favorables aux coopérations communales librement décidées et hostiles à toute atteinte à la libre administration des communes, lieu essentiel d'expression démocratique. Cependant, les communistes n'ont pas pratiqué la politique de la chaise vide et ont eux aussi appliqué l'intercommunalité. Ils ont participé avec enthousiasme, parfois, à de tels projets et ils ont, dans certains cas, joué un rôle moteur.

Les intercommunalités s'affirment enfin et deviennent visibles à la population. En Meurthe-et-Moselle, nos concitoyens font maintenant la distinction entre commune et intercommunalité, entre les compétences de l'une et de l'autre. L'appropriation par les citoyens passe par la visibilité et la lisibilité, ce qui requiert de la pédagogie. La nouvelle institution occupe mieux sa place. La communauté de communes de Jarnisy - je suis maire de la deuxième commune-membre - vient de fêter ses dix ans. D'autres tentatives, auparavant, avaient avorté, faute de véritable envie de coopérer. Correspondant à un canton, elle regroupe les 19 500 habitants de 24 communes, la commune-centre réunissant la moitié de la population.

L'intercommunalité est donc arrivée tardivement. A l'origine, nous avons lancé deux projets, la construction d'un centre aquatique en remplacement de l'ancienne piscine fermée - le nouvel équipement a été pour la ville-centre le symbole de la fierté retrouvée - et la création d'un centre intercommunal d'action sociale, d'autant plus justifié que les services sociaux de la ville-centre travaillaient gratuitement pour l'ensemble du canton. L'évolution a d'abord été vécue par les communes-membres comme l'affirmation d'un leadership de la plus grande commune ; cela se retrouve ailleurs et, encore récemment, lorsque je suis allée à la rencontre des maires du département lors de la campagne des élections sénatoriales, certains maires m'ont dit qu'ils vivaient toujours mal cette situation. Il y a encore des difficultés ici et là - heureusement, ce n'est pas le cas partout. Et si l'intercommunalité est aujourd'hui acceptée, c'est qu'elle a créé et gère des services utiles à toute la population, accueil des petits, prise en charge périscolaire, loisirs pour tous, activités culturelles, etc.

Notre territoire compte 800 entreprises, essentiellement des commerces et de l'artisanat. Nous avons la chance d'être situé à proximité du sillon mosellan et du Luxembourg, si bien que notre taux de chômage ne dépasse pas la moyenne régionale, alors que nous avons dans le passé connu le drame des fermetures de mines et d'usines sidérurgiques. Même si nous manquons d'ingénierie, nous menons une action économique en concertation avec la région et l'Etat. Notre projet principal regroupe les intercommunalités du pays du bassin de Briey, le département, la région et l'Etat. Nous voulons créer une autorité organisatrice de transports urbains - le transport est un enjeu prégnant chez nous.

Notre communauté a vécu grâce à la TPU et au transfert de compétences. Mais elle devra inévitablement lever la taxe additionnelle pour développer de nouveaux services. En écoutant les divers intervenants, nous avons pu constater la grande diversité des situations, selon la région, l'histoire, les compétences, les conceptions qu'ont les uns et les autres du rôle des EPCI. C'est le signe que les territoires se sont approprié les réformes, chacun selon sa personnalité. On peut parler à bon droit d'éco-diversité, car une intercommunalité est un écosystème ! Quand on refuse de tenir compte de la diversité, elle vous revient en boomerang, comme après la loi de 2010, autoritaire, donc contestée et un peu en sommeil actuellement. Combien de villages gaulois résistent à un regroupement imposé !

Réorganiser les territoires, soit, mais avec quels moyens ? Le problème est le même que pour les départements : les ressources manquent, les compensations sont insuffisantes lors des transferts. Une THU, une TFU seraient la mort des communes : il ne leur resterait qu'une enveloppe vide, comme une mue de serpent. Je ne peux soutenir cette proposition. En revanche, une clarification des compétences, un débat sur l'intérêt communautaire, seraient utiles. Il faudrait alors parler de subsidiarité, de recettes, de partage, de fiscalité mixte, de rapport au citoyen... Les Sivom avaient des compétences complètes, les intercommunalités ont des compétences découpées : on voit des choses parfois très bizarres. Il serait bon d'organiser la complémentarité des compétences, entre communes et communautés de communes. L'avenir va s'écrire de façon dynamique, sans négliger la diversité.

Je ne saurais conclure sans évoquer, mesdames, la lancinante question de la place des femmes au sein des communautés : en 2005, une étude de l'AdCF - qui gagnerait à être actualisée - a montré que l'équilibre entre hommes et femmes, au sein de ces structures, loin de s'améliorer, se dégrade. « Il y a très peu de femmes dans les postes de pouvoir, présidences et directions administratives, dans les grandes communautés », soulignaient les auteurs. Il faut en prendre conscience... (Applaudissements)

M. Michel Guégan, créateur de la première communauté de communes en France, président de la communauté de communes du Val d'Oust et de Lanvaux . - (Applaudissements). Ma communauté de communes n'est pas la réalisation d'un homme seul : c'est pourquoi je suis venu aujourd'hui en compagnie des élus de la communauté, nous avons passé la journée avec nos trois sénateurs et notre député, Loïc Bouvard.

Messieurs les Ministres, il est émouvant pour le petit maire que je suis de s'exprimer dans ce lieu si prestigieux. Je vous parlerai avec mon coeur. Le développement local est ma passion, mon combat. Depuis 1992, la révolution tranquille de l'intercommunalité est en marche, et dans les 77 départements où je me suis déplacé à l'appel d'associations d'élus ou de fonctionnaires territoriaux, on me disait : « tu verras, les changements de majorité vont balayer ta loi ». Il n'en a rien été. La loi de 1992 a été adoptée en première lecture à l'Assemblée nationale, en avril 1991, à une voix près ; la loi Chevènement l'a été à l'unanimité : en seulement sept ans s'était produit le désenclavement des esprits. Une communauté de communes, ce n'est pas la suppression des communes membres, mais l'expression de leur solidarité au sein d'un territoire cohérent : mettre ensemble le meilleur, partager nos différences, réaliser ensemble ce qu'une commune seule ne pourrait accomplir.

En 1992, j'étais chargé de mission au conseil général d'Ille-et-Vilaine, occupé à mettre en place les syndicats de partage de la taxe professionnelle. Mais j'étais aussi élu dans le Morbihan. J'ai donc voulu créer chez moi un syndicat de développement économique et de solidarité du Val d'Oust. Une vingtaine de communes se sont réunies pour en discuter, non sans cris et chamailleries. Finalement, faute de mieux, nous sommes partis à cinq communes. En effet, les maires percevant beaucoup de taxe professionnelle se demandaient : « pourquoi partager ? ». Même en Porsche, répondais-je, nul n'est à l'abri d'un accident et la réparation coûte alors plus cher que pour une 4L...D'autres disaient : « une entreprise vient de s'implanter chez moi, avec cinq ans d'exonération de taxe professionnelle ; je veux bien entrer dans ton truc, mais dans cinq ans ». Hélas, il n'a pas fallu tant de temps à l'entreprise en question pour déposer le bilan. La commune concernée aurait mieux fait de nous rejoindre avant. Certaines communes, dont celle qui avait la laiterie Entremont, ont heureusement accepté de partager leur taxe professionnelle, dés 1990.

En 1992, quinze jours après la promulgation de la loi, nous avons demandé la transformation du syndicat en communauté de communes, pour franchir un pas supplémentaire sur le chemin de la solidarité. Le 2 juillet 1992, nous sommes ainsi devenus la première communauté, inaugurée par le ministre Sueur le 9 juillet suivant - il est d'ailleurs invité à notre anniversaire. Nous en avons entendu de belles : « ça va se casser la figure », nous prédisait-on. Mais l'utopie d'aujourd'hui, c'est la réalité de demain. Hergé le prouve avec On a marché sur la lune ! Et l'utopie d'aujourd'hui, c'est un territoire national couvert de structures de coopération intercommunale.

Qu'avons-nous fait, en vingt ans, dans notre communauté ? De cinq à l'origine, nous sommes passés à 14 en 1997, à 15 en 1998 et 16 en 2010, soit près de 20 000 habitants, auxquels nous avons pu offrir une aide sociale à l'hébergement, des centres de multi-accueil pour la petite enfance, des lieux pour les adolescents, pour les personnes âgées, un premier service d'assainissement en 2001, la participation à un premier schéma régional des zones de développement de l'éolien ; et, grâce au tri sélectif et au compostage individuel, enseignés à l'école aux enfants, qui l'ont appris aux parents, nous n'avons pas eu à augmenter le taux de la redevance depuis huit ans.

Il faut une génération au moins pour faire progresser l'esprit communautaire, pour que chacun prenne la mesure du destin commun à construire. Notre conseil communautaire a souhaité rester seul pour l'instant, afin de renforcer d'abord la mutualisation financière, technique, humaine parmi ses seize membres. Cela ne signifie pas que nous restons isolés, nous travaillons avec nos voisins sur des dossiers précis. Mais nous préférons marcher en mettant un pied devant l'autre, pour ne pas tomber.

De la volonté des élus dépendent les nouveaux territoires. En matière d'institutions, le prêt-à-porter n'a plus lieu d'être, il faut du sur-mesure, un modèle adapté à la situation locale. Notre seule ambition est de faire progresser le territoire dont nous avons la responsabilité pour quelque temps. Demain ne sera pas comme hier, il sera comme nous le voulons aujourd'hui ; nous avons moins à découvrir qu'à inventer. Là où il y a une volonté, il y a un chemin, nous le trouverons ensemble, élus, associatifs, citoyens. L'Etat est là seulement pour nous accompagner. (Applaudissements)

(de gauche à droite : MM. Daniel HOEFFEL et Jean-Pierre SUEUR)

(M. Jean-Pierre SUEUR)

(M. Philippe RICHERT, ministre chargé des collectivités territoriales)

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