III. LA VOLATILITÉ, UNE QUESTION UN PEU SECONDE, MAIS IMPORTANTE

A. APERÇUS THÉORIQUES

Le problème de la volatilité des prix alimentaires est de plus en plus posé. La volatilité s'apprécie en considérant l'ampleur et la fréquence des écarts à une moyenne.

Techniquement, les épisodes de « flambée de prix » sont constitués, quant à eux, dès lors que la variation des prix atteint un pourcentage supérieur à deux écarts-types calculés au cours des cinq dernières années précédant la période pour laquelle les prix sont observés.

Ces épisodes de flambée sont rares. Dans le temps long, on en identifie quatre : les années 1972-74, 1988, 1995 et la période récente. Vue à partir des seuls prix exprimés en termes réels, la rareté du phénomène est encore plus forte. Quatre années seulement le vérifient : 1973 et 1974, 2007 et 2008.

Mais si les flambées sont rares, la volatilité ne l'est pas. Or, si la volatilité des prix alimentaires pose des problèmes seconds par rapport à la question fondamentale de la tendance des prix, elle n'en est pas moins à considérer.

Ainsi, s'il faut regretter que l'agenda du G20 défini par notre pays lors de l'exercice de sa présidence ne se soit pas attaqué prioritairement au problème primordial des tendances des prix alimentaires et, fondamentalement, à la question essentielle de la sécurité alimentaire dans le monde, il n'est pas injustifié d'aborder les questions spécifiques que pose la volatilité des prix alimentaires. Celles-ci recouvrent d'ailleurs une partie des interrogations concernant la tendance des prix alimentaires dans le futur ainsi que les conclusions finalement adoptées par le G20 en témoignent.

Hormis les problèmes de fonctionnement des marchés associés aux messages confus adressés aux producteurs par des évolutions extrêmes des prix (qu'on résume plus bas), la volatilité des prix des matières premières alimentaires est susceptible de poser des problèmes économiques et sociopolitiques graves.

Les années qui viennent de s'écouler montrent assez que les prix alimentaires sont soumis à des variations importantes, phénomène connu de longue date par les économistes qui, dans le passé, ont pu en décrire le déroulement pour telle ou telle production agricole (le « cycle du porc » faisant ici référence).

Mais, les temps présents et les enseignements des travaux de prospective renouvellent complètement l'actualité de cette question.

Plusieurs phénomènes se conjuguent dans ce sens.

• Les perspectives d'augmentation de la demande alimentaire en lien avec le développement économique et les tendances démographiques, des pays émergents notamment, sont soutenues quand les variations de l'offre disponible sont, elles, plus hypothétiques.

Même si l'on suppose crédibles les diagnostics selon lesquels la production pourra structurellement satisfaire la demande, la probabilité que des désajustements entre demande et offre puissent se produire, sporadiquement en cas de problèmes naturels, ou plus structurellement si l'élasticité de ces deux grands déterminants de marché ne sont pas homogènes se renforce.

Dans ces conditions, on peut anticiper que les prix réagissent plus que les quantités et qu'une tendance au renforcement de la volatilité intervienne.

 Mais un autre phénomène peut aggraver les inquiétudes relatives à la volatilité des prix alimentaires. Il s'agit de la « financiarisation » des produits agricoles et alimentaires.

Ce dernier phénomène est encore difficilement appréciable et l'une des propositions de la présidence française du G20 a du reste été d'améliorer l'information nécessaire à sa perception.

Mais, le processus semble en marche et il signifie que des actifs agricoles et alimentaires seront de plus en plus traités comme tout autre actif financier.

Dans ces conditions, les cours de ces produits n'obéiront plus seulement à des déterminants physiques. Ils seront aussi le résultat de mécanismes purement financiers. Or, les marchés financiers ont largement montré dans le passé leur instabilité, instabilité dont les ressorts ont été systématiquement étudiés au cours des dix dernières années.

Par ailleurs, l'histoire très ancienne montre que des produits de l'agriculture peuvent être le vecteur de positions spéculatives susceptibles d'entraîner la déstabilisation de toute une économie (voir en particulier l'explosion de la bulle financière sur les tulipes hollandaises en 1637 dite aussi « bulle du bulbe »).

 Enfin, il ne faut pas négliger les effets potentiellement attachés à la volatilité macroéconomique générale ou à celle d'intrants indispensables à la production agricole et connexes à celle-ci la question des conflits d'usage.

À cet égard, les perspectives des marchés énergétiques, et, plus particulièrement, du marché du pétrole présentent un intérêt majeur. Or ce marché connaît des caractéristiques qui vont dans le sens d'une forte volatilité59(*).

Les risques attachés à la volatilité des prix alimentaires sont considérables, s'agissant de produits nécessaires à la satisfaction de besoins vitaux.

Évidemment le risque majeur est celui que les prix alimentaires atteignent à un moment donné des niveaux tels qu'ils remettent en cause la capacité de certaines populations à se nourrir. Le risque est alors vital ; il est aussi politique et le passé ancien, mais aussi plus récent, enseigne que des révolutions, ou des guerres peuvent résulter de situations de stress alimentaire.

La distribution primaire d'un tel risque pèse avant tout sur les populations des zones en déficit alimentaire et sur les franges les plus pauvres (mais se sont souvent les mêmes populations qui sont concernées). Il serait moralement intolérable et politiquement irresponsable de se réconforter en s'imaginant être à l'abri des effets des famines qui pourraient s'en suivre.

Par rapport à cette préoccupation fondamentale, les autres risques à envisager peuvent apparaître secondaires. Ils n'en sont pas moins importants.

En premier lieu, toute tension sur les prix alimentaires entraîne une hausse du niveau général des prix qui réduit d'autant le pouvoir d'achat des ménages, dans la mesure où elle n'est pas compensée par une hausse de leurs revenus.

Par ailleurs, étant donné la structure de demande des différents segments de la population, un tel choc de prix ampute tout particulièrement le pouvoir d'achat des ménages appartenant aux catégories sociales les plus fragiles. Leur bien être économique déjà faible est fragilisé et, globalement, par ses effets asymétriques, « l'inflation alimentaire » augmente les inégalités.

La question des impacts macroéconomiques d'épisodes de déviation par le haut par rapport à la tendance des prix doit être complétée par l'évocation de ses effets sur les équilibres économiques mondiaux. Sans doute n'existe-t-il pas actuellement, comme pour d'autres matières premières, une concentration des producteurs telle que des cartels pourraient gérer l'offre de sorte que se crée un mécanisme donnant naissance à des « agro-dollars » comme il y a des « pétrodollars ». Cependant, les exercices de prospective disponibles montrent que le creusement des déficits alimentaires locaux est une perspective tendancielle et que, si rien n'était entrepris pour l'éviter, les balances commerciales mondiales déjà déstabilisées par les volumes à échanger pour équilibrer la demande et l'offre locales pourraient se trouver dramatiquement déséquilibrées tant par la tendance haussière des prix alimentaires que par la volatilité des prix alimentaires. Ces déséquilibres risquent en outre d'affecter la parité des devises nationales des importations (accroissant leurs déséquilibres extérieurs si leurs exportations ne réagissent pas favorablement à la dépréciation de leurs monnaies).

Enfin, le choc négatif de croissance que les hausses élevées des prix alimentaires entraînent réduit la base fiscale des pays et complique l'équilibre de leurs budgets nationaux. Des déséquilibres jumeaux (déficits extérieurs et des finances publiques) peuvent apparaître nécessitant des ajustements de politique économique réduisant le bien-être de populations potentiellement déjà très affectées par la réduction de leurs revenus réels.

Des pénuries physiques peuvent apparaître et renforcer des crises qui peuvent devenir dramatiques. Des famines peuvent se produire ainsi que des migrations plus ou moins massives.

Évidement, ces enchaînements :

- dépendent de l'ampleur des mouvements de prix ;

- et sont asymétriques, les pays importateurs subissant ces hausses ainsi que les individus les plus pauvres.

Si les flambées de prix alimentaires sont des épisodes rares, la volatilité des prix est de règle sur les marchés de matières premières agricoles. Elle résulte de l'existence de fréquents désajustements entre offre et demande, les produits agricoles étant sujets à des aléas physiques plus ou moins prévisibles et, plus généralement, se caractérisant par une logique productive qui n'est qu'exceptionnellement compatible avec les fluctuations de la demande.

De fait, l'offre alimentaire est relativement inélastique. Dans de telles conditions, l'offre tend à réagir tardivement à la demande et, en même temps, paradoxalement à sur-réagir à celle-ci ou bien avec retard.

Ces déséquilibres successifs impliquent des hausses puis des baisses de prix alimentaires.

À ces facteurs physiques peuvent s'ajouter les effets des interventions sur le marché mises en oeuvre en réaction aux évolutions des prix, qu'elles viennent des pouvoirs publics ou des acteurs privés du marché.

Du côté des autorités publiques, la régulation des marchés peut exercer des effets déstabilisants. Par exemple, en situation de hausse subite des prix, il arrive assez souvent que, pour répondre aux pénuries qui les provoquent parfois, des dispositions soient prises pour accroître la production et réserver l'offre disponible à des usages nationaux. Les subventionnements accordés, les stockages (accompagnés dans certains cas de restrictions à l'exportation), peuvent accentuer la volatilité. Dans le premier cas, si la contraction de l'offre est due à des conditions momentanées, l'essor de la production résultant des subventions peut participer à la constitution d'un excès d'offre dans la période consécutive de retour à la normale.

Dans le second cas, les politiques de restriction à la mise sur le marché suscitées par un réflexe de précaution peuvent augmenter encore les prix des produits alimentaires.

Du côté des intervenants privés, il est à craindre que la volatilité n'alimente la volatilité. Les intervenants sur les marchés peuvent, pour certains d'entre eux, ne pas être hostiles à l'incertitude dont la volatilité des prix est une des manifestations. Car l'incertitude créée, avec la volatilité qu'elle engendre, des opportunités de spéculation. On peut même dire qu'elle les justifie dans la mesure où des opérations spéculatives mais à visée non spéculative, comme la couverture des risques, découlent, face aux situations d'incertitude, d'une volonté prudentielle.


* 59 D'une forte volatilité mais aussi, comme à l'a vu, d'une tendance à la hausse des prix qu'il faut prendre pleinement en considération quand on fait la prospective des marchés agricoles et alimentaires, non seulement parce que l'énergie est un coût de production de cette filière mais encore, et surtout, peut-être, parce que les prix énergétiques pourront modifier l'allocation des terres agricoles.