DÉBAT AVEC LA SALLE

Yvon COLLIN

Très bien. Ces deux exposés ont apporté, je crois, un certain nombre d'éléments qui devraient pouvoir nourrir une première batterie de questions, d'interventions en demandant aux uns et aux autres de bien vouloir se présenter lorsqu'ils souhaitent intervenir et ensuite d'être assez concis pour qu'on puisse tenir le temps. N'oublions pas que nous avons d'autres intervenants. Sur les deux interventions que nous venons d'écouter avec beaucoup d'attention et d'intérêt, j'ouvre le débat. Qui ouvre le feu des questions ?

Bernard BACHELIER

Monsieur le sénateur, vous m'aviez tendu la perche, donc je suis obligé de réagir si vous voulez. Je crois qu'il y a différents types d'exercices qui ne sont pas tous de même nature et qui ne reposent pas tous sur les mêmes logiques. Je suis donc toujours assez inquiet de la façon dont la représentation nationale - puisqu'on est là pour cela - peut tirer parti de ce genre de présentation très rapide dans lequel on ne vous présente pas toutes les hypothèses et du coup, on est obligé d'accepter ou pas un certain nombre de conclusions. Je pense qu'il y a vraiment des logiques extrêmement différentes et Sandrine Paillard a mis en avant effectivement un des éléments sur lequel je voulais intervenir dans la conclusion des réflexions françaises. Les travaux de prospective d'Agrimonde n'avaient pas pour objectif de brasser un champ global, donc il n'y a pas toutes les hypothèses. C'est pour cela que je pense qu'il est important que la représentation nationale ne se fasse pas des illusions sur le fait qu'il y ait un exercice qui a un très beau nom et qui est peut-être une très belle ambition mais qui s'est borné à deux scénarios : un scénario tendanciel et un scénario de rupture. Ce ne sont donc pas des éclairages pour la politique qui sont suffisants. Moi, je pense qu'il faut clairement qu'on le dise.

La deuxième chose, c'est qu'Agrimonde 1 n'est pas un scénario équilibré. Ce n'est pas un scénario équilibré en réalité parce que l'équilibre est fait par le fait qu'on ramène tout le monde à 3 000 kilo-calories, ce qui dégage des excédents des pays développés. L'équilibre est fait avec les excédents des pays développés. C'est cela que je conteste. C'est pour cela que je me suis battu, pour qu'il y ait un autre scénario qui est Agrimonde G0 mais qui n'a pas donné lieu au même investissement quantitatif et intellectuel que le premier. Agrimonde 1 repose sur l'hypothèse que les pays développés diminuent leur consommation alimentaire, que cela va dégager des excédents et que ces excédents vont permettre de combler les déficits des autres. Cela permet de poser des hypothèses de rendements et de progression que Sandrine Paillard vient de rappeler sur l'Afrique qui sont très réductrices ou qui sont très prudentes, plus que prudentes. C'est-à-dire qu'on fait des hypothèses où il n'y a quasiment pas d'augmentation du rendement, ce qui n'est pas du tout réaliste puisqu'aucune des remarques rétrospectives ne permet de les anticiper. L'Afrique de l'Ouest a doublé ses rendements depuis 25 ans ; elle n'a pas réussi à améliorer la satisfaction alimentaire (c'est-à-dire qu'on a suivi la démographie mais on ne l'a pas dépassée) mais on a doublé les rendements quand même. On a doublé les rendements principalement par l'extension des surfaces cultivées, et seulement par 1,6 % d'augmentation des rendements. Il y a un potentiel qui existe et c'est la deuxième chose que je veux mettre en évidence. J'attire l'attention sur le fait que les informations dont nous disposons aujourd'hui sur l'impact du changement climatique sont extrêmement peu précises, peu précises localement. C'est donc une hypothèse - encore une fois délibérée - du groupe de travail d'Agrimonde de dire qu'il y aura des conséquences majeures du changement climatique et qu'il faut donc ne pas accepter ou ne pas retenir les hypothèses d'augmentation importante des rendements. Ces deux équations sont donc fondamentales parce qu'encore une fois, en schématisant - moi je crois qu'à un moment donné, il faut être simple et qu'il faut schématiser - en gros on nourrit le monde en mettant les obèses du Nord au régime. Je crois que c'est cela qu'il faut quand même voir : on met au régime les Européens et les Américains. Cela dégage des excédents qui permettent de combler les besoins de pays du Sud qu'on laisse, notamment en Afrique subsaharienne, dans une situation déficitaire de 50 %, 50 % quand même ! Moi, je pense donc qu'il est très important de rappeler cela. Je n'ai pas besoin de revenir sur la présentation du rapport de la FAO puisqu'il a été présenté, et c'est la première présentation qui a été faite. Je veux ré-insister quand même sur l'hypothèse qui est retenue par la FAO : que l'augmentation de 70 %, ce qui paraît quand même plus raisonnable, à 90 % dans les pays en développement et à 80 % par l'augmentation des rendements. Effectivement, il y a donc un aspect volontariste sur lequel on reviendra - je pense dans la deuxième table ronde - sur est-ce que nous donnons des moyens, sur est-ce que la communauté internationale se donne les moyens pour obtenir ces résultats ? On voit qu'ils ont été obtenus dans les trente dernières années : entre 1980 et 2010. Ces résultats ont été obtenus : ils ne sont donc pas hors de portée ni de la recherche ni des politiques agricoles. Voilà. Merci.

Yvon COLLIN

Merci Monsieur Bernard Bachelier. Qui a besoin de la parole ?

Jean-Christophe DEBAR

Jean-Christophe Debar, Pluriagri. Je remercie d'abord les deux présentatrices pour la synthèse qui a été faite. J'aurais une remarque à faire concernant la synthèse des exercices étrangers. Il y a une diapositive finale ou presque finale qui résumait bien à la fois les incertitudes, les marges de manoeuvre et les leviers. Je regrette et je suis un petit peu surpris de ne pas avoir entendu le mot politique agricole prononcé à la fois dans les incertitudes, probablement dans les marges de manoeuvre et les leviers. En effet, je crois que les investissements et l'investissement - pardon - dans l'agriculture, notamment dans les PED en matière de recherche et développement de manière générale, c'est sans nul doute un levier important et on le voit bien dans les débats de ces derniers mois. Je pense néanmoins que la politique agricole proprement dite - donc à côté de ces questions d'investissement - mériterait d'être mentionnée et un peu plus que cela, d'être développée au moins sur un ou deux plans. Vous pensez bien que la politique agricole, malgré toutes les critiques qu'on peut parfois lui adresser, a au moins un rôle positif dans les préoccupations qui nous occupent et nous intéressent aujourd'hui, c'est celui - pour aller très vite - disons de réducteur d'incertitudes pour le producteur, qui me semble aller dans un sens plutôt favorable pour contribuer positivement au défi alimentaire. Et puis, il y a d'autres fonctions bien sûr, au moins une tenant notamment à la question des stocks qui intervient à la fois pour les producteurs et les consommateurs. Voilà. Il y a également le côté politiques commerciales à côté des politiques agricoles. Vous y avez fait allusion à travers votre travail, dans Agrimonde également, dans les plus et dans les moins, on peut en débattre bien sûr mais encore une fois voilà n'oublions pas les politiques agricoles au Nord comme au Sud, bien sûr.

Yvon COLLIN

Je remercie Jean-Christophe Debar. Bien sûr on évoquera ce sujet dans la deuxième session. Qui demande la parole ?

Alain BLOGOWSKI

Merci Monsieur le Président. Alain Blogowski, je suis secrétaire du Conseil National de l'Alimentation. Je voulais juste attirer l'attention parce qu'on a beaucoup évoqué les échanges pays développés-pays en voie de développement avec l'expression « faire maigrir les obèses pour nourrir les pauvres », je voudrais rappeler aussi que dans les pays développés, on a des gens qui manquent et d'autres qui souffrent de la faim. On a trois millions en France de population qui bénéficie de l'aide alimentaire. Par rapport à ce que vous avez dit toutes les deux, il y a une contradiction qu'il faut avoir à l'esprit, c'est que si on réduit les excédents et qu'on réduit les gaspillages, aujourd'hui l'organisation française de l'aide alimentaire repose sur ces excédents et gaspillages. Ainsi, je veux dire, il faut aussi avoir une réflexion un peu prospective : d'abord il faudrait bien connaître le gaspillage en France, savoir où il est, qu'est-ce que c'est, est-ce qu'on peut vraiment le recycler - c'est tout sauf simple - et puis, essayer d'anticiper - si jamais on arrive à réduire le gaspillage et à avoir des politiques agricoles où il n'y a plus d'excédents. Cela suppose qu'on revoit tout le système d'aide alimentaire en France et en Europe et aujourd'hui, voilà, il y a un vrai débat. C'était juste ce que je voulais dire, il ne faut pas trop simplifier et ne pas oublier que même en interne, on a cette contradiction.

Yvon COLLIN

Merci Monsieur Blogowski. Qui demande la parole ? Oui, Monsieur Griffon.

Michel GRIFFON

Je voudrais intervenir pour élargir les choses parce que je suis persuadé que la problématique agricole est intimement liée à la problématique industrielle, des services, aux problématiques du développement en général et aborder la question de l'emploi à l'échelle internationale. Les scénarios qui nous sont présentés sont des scénarios d'une vision interne aux problèmes agricoles et alimentaires, et je pense qu'à l'avenir il faudra que l'on fasse interagir ces scénarios avec quelque chose qui soit plus global. Au fond, moi ce qui m'intéresserait pour aller vite, cela serait deux scénarios qui prennent en compte un aspect important de la démographie à long terme, qui est la répartition entre la population agricole et la population urbaine vivant de l'industrie et des services.

Pour aller très vite, nous sommes environ 6,7 milliards, 6,5 milliards ou 6,6 milliards. Il y a 40 % de personnes qui vivent de l'agriculture, ce qui fait à peu près 2,6 milliards. Parmi les 2,6 milliards, rappelons qu'il y en a 600 millions - il y a trois ans, maintenant vraisemblablement 700 millions - qui sont des agriculteurs et qui sont dans une très grande pauvreté, sous-alimentés et qu'il y a à peu près 2 milliards d'agriculteurs qui vivent d'une petite agriculture en autosubsistance. Il y a à peu près entre 20 à 30 millions d'agriculteurs qui vivent de grandes exploitations allant de celles de la pampa, du Brésil, des États-Unis, des anciens Kolkhozes, Sovkhozes, etc. à nos exploitations agricoles européennes. Alors, si l'on essaye de penser l'évolution d'ici 2050, 9 milliards d'habitants dont plus ou moins 200 millions. La tendance future peut se raisonner à partir des chiffres du présent et des chiffres du lointain passé. Or les chiffres du lointain passé reposent sur une théorie de la migration intersectorielle de la main-d'oeuvre, de l'agriculture vers l'industrie et les services. C'est une théorie qui historiquement est bien documentée, qui aboutit à 2,5 % d'agriculteurs en Europe, à 1,5 % aux États-Unis mais encore 60 à 70 % dans les pays les plus pauvres. Mais si à l'échelle mondiale, d'ici 2050, une grande partie de la population agricole passait dans l'industrie et les services, cela supposerait que l'industrie et les services aient véritablement une capacité d'accueil de cet emploi. Or, avec 9 milliards d'habitants, si on fait homothétiquement une projection, il y aurait quand même 3 milliards d'agriculteurs, donc 1 milliard de plus parmi les agriculteurs pauvres dans les pays en développement. C'est ce milliard qui devrait transiter de l'agriculture vers les services. Or, notre économie mondiale est une économie où on accroît en ce moment-même rapidement la productivité et la compétitivité dans les industries et dans les services, puisque la Chine devient l'atelier du monde... Si bien qu'on peut émettre de grands doutes sur la capacité de l'industrie et des services d'absorber un milliard supplémentaire d'agriculteurs en deux générations dans les quarante ans qui viennent, d'ici 2050. Ce qui veut dire qu'il faudrait explorer un scénario de refoulement historiquement nouveau, inédit de la population rurale vivant de l'agriculture, c'est-à-dire un maintien de cette population dans le secteur agricole. Ce maintien va poser des problèmes tout à fait considérables sur la pauvreté, sur leurs revenus et sur leur accès à la terre et à l'eau. Autrement dit, on peut se demander si les réformes agraires ne sont pas devant nous, comme au moment de la grande accélération démographique des années 1960 et des années 1970. Deux scénarios me sembleraient donc intéressants maintenant. Le premier serait un scénario où on maintient comme hypothèse-clé que l'agriculture du futur doit se faire, devrait se faire avec des bas prix d'alimentation pour alimenter à bas prix les urbains pauvres, ce qui est une hypothèse très réaliste puisque la pression politique des urbains pauvres - on le sait historiquement, en tout cas en Europe depuis les XII e -XIII e siècles - est une pression extrêmement forte puisque c'est le peuple qui peut briser les grilles des palais princiers et exiger du pain. Cela, c'est historiquement quelque chose d'extrêmement puissant. Par ailleurs, les grandes exploitations dans le monde entier sont toujours dans une course à la compétitivité et à la productivité. Ces grandes fermes peuvent contribuer de façon très importante à nourrir à bas prix les populations pauvres des villes, et ce, d'autant plus que la désindustrialisation d'une grande partie des pays de l'OCDE, alors que ce sont des pays de grandes exploitations agricoles, les désignerait presque tendanciellement à être des exportateurs de matières alimentaires à bas prix pour les villes des pays en développement. Il faut donc voir jusqu'où peut aller un tel scénario et ses conséquences. Ses conséquences, notamment, c'est que des bas prix alimentaires dans les villes, c'est des bas prix agricoles pour 2,5 à 3 milliards d'agriculteurs déjà pauvres. C'est donc un scénario qui a une extraordinaire limite sociale, qui est un scénario d'explosion sociale des campagnes dans un monde mondialisé, où la culture se diffuse partout : scénario de pauvreté paysanne qu'il faudrait quand même explorer. Il faudrait à mon sens explorer un deuxième scénario - c'est peut-être ce qu'il faudrait faire pour l'avenir d'Agrimonde - qui serait un scénario où toute cette tendance que je viens d'exprimer serait limitée, c'est-à-dire que la tendance à l'accroissement de la productivité dans les grandes fermes de l'OCDE continuerait mais avec une capacité d'exportation limitée, de façon à ce qu'il y ait des politiques agricoles qui fassent monter les prix agricoles pour limiter la pauvreté paysanne. C'est un scénario qui n'est au fond qu'un scénario de transition lente, parce que l'histoire, c'est que depuis à peu près un siècle et demi, les prix agricoles baissent et il faudrait faire remonter lentement les prix agricoles pour éliminer la pauvreté paysanne dans les pays du Sud. Cette remontée lente des prix agricoles crée une situation potentielle de tension dans les villes, qui ne peut être résolue que par une offre de sécurité alimentaire des pays de l'OCDE. Voilà. Simplement, pour résumer, il ne faut pas que nous considérions le problème alimentaire comme un problème en soi et isolable. Il est grand temps dans le monde que nous connaissons de connecter la problématique alimentaire avec la problématique générale du développement.

Yvon COLLIN

Merci de cet éclairage, qui demande la parole ? Comme je vois que les intervenants vont carrément sur la deuxième session, je voudrais demander à nos intervenants de préciser la nature des normes plus ou moins explicites qui accompagnent les scénarios de satisfaction des besoins alimentaires à horizon 2050. Il y a dans ces scénarios - cela a été un peu dit par les intervenants - une part de convention - je le dis sans critiques - et nous devons la cerner avec précision pour au moins deux raisons : pour ne pas passer à côté des scénarios alternatifs - cela a été dit aussi - qui pourraient aussi bien décrire ce à quoi nous allons être confrontés et puis, nous devons aussi pouvoir mesurer la robustesse des hypothèses qui constituent le substrat des prospectives et au moins s'il peut exister un consensus sur ces choix implicites. Alors, Mesdames et Messieurs, si vous pouvez bien nous dire en quelques mots ce que sont ces normes, plus ou moins cachées, je crois que nous en tirerions les uns et les autres un grand bénéfice. Parmi les variables déterminantes, il y a la disponibilité des surfaces, notamment. Selon certaines estimations aujourd'hui, seules 32 % des surfaces cultivables sont cultivées alors qu'il y a déjà de graves déséquilibres alimentaires qui justifieraient sans doute une plus forte mobilisation. Pourquoi cette situation ? - si certains peuvent y répondre. Jusqu'où peut-on aller dans l'extension des surfaces cultivées ? - autre question. Parmi les choix implicites, il y a celui de limiter le recours aux échanges agricoles internationaux. Je voudrais bien comprendre s'il s'agit d'une contrainte prédictive ou bien d'un choix normatif. C'est une question. Après tout, la lecture libérale des marchés plaide plutôt pour l'approfondissement des spécialisations internationales, et les économistes du développement considèrent que la réduction de la part de la production primaire dans le produit total n'est en soi pas une mauvaise chose. Il est vrai qu'elle n'implique pas l'abandon de productions agricoles. Sans doute. Au-delà, il y a quelque chose de presque gênant dans cette vision de l'agriculture devenant des enjeux nationaux. Dans un monde organisé autour de cette vision, on pressent que le nationalisme agricole puisse se déchaîner. Or, nous ne pouvons pas ne pas être attentifs, même si nous ne les partageons pas nécessairement, aux critiques adressées aux effets négatifs qu'auraient les protections des pays les plus développés sur les agricultures du Sud - cela a été rappelé par certains. Si bien que finalement, la question de la conciliation de l'agriculture auto-suffisante au niveau, sinon national du moins régional, avec l'existence d'un tel état du monde, me semble se poser. Mais peut-être que j'entre déjà dans le vif du sujet. Je vais donc sans plus tarder passer la parole... Est-ce qu'il y a des réactions sur ces questions avant de passer à la deuxième table-ronde ? Oui, Sandrine Paillard.

Sandrine PAILLARD

Il y a plusieurs questions. D'abord, pour continuer d'interagir avec Monsieur Bachelier, je suis assez d'accord avec ses remarques. En effet, Agrimonde est un exercice qui se voulait relativement modeste : encore une fois, on n'est pas sur de la prévision, on est sur de la prospective. On n'a fait que deux scénarios, ce qui est clairement insuffisant pour vraiment pouvoir poser toutes les alternatives. Je pense que les limites que vous pointez, elles sont claires. Cela a permis quand même de souligner le rôle des régimes alimentaires et la question des pertes, ce qui n'est pas inutile pour la recherche. Cela a aussi souligné l'arbitrage surfaces-rendements qui est un point de débat quasi-idéologique, avec des visions de cette question qui sont très différentes d'une région à l'autre. Je pense que l'arbitrage surfaces-rendements est vraiment un élément très important de cette question de la sécurité alimentaire. Sur les disponibilités des surfaces, vous reposiez la question, c'est vrai qu'on entend un petit peu tout là-dessus et je pense que c'est aussi lié à des visions très différentes selon les cultures sur cette question. Ce que l'on peut dire, c'est d'abord qu'il est clair que les statistiques sur lesquelles on s'est fondé pour dire qu'il y a de la disponibilité, notamment en Amérique latine, en Afrique subsaharienne et dans l'ex-Union Soviétique, sont vraiment des statistiques très solides. Mais, un problème énorme, c'est comment on définit la disponibilité des surfaces. Parce qu'en effet, par exemple en Afrique subsaharienne, des terres de parcours, est-ce qu'elles doivent vraiment être définies comme des terres disponibles pour les cultiver ? Cela pose quand même pas mal de problèmes, notamment aux paysans les plus pauvres. Donc cette question de qu'est-ce qu'on définit comme disponible est vraiment importante en Afrique subsaharienne, et en Amérique Latine également. Et puis, je voudrais dire pour terminer que je suis vraiment d'accord avec la vision de Monsieur Griffon sur le fait qu'on a développé dans Agrimonde - et dans beaucoup d'exercices de ce type - une vision très agricole de la question de la sécurité alimentaire et qu'il faudrait penser, dans la suite d'Agrimonde éventuellement, à ouvrir en effet le débat à d'autres acteurs qui sont moteurs pour des variables qui seront également très influentes sur la question de la sécurité alimentaire.

Yvon COLLIN

Merci.

Véronique VILLAIN

Véronique Villain, Confédération paysanne. Je pense que par rapport aux questions que vous venez de poser, il me semble qu'il y a des éléments dont on pourrait demander, notamment à Monsieur Griffon qu'il précise éventuellement cela. S'il y a un besoin, à un moment, de proposer des scénarios de rupture par rapport au cliché communément admis qu'il faut produire un maximum, c'est partir déjà du constat qu'actuellement, on n'est pas en défaut de production et que les problèmes de malnutrition sont essentiellement liés à un problème de revenus des populations, notamment des populations agricoles, et que le premier problème de sous-alimentation aujourd'hui vient de ce fait-là plus que d'un problème de production. L'autre cliché, aussi, c'est que les échanges mondiaux permettraient de nourrir le monde. Alors, cela, c'est une idée facilement admise dans les milieux politiques et bien-pensants qui s'imaginent qu'on va résoudre tous les problèmes de la planète. Sauf que le premier constat qui est quand même important à faire, c'est que les agricultures du Nord, aujourd'hui très intrusives sur les marchés mondiaux, contribuent fortement à la dégradation des agricultures vivrières locales et contribuent à la pauvreté et à la sous-alimentation des gens des régions les plus pauvres. Quand les cuisses de poulets, les déchets de notre alimentation à nous vont sur les marchés africains, ils détruisent la production de poulets locale et conduisent les paysans qui produisent ces poulets localement à la pauvreté qu'ils ne connaissaient pas antérieurement. Il y a donc des raccourcis qu'il faut - je pense - éviter de faire et je pense que l'intervention des experts sur ce sujet est importante aussi. Juste, autre détail après dans les autres clichés, c'est de s'imaginer que dans le Nord, les agriculteurs sont riches. Excusez-moi, moi je suis en production laitière aujourd'hui en Seine-Maritime : il faut sortir du cliché que les agriculteurs gagnent de l'argent. Aujourd'hui, il y a une partie de l'agriculture qui ne vit que par l'apport de subventions. Si l'on supprime aujourd'hui les subventions publiques à l'agriculture, on est dans un état de misère inouï. Il faut donc sortir de ce cliché que l'agriculture du Nord a résolu tous ces problèmes et que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Au Nord, on n'en est pas du tout là aujourd'hui dans le milieu rural chez nous.

Yvon COLLIN

Mais vous êtes d'accord sur la question que se pose le Parlement sur ce défi alimentaire ? Vous êtes d'accord sur le principe du débat ?

Véronique VILLAIN

Complètement, je vois justement qu'il est bien utile pour mettre au clair toutes ces questions-là.

Yvon COLLIN

Merci. Qui demande la parole ? Plus personne. On enchaîne alors sur la deuxième session. Je vais donner la parole à Madame Carmel Cahill si elle est prête. Vous avez la parole.

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