B. ... DONT L'IMPORTANCE DOIT ÊTRE MISE EN PERSPECTIVE AVEC LES AVANTAGES DE LA RATIONALISATION DES RELATIONS FISCALES ENTRE L'ETAT ET LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

1. Un coût comparable à celui de précédentes réformes fiscales

Ce coût de 4,5 milliards d'euros en rythme de croisière n'est pas négligeable dans le contexte actuel des finances publiques.

C'est la raison pour laquelle la mission s'est attachée à en mesurer l'ampleur et à en analyser les fondements. Certes, « l'analyse par le seul prisme budgétaire ne traduit en aucune façon les vrais enjeux des deux réformes, celle de la taxe professionnelle et celle des finances locales », comme l'a énoncé Marie-Christine Lepetit. En revanche, la mission ne considère pas qu' « il y [ait] un surinvestissement sur ces questions au regard des sommes réellement en jeu » , comme elle l'a affirmé.

S'il doit être replacé dans le contexte tendu des finances publiques, ce coût de 4,5 milliards d'euros doit cependant également être mis en perspective avec l'objectif de la réforme, qui est de favoriser la compétitivité des entreprises . L'allègement de la fiscalité pesant sur ces dernières représente nécessairement un coût que le Gouvernement était prêt à assumer.

Il est en outre comparable à celui de la précédente grande réforme de l'impôt économique, qui répondait à des objectifs similaires : la suppression de la part salaires de la taxe professionnelle. Le coût net de cette réforme intervenue en 2000 s'est en effet situé entre 3 et 4 milliards d'euros par an , d'après les estimations du rapport Fouquet de décembre 2004.

Plus récemment, une autre réforme économique du quinquennat de Nicolas Sarkozy a concerné des montants similaires. La réforme du crédit d'impôt-recherche adoptée en loi de finances pour 2008 a en effet porté son coût pour l'État à 4,16 milliards en 2009 , alors qu'il s'élevait à 1,68 milliard d'euros en 2008.

Enfin, le coût de la réforme de la taxe professionnelle représente un montant relativement faible, une fois rapporté à l'ensemble des remboursements et dégrèvements de l'État, qui atteignent 85 milliards d'euros environ en 2012.

2. L'effort de rationalisation des dépenses et recettes de l'Etat liées à l'impôt économique local

En ce qui concerne l'Etat, la réforme ne s'est pas seulement traduite par un coût budgétaire. Elle a été l'occasion d'une clarification de ses relations financières avec les collectivités, qui a considérablement renforcé la lisibilité de l'impôt économique local.

a) La volonté d'en finir avec la prise en charge substantielle de l'impôt économique local par l'Etat

Le niveau de prise en charge de la fiscalité locale par l'Etat correspond à la somme des dégrèvements d'impôts locaux , par lesquels l'Etat se substitue au contribuable local pour acquitter l'impôt, et des compensations d'exonérations , par lesquelles il « indemnise » les collectivités des pertes de recettes fiscales qu'elles subissent sur décision du législateur.

En 2009, les remboursements et dégrèvements liés à la taxe professionnelle ont représenté 13,5 milliards d'euros sur un produit de 31,4 milliards d'euros, soit une proportion de 43 %.

La réforme initialement proposée par le Gouvernement devait mettre fin à cette situation, qui contribuait à l'absence de lisibilité de l'impôt économique. A ce titre, le Gouvernement avait prévu de maintenir, en rythme de croisière, un seul dégrèvement lié à la CVAE : le plafonnement de la CET à 3 % de la valeur ajoutée.

Ainsi, la compensation aux collectivités territoriales aurait essentiellement pris la forme d'une dotation budgétaire . Outre l'accroissement de la lisibilité de l'impôt déjà évoqué, ce dispositif aurait garanti à l'Etat la maîtrise du coût de cette réforme à long terme.

Le dispositif d'imposition à un taux unique assorti d'un dégrèvement barémique, adopté à l'initiative du Sénat, a eu pour effet d'atténuer cet effort de rationalisation des dépenses de l'Etat liées à l'impôt économique. Il réduit la visibilité de l'Etat sur ses dépenses, dans la mesure où le coût de ces dégrèvements varie avec la conjoncture.

Cette modification du projet initial du Gouvernement ne doit néanmoins pas masquer les efforts de ce dernier en matière de rationalisation des dépenses liées à l'impôt économique local. De fait, la contribution de l'Etat au titre de l'impôt économique local a tout de même diminué, bien que de façon plus limitée que ce qui avait été prévu au départ.

b) Une diminution de près de 60 % de la contribution de l'État au titre de l'impôt économique local

Comme l'a déjà exposé notre collègue Marie-France Beaufils dans son rapport sur les remboursements et dégrèvements réalisé dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2012, « sous l'effet de la réforme de la fiscalité directe locale, les remboursements et dégrèvements imputables à la TP ou aux nouvelles impositions seront passés de 13,5 à 5,6 milliards d'euros [de 2009 à 2012], soit une diminution de près de 60 % 38 ( * ) . »

En 2011, il est prévu qu'ils atteignent 7,1 milliards d'euros, sur un produit attendu des impôts économiques (CET et IFER) de 22,3 milliards d'euros, soit une proportion de 32 %. Par rapport au coût des dégrèvements que l'État aurait dû acquitter en l'absence de réforme, cela représente un gain de l'ordre de 8 milliards d'euros, d'après le tableau global du coût de la réforme fourni par le ministère du budget. Il est évalué à 9,5 milliards pour 2012.

Comme le montre l'annexe « Transferts financiers de l'Etat aux collectivités territoriales » au PLF 2012, la réforme de la taxe professionnelle a provoqué une inflexion brutale de la part de la fiscalité locale prise en charge par l'État à partir de 2010.

Évolution de la part de fiscalité directe locale prise en charge par l'Etat

(en %)

Source : jaune « Transferts financiers de l'État aux collectivités territoriales »

Le coût du plafonnement lié à la valeur ajoutée de la CET est évalué par la DGFiP à 730 millions d'euros au titre de 2010, alors que le dégrèvement lié au plafonnement de la TP a représenté près de dix milliards d'euros en 2009 . L'allègement de l'impôt économique souhaité dans le cadre de cette réforme réduit en effet mécaniquement les montants susceptibles d'être concernés par ce dégrèvement, malgré la réduction du plafond de 3,5 % à 3 %.

Quant au dégrèvement barémique, son coût est aujourd'hui évalué à 3,4 milliards d'euros pour 2011, qui se répartissent de la façon suivante :

Répartition du coût pour l'État du dégrèvement barémique
en fonction des entreprises

Chiffre d'affaires des entreprises

Proportion du coût

Coût en valeur absolue

152 500 - 500 000€

22,4%

0,76 Mds €

500 000 - 3 M€

53,6%

1,82 Mds €

3 M € - 10 M€

21,3%

0,72 Mds €

10 M€ - 50 M€

2,7%

0,09 Mds €

> 50 M€

0%

-

Total

100%

3,4 Mds €

Source : ministère du budget, des comptes publics, et de la réforme de l'Etat

Il a été réduit par l'adoption de la règle de consolidation du chiffre d'affaires en cas d'appartenance à un groupe d'intégration fiscale pour la détermination du montant du dégrèvement barémique. Cette diminution devrait être de l'ordre de 17 millions d'euros 39 ( * ) .

Enfin, le coût du dispositif dit d'« écrêtement des pertes », prévu pour une durée limitée afin d'atténuer les effets de la réforme pour les entreprises perdantes, est de l'ordre de 700 millions d'euros pour 2011 et 500 millions pour 2012 . Il a vocation à diminuer progressivement jusqu'à 2014.

Un autre dégrèvement temporaire a été institué par la loi de finances rectificative du 29 juillet 2011 à l'article 1647 C quinquies C du code général des impôts, afin « « d'effacer » l'imposition indûment acquittée par les entreprises au titre des années 2010 et 2011 du fait de l'augmentation des taux syndicaux de CFE 40 ( * ) », comme l'exposait notre collègue Philippe Marini dans le rapport consacré à cette loi de finances rectificative. Son coût est toutefois transitoire, et représente un montant d'une ampleur beaucoup plus limitée.

Si l'architecture des dégrèvements a été profondément remaniée à l'occasion de la réforme, il n'en a pas été de même pour les compensations d'exonérations, dont le principe n'a pas été remis en cause. Leurs modalités de calcul ont été adaptées au nouvel impôt économique local.

Leur montant est également en diminution, mais ce phénomène résulte avant tout du fait qu'elles constituent en partie des variables d'ajustement des dotations versées par l'État aux collectivités . En effet, l'enveloppe normée des dotations de l'État a été gelée. Or, certaines de ses composantes augmentent, soit mécaniquement, comme dans le cas de la dotation de base de la DGF communale liée la population, soit sous l'effet d'un choix délibéré, avec l'augmentation des parts péréquatrices de la DGF. En contrepartie, les autres composantes doivent nécessairement être réduites. Elles constituent ainsi des « variables d'ajustement » des dotations de l'État.

En définitive, cette réduction significative de la prise en charge de l'impôt économique local par l'État doit être saluée. L'ampleur de cette dernière dans le régime antérieur rendait la TP peu lisible et affaiblissait la relation entre les collectivités territoriales et les entreprises.

La mission considère que cet objectif de clarification des relations financières existant entre les collectivités, l'État et les contribuables à travers l'impôt économique doit être poursuivi. C'est la raison pour laquelle votre rapporteur a écarté la proposition formulée par le syndicat d'agglomération nouvelle Ouest-Provence, consistant à transformer l'abattement de 30 % des valeurs locatives des établissements industriels en un dégrèvement qui serait pris en charge par l'État.

Proposition n° 12 :

Poursuivre les efforts de clarification des relations financières entre l'Etat, les collectivités et les contribuables

c) La réduction des recettes perçues par l'Etat en lien avec l'impôt économique local
(1) La suppression de la CMTP et de la CNP

La cotisation minimale de taxe professionnelle et la cotisation nationale de péréquation étaient deux cotisations perçues par l'Etat en lien avec la taxe professionnelle. Elles affectaient la lisibilité de la relation entre les collectivités et les entreprises, puisqu'une partie de l'impôt économique local revenait à l'État.

La cotisation nationale de péréquation était particulièrement accusée de perturber le lien fiscal entre les collectivités et les contribuables. En effet, appliquée aux entreprises disposant d'établissements situés dans les communes où le taux global de TP était inférieur au taux global moyen constaté l'année précédente au niveau national, elle pénalisait les communes qui appliquaient des taux bas.

Comme le résumait notre collègue Gilles Carrez, alors rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale, dans son rapport sur la loi de finances pour 2010, « [...] mérite d'être posée l'opportunité du maintien, en l'état, d'une cotisation nationale de péréquation qui ne finance plus, depuis 2003, la péréquation et qui fausse la réalité du lien fiscal, en maintenant, en outre, l'État au coeur de la fiscalité locale 41 ( * ) . »

C'est la raison pour laquelle l'Assemblée nationale a proposé sa suppression à l'occasion de la première lecture du projet de loi de finances pour 2010 et l'intégration de l'équivalent de son produit dans les taux communaux et intercommunaux.

La suppression de la CMTP et de la CNP a ainsi considérablement renforcé la lisibilité de l'impôt économique local et le lien entre les collectivités et les entreprises puisque, désormais, la totalité de la CET revient aux collectivités locales, mis à part les frais de gestion perçus par l'État. Ces derniers ont, pour leur part, fait l'objet d'une révision.

(2) La réduction des frais de gestion perçus par l'État

La réforme a en effet été l'occasion de réduire les frais de gestion perçus par l'État au titre du recouvrement des impôts locaux. Ils ont diminué de 8 % à 3 % pour un certain nombre d'entre eux 42 ( * ) .

Les frais de gestion comprennent les frais de dégrèvement et de non-valeur, contrepartie des frais assumés par l'État liés aux dégrèvements et aux admissions en non-valeur, et les frais d'assiette et de recouvrement. S'ils sont fixés de manière forfaitaire et n'ont pas vocation à refléter avec exactitude les coûts engendrés par le recouvrement des impôts par l'État, il n'en reste pas moins qu'ils étaient auparavant fixés à un niveau très élevé, comme l'avaient relevé un certain nombre de parlementaires. L'État a profité de cette réforme pour corriger cette situation et rendre aux collectivités une partie de l'impôt qui leur revient .

Comme l'a évoqué Julien Dubertret devant la mission, en réponse à une observation de notre collègue Dominique de Legge, « ces frais d'assiette et de recouvrement ne constituent pas en eux-mêmes une mesure analytique du coût de l'impôt. C'est un préciput que l'État prend sur le recouvrement de ressources sur lesquelles, par ailleurs, il assure les collectivités contre des aléas de recouvrement. ...

Il est sûr que ces frais d'assiette et de recouvrement sont maintenant passés du côté des collectivités locales. Pour ce qui est de la taxe professionnelle ou de ce qui en tient lieu aujourd'hui, les choses sont rééquilibrées très fortement et positivement en faveur des collectivités territoriales, qui bénéficient désormais des frais d'assiette et de recouvrement et de l'avance régulière, à un niveau particulièrement important au cours de l'année, celle-ci étant faite sur un produit globalement estimé. Les collectivités territoriales sont enfin assurées de recevoir 100 % du produit voté.

Que dire d'autre ? Ces frais d'assiette et de recouvrement n'en étaient peut-être pas formellement. Ce n'est un secret pour personne et le sujet a été évoqué dans le cours des débats, ici comme à l'Assemblée nationale, à de nombreuses reprises pendant des années. Il existe un consensus pour dire qu'il s'agissait d'un état de fait, un impôt sur l'impôt. Les collectivités locales en bénéficient maintenant en matière de taxe professionnelle. Cela fait partie du grand équilibre entre l'État et les collectivités locales, en prenant en compte les contraintes globales de redressement des finances publiques que nous devons à nous-mêmes et à nos partenaires européens. »

Ce rééquilibrage n'a néanmoins pas concerné la totalité des impositions directes locales. Les frais de gestion perçus au titre des contributions et taxes suivantes sont ainsi demeurés inchangés :

- la taxe d'enlèvement des ordures ménagères ;

- la taxe de balayage ;

- les contributions et taxes recouvrées comme en matière de contributions directes au profit des collectivités territoriales et EPCI ;

- les taxes pour frais des chambres consulaires (chambres de commerce et d'industrie, chambres d'agriculture, chambres de métiers et de l'artisanat).

Le tableau suivant synthétise les effets de la réforme sur les frais de gestion perçus par l'État.

Les frais de gestion avant et après la réforme de la taxe professionnelle

Source : Circulaire du ministère de l'intérieur n ° COT/B/11/07973/C « Informations fiscales utiles à la préparation des budgets primitifs locaux pour 2011 », p. 71

La réévaluation des frais de gestion n'a donc été que partielle. Aussi la mission préconise-t-elle la poursuite de l'effort de rapprochement des frais de gestion perçus par l'État des coûts effectivement supportés au titre du recouvrement des impôts locaux, tout en reconnaissant l'impossibilité d'une stricte correspondance entre les deux.

A cette fin, une réévaluation régulière de l'ensemble des frais de gestion perçus par l'État devrait avoir lieu, en concertation avec les collectivités.

Proposition n° 13 :

Prévoir une réévaluation régulière et complète des frais de gestion perçus par l'État au titre du recouvrement des impositions directes locales

De façon générale, c'est la question de l'équilibre des relations financières existant entre les collectivités et l'État au travers des impôts locaux et du compte d'avances qui doit être posée.

Le jaune budgétaire consacré aux transferts financiers de l'État aux collectivités affirme que « l'ensemble des relations financières entre l'État et collectivités territoriales paraît globalement équilibré sur le compte d'avances aux collectivités territoriales 43 ( * ) », en présentant un tableau synthétisant ces derniers.

Cet équilibre n'apparaît toutefois pas de manière évidente. Julien Dubertret a pour sa part relevé devant la mission les difficultés d'un tel exercice et de l'interprétation de ses résultats : « Je me suis essayé, dans des fonctions antérieures mais proches, à un exercice que beaucoup de fonctionnaires ont tenté à la direction du Budget, afin d'étudier comment les plus et les moins se répartissaient entre l'État et les collectivités territoriales, en prenant les frais d'assiette et de recouvrement, la garantie de recouvrement à 100 % assurée par l'État aux collectivités -sachant que l'on ne recouvre jamais à 100 % - et en tenant compte de l'obligation de dépôt des fonds au trésor et de différentes autres choses, comme le coût financier de l'avance faite au long de l'année du produit d'un impôt qui n'est recouvré qu'en fin d'année...

Je n'ai jamais trouvé de réponse claire à la question de savoir qui était gagnant ou perdant. En moyenne, cela s'équilibre à peu près. Les thuriféraires ont de la chose une vision plus jacobine et des approches plus tranchées, ayant tendance à considérer qu'en l'état actuel, le dispositif est à peu près équilibré. »

S'il ne lui a pas été possible d'apprécier l'ensemble de cet équilibre dans le cadre de son analyse, la mission considère qu'une attention particulière devra être portée à cette question à l'avenir.

3. L'évaluation de la réforme, une contrepartie nécessaire

Pour vérifier que la réforme atteint pleinement ses objectifs, et que le coût assumé par l'État était bien justifié, il convient de procéder à une évaluation approfondie de ses effets.

a) Le suivi de la réforme, une obligation de l'administration...

Si la mission reconnaît qu'il est encore un peu tôt pour mesurer pleinement les effets de la réforme, notamment sur un plan macroéconomique global, comme l'ont affirmé nombre des personnes auditionnées, elle considère que la jeunesse de la réforme ne doit pas empêcher les administrations d'assurer un suivi de cette dernière, et de recueillir dès à présent toutes les données que requiert une telle évaluation.

Or, la nécessité d'un tel suivi ne semble pas avoir été pleinement intégrée par les différentes administrations concernées, alors même qu'il devrait être effectué par leurs soins, et de façon continue.

Éric Besson a certes affirmé lors de son audition que « le gouvernement partage ce souci d'analyse, puisqu'il avait lui-même programmé, dès le début, l'évaluation de cette importante réforme. L'Inspection générale des finances (IGF) et l'Inspection générale de l'administration (IGA) avaient ainsi été chargées de réaliser, rapidement, une première estimation des conséquences de cette réforme pour l'économie et les entreprises . » Mais depuis la publication du rapport « Durieux-Subremon » en mai 2010, aucune administration en particulier n'a pris la relève en la matière. Les analyses des différents ministères, lorsqu'elles existent, demeurent ainsi très partielles, si bien qu'aucune évaluation complète de la réforme, dans tous ses effets, ne semble envisageable à l'heure actuelle.

Pour sa part, la Cour des comptes contrôle l'exécution des lois de finances, mais ne procède pas à une évaluation systématique des effets des réformes opérées. Si elle peut se saisir ou être saisie de tels sujets, un tel examen demeure ponctuel, et son champ d'investigation peut ne pas être exhaustif.

Quant au Parlement, s'il a bien évidemment son rôle à jouer en la matière - la constitution de cette mission en témoigne -, ses contrôles sont également ponctuels, et largement dépendants des données qui lui sont fournies par l'administration.

Or, la mission a éprouvé des difficultés à recueillir les informations demandées, notamment chiffrées, auprès des administrations concernées, comme il a été relevé à plusieurs reprises. Certaines des contributions annoncées à l'occasion des auditions n'ont pas été fournies, tandis que certaines demandes n'ont pu trouver de réponses. Ainsi en est-il de la mesure de l'écart de taux d'imposition de chaque secteur économique en pourcentage de la valeur ajoutée produite, alors qu'il s'agit d'une donnée d'un intérêt évident, disponible pour la période antérieure à la réforme 44 ( * ) .

Lorsque des données ont été fournies, elles ne sont pas toujours accompagnées d'explications claires sur la façon dont elles ont été obtenues et ce qu'elles recouvrent exactement. Il peut en résulter un certain désarroi, notamment lorsque ces données sont comparées entre elles ou avec les données fournies à l'occasion de travaux parlementaires antérieurs.

S'agissant du coût global de la réforme, par exemple, une absence de continuité entre les tableaux fournis à l'occasion de la discussion des différentes lois de finances (initiales et rectificatives) a été constatée. Certaines rubriques du tableau ne sont apparues qu'à partir de la discussion de la loi de finances pour 2012, alors qu'elles auraient pu l'être dès 2010, dans la mesure où elles ne résultent pas de décisions législatives ultérieures. Des erreurs ont également pu se glisser dans certaines lignes, comme l'a reconnu l'administration. Enfin, l'arrondi à la centaine de millions d'euros empêche le Parlement de connaître le détail des sommes en jeu.

La lecture du rapport de la Cour des comptes de mai 2012 sur les résultats et la gestion budgétaire de l'Etat confirme ces insuffisances en matière de collecte des données. La Cour n'a en effet pu obtenir d'explications sur le décalage entre le coût prévisionnel du dispositif d' « écrêtement des pertes » et les sommes enregistrées à ce titre :

« Les entreprises assujetties à la CET bénéficient d'un dispositif d'écrêtement de leurs pertes, dont le coût avait été estimé à 710 M€ dans la loi de finances initiale pour 2011.

Sur ce montant, seuls 150 M€ correspondant à l'écrêtement sur la CFE ont été enregistrés, alors que le dispositif doit également s'appliquer à la CVAE. La direction générale des finances publiques n'a pas été en mesure de préciser à la Cour si l'écrêtement des pertes sur la CVAE avait été inappliqué en 2011, ou si, localement, il avait été décompté dans les « autres dégrèvements » du programme 201-Remboursements et dégrèvement d'impôts locaux, ce qui pourrait expliquer que ceux-ci représentent 870 M€ en exécution contre seulement 410 M€ prévus dans la loi de finances initiale.

Dans la première hypothèse, il y aurait nécessairement un report de charge sur l'exercice 2012, dont l'ordre de grandeur serait de 560 M€ (par différence entre la budgétisation en loi de finances initiale 2011 et l'exécution du seul écrêtement sur la CFE). Dans la seconde, il n'y aurait eu qu'un problème d'imputation de l'écrêtement sur la CVAE en 2011, sans impact sur le solde en 2012 45 ( * ) . »

b) ... qui doit malheureusement être encore réaffirmée

La mission déplore le fait que cette culture de l'évaluation, ou, a minima , de suivi des réformes, n'ait pas été pleinement intégrée par les ministères, alors qu'elle est un facteur indispensable d'amélioration de l'action publique.

Ainsi, l'erreur d'évaluation du coût de la réforme en 2010, qui atteint près de 4 milliards d'euros, s'explique en partie par ces insuffisances en matière de collecte de données, comme le relève l'une des remarques de la Cour des comptes déjà citée : « Il apparaît que la budgétisation des recettes de taxe professionnelle du compte d'avances reposait ainsi sur une modélisation inexacte, à défaut de données fiscales et comptables précises et détaillées 46 ( * ) . »

De la même façon, la mission regrette qu'une disposition législative soit nécessaire pour que le bilan d'une réforme d'une telle ampleur soit dressé - et encore, avec retard.

L'article 76 de la loi de finances pour 2010 avait en effet prévu qu' « en temps utile pour la préparation du projet de loi de finances pour 2012 et après qu'a été constaté le montant des ressources dont disposent réellement les collectivités territoriales en 2011, le Gouvernement transmet à l'Assemblée nationale et au Sénat un rapport présentant toutes les conséquences de la réforme, notamment les recettes perçues par chaque catégorie de collectivités ainsi que l'évolution des prélèvements locaux sur les entreprises et les ménages.

Dans les deux mois suivant la remise de ce rapport, un projet de loi propose la reconduction ou la modification du dispositif de répartition des ressources des collectivités territoriales et des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. »

D'après les informations fournies à votre rapporteur et au comité des finances locales, ce rapport devrait être remis à l'horizon de juin ou juillet 2012, une fois que les données définitives relatives à 2011 auront été rassemblées.

La mission prend acte de cet engagement, mais considère que le suivi de la réforme ne saurait se limiter à ce document fourni à un instant ponctuel, avec les données définitives des seules années 2010 et 2011.

Elle souhaite que des éléments précis et objectifs d'appréciation des effets de la réforme soient fournis régulièrement au Parlement . Par exemple, une analyse approfondie de la pression fiscale globale des entreprises, de leur taux d'imposition moyen par secteur d'activité et par taille, accompagnée de comparaisons internationales, permettrait de vérifier si la réforme a pleinement rempli son objectif premier d'allègement de la fiscalité des entreprises.

Les effets de la réforme doivent être analysés dans une multiplicité de domaines, tels que la fiscalité des entreprises, leur compétitivité, leurs stratégies d'implantations et leurs relations avec les collectivités territoriales, le budget de l'Etat, ses relations avec les collectivités territoriales en lien avec l'impôt économique local, la répartition des ressources entre les collectivités, etc.

Dès lors, deux options se présentent. L'ensemble de ces éléments pourrait être rassemblé dans un seul document interministériel, par exemple le rapport économique, social et financier. Ce dernier comprenait dans sa version annexée au PLF pour 2012 un dossier « compétitivité de l'économie française », et il pourrait comporter en 2013 ou 2014 un dossier sur les impacts de la réforme de la taxe professionnelle. L'inconvénient d'une telle option serait que cet examen global serait ponctuel, limité à un exercice.

Une autre option pourrait consister à définir en amont à quel endroit ces différents aspects devraient être analysés. L'examen des relations financières entre l'Etat et les collectivités et de l'impact de la réforme sur les collectivités (qu'il s'agisse de leurs ressources ou de leurs relations avec les entreprises) pourrait ainsi par exemple être intégré au jaune « Transferts financiers de l'Etat aux collectivités territoriales ».

Proposition n° 14 :

Fournir régulièrement au Parlement une série d'indicateurs précis permettant d'apprécier objectivement les effets de la réforme, que ce soit dans un document unique, ou d'une façon clairement définie dans plusieurs documents relatifs aux entreprises, aux collectivités et au budget de l'Etat


* 38 Rapport n° 107 (2011-2012) - tome III - Annexe n° 24, loi de finances pour 2012, moyens des politiques publiques et dispositions spéciales (remboursements et dégrèvements), p. 23.

* 39 Rapport n° 107 (2011-2012) - tome III - Annexe n° 24, loi de finances pour 2012, moyens des politiques publiques et dispositions spéciales (remboursements et dégrèvements), p. 24.

* 40 Rapport n° 620 (2010-2011) - loi de finances rectificative pour 2011, tome I, p. 350.

* 41 Rapport sur le projet de loi de finances pour 2010, (n° 1946),tome II, Examen de la première partie du PLF, Conditions générales de l'équilibre financier, volume 2, articles 2 et 3. P. 47.

* 42 La taxe foncière sur les propriétés bâties, la taxe foncière sur les propriétés non bâties, la CFE, les IFER, la taxe additionnelle à la taxe foncière sur les propriétés non bâties. Une partie de la taxe d'habitation a également vu les modes de calcul de ses frais de gestion revus. Cf. tableau inséré au texte.

* 43 Jaune « Transferts financiers de l'Etat aux collectivités territoriales » annexé au projet de loi de finances pour 2012 , pp. 152-154.

* 44 Cf. supra, première partie, B. « Le tableau contrasté des gagnants et des perdants », 3. « Un rééquilibrage attendu en faveur du secteur industriel ».

* 45 Cour des comptes, Rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l'Etat (exercice 2011), Mai 2012, pp. 35-36.

* 46 Ibid., p. 30.

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