2. Faut-il augmenter le périmètre budgétaire des commandants de base de défense ?
a) Un budget contraint dans un périmètre étroit et asséché par une pénurie de crédits
L'organisation financière mise en place avec la réforme du soutien tendait, dans une logique conforme à la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), à globaliser les budgets pour permettre à chaque responsable de réaliser des arbitrages et d'optimiser l'emploi des fonds publics. Un budget opérationnel de programme (BOP) unique a été créé pour le soutien, regroupant pour chaque base de défense ou unité opérationnelle (UO) l'ensemble des moyens fongibles sur lequel le commandant de base de défense a un pouvoir d'arbitrage.
L'idée était de responsabiliser les acteurs en leur confiant tous les moyens humains et financiers nécessaires à l'exercice de leurs missions.
De la sorte, chaque responsable de base de défense pouvait optimiser sa gestion et réaliser des économies en exploitant les possibilités de fongibilité des crédits ouvertes par la loi organique sur les lois de finances.
Pour ce faire, les budgets de soutien commun des unités ont été « remontés » au niveau des bases de défense, limitant l'autonomie budgétaire des formations à leur plus juste besoin (dépenses d'urgence ou de proximité, droit de tirage sur les dépenses de fonctionnement courant).
Le principe sous-jacent est clair : en confiant un périmètre de crédits aussi large que possible au commandant de base, on lui permettait de réaliser des arbitrages et d'optimiser l'emploi des fonds.
Ce schéma théorique est très éloigné de la réalité.
En effet, le périmètre budgétaire confié au commandant de base s'est finalement trouvé assez limité . En effet, ce périmètre s'est attaché à respecter les impératifs de rationalisation « métier » et ne s'étend pas, par exemple, aux systèmes d'information non plus qu'à l'infrastructure.
En outre, les dépenses qui lui sont confiées sont budgétairement contraintes : le commandant de base est finalement condamné à traiter ces inéluctables, sans capacité de manoeuvre. Dans l'ensemble des bases visitées, 90% des dépenses sont contraintes, 60% sont des fluides. La seule dépense qu'on peut réguler est celle de l'essence ou du fioul : ce qui conduit, quand les crédits sont insuffisants , comme cela a été le cas en 2011 et 2012, à des expédients, comme couper le chauffage avant l'heure....
Cette situation amène d'ailleurs parfois à prendre des décisions irrationnelles. Ainsi par exemple, pour cause de « régulation » des dépenses de carburants des véhicules « blancs » de la gamme commerciale, un déplacement sera plutôt réalisé avec des véhicules « verts », qui consomment pourtant plus d'essence, mais sur lesquels il reste des crédits de carburant....
b) Des « marges de manoeuvre » quasi nulles : l'exemple des infrastructures et de l'accidentologie locale
Constatant le poids prépondérant des dépenses inéluctables dans le budget dont disposent les commandants de base de défense, vos rapporteurs se sont interrogés sur leurs réelles marges de manoeuvre.
Deux exemples ont alors été cités, qui illustrent le caractère quelque peu illusoire de leur soi-disant autonomie budgétaire.
(1) L'accidentologie locale : un poste de coûts difficilement « maîtrisable »
Dans cette logique de « responsabilisation », a-t-il été affirmé à vos rapporteurs, les coûts d'accidentologie locale des véhicules de la gamme commerciale, qui ne figurent pas dans le contrat d'externalisation de ces véhicules, ont été transférés aux bases de défense. Lorsqu'un agent aîime un véhicule, c'est la base qui paie la réparation.
On imagine combien ce facteur est aléatoire et peu maîtrisable pour le commandant de base ! Ce poste de coût a représenté 180 000 € en 2011 à Toulon, 230 000 € en 2012. Des actions de sensibilisation des agents sont conduites, mais la « maîtrise » de ce coût reste faible. Ce poste de dépenses a été cité à Toulon comme à Charleville Mézières comme un « incontournable » au montant imprévisible.
(2) Les infrastructures : une expérimentation qui porte sur moins de 5% du budget, biaisée par l'insuffisance de crédits sur le programme 178
Lors de son audition par vos rapporteurs, le Secrétaire général pour l'administration du ministère de la défense a fait état d'une expérimentation tendant à permettre une certaine fongibilité des crédits d'entretien locatif , aujourd'hui dispersés entre deux programmes budgétaires différents, le programme 178 (pour les bases de défense) et le programme 212 (pour les crédits des établissements de la défense en charge des infrastructures). Cette expérimentation porte toutefois sur des montants relativement faibles : les crédits d'entretien locatif représentent 5% du budget des bases. En outre, on peut se demander si elle n'a pas servi, compte tenu de l'insuffisance des crédits sur le programme 178, à « siphonner » les crédits disponibles sur le programme 212, et non pas à accroître le pouvoir « d'arbitrage » budgétaire du commandant de base....
c) La vraie question : l'élargissement du périmètre budgétaire
(1) Un transfert de crédits permettrait de desserrer l'étau budgétaire sans remettre en cause le pilotage sectoriel des différentes politiques
L'examen d'un budget de base de défense fait apparaître les constantes suivantes :
- une forte inertie des dépenses ;
- le poids prédominant du poste « énergie-fluides »,
- la rigidification opérée par les marchés d'externalisation, qui, lorsqu'ils existent, « gèlent » des crédits qui leur sont fléchés ;
- l'exclusion du périmètre budgétaire des crédits d'alimentation, de maintenance spécialisée des infrastructures, de bureautique ou d'ameublement,
- le cloisonnement total avec la masse salariale, qui ne figure pas dans le budget de la base.
Ces constantes sont illustrées par l'exemple ci-dessous (les dépenses d'infrastructure et de bureautique sont hors du périmètre géré par le commandant de base de défense) :
Vos rapporteurs jugent qu'un élargissement du périmètre budgétaire confié aux commandants de base serait de nature à augmenter leurs marges de manoeuvre, sans pour autant désorganiser les soutiens spécialisés, qui resteraient placés sous l'autorité de leurs chaînes hiérarchiques respectives mais seraient en quelque sorte « opérateurs » au profit du commandant de base.
Cet élargissement viendrait donner tout son sens à son rôle d'intégrateur des soutiens, tout en conciliant deux logiques :
- l'application d'une démarche locale de responsabilisation des commandants de base de défense, dans un contexte de déconcentration de l'administration au plus près du terrain ;
- la démarche nationale et verticale des réorganisations fonctionnelles du ministère, centrée sur une approche « métier ».
Le commandant de base pourrait ainsi influer sur l'application locale des politiques nationales, en fonction du contexte. Par exemple, il pourrait moduler le rythme de renouvellement du parc informatique sur la base, ou du mobilier de bureau, en fonction du contexte local et de ses propres impératifs, et récupérer ainsi un peu d'oxygène sur le plan financier.
Vos rapporteurs estiment en outre que cette solution favoriserait sans doute une politique d'achats plus locale, au profit du tissu économique territorial.
(2) Un mécanisme d'intéressement des commandants de base aux économies produites pourrait être envisagé
Enfin, si la « manoeuvre ressources humaines », d'une grande complexité, doit être pilotée de façon centralisée au niveau du ministère, ce qui rend difficilement concevable de donner la main, sur le plan budgétaire aux commandants de base en ce qui concerne les crédits de personnel (titre 2), des réflexions existent toutefois, au sein du ministère, sur la possibilité de les « intéresser » aux économies complémentaires en personnel qu'ils auraient pu dégager.
L'idée est que tout poste « gagné » localement par rapport aux référentiels en organisation proposés serait « reversé » sous forme de crédits de fonctionnement complémentaires (titre 3) pour la base de défense.
Là encore, ce genre de logique n'est envisageable que sur des assiettes suffisamment larges, et dans des conditions d'exécution budgétaire « normales », qui ne sont pas complètement réunies aujourd'hui compte tenu du phénomène d'impasse budgétaire portant sur un quart des crédits (cf. ci-après).