(2) La dématérialisation des « paradis »

Les auditions et les investigations de la commission d'enquête ont permis d'évoquer quelques exemples d'utilisation de procédés techniques qui relèvent au premier chef du domaine pénal et s'accompagnent de transferts de capitaux ainsi que de fraude fiscale :

- dans le registre de la criminalité financière, l'usage croissant des paris en ligne à des fins de blanchiment a été brièvement évoqué au cours de l'audition des milieux sportifs ;

- en ce qui concerne les comptabilités informatiques truquées , M. Cyril Janvier 298 ( * ) a rappelé que, dans un premier temps, les logiciels comptables avaient été considérés comme une garantie contre tout risque d'erreur. Par la suite, non seulement on n'a plus fait totalement confiance aux états informatisés, mais encore on a constaté que des programmes complémentaires permettaient de présenter les comptes de façon erronée. « En contrôlant les comptes de l'ARC, dont les progiciels de comptabilité étaient ultramodernes, j'avais découvert qu'ils utilisaient en réalité deux programmes de présentation qui n'étaient pas cohérents entre eux. C'est à ce moment que nous avons commencé à creuser les choses. ». Par ailleurs, en décembre 2010, la presse a évoqué l'existence d'un logiciel pouvant équiper certaines pharmacies qui permettait, officiellement, de récupérer les erreurs de caisse et « en option » de faciliter l'effacement de ces opérations ;

- le directeur national des enquêtes fiscales a confirmé la sophistication des techniques informatiques utilisées par les fraudeurs en s'inquiétant du recours au stockage à distance, le « cloud computing » . Un simple téléphone portable permet d'y accéder. « Mais, le cloud , c'est où ? Personne ne le sait ! C'est nulle part. Les mafias vont s'en emparer, placer tous leurs documents dans les nuages.(...) Comment allons-nous défendre les intérêts nationaux ? Aucun texte ne porte sur ce point actuellement. Nous ne savons pas comment faire. ». A l'heure actuelle, les enquêteurs s'efforcent de recueillir les codes d'accès , auprès des utilisateurs et, en cas de refus, rendent compte de l'incident au juge, qui donne l'ordre au fraudeur de le dévoiler. « Si la personne ne veut pas nous les fournir, nous ne les avons pas. Les données flotteront donc dans les nuages. On en est là. Je dois dire que c'est extrêmement préoccupant. ». 299 ( * )

Le « cloud computing »

Définition - Le « cloud computing » ou, plus simplement « stockage à distance » désigne la pratique qui consiste à transférer sur des serveurs distants des données et des traitements informatiques traditionnellement localisés sur des serveurs locaux ou sur le disque dur de l'utilisateur. Plus précisément selon le National Institute of Standards and Technology (NIST), le cloud computing est l'accès via le réseau, à la demande et en libre-service à des ressources informatiques virtualisées et mutualisées.

Le « cloud computing » et l'externalisation de la gestion informatique - Les utilisateurs ou les entreprises ne gèrent pas leurs serveurs informatiques mais peuvent ainsi accéder de manière évolutive à de nombreux services en ligne sans avoir à gérer l'infrastructure sous-jacente, souvent complexe. Les applications et les données ne se trouvent plus sur l'ordinateur local, mais dans un nuage ( cloud ) composé d'un certain nombre de serveurs distants interconnectés au moyen d'une bande passante qui doit être suffisante pour garantir la fluidité du système. L'accès au service se fait par une application standard facilement disponible, la plupart du temps un navigateur web.

L'utilisation à grande échelle  des nouvelles technologies par les fraudeurs représente un défi considérable pour l'administration fiscale, et tout particulièrement pour la DNEF car ses informaticiens sont avant tout des inspecteurs des impôts tandis que le recrutement de vrais spécialistes de l'informatique soulève des difficultés statutaires.

La résurgence récente des « valises de billets » mérite d'être relevée. Selon M. Bernard Petit, sous-directeur de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière 300 ( * ) , on voyait peu l'argent circuler au cours de la décennie précédente : les fraudeurs utilisaient alors plus volontiers les circuits bancaires, les décaissements, les compensations, selon un système très organisé. Il a cependant signalé une tendance très récente : en Italie, en France et en Allemangne depuis la fin de l'année 2011 et surtout depuis le début de l'année 2012, d'énormes sommes d'argent liquide circulent . Les explications possibles de ce phénomène tiennent à la fois à la fragilisation de certaines organisations criminelles et à la crainte de la traçabilité des opérations bancaires.

Néanmoins, l'utilisation des possibilités de la technique a encore été mentionnée à votre rapporteur par des personnes ayant pu en rencontrer les potentialités dans la gestion des relations avec des clientèles nécessitant du fait de leur caractère frauduleux une totale opacité.


* 298 Cf . audition du 7 mars 2012.

* 299 Le directeur national des enquêtes fiscales a fait observer que « La police ne fait pas mieux (que l'administration fiscale). Elle avait envisagé le recours à la commission rogatoire. Mais à l'égard de quel pays ? Le cloud , c'est nulle part ! Un jour, on aura peut-être un bateau au beau milieu de l'Atlantique ou du Pacifique, utilisant le froid de la mer pour rafraîchir les serveurs - ce qui serait d'ailleurs très économique - dans des eaux extraterritoriales. Ce problème est devant nous . ». Cf . audition de M. Bernard Salvat du 10 avril 2012.

* 300 Cf . audition du 27 mars 2012.

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