E. LES DÉFIS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX

1. Une croissance démographique soutenue

La Réunion connaît aujourd'hui une croissance démographique soutenue.

La population s'élève, selon les données fournies par la préfecture, à 839 480 habitants en mars 2012 . Depuis 1999, sont recensés, chaque année, 11 400 habitants supplémentaires, en raison principalement du fort accroissement naturel de la population (qui représente 85 % de cette hausse). Toutefois, selon l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (IEDOM), le rythme de progression du nombre d'habitants de l'île, qui s'élève aujourd'hui à + 1,35 %, continue à ralentir légèrement par rapport aux années précédentes (+ 1,6 % en 2009 et + 1,8 % en 2008). Il demeure toutefois plus rapide qu'en France métropolitaine où il est estimé à + 0,7 % en 2010.

En revanche, la pression migratoire est très faible : comme l'ont rappelé auparavant vos rapporteurs, seuls 7 321 étrangers résident dans l'île, soit 0,9 % de la population totale. Il s'agit, pour l'essentiel, de ressortissants de pays de la zone régionale (Malgaches, Comoriens, Mauriciens). Par ailleurs, contrairement à Mayotte, l'immigration irrégulière est très limitée 36 ( * ) .

Selon les projections de l'INSEE, la population réunionnaise pourrait dépasser le million d'habitants en 2030.

Sur un espace de 2 700 km², la densité de population est élevée et atteint 333 habitants / km² (contre 282 habitants / km² en 2000). La Réunion est ainsi la troisième région la plus densément peuplée de France, derrière l'Île-de-France (972 habitants / km²) et la Martinique (358 habitants / km²) et devant le Nord-Pas-de-Calais. En raison de son relief montagneux, qui amplifie les contraintes de peuplement et de circulation, la population se concentre principalement sur les zones littorales. C'est pourquoi, selon les services de la préfecture, la densité atteindrait, en réalité, 817 habitants / km². La densité élevée de la population s'explique à la fois par la croissance démographique élevée et la surface limitée d'aménagement.

Ce dynamisme démographique est à l'origine de la part importante des jeunes au sein de la population : les moins de 20 ans représentent le tiers de la population totale, soit 9 points de plus qu'en France métropolitaine (24,7 %).

2. Une jeunesse en perte de repères
a) Un taux de chômage élevé

Avant le début de la crise de 2008, la croissance économique de La Réunion était plus élevée qu'en métropole : ainsi, entre 2001 et 2008, le PIB par habitant de La Réunion a progressé de 43 %. Depuis 2008, cette croissance s'est fortement ralentie, en raison des effets conjugués de la crise économique mondiale et de la crise sociale de 2009.

Le taux de chômage s'élève à 29,5 % de la population active en 2011 , soit le plus haut niveau des régions de l'Union européenne. Comme l'a relevé la Cour des comptes, il s'agit « d'un chômage de longue durée qui touche davantage les femmes et les jeunes actifs. Le faible niveau de formation est pénalisant surtout chez les jeunes : 41 % des actifs d'outre-mer n'ont pas de diplôme contre 17 % en métropole ». Au second semestre 2011, selon les informations fournies par la préfecture de La Réunion, le chômage des jeunes apparaît particulièrement préoccupant puisque 60 % des 15-24 ans étaient sans emploi à cette date , soit + 4,1 points depuis 2010 et + 8,8 points depuis 2007. Ils sont également touchés par un chômage de longue durée : 64 % des chômeurs de 15 à 24 ans le sont depuis plus d'un an contre 50 % en 2010.

Comme le relève l'Insee 37 ( * ) , « En période de crise, les jeunes, moins expérimentés que leurs aînés, éprouvent davantage de difficultés à trouver un emploi. Ceux qui travaillent ont des statuts plus précaires. Dans le secteur marchand, seulement 39 % ont un CDI contre 79 % pour les 15-64 ans. Ils sont ainsi les plus touchés par la crise en vertu de l'adage « dernier arrivé, premier sorti ».

[...]

« Le taux d'emploi des jeunes diminue (-1,8 point). En 2011, 12 % des jeunes de 15 à 24 ans travaillent. »

Malgré la reprise de l'activité économique à partir de 2010, La Réunion n'a pas retrouvé son niveau de croissance d'avant-crise . Comme le note l'IEDOM, les créations d'emplois, dynamiques depuis 2010, « ne permettent pas de satisfaire les nombreux nouveaux arrivants sur le marché du travail, dans un contexte de pression démographique toujours vive, et de résorber le chômage conjoncturel né de la crise récente » 38 ( * ) .

Pour faire face à ce constat, sous l'impulsion de l'État, les membres du service public pour l'emploi régional (SPER) se sont engagés dans des actions en faveur des jeunes actifs dans quatre principales directions :

la création d'un parcours en contrat aidé non-marchand d'un an sur des métiers offrant des débouchés dans le secteur privé , pour 1 000 jeunes éloignés de l'emploi. Ces contrats aidés sont financés par l'État à hauteur de 95 % ;

l' expérimentation d'un parcours global de formation de 12 à 13 mois débouchant sur un titre ou une qualification , pour 1 000 jeunes peu ou pas qualifiés ;

le recrutement par le secteur privé au moyen de CAE-DOM (contrats aidés pour le secteur marchand - département d'outre-mer) ou du dispositif « Zéro charge », pour 1 000 jeunes ;

une augmentation du nombre de contrats signés en 2012 grâce à l'ouverture de formations nouvelles et à la mobilisation du secteur public , pour les apprentis.

Ces engagements sont suivis au sein d'un groupe opérationnel public-privé « Emploi des jeunes 974 » qui rassemble, outre l'État, le Conseil régional, le Conseil général, Pôle Emploi, les missions locales et le monde économique.

Vos rapporteurs estiment intéressantes et encourageantes l'ensemble de ces initiatives. Toutefois, ils considèrent, à l'instar des élus locaux qu'ils ont rencontrés, que ces mesures paraissent insuffisantes car elles ne permettent pas d'apporter une réponse satisfaisante au problème structurel du chômage des jeunes actifs de La Réunion . Ils estiment que la situation actuelle nécessite la mise en place d'un dispositif réunissant l'ensemble des acteurs économiques, éducatifs et sociaux pour créer un environnement économique favorable aux jeunes Réunionnais.

En outre, M. Richard-Daniel Boisson, sous-préfet chargé de mission cohésion sociale et jeunesse, considère que la jeunesse de La Réunion souffre d'un manque de reconnaissance de la part des chefs d'entreprises, ce qui est d'autant plus regrettable que beaucoup de jeunes actifs souhaitent se lancer dans la création de petites entreprises. C'est pourquoi il estime urgent de faciliter la création d'entreprises pour les jeunes actifs, notamment en améliorant l'accès au crédit. Vos rapporteurs partagent cette proposition, dans un contexte où la jeunesse est le moteur dynamique de l'avenir de notre pays.

Proposition n° 20 :

Faciliter la création d'entreprises pour les jeunes entrepreneurs, ainsi que leur accès au crédit.

b) L'indice de scolarisation des jeunes : un retard persistant de La Réunion

L'indice de scolarisation montre un retard persistant de La Réunion vis-à-vis de la France métropolitaine en ce domaine.

Cette faiblesse de La Réunion s'explique principalement par une baisse plus rapide du taux de scolarisation après 16 ans . Selon les données du Rectorat de La Réunion, fournies par Mme Christiane Têtu-Wolff, directrice territoriale de la protection judiciaire de la jeunesse, le taux de scolarisation des 16-19 ans à La Réunion s'élève à 72 % (contre 84 % en métropole), et celui des 20-24 ans, à 18 % (contre 34 %). Ainsi, la proportion de bacheliers ne représente que 53,5 % d'une classe d'âge contre 64 % en France métropolitaine.

Plusieurs facteurs pourraient expliquer la baisse du taux de scolarisation à La Réunion :

- la mobilité des jeunes Réunionnais vers la métropole ou les pays étrangers, qui s'est développée avec la mise en place du « passeport mobilité » ;

- le développement limité de l'offre de formation au regard des générations d'élèves de 3 e nettement plus nombreuses de 2003 à 2007.

c) Le recentrage de la PJJ sur les mineurs délinquants

Depuis 2009, la direction territoriale de la protection judiciaire (DTPJJ) de la jeunesse de La Réunion a recentré son activité sur les mineurs délinquants , conformément à la décision du comité de modernisation des politiques publiques (CMPP) du 11 juin 2008, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP). Elle dispose pour cela d'un effectif de 98 personnes, dont les trois quarts sont des éducateurs.

Comme l'avait relevé notre collègue, M. Roland du Luart, « certaines spécificités réunionnaises [ont] un impact sur l'accomplissement des missions de la PJJ » 39 ( * ) .

On constate tout d'abord que les jeunes réunionnais qui sont pris en charge par la PJJ sont, dans la grande majorité des cas, polytoxicomanes , avec la prise de médicaments et de zamal, qui est l'appellation locale du cannabis. Le « passage à l'acte » de cette population est souvent lié à la consommation de ces substances, ce qui rend leur encadrement plus difficile lorsqu'ils sont « en crise ».

Ensuite, une proportion significative de jeunes souffre d'illettrisme . Selon les informations fournies par Mme Christiane Têtu-Wolff, 35 % des jeunes pris en charge par la PJJ seraient illettrés.

Enfin, toujours selon notre collègue Roland du Luart, « l'insularité de La Réunion peut se révéler handicapante, dans la mesure où elle empêche le « dépaysement » des jeunes dans un autre département et hors de portée de certaines influences qui pourraient être néfastes à leur réinsertion . Un tel « dépaysement » ne paraît d'ailleurs pas être préconisé par les éducateurs de la PJJ, qui y voient le risque d'un délitement de la culture créole encore très prégnante chez les jeunes et facteur d'apaisement. » 40 ( * ) .

La PJJ dispose, pour encadrer les mineurs délinquants, de trois types de structures : un centre éducatif fermé (CEF) qui dispose de 12 places, un centre éducatif renforcé (CER) qui peut accueillir 8 jeunes, et les familles d'accueil.

Le CEF n'est occupé qu'à 50 %, en raison de signalements de maltraitance en novembre 2009 qui ont fait l'objet d'une procédure judiciaire et d'une enquête administrative. Les magistrats ne font plus confiance au CEF ; c'est pourquoi ils évitent de placer les jeunes mineurs délinquants dans ce centre. Le taux d'occupation du CER est similaire, en raison des mauvaises conditions d'accueil et de projets pédagogiques insuffisants. Par ailleurs, les associations qui s'occupent des jeunes placés sont aujourd'hui confrontées à un redressement judiciaire. Face à cette situation, vos rapporteurs soulignent l'importance, pour la DTPJJ de La Réunion, d'assurer un suivi et un contrôle efficaces de ces structures et d'augmenter le taux d'occupation des CER et CEF . A ce titre, des dispositifs de complémentarité pourraient être envisagés avec la DTPJJ de Mayotte, pour laquelle le taux d'occupation est beaucoup plus élevé, lorsqu'il s'agit d'encadrer des mineurs jugés pour des délits de groupe. Vos rapporteurs rappellent que des dispositifs de complémentarité existent déjà entre La Réunion et Mayotte, notamment pour le transfèrement de détenus de Majicavo dans un établissement pénitentiaire réunionnais. On relève toutefois des difficultés d'adaptation de la part des détenus mahorais ou anjouannais ainsi que des phénomènes de rejet. C'est pourquoi tout dispositif de complémentarité entre la protection judiciaire de la jeunesse de La Réunion et celle de Mayotte doit nécessairement prendre en compte cette question.

Proposition n° 21 :

Mettre en place un dispositif de complémentarité pour l'encadrement des mineurs délinquants entre la direction territoriale de la protection judiciaire de la jeunesse de La Réunion et celle de Mayotte.

Enfin, la PJJ de La Réunion dispose d'un nombre insuffisant de familles d'accueil . Selon Mme Christian Têtu-Wolff, le nombre de familles agréées varie, selon les périodes, entre 3 et 8, alors que le minimum théorique est évalué à 12. Plusieurs facteurs peuvent expliquer le déficit de familles d'accueil :

- les difficultés liées au passage à l'acte des mineurs placés ;

- l'absence de formations dispensées aux familles pour les aider à gérer les situations difficiles ;

- la faiblesse de l'indemnisation, qui s'élève à 31 euros par jour et par jeunes placés, ainsi que le retard de paiement de celle-ci.

Face à cette situation, vos rapporteurs estiment qu'une attention doit être portée à la professionnalisation des familles, afin d'aider ces dernières à assumer leurs missions de placement. Une formation pourrait leur être dispensée par la DTPJJ mais également les autres acteurs du secteur, notamment le conseil général.

Proposition n° 22 :

Assurer, par le biais de formations adaptées, la professionnalisation des familles d'accueil des jeunes mineurs délinquants de La Réunion.


* 36 Ces deux questions seront abordées par vos rapporteurs infra.

* 37 Insee, Informations Rapides Réunion, n° 202, octobre 2011.

* 38 Institut d'émission des départements d'outre-mer (IEDOM), Rapport annuel La Réunion 2010, juin 2011.

* 39 « La justice entre deux eaux dans l'Océan indien », rapport d'information n° 549 (2010-2011) de M. Roland du Luart, fait au nom de la commission des finances.

* 40 Ibid.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page