B. DISCRIMINATIONS MULTIPLES À L'ÉGARD DES FEMMES MUSULMANES EN EUROPE : POUR L'EGALITE DES CHANCES

La commission sur l'égalité et la non-discrimination a souhaité attirer l'attention de l'Assemblée sur les difficultés rencontrées par les femmes musulmanes dans les pays où l'Islam n'est pas la religion dominante. A ses yeux, le débat politique sur cette question se limite trop souvent à la problématique du voile et néglige les phénomènes de non-discrimination et l'absence de véritable égalité des chances pour elles. Il renvoie une image uniforme de la femme musulmane au mépris des tentatives d'autonomisation et de changement dont certaines font la démonstration.

C'est cette acception négative que Mme Bernadette Bourzai (Corrèze - SOC) a souhaité dénoncer dans son propos :

« La question des femmes musulmanes au sein des sociétés européennes est trop souvent résumée à celle du port du voile dans l'espace public ou aux atteintes aux droits élémentaires dont certaines sont victimes au sein de leur communauté. Si ces sujets doivent faire l'objet, de la part des États, d'actions ciblées visant à mieux concilier droits fondamentaux et respect de l'identité religieuse, ils ne doivent pas occulter cette forme de violence plus générale que constituent des formes de discrimination variées.

La discrimination à l'embauche est sans doute la première d'entre elles. Cessons d'être hypocrites : elle ne touche pas seulement la femme qui porte un voile, mais l'ensemble de celles dont l'origine est « visible ». Nous qui militons en faveur d'une émancipation complète des femmes ne pouvons tolérer de tels comportements, qui ne sont pas sans conséquence sur l'évolution sociale, voire religieuse de ces femmes. En effet, la crispation identitaire se nourrit surtout de la frustration et de l'impossibilité à s'intégrer en dépit d'efforts louables. Comment parler d'adhésion aux valeurs européennes dès lors qu'elles ne se retrouvent pas dans les faits ? Comment promouvoir une laïcité respectueuse de la liberté de conscience à partir du moment où celle-ci devient un obstacle à votre pleine et entière intégration au sein de la société ?

Le droit à l'éducation et à la formation professionnelle et universitaire, la non-discrimination à l'embauche, l'autonomisation économique et sociale, l'accès à une citoyenneté active sont les conditions essentielles de l'égalité des chances. Nos pays regorgent d'exemples d'ascension sociale de jeunes femmes combinant respect de leurs croyances et adhésion sincère à nos valeurs. Ne parlons pas là de double culture : ce serait faire injure, d'une part, au principe d'universalité des droits de l'Homme et, d'autre part, à la capacité de l'islam à s'adapter à la sociologie moderne. Il n'y a aucune contradiction à être femme et musulmane, vouloir assumer une vie de famille et exercer toutes ses ambitions et compétences professionnelles.

Je m'associe en conséquence pleinement à l'excellent rapport de M me Kyriakidou, qui m'apparaît remarquablement équilibré, en précisant que le combat des femmes musulmanes rejoint évidemment celui de toutes les femmes et de toutes les victimes de discrimination. Et je rappelle encore une fois les propos de M me Hamidi cet après-midi, qui nous a tous frappés en disant que l'Europe était une chance pour les femmes, et les femmes musulmanes une chance pour l'Europe. »

Mme Maryvonne Blondin (Finistère - SOC) a de son côté insisté sur la notion de discrimination multicritères :

« Permettez-moi de saluer, au préalable, le travail de notre collègue Athina Kyriadikou. Madame la rapporteure, vous avez su aborder ce thème délicat de l'intégration des femmes musulmanes dans nos sociétés européennes avec beaucoup d'équilibre, d'ouverture et de respect.

Il convient, comme vous l'avez fait, de rappeler une évidence parfois négligée au sein de nos États membres : les femmes musulmanes, malgré leur croyance en une même religion, ont une acception diverse de la pratique de cette religion. Ces différences sont, de surcroît, renforcées par la pluralité de leurs origines sociales ou de leurs parcours professionnels.

Elles doivent faire face à un certain nombre d'obstacles communs au cours de leurs parcours. L'égalité des chances, déjà délicate à appliquer dès lors qu'il s'agit des femmes, quelle que soit leur nationalité, voire leur religion, peut s'avérer encore plus compliquée pour elles. Être femme musulmane, peu qualifiée, que l'on soit jeune ou moins jeune, ce n'est plus une double peine, c'est une peine multiple !

Il convient de développer dans nos États membres la notion de discrimination multicritère. Elle n'est pas, ou peu, prise en compte dans nos politiques et nos analyses, pas plus dans le monde de l'éducation que celui du travail, du droit ou de la santé. Comment alors les former, les accompagner vers l'emploi, l'accès aux droits ou à la santé si, dans nos pays, les professionnels ne sont pas sensibilisés à prendre en charge ces publics spécifiques, plus vulnérables parce qu'ils cumulent, comme vous le mentionnez dans votre rapport, plusieurs handicaps et subissent des violences et des contraintes particulières ?

Les politiques publiques se doivent d'utiliser cette notion de discrimination multicritère afin de permettre d'ajuster ou de développer des actions contribuant à l'intégration et l'émancipation de ces femmes - elles qui sont au coeur de leur famille l'élément déclencheur, la passerelle nécessaire de la marche vers l'éducation et l'intégration. C'est par elles que passe et passera le changement ! A nous, élus du Conseil de l'Europe et de nos États membres, de les aider dans cette longue marche ! »

Mme Christine Marin (Nord - UMP) a présenté, quant à elle, les mesures qui doivent permettre aux femmes musulmanes, mais pas uniquement, de mieux s'intégrer au sein des sociétés européennes :

« Comme l'a récemment rappelé le président du Haut Conseil à l'intégration, dans les quartiers difficiles, la situation des femmes immigrées ou d'origine immigrées, souvent musulmanes - mais pas toujours -, est devenue de plus en plus éprouvante, à mesure que le communautarisme et l'intégrisme religieux progressent. Dans les cités, les femmes sont les premières victimes du recul des valeurs démocratiques.

Les discriminations qui touchent les femmes musulmanes sont liées, non pas seulement à leur religion, mais surtout à leur statut de femmes venant de milieux défavorisés. Elles touchent aussi les femmes non musulmanes issues des mêmes quartiers et qui rencontrent souvent les mêmes difficultés dans la recherche d'un emploi, ou qui subissent les pressions des bandes de caïds désireux de faire régner leur loi sur le territoire de la cité. Les jeunes femmes de toute confession sont notamment soumises à une pression vestimentaire - l'obligation de porter des survêtements plutôt que des jupes - et, pour les jeunes femmes d'origine immigrée, le foulard, voire le niqab dans certains cas. C'est le prix à payer pour ne pas se faire insulter, voire agresser.

Lutter contre les discriminations à l'égard des femmes musulmanes, c'est aussi se battre pour que la femme soit reconnue l'égale de l'homme. Les stéréotypes que vous dénoncez naissent au sein même de ces quartiers où, dès le plus jeune âge, les garçons se pensent supérieurs aux filles. Cela est préoccupant car les femmes sont un vecteur important d'intégration et un élément essentiel du tissu social.

C'est pourquoi il est nécessaire de mettre au coeur de la lutte contre la discrimination l'apprentissage de la langue du pays d'accueil, à l'oral comme à l'écrit. En effet, une femme qui ne connaît pas la langue du pays est dépendante des hommes de la famille ou de la communauté. Celle qui sait pourra davantage sortir du groupe d'origine, communiquer avec les autres, connaître ses droits. Il faut briser l'isolement dont trop de femmes d'origine étrangère sont victimes et leur donner une liberté nouvelle.

La connaissance de la langue permet aussi à la mère de gérer seule les enfants, d'aller les chercher à l'école, mais aussi de les aider pour les devoirs et ainsi, dès le plus jeune âge, de leur donner une image positive de la place de la femme dans la société. Ces femmes sont au coeur d'une politique volontariste d'intégration car elles sont soucieuses de l'avenir de leurs enfants. En faisant passer la réussite de leurs enfants, fille ou garçon, avant celle de leur groupe, ces mères sont le meilleur rempart contre l'intégrisme et la discrimination. »

Mme Muriel Marland-Militello (Alpes-Maritimes - UMP) a tenu, de son côté, à revenir sur la question du voile, en rappelant le caractère parfois forcé de son port :

« Madame la rapporteure, c'est une idée très originale que de parler des femmes musulmanes dans nos démocraties. Quelle que soit la qualité de votre rapport, vous me permettrez d'avoir une opinion un peu différente de la vôtre sur la loi française qui interdit le port du voile intégral dans les lieux publics.

Vous considérez que cette interdiction peut entraîner un risque de discrimination accrue envers ces femmes. Or le voile intégral constitue le signe le plus voyant de la discrimination qui est faite à leur égard - et qui en cache d'ailleurs bien d'autres.

Chaque jour, des femmes musulmanes tunisiennes sont prises à partie devant les universités par les salafistes qui veulent leur imposer le niqab. Chaque jour, ces femmes se mobilisent pour ne pas perdre leur liberté. Dès lors, comment pourrions-nous, dans cette Assemblée, laisser penser que le voile intégral est un vêtement comme les autres ? Ce n'est pas du tout le cas ! Ce n'est pas là une tenue comme peuvent en avoir les Niçoises ou les Africaines ! c'est quelque chose de terrible.

Que ce soit en Europe, au Maghreb ou en Afghanistan, une femme qui porte le voile intégral est bafouée dans son humanité, puisqu'elle doit la cacher. Une femme qui porte ce carcan vestimentaire ne peut plus avoir de rapports sociaux à visage découvert dans une société démocratique et ouverte.

Tous les représentants du culte musulman auditionnés par la mission d'information parlementaire française l'ont affirmé avec force : le port du voile intégral n'est pas une prescription religieuse ; c'est le reflet de la conception qu'une certaine société a des femmes. L'interdire dans les lieux publics, ce n'est pas discriminer les femmes musulmanes. C'est au contraire briser la barrière derrière laquelle certains veulent les enfermer en exerçant des pressions pour cacher leur réalité physique.

L'interdire, c'est leur offrir une véritable égalité des chances dans le monde socioprofessionnel. C'est faire respecter un droit fondamental et universel : l'égalité entre les hommes et les femmes. Or, nos démocraties sont là pour cela. Il ne s'agit pas d'une stigmatisation religieuse, au contraire, car beaucoup de pays de religion musulmane l'interdisent eux aussi.

Ces femmes, réduites à l'état d'ombres sans visage, sont souvent des victimes. Si nous considérions le port du voile intégral dans les lieux publics comme l'expression d'une tradition ou d'une pratique religieuse, voire d'une liberté de choix vestimentaire acceptable en démocratie, nous ouvririons une brèche dans nos valeurs humanistes.

Le refus de certaines femmes de se laisser soigner par un homme, la revendication de voir des lieux réservés aux femmes et d'autres aux hommes aux urgences hospitalières, dans les piscines et dans tous les lieux publics, montrent que nous devons être fermes. Nous devons, dans nos démocraties, aboutir à une véritable citoyenneté des femmes afin que l'espace public démocratique soit respectueux envers les libertés des femmes comme envers celles des hommes.»

La résolution adoptée par l'Assemblée préconise plusieurs mesures afin de lutter contre la discrimination, encourageant notamment les médias à tenir compte de la diversité. Les États doivent adapter leurs législations afin de mieux combattre toutes les formes de discrimination directe et indirecte mais aussi fournir une aide aux victimes. Le texte initial insistait sur la nécessité de « protéger la liberté, pour les femmes musulmanes, de choisir leur tenue vestimentaire, n'imposant de restrictions que lorsqu'elles sont nécessaires dans une société démocratique, pour des raisons de sécurité, ou lorsqu'elles sont requises pour l'exercice d'une fonction ou pour une formation professionnelle ».

Mme Muriel Marland-Militello a défendu un amendement présenté par Mmes Arlette Grosskost (Haut-Rhin - UMP) , présidente de la délégation, et Marie-Jo Zimmermann (Moselle - UMP), ainsi que M. Alain Cousin (Manche - UMP) , précisant que cette liberté s'exerçait « dans le respect des lois de l'État où elles résident » :

« Le port du voile est contraire aux valeurs fondamentales du Conseil de l'Europe car, sans dignité des femmes ni égalité entre les femmes et les hommes, il n'est pas de société démocratique. C'est pour préserver et garantir cette dignité et cette égalité qu'il peut être légitime de restreindre la liberté vestimentaire des femmes musulmanes car trop souvent cette liberté leur est imposée par ailleurs. »

Cet amendement a été adopté.

La commission avait au préalable approuvé à l'unanimité un amendement déposé par Mmes Arlette Grosskost (Haut-Rhin - UMP) , présidente de la délégation, et Marie-Jo Zimmermann (Moselle - UMP) ainsi que M. Alain Cousin (Manche - UMP) , précisant que les restrictions à la liberté vestimentaire sont adoptées par les États « pour préserver la dignité des femmes, pour garantir l'égalité entre les femmes et les hommes ». En application de l'article 33.11 du Règlement, cet amendement a été déclaré adopté par l'Assemblée.

Le texte prévoit, en outre, différentes dispositions destinées à favoriser l'intégration des femmes musulmanes au sein des sociétés européennes, en garantissant l'accès à l'éducation, en adoptant des sanctions efficaces contre les discriminations au travail ou en invitant les partis politiques à être plus représentatifs de la diversité. S'agissant de la violence, la résolution réitère la condamnation de toute référence à l'honneur pour justifier des actes de violence. Les chefs religieux sont invités à dénoncer la violence à l'égard des femmes et à rappeler que les mutations génitales ne constituent pas une pratique préconisée par l'Islam.

La résolution insiste également sur l'accès à la santé. L'Assemblée souhaite que soient mises à disposition des femmes enceintes des informations dans leur langue d'origine et que des interprètes soient présents le cas échéant dans les centres de soin. Les professionnels de santé devraient, dans le même temps, être formés à la diversité culturelle.

Mme Muriel Marland-Militello a défendu un amendement présenté par Mmes Arlette Grosskost (Haut-Rhin - UMP) , présidente de la délégation, et Marie-Jo Zimmermann (Haut-Rhin - SOC) ainsi que M. Alain Cousin (Manche - UMP) , précisant qu'il convenait, pour autant, de veiller à ce que « le fonctionnement du système de santé ne soit pas perturbé par les coutumes religieuses des patients ». Cet amendement a été adopté.

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