B. RENFORCER LA PORTÉE DES FUTURS CONTRATS ENTRE L'ÉTAT ET LES COLLECTIVITÉS

1. Résoudre le casse-tête du calendrier

À l'origine, les contrats de plans Etat-régions étaient alignés sur le plan de la Nation. Leur durée était donc de 5 ans. Elle a été allongée à 7 ans, afin de rendre possible leur convergence avec les fonds européens.

Outre cet atout, cette durée a plusieurs avantages. Elle permet la réalisation de projets structurants qui ne peuvent se faire que sur une période longue. Elle évite une réouverture de la négociation entre les parties prenantes tous les deux ou trois ans. Outre le gain de temps et d'énergie qu'il constitue, ce calendrier favorise l'expression d'une vision de long terme : après une négociation de grande ampleur qui a lieu avant le démarrage des contrats, les efforts des parties prenantes peuvent se concentrer sur la réalisation et le suivi des opérations programmées.

Cette période de contractualisation n'est toutefois pas exempte d'inconvénients. Sa longueur rend difficile l'adaptation du contenu des contrats aux évolutions de l'environnement dans lequel ils ont été conçus. Lorsqu'un projet est inscrit en CPER, il a en général été imaginé un ou deux ans avant la négociation : s'il n'est entamé qu'à la fin de la période de contractualisation, il peut ne plus du tout correspondre aux besoins exprimés près de six ou sept années auparavant. Un projet de rénovation d'un bâtiment universitaire peut ainsi se retrouver inadapté en raison d'une évolution sensible et non anticipée du nombre d'étudiants entre le moment où le projet a été conçu et le moment de sa réalisation.

Ce type de situation peut expliquer certaines difficultés rencontrées en matière de respect des engagements budgétaires. En cas d'arbitrage entre un projet décidé plus de cinq années avant sa mise en chantier, qui peut ne plus correspondre aux enjeux auxquels il était censé répondre, et un projet répondant à une nouvelle politique ministérielle, un responsable de programme budgétaire aura tendance à vouloir privilégier le second.

Par ailleurs, se pose la question de l'articulation entre le calendrier de la négociation et les échéances électorales. Si la prochaine génération de contrats entre l'Etat et les collectivités coïncide avec celle des fonds européens, elle s'étendra sur la période 2014-2020. Cela signifie que des négociations devront être menées dès 2013, voire avant. Or, les prochaines élections régionales, départementales et municipales interviendront après cette période de négociation. Les nouveaux élus auront ainsi à appliquer un certain nombre d'engagements pris avant leur prise de fonctions.

Afin de remédier à ces difficultés, des possibilités d'adaptation plus fortes des contrats en cours de réalisation pourraient être prévues. À l'heure actuelle, la révision à mi-parcours reste bien souvent un exercice purement technique : à volume budgétaire inchangé, seuls quelques ajustements liés aux difficultés rencontrées par certaines opérations ont lieu. Le contenu ou les objectifs des contrats ne sont pas réévalués. L'opération se résume en fait à un rééquilibrage des crédits a minima . Il est également possible de réaliser des avenants aux contrats, mais seulement dans la mesure où ils ne modifient pas l'économie générale du contrat ou la substance des grands projets 17 ( * ) . Des avenants ont notamment été conclus pour prendre en compte l'impact du Plan Campus sur les projets universitaires.

Sans rouvrir complètement la négociation, la révision à mi-parcours pourrait dépasser ce stade d'exercice purement technique. Un nouveau débat pourrait avoir lieu sur le contenu de la programmation, avec des possibilités d'ajustement plus larges. L'exercice pourrait également être l'occasion de prendre en compte les démarches partenariales lancées en dehors du contrat depuis sa signature, avec une mise à jour de l'annexe résumant les différentes interventions menées en partenariat par l'Etat et les collectivités concernées.

Proposition 7 : Renforcer les possibilités d'adaptation des futurs contrats entre l'Etat et les collectivités à l'occasion de la révision à mi-parcours

En revanche, votre rapporteur ne soutient pas la mise en place de deux mécanismes proposés par Philippe Bellec et Eric Sesboüe pour renforcer les possibilités d'adaptation dans le temps des contrats. Il s'agit de la mise en place d'un système de programmation pluriannuelle glissante des crédits de l'Etat, destiné à « adapter la mobilisation des ressources budgétaires à l'état réel de mise au point des projets, et [à] dimensionner la liste des projets retenus à l'état des ressources budgétaires mobilisables », ainsi que de l'instauration d'une « clause de suspension-retrait de la programmation des projets, en cas de divergence importante avec les engagements initiaux contractuels des porteurs de projet ».

Ces mécanismes pourraient fortement atteindre la portée contraignante des contrats et avoir pour conséquence de les transformer en « coquilles vides » dès l'apparition des premières difficultés techniques ou budgétaires. Or celles-ci ne manquent pas à l'heure actuelle. Elles ne doivent néanmoins pas conduire à un recul de l'action publique, mais à un meilleur ciblage de cette dernière.

2. S'assurer de la faisabilité et de la plus-value des projets

Partie intégrante de la définition d'une nouvelle stratégie régissant les futurs contrats entre l'Etat et les collectivités, la détermination d'une méthode précise de sélection des projets, avec la définition de critères précis et objectifs, répond à plusieurs enjeux. Elle rendrait tout d'abord les décisions d'attributions de crédits de l'Etat plus transparentes et partant, mieux acceptées. Elle pourrait ensuite considérablement renforcer la portée des contrats entre l'Etat et les collectivités, en favorisant notamment la faisabilité et la plus-value des projets inscrits en leur sein.

Afin de mettre fin aux critiques de saupoudrage des moyens ou aux accusations de contrat « fourre-tout », la sélectivité des projets doit être renforcée. Une définition plus précise des projets ayant vocation à être financés doit être adoptée au niveau national, à l'issue d'une réflexion menée conjointement avec les collectivités. Par exemple, les aides correspondant à une logique de guichet pourraient être exclues des futurs contrats entre l'Etat et les collectivités, comme l'a préconisé l'ARF en audition.

Les projets retenus doivent également être viables à long terme. Encore beaucoup de projets sont inscrits en CPER sans avoir fait l'objet d'une étude de faisabilité approfondie. Faute d'une analyse suffisante des moyens nécessaires à l'opération (moyens financiers mais aussi disponibilité ou coût du foncier en cas de nouvelle opération par exemple...), certains d'entre eux se retrouvent alors caducs, même s'ils ont fait l'objet d'un engagement contractuel. Certains projets sont parfois inscrits en CPER pour des raisons d'affichage, alors même qu'aucune des parties prenantes ne les considère comme réellement faisables.

Certes, l'abandon d'un projet qui s'est révélé inadapté est préférable à la persistance dans l'erreur. Ces situations doivent toutefois rester exceptionnelles, sauf à vider de son sens l'outil contractuel et à réduire à néant la crédibilité des engagements pris dans ce cadre. S'assurer de la faisabilité d'un projet semble une exigence minimale avant son inscription dans un contrat engageant différentes parties.

L'évaluation du coût des différents projets doit notamment être améliorée. Les dépassements des coûts par rapport aux estimations initiales ne doivent être liés qu'à des imprévus effectifs.

Par ailleurs, la recherche de l'efficience et de l'efficacité doit guider le choix des projets inscrits dans ces futurs contrats entre l'Etat et les collectivités. Dans un contexte de raréfaction des deniers publics, il convient de promouvoir la meilleure utilisation possible de ces derniers.

C'est la raison pour laquelle une évaluation plus approfondie ex ante des projets doit être recherchée, avant même leur inscription dans les contrats. Cette évaluation permettrait de s'assurer de la faisabilité des différents projets, mais aussi de leur impact, notamment économique, social et environnemental ainsi que de leur plus-value. Les responsabilités respectives des différents acteurs concernés pourraient également y être précisées, afin de mettre fin aux difficultés rencontrées dans ce domaine, qu'a évoquées Jean-Luc Fichet en délégation. Cette démarche d'évaluation répond aux préoccupations d'un certain nombre d'acteurs auditionnés par votre rapporteur à l'occasion de ses déplacements.

S'agissant des projets dont les financements sont les plus importants, un organe indépendant consulté de personnalités qualifiées, choisies à parité par l'Etat et les collectivités, pourrait réaliser une sorte d'audit de leur contenu. C'est ce qu'a notamment proposé M. Laurent Machureau, Sous-directeur à la Direction du Budget. L'avis de cet organisme resterait consultatif, mais pourrait constituer un outil d'aide à la décision tant du côté de l'Etat que des collectivités territoriales.

S'agissant des projets aux financements plus réduits, leur évaluation ex ante pourrait être promue par l'obligation de fournir une étude préalable répondant à un certain nombre de questions, de façon standardisée. L'évaluation de leur coût et de leur faisabilité y seraient présentées, de même que certains éléments d'évaluation visant à anticiper leur impact sur le territoire. Philippe Bellec et Eric Sesboüe, qui prônent une démarche de « labellisation » des projets, en ont suggéré quelques-uns dans leur rapport.

Proposition 8 : Définir une méthode de sélection des projets au niveau national, notamment :

- en fixant des règles précises concernant les types de projets ayant vocation à être financés ;

- en conditionnant l'inscription des projets dans les contrats à la réalisation d'une étude de faisabilité et d'impact dont les critères auront été définis au niveau national, en association avec les collectivités. Pour certains des projets, cette étude pourrait être confiée à un organe indépendant.

Notre collègue Raymond Couderc a craint que cette proposition n'aboutisse à une sélection des projets au niveau national, qui entrerait en contradiction avec la nécessité d'une adaptation des contrats aux spécificités des territoires. Pour votre rapporteur, il s'agit avant tout de fixer quelques règles destinées à encadrer les négociations, et non de déterminer à l'avance leur contenu, dans l'objectif de mettre fin aux accusations d'instrument « fourre-tout » et d'assurer une réalisation effective des opérations retenues.

L'encouragement à l'évaluation ex ante souligne une nouvelle fois l'importance d'une réflexion sur les moyens des collectivités concernées en matière d'ingénierie, afin d'éviter que seules les collectivités les plus dotées en la matière soient en mesure de proposer et soutenir des projets dans ce cadre.

Se pose également la question de savoir si seules des opérations déjà prêtes à être réalisées ont vocation à être inscrites dans les futurs contrats entre l'Etat et les collectivités. Si cette démarche favorise le respect des engagements, elle comporte le risque de réduire les futurs contrats entre l'Etat et les collectivités à un catalogue de projets conçus individuellement par chacun des acteurs. La recherche d'un respect des engagements - fort légitime compte tenu des expériences passées - ne doit pas conduire à empêcher toute maturation des projets. Certains d'entre eux ont besoin de temps pour éclore, et ce d'autant plus qu'ils engagent plusieurs parties, et sur une durée longue.

C'est la raison pour laquelle un dispositif de « mise à l'étude » de projets pourrait être prévu en parallèle, accompagné de crédits d'ingénierie adéquats. Ces derniers serviraient à réaliser l'étude de faisabilité requise pour leur inscription dans un futur contrat ou à l'occasion de la révision à mi-parcours.

Les projets inscrits dans les futurs contrats entre l'Etat et les collectivités se répartiraient ainsi entre deux composantes :

- Une partie portant programmation pluriannuelle d'opérations déjà prêtes à être réalisées , engageant les parties de façon contraignante ;

- Une partie plus prospective, de mise à l'étude de projets qui pourraient être retenus dans le cadre d'une contractualisation suivante ou d'une révision à mi-parcours.

Proposition 9 : Intégrer aux futurs contrats entre l'Etat et les collectivités une partie prospective, de « mise à l'étude » de projets, prévoyant la prise en charge des études préalables nécessaires à leur inscription dans un contrat ultérieur ou à l'occasion de la révision à mi-parcours

3. Améliorer le respect des engagements

Il n'existe pas de moyen juridique permettant de contraindre l'Etat à respecter les engagements qu'il a pris dans le cadre des CPER. La force contraignante des contrats repose essentiellement sur la volonté et l'intérêt des différentes parties prenantes à le respecter.

Les retards pris par l'Etat dans l'exécution budgétaire de ses engagements, voire le non-respect de ces derniers, ont été évoqués à de nombreuses reprises lors des déplacements. L'asymétrie qui en résulte est absolument dommageable. Le respect par l'Etat de ses engagements contractuels doit être élevé au rang de priorité - et ce pour l'ensemble des ministères concernés 18 ( * ) -.

Un renforcement de la sélectivité des projets et des possibilités d'adaptation des contrats à mi-parcours pourrait lever certaines difficultés d'arbitrage liées à l'ancienneté des engagements contractés.

Un organe de médiation pourrait par ailleurs être mis en place afin de mesurer précisément les défauts d'exécution des parties prenantes et d'y proposer des réponses adéquates. Des compensations pourraient par exemple être prévues lorsque le défaut de respect des engagements n'est pas imputable à un abandon de projet consenti par l'ensemble des parties concernées.

Proposition 10 : Mettre en place un organe de médiation destiné à mesurer les difficultés résultant du non-respect des engagements contractuels par les parties prenantes et y proposer des réponses

4. Renforcer le suivi sans l'alourdir

Le pilotage et le suivi des contrats sont inégaux selon les territoires, comme l'ont notamment pointé deux rapports d'évaluation sur la génération actuelle des CPER réalisés à l'initiative de la DATAR 19 ( * ) . Les comités de suivi ne se réunissent pas toujours régulièrement, alors qu'ils peuvent limiter bien des retards ou des blocages dans l'exécution des contrats.

La mise en place du logiciel Presage, imposé comme outil unique de suivi, a pris du temps et constitue encore aujourd'hui une source de difficultés et de lourdeurs. Les informations fournies dans Presage dépendent des efforts réalisés par les parties prenantes pour le renseigner, ce qui explique « l'absence de vision consolidée et partagée en temps réel des montants engagés dans le cadre du CPER 20 ( * ) ». Or, l'absence d'interface avec les logiciels des conseils régionaux les oblige à procéder à une double saisie, ou à développer eux-mêmes une telle interface. La DATAR indique que trois régions n'utilisent pas Presage de manière systématique.

Le rapport d'évaluation sur le volet enseignement supérieur et recherche des CPER couvrant la période 2007-2013 relève par ailleurs de fortes incohérences entre les données validées conjointement par les conseils régionaux et les SGAR, d'une part, et les données issues de Presage, d'autre part, même pour les montants initiaux inscrits dans les maquettes des CPER. Outre les difficultés de saisies des données dans Presage, plusieurs pistes d'explication à ce phénomène sont identifiées, comme la comptabilisation dans les montants initiaux par les acteurs locaux de financements hors CPER qui contribuent à la réalisation d'opérations inscrites en CPER, l'absence de consolidation et de suivi financier régulier et partagé au niveau local, ou la mauvaise application des règles de la comptabilité publique pour certains acteurs. Le pilotage des CPER ne peut qu'en être affecté. Comme le relèvent Philippe Bellec et Eric Sesboüe, « les modalités du suivi budgétaire et les travaux d'évaluation ne permettent pas encore d'établir une véritable transparence des CPER, malgré le choix du logiciel PRESAGE depuis 2007. » Il est dès lors impératif que ces difficultés trouvent une réponse dans le cadre de la nouvelle contractualisation entre l'Etat et les collectivités.

S'agissant du suivi et de l'évaluation des CPER opéré au national, un groupe d'études et de suivi des CPER (GESPER) a été créé en 2006 par la délégation interministérielle à l'aménagement et à la compétitivité des territoires (DIACT). Il a été chargé de mener la concertation et la négociation sur la génération 2007-2013 de CPER. La responsabilité du suivi global de l'avancement des CPER au niveau national lui a ensuite été confiée. Il réunit une trentaine de représentants des directions centrales des ministères impliqués dans le financement de ces CPER.

Mais le format de cette instance ne semble pas adapté à l'enjeu que constituent le suivi et l'évaluation des CPER. Il réunit nombre de personnes, représentant des niveaux d'engagement divers au sein des ministères. Il présente en outre dans l'essentiel une vision d' « en haut », soit des administrations centrales, alors que les préfets de régions et les SGAR possèdent une expertise remarquable sur le terrain. Ils devraient être davantage consultés dans le processus d'évaluation des contrats.

Le point de vue des collectivités, qui assurent désormais plus de la moitié des financements, devrait également davantage être pris en compte. Une instance nationale d'évaluation (INE), composée de trois collèges, Etat, conseils régionaux et personnalités qualifiées, avait été mise en place dans l'objectif d'assurer un suivi et une évaluation partagée des CPER et des programmes opérationnels européens. Mais, d'après la DATAR, elle a été mise en sommeil depuis fin 2009 en raison notamment du calendrier électoral.

Si une telle instance devait revoir le jour, il conviendrait que les observations de l'ensemble de ses parties prenantes, et notamment des collectivités, soient prises en compte et permettent effectivement d'améliorer les modalités de la contractualisation, de la négociation à la mise en oeuvre des opérations.


* 17 Circulaire du Premier ministre aux ministres et aux préfets de régions du 25 avril 2007 sur la mise en oeuvre des contrats de projets 2007-2013.

* 18 Une étude confiée par la Datar à Ernst and Young sur l'évaluation des CPER 2000-2006 relève que durant cette période, « les taux de délégation des crédits varient selon les ministères (hors montants marginaux type Défense ou INSEE) de 59% (PME, commerce, artisanat) à 93% (Ville). » Etude portant sur l'évaluation des contrats de plan 2000-2006, Tome 1, p. 17.

* 19 Evaluation nationale du volet ferroviaire et TCSP des CPER 2007-2013 réalisée par Ernst and Young, Rapport final, février 2011 et Evaluation à mi-parcours des contrats de projets Etat-région - Volet Enseignement supérieur et recherche, rapport final, avril 2011.

* 20 Evaluation à mi-parcours des contrats de projets Etat-région - Volet Enseignement supérieur et recherche, rapport final, avril 2011.

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