Rapport d'information n° 173 (2012-2013) de M. Jean-François HUMBERT , fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 29 novembre 2012

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N° 173

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 29 novembre 2012

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur Chypre et la crise de la zone euro ,

Par M. Jean-François HUMBERT,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Simon Sutour, président ; MM.  Alain Bertrand, Michel Billout, Jean Bizet, Mme Bernadette Bourzai, M. Jean-Paul Emorine, Mme Fabienne Keller, M. Philippe Leroy, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Georges Patient, Roland Ries, vice-présidents ; MM. Christophe Béchu, André Gattolin, Richard Yung, secrétaires ; MM. Nicolas Alfonsi, Dominique Bailly, Pierre Bernard-Reymond, Éric Bocquet, Gérard César, Mme Karine Claireaux, MM. Robert del Picchia, Michel Delebarre, Yann Gaillard, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Joël Guerriau, Jean-François Humbert, Mme Sophie Joissains, MM. Jean-René Lecerf, Jean-Louis Lorrain, Jean-Jacques Lozach, François Marc, Mme Colette Mélot, MM. Aymeri de Montesquiou, Bernard Piras, Alain Richard, Mme Catherine Tasca.

INTRODUCTION

L'Espagne et Chypre ont chacune formulé, en juin dernier, une demande d'assistance financière auprès de l'Union européenne. Les deux pays traversent une crise bancaire sans précédent. Mais si Madrid a limité, pour l'instant, sa demande d'aide à une recapitalisation des établissements financiers espagnols, Nicosie vise deux types de prêts, l'un en faveur de ses banques et l'autre destiné à lui permettre de refinancer sa dette.

Au regard du montant de l'aide attendue et du poids de Chypre dans l'économie européenne, la crise que traverse le pays pourrait presque apparaître anecdotique. Il n'en demeure pas moins qu'elle révèle, même à petite échelle, les difficultés du secteur bancaire européen et son implication notable dans la formation d'une bulle immobilière, avec une spécificité dans le cas chypriote : la trop forte exposition des établissements financiers locaux au risque grec.

Les autorités chypriotes ne dissimulent pas leurs critiques à l'égard de la troïka, en charge des programmes d'assistance financière de l'Union européenne en Grèce, en Irlande et au Portugal, et souhaitent en conséquence négocier les conditions d'octroi des prêts, voire les combiner avec des aides extérieures.

Ce rapport tire les enseignements des entretiens organisés sur place les 16 et 17 octobre derniers. Il a pour ambition de dresser un état des lieux de la situation locale, tant au plan politique qu'économique. Il revient également sur les réponses à la crise que tente d'apporter l'Union européenne depuis plus de deux ans.

Chypre en quelques chiffres

Superficie : 9 251 km²

Population : 885 600 habitants

PIB (2011) : 17,9 milliards d'euros

Taux de croissance (2011) : + 0,5 %

Taux de croissance 2012 (prévision) : - 2,3 %

Taux de chômage (2011) : 7,7 %

Solde budgétaire (2011) : - 6,5 % du PIB

Balance commerciale (2011) : - 5,9 milliards d'euros

Principaux clients : Grèce (22,1 %), Allemagne (8,4 %), Royaume-Uni (8,2 %)

Principaux fournisseurs : Grèce (19 %), Italie (9,3 %), Allemagne (8,9 %), Royaume-Uni (8,3 %), Israël (8 %)

I. QUELLES AIDES POUR CHYPRE ?

Les difficultés que traverse Chypre ne sont pas sans rappeler celles qu'ont pu rencontrer l'Irlande ou l'Espagne, confrontées toutes deux à une crise aiguë de leurs secteurs bancaires respectifs. La crise financière mondiale a en effet considérablement fragilisé un modèle économique reposant en large partie sur les activités financières très développées dans l'île depuis 1974. La spécificité chypriote tient néanmoins à une exposition trop importante au risque grec. A cette crise bancaire s'ajoutent de réelles difficultés économiques et budgétaires, qui viennent mettre en lumière de nombreux problèmes structurels, alors que le pays n'a plus accès aux marchés financiers pour refinancer sa dette depuis plus d'un an.

A. LES LIMITES D'UNE ÉCONOMIE FORTEMENT EXPOSÉE À L'EXTÉRIEUR

1. Un modèle économique reposant en large partie sur les activités financières

L'invasion par la Turquie de la partie Nord de l'île en 1974 a conduit Chypre à redéfinir son modèle économique, désormais tourné vers les services, qui représentent aujourd'hui 76 % du PIB. Les secteurs touristiques (18 % du PIB et 25 000 emplois) et commerciaux ont, notamment, connu un réel essor.

Les activités financières ont également été au coeur de cette révolution économique. Héritage de la colonisation britannique, le secteur financier représente ainsi aujourd'hui 30 % du PIB. Les deux principales banques du pays - Bank of Cyprus et Laika Bank - dépassent le seul cadre insulaire puisque la première, qui maille le territoire de l'île avec 147 agences, dispose de succursales en Australie, en Ukraine et en Russie quand la seconde compte 11 000 salariés à l'étranger sur les 20 000 qu'elle emploie.

Une fiscalité avantageuse - le taux d'imposition sur les sociétés est fixé à 10 % (4,5 % avant l'adhésion à l'Union européenne), exonération de taxes sur le paiement des royalties, dividendes et des intérêts, exonération des plus-values de titres, accords de non double-imposition - mais aussi la présence sur l'île de nombreux cabinets d'avocats et d'audit ont également attiré de nombreuses sociétés off-shore . Les actifs bancaires représentent aujourd'hui 750 % du PIB, révélant de la sorte un système bancaire surdimensionné par rapport à l'économie du pays. Les actifs de la Bank of Cyprus et Laika Bank représentent respectivement 211 % du PIB (38 milliards d'euros) et 190 % du PIB (34 milliards d'euros). Les trois premières banques du pays représentent par ailleurs 59,8 % de l'ensemble des dépôts à Chypre.

Dépôts bancaires (en milliards d'euros)

Bank of Cyprus

Laiki Bank - Cyprus popular Bank

Hellenic Bank

19,4

17,7

6,5

Ses atouts économiques rendent, de fait, l'île très exposée à la conjoncture mondiale. L'économie demeure en effet ouverte et caractérisée par un fort recours aux importations : la balance commerciale a ainsi enregistré un déficit de 5,9 milliards d'euros en 2011.

Aux efforts de consolidation budgétaire induits par son adhésion à l'Union européenne en 2004 puis à la zone euro en janvier 2008 a répondu une croissance importante du produit intérieur brut entre 2000 et 2008 (4 % annuels en moyenne). Cette dynamique reposait en large partie sur le crédit, une forte hausse des revenus réels, un chômage relativement faible, un environnement économique sain et d'importants investissements étrangers dans le secteur immobilier.

L'accès au crédit a notamment été facilité par la baisse des taux d'intérêts opérée par la Banque centrale de Chypre suite à son intégration au sein de l'Union économique et monétaire. Elle a, dans le même temps, réduit ses exigences de réserves obligatoires et celles en matière de liquidités sur les dépôts en euros mais aussi en devises étrangères (de 75 à 70 %). Une augmentation des dépôts des non-résidents et une politique budgétaire expansionniste ont également contribué à faciliter le recours au crédit. De fait, alors que l'endettement privé atteignait 185 % du PIB en 2000, il frôle les 300 % en 2011.

L'endettement privé à Chypre

Taux d'endettement
(en % du PIB)

2001

2011

Endettement des ménages

90 %

159 %

Endettement des sociétés

90 %

132 %

Le secteur immobilier a été le principal bénéficiaire de ce développement du crédit, générant un phénomène de type bulle spéculative, à l'image de ce qu'a connu l'Irlande au début des années 2000.

2. Une forte exposition au risque grec

Si la crise économique mondiale n'a pas eu d'impact réel sur les dépôts des résidents et des non-résidents, la situation grecque a eu, quant à elle, des conséquences directes pour les banques chypriotes. Les liens historiques et culturels existant entre les deux pays ont naturellement débouché sur un partenariat économique solide, la Grèce étant à la fois le premier fournisseur et le premier client de Chypre. De fait, avant la restructuration de la dette grecque, l'exposition de Chypre à la Grèce, qu'il s'agisse de prêts ou d'obligations, représentait environ 27 milliards d'euros, soit 140 % du PIB de l'île. Signe d'une réelle spéculation sur l'avenir financier de son voisin, le rachat des titres publics grecs par les banques chypriotes en 2009-2010 a été estimé à 5 milliards d'euros.

Exposition à la dette grecque des banques chypriotes

En milliards d'euros

En pourcentage
des dépôts

En pourcentage
de PIB

Banques chypriotes

Filiales étrangères

Banques chypriotes

Filiales étrangères

Banques chypriotes

Filiales étrangères

Obligations gouvernement grec

2,2

0

1,5

0

12,6

0

Obligations banques grecques

0,3

1

0,2

3,9

1,7

5,5

Prêts directs à des emprunteurs grecs

21,8

0

14,9

0

126

0

Total

24,3

1

16,6

3,9

140,3

5,5

(Source : Ambassade de France)

La décote opérée en février 2012 a conduit les banques chypriotes à effacer une large partie de leurs créances souveraines grecques. Le montant de la décote pour les banques chypriotes s'est ainsi élevé à 4,2 milliards d'euros, soit le quart du PIB local. Celles-ci représentent encore aujourd'hui 3,5 milliards d'euros, soit environ 20 % du PIB. Les créances privées grecques demeurent, quant à elles, à un niveau élevé puisqu'elles atteignent 22 milliards d'euros, soit un peu moins de 120 % du PIB. La Commission européenne estime que 10 à 14 % de ces créances sont « non performantes » et devraient donc donner lieu à des difficultés de remboursement.

Cette exposition et les risques qu'elle comporte - la Laiki Bank est exposée à 42 % au risque grec et la Bank of Cyprus à 34 % - comme les nouvelles exigences en matière de ratios de solvabilité de l'Autorité bancaire européenne induisent un besoin en capital important pour les établissements financiers chypriotes.

Exposition à la dette grecque des grandes banques chypriotes (décembre 2011)

En milliards d'euros

En pourcentage
des dépôts

En pourcentage
de PIB

Bank of Cyprus

Laiki Bank

Bank of Cyprus

Laiki Bank

Bank of Cyprus

Laiki Bank

Obligations du gouvernement grec

0,6

0,7

1,6

2,1

3,5

4

Prêts directs à des emprunteurs grecs

10

11,8

26,4

34,7

57,6

68,1

Total

10,6

12,5

28

36,8

61,1

72,1

(Source : Ambassade de France)

A ces difficultés liées à l'exposition à la dette publique et privée grecque qui représentent les deux tiers des pertes des banques s'ajoutent les problèmes liés à l'explosion de la bulle immobilière. Le marché a en effet perdu 30 % de sa valeur entre septembre 2011 et septembre 2012. La dépréciation des actifs immobiliers détenus par les établissements financiers ne constitue pas, à cet égard, le seul problème. Nicosie a, en effet, autorisé pendant des années une pratique hasardeuse du crédit hypothécaire. Les banques accordaient ainsi un crédit hypothécaire aux constructeurs-promoteurs qui revendaient ensuite les biens à des acquéreurs, sans pour autant que l'hypothèque soit levée. De fait, si le promoteur est contraint à la faillite, l'acquéreur peut alors perdre son bien. Les banques chypriotes sont même allées jusqu'à accorder des crédits aux acquéreurs sans les informer que le promoteur possédait déjà lui-même une hypothèque antérieure sur ce bien. Le résultat de cette dette accumulée par les promoteurs est aujourd'hui estimé à plus de 7 milliards d'euros. Des dizaines de milliers de biens sont désormais concernés. Une première lettre de réprimande a d'ailleurs été adressée aux autorités chypriotes suite à la plainte de ressortissants britanniques lésés auprès de la Cour de justice de l'Union européenne.

C'est dans ce contexte que le gouvernement a approuvé une émission d'actifs en faveur de la Marfin Laiki Bank - Cyprus popular Bank , pour un montant estimé à 1,8 milliard d'euros soit près de 10 % du PIB. Dans le même temps, un certain nombre de succursales en Russie et en Ukraine devraient être fermées, une structure de cantonnement des actifs « pourris » étant mise en place avec un projet de vente d'ici 3 à 4 ans.

L'agence de notation Moody's estime à 4 milliards d'euros (23 % du PIB) les besoins du secteur bancaire chypriote, la Bank of Cyprus (200 millions d'euros ont ainsi été demandés à la Banque centrale de Chypre en juin dernier) ou l' Hellenic Bank étant également concernées. La Bank of Cyprus a, à ce titre, adopté des mesures de réduction de sa masse salariale, les salaires des cadres étant diminués de 15 à 50 %, les rémunérations étant par ailleurs gelées en 2012. L'agence Fitch table, quant à elle, sur 6 milliards d'euros. Un rapport préliminaire du Fonds monétaire international évaluait quant à lui une recapitalisation à hauteur de 10 milliards d'euros de l'ensemble du secteur, 2,3 milliards d'euros devant servir à un renflouement d'urgence du secteur.

On relèvera néanmoins que, contrairement à la Grèce, aucun retrait massif (« bank run ») n'a été observé aux guichets des banques chypriotes suite à l'appel au soutien international en vue d'une recapitalisation. Pour retenir les capitaux, les banques de l'île ont cependant offert à leurs déposants des taux de rémunération 2,5 fois plus élevés que dans le reste de la zone euro.

3. Une situation financière et budgétaire délicate

L'exposition de l'île à la dette grecque et l'absence de perspective de croissance a conduit les agences à abaisser régulièrement la note de Chypre placée depuis 2012 au sein de la catégorie spéculative, à l'instar de la Grèce et du Portugal.

Notation du risque chypriote

Fitch

Moody's

Standard & Poor's

Note chypriote

BB - (novembre 2012)

Ba3 (juin 2012)

BB (août 2012)

Note grecque

CCC

CCC

C

Note portugaise

BB +

Ba3

BB

Aux difficultés des banques s'ajoute, en effet, une croissance atone depuis 2009, en partie imputable à l'explosion de la bulle immobilière. L'année 2012 devrait ainsi se terminer par une contraction du PIB de 2,3 %. Les deux prochaines années devraient également être marquées par la récession : diminutions attendues de l'activité de 3,5 % en 2013, puis 1,3 % en 2014. Le taux de chômage, établi à 3,5 % de la population active avant la crise, atteint aujourd'hui plus de 10 %. Il pourrait s'élever à 13,8 % en 2013 et à 14,2 % en 2014.

Croissance du PIB entre 2009 et 2012

2009

2010

2011

2012

- 1,8 %

+ 0,6 %

- 0,5 %

- 2,3 %

Une telle conjoncture n'est pas sans incidence sur la situation budgétaire du pays. Le déficit public atteignait 6,5 % du PIB l'an dernier, la dette publique représentant, quant à elle, 71,3 % du PIB. Chypre n'a plus accès aux marchés financiers pour refinancer sa dette depuis plus d'un an. Les taux à 10 ans ont, en effet, atteint 11 % en octobre 2011.

Dette et solde publics (2008-2011)

2008

2009

2010

2011

Dette publique (en % de PIB)

48,9

58,5

61,5

71,6

Solde public (en % de PIB)

+ 0,9

- 6,1

- 5,3

- 6,3

La situation est d'autant plus délicate pour Nicosie que le pays a besoin d'environ 7,5 milliards d'euros pour refinancer sa dette publique d'ici 2016, somme qui vient s'ajouter aux besoins de recapitalisation du secteur bancaire. L'île pourrait même se retrouver dans l'incapacité de payer ses fonctionnaires et ses retraités en fin d'année. Les salaires de la fonction publique et des arrérages de pensions représentent une dépense mensuelle de 300 millions d'euros par mois. En l'absence de réformes structurelles, la trajectoire de la dette chypriote s'avère, en tout état de cause, inquiétante.

Trajectoire de la dette publique 2012-2016 (en % du PIB)

2012

2013

2014

2015

2016

91,1

109,5

120

128,8

135,6

4. Un modèle économique à repenser

Le modèle économique chypriote est confronté à des problèmes structurels indéniables. Le marché du travail se caractérise ainsi par un manque de débouchés pour les jeunes diplômés dont le nombre a doublé au cours des vingt-cinq dernières années. Il existe une forte inadéquation entre les qualifications et les offres d'emplois qui explique pour partie un chômage des jeunes importants. Dans le même temps, la formation professionnelle ne bénéficie pas d'un réel attrait. Il convient de relever de fortes disparités entre hommes et femmes en matière d'emploi et de rémunérations, le nombre très limité d'emplois flexibles ou le faible nombre et le coût des structures d'accueil pour les enfants, indispensables en vue de combiner vie de famille et vie professionnelle. L'ajustement automatique bisannuel de l'allocation de vie chère (CoLa) permet, en outre, d'indexer les salaires sur l'inflation, pesant ainsi sur la compétitivité de l'économie locale. Combiné à un fort endettement, cette faiblesse de la compétitivité des sociétés non financières fragilise directement leur rentabilité, rendant improductifs les prêts qui leur sont octroyés.

Le poids du secteur public est également une des caractéristiques du pays, Chypre employant 52 000 fonctionnaires pour une population d'environ 800 000 personnes. Les dépenses de personnel représentent 33 % du budget de l'État, soit 2 milliards d'euros, les salaires publics équivalent à 15,4 % du PIB. La dépense publique représente 48 % du PIB aujourd'hui contre 33 % en 1995. L'arme budgétaire a notamment été utilisée pour répondre à la crise qui frappe l'île. Les pensions de retraite ont ainsi été augmentées de 30 % et les autres allocations de 46 % depuis 2009. Transferts sociaux et salaires publics représentent ainsi les deux tiers du budget de l'État.

La Commission européenne a, de son côté, formulé, le 30 mai dernier, sept recommandations dans le cadre de l'examen du programme de stabilité chypriote. Ses observations visent notamment l'indexation des salaires, le financement des retraites, le recouvrement de l'impôt ou le fonctionnement du système de santé. Elle juge par ailleurs que le scenario macro-économique présenté par le gouvernement s'avère optimiste et que l'effort d'assainissement prévu pour 2013 repose en partie sur des mesures non clairement définies.

En ce qui concerne les retraites, la Commission estime ainsi que le gouvernement doit aligner l'âge légal de la retraite sur l'allongement de l'espérance de vie. En dépit d'une augmentation régulière de leurs prestations, le risque de pauvreté des retraités n'est pas non plus écarté par Bruxelles qui milite pour que la réforme attendue du système puisse permettre d'améliorer le revenu des titulaires des pensions les plus faibles.

La compétitivité de l'économie locale est, quant à elle, appréhendée sous plusieurs angles. Bruxelles souligne la nécessité de renforcer la mobilité des travailleurs et leur orientation vers des activités à forte croissance, en mettant un accent particulier sur les plus jeunes. Les mesures adoptées jusque-là par le gouvernement ne sont pas jugées assez ambitieuses dans les domaines de l'éducation et de la formation professionnelle. La Commission insiste, par ailleurs, sur l'élimination d'obstacles injustifiés dans le secteur des services, en particulier celui du tourisme. Elle prône, enfin, une réforme du système d'indexation des salaires, conformément à ce qu'elle avait déjà indiqué au gouvernement chypriote en 2011.

En ce qui concerne le secteur financier, la Commission souhaite aller plus loin que les mesures déjà adoptées par le gouvernement. Elle souhaite que soient renforcées les dispositions réglementaires en vue de limiter la vulnérabilité du secteur financier aux chocs extérieurs. Elle insiste, en outre, sur la nécessaire harmonisation de la surveillance des sociétés coopératives de crédit avec celle mise en place pour les banques. Le système financier chypriote s'apparente en effet à celui mis en place en Espagne. A côté des établissements bancaires classiques, 97 sociétés coopératives de crédit se sont développées, à l'image des caisses d'épargne espagnoles. Une très grande opacité entoure le fonctionnement et le portefeuille de ces établissements. Les actifs déposés sur leurs comptes pourraient s'élever à un milliard d'euros. Ces coopératives ont, par ailleurs, constitué un levier de financement privilégié du secteur immobilier au début des années 2000. Les sociétés coopératives sont officiellement placées sous le contrôle de la Banque centrale de Chypre. Il n'en demeure pas moins que ce contrôle semble inexistant. Les comptes de ces organismes sont rarement publiés. Il est difficile en l'occurrence de connaître le montant de leur exposition au risque grec (170 milliards d'euros ?) et de savoir quelles sont les sociétés bénéficiaires.

Le 14 décembre dernier, deux lois avaient déjà été adoptées en vue d'accroître la résilience du système financier aux crises bancaires. La Commission estime néanmoins que la surveillance des sociétés coopératives de crédit, qui détiennent 40 % de l'ensemble des dépôts intérieurs, n'est pas satisfaisante. Elle juge de façon générale que l'endettement du secteur privé, qui place l'île au deuxième rang européen en pourcentage de PIB, est une source de préoccupation, impliquant une vulnérabilité importante à toute hausse des prix. Une révision de la législation afférente à l'octroi de prêts devrait, en conséquence, être envisagée.

Le nouveau gouverneur de la Banque centrale de Chypre, nommé en mai dernier, a, de son côté, lancé un audit sur l'absence de réserves de l'institution sur les pratiques des banques chypriotes sur le marché grec ces dernières années, mais aussi sur la politique expansionniste des deux premières banques du pays en Roumanie, en Russie et en Ukraine. La Banque centrale relève notamment deux cas soulignant un dysfonctionnement dans son appréciation de l'activité des établissements financiers locaux. L'autorisation accordée à la Bank of Cyprus d'acquérir la neuvième banque russe, l' Uniastrum bank , en octobre 2008, au lendemain de la faillite de Lehman Brothers est ainsi jugée contestable. Plus récemment, l'accord donné par la Banque centrale à la modification du statut de la Marfin aegean , installée en Grèce, ancienne succursale transformée en agence bancaire, a privé cet établissement de l'aide accordée aux banques grecques.

La Commission relève enfin que l'administration fiscale est inefficace, les coûts liés à l'encaissement des recettes étant très élevés dans l'île et en constante augmentation. La perception demeure, en outre, relativement faible. Un effort doit parallèlement être réalisé en vue de lutter contre l'économie informelle mais aussi l'évasion fiscale. Le gouvernement a annoncé, de son côté, en mars dernier la signature d'un accord avec l'Église orthodoxe sur les questions fiscales. L'imposition du clergé, question délicate depuis l'accession du pays à l'indépendance, avait donné lieu à un projet d'accord en 2005, celui-ci n'étant finalement pas adopté par le conseil des ministres. En vertu du nouvel accord, l'Église orthodoxe s'engage pour une durée de 20 ans à s'acquitter de taxes sur les transactions immobilières et à renoncer à certains avantages, à l'image de l'exonération des taxes sur les véhicules.

Deux plans de rigueur ont été adoptés depuis le printemps dernier. Le premier prévoyait une réduction du nombre de fonctionnaires d'environ 10 % et une contribution de 2,5 % sur les revenus des fonctionnaires. Il intégrait également une diminution des aides sociales. Le deuxième plan, adopté en décembre dernier, met en place une taxe de 9 % sur certains prêts. Il prévoit dans le même temps un gel des salaires des fonctionnaires sur deux ans. L'imposition des salaires est également alourdie, de 0,5 % à 3,5 % selon le montant des rémunérations. La taxe sur la valeur ajoutée (TVA) passe, quant à elle, de 15 (soit l'un des taux les plus bas de l'Union européenne) à 17 % alors que l'impôt sur la défense nationale est également augmenté. L'ambition de ces programmes est d'atteindre l'équilibre budgétaire en 2014 et de ramener la dette publique à 65,4 % du PIB à l'horizon 2015. Ils demeurent cependant insuffisants au regard de la situation du pays.

B. UN APPEL A L'AIDE EUROPÉENNE INÉVITABLE

1. Une alternative russe ?

Les premières difficultés économiques et financières rencontrées en 2010 puis son impossibilité d'accéder aux marchés financiers l'année suivante ont conduit Nicosie à faire appel dans un premier temps à la Russie, dont les intérêts financiers dans l'île sont importants. La Russie détient ainsi 25 % des dépôts bancaires. Les fonds proviendraient de la vente de pétrole ou de minerais. 10 % de la Bank of Cyprus sont, par ailleurs, détenus par des Russes. Les investissements russes dans le pays s'élevaient ainsi à 78,2 milliards de dollars en 2011, soit un tiers des investissements dans le pays. De nombreux fonds d'investissement russes se font domicilier en Chypre pour profiter des avantages fiscaux qui leur sont accordés sur l'île. 1 400 demandes d'enregistrement ont été déposées par des sociétés russes qui souhaitent s'implanter ou développer leurs activités à Chypre au seul mois de janvier 2012. Ces fonds, devenus chypriotes, investissent ensuite en Russie. Chypre est, de la sorte, considérée, comme le premier investisseur en Russie (68,9 milliards de dollars au cours des trois premiers mois de 2012). L'enregistrement à Chypre permet également à ces sociétés d'origine russe d'accéder plus aisément aux bourses européennes. En 2011, 6 milliards d'euros ont ainsi été échangés à la City par 17 entreprises russes et ukrainiennes installées sur l'île. La communauté russophone à Chypre est, quant à elle, estimée à 35 000 personnes, soit plus de 4 % de la population totale de l'île. On relèvera, par ailleurs, que si le tourisme sur l'île résiste relativement bien à la crise, cela est en partie imputable à la fréquentation des touristes russes qui a augmenté de moitié durant l'été 2011 et s'est maintenu à un très haut niveau cette année.

Chypre a ainsi obtenu un prêt de Moscou de 2,5 milliards d'euros en octobre 2011. Le taux d'intérêt a été fixé à 4,5 %, le remboursement s'étalant sur quatre ans et demi. 590 millions d'euros ont été versés fin 2011, 1,32 milliard d'euros en janvier dernier, puis 590 au mois de mars. Ces montants ont été absorbés par les dépenses courantes. Une telle option était jugée moins contraignante qu'une aide européenne via le Mécanisme européen de stabilité. Les conditions imposées par celle-ci à l'octroi d'un soutien financier pourraient induire, en effet, une révision complète du modèle économique mis en place : relèvement du taux d'imposition, réforme du marché du travail et réduction des dépenses budgétaires. Pour Moscou, l'aide permet de sécuriser les investissements russes sur l'île. Elle ne serait pas non plus dénuée de visée géostratégique : l'implantation d'une base militaire sur l'île, en lieu et place de celle de Tartous, en Syrie, menacée par l'évolution politique à Damas.

Si le recours à une aide européenne s'est finalement imposé le 25 juin 2012, cette demande est néanmoins apparue ambivalente, puisque la Russie et la Chine ont été sondées en vue d'un nouveau prêt. Si Pékin n'a pas donné suite en dépit d'une forte pénétration des capitaux chinois sur l'île et en particulier à Larnaca, Moscou a, ainsi, été sollicitée pour un nouveau prêt, dont le montant se situerait entre 3 et 5 milliards d'euros. Une aide extérieure à l'Union européenne était censée permettre au gouvernement de négocier les conditions d'octroi d'un financement complémentaire par le Mécanisme européen de stabilité. Réfutant toute critique sur cette position duale, le gouvernement chypriote a ainsi mis en avant que l'Irlande avait bénéficié, à côté de l'aide octroyée par l'eurogroupe, de prêts bilatéraux octroyés par des pays non membres de la zone euro : Royaume-Uni et Suède.

La Russie a cependant indiqué que toute nouvelle aide financière devrait répondre aux mêmes conditions qu'un prêt octroyé par l'Union européenne, signe supplémentaire de la détérioration croissante de la qualité de la signature chypriote.

2. Quelles conditions à l'aide européenne ?

Au terme d'une première mission d'évaluation organisée en juillet dernier, la troïka (Banque centrale européenne - Commission européenne - Fonds monétaire international) a établi un premier programme d'ajustement. Celui-ci devait permettre d'adopter des mesures ambitieuses pour restaurer la stabilité du secteur financier. Il prévoiyait ainsi une réforme en profondeur du système bancaire en vue de réduire sa taille. Dans le même temps, les sociétés coopératives de crédit devraient être regroupées sous un même superviseur, en l'occurrence la Banque centrale. Les banques devraient, quant à elles, faire passer leur ratio Core Tier one , soit leur ratio de capital de qualité, de 8 à 10 % d'ici 2013.

Le document prévoyait notamment le lancement la privatisation d'entreprises publiques (la compagnie Cyprus Airways serait notamment concernée), la suppression de l'indexation des salaires publics et privés sur l'inflation et la fin du versement du treizième mois dans la fonction publique. Le gel des salaires dans la fonction publique devait être prolongé jusqu'en 2015 et le nombre de fonctionnaires réduit. Le treizième mois des retraites supérieures à 1 000 euros devait également être réduit ainsi que les primes de Noël et de Pâques. La troïka fixe également comme objectif budgétaire un déficit public établi à 4 % du PIB en 2012 et à 2,5 % lors de l'exercice suivant.

Ce projet a été rejeté par le président de la République, Demetris Christofias, le 3 octobre dernier. Trois points étaient considérés comme des acquis insusceptibles d'être réformés : l'indexation automatique des salaires, l'âge de départ en retraite et la taxation des entreprises. A ce titre, le gouvernement souligne régulièrement qu'à l'occasion de l'augmentation de l'impôt sur les sociétés au moment de l'adhésion à l'Union européenne, 25 000 entreprises avaient quitté l'île.

3. La position duale du gouvernement

Chypre est actuellement dirigée par un gouvernement composé de membres du parti des Travailleurs (AKEL - communiste) du président de la République, Demetris Christofias. Alors que le principal parti d'opposition, le Rassemblement démocratique (DSIY - droite) était sorti vainqueur des élections de mai 2011, une coalition regroupant l'AKEL et le Parti démocrate (DIKO - centre gauche) reste majoritaire au Parlement. Le DIKO a participé au gouvernement jusqu'à l'explosion de la base navale de Mari en juillet 2011. Celle-ci contenait des munitions iraniennes destinées à la Syrie, interceptées et stockées sans précaution. L'explosion a gravement endommagé la principale centrale électrique du pays (60 % de la production totale du pays), située non loin, à Vassilikos, fragilisant un peu plus la situation économique du pays désormais confronté à des coupures régulières d'électricité et à un ralentissement de l'activité. Face au scandale, le DIKO s'est retiré le 5 août 2011 du gouvernement de coalition. L'AKEL gouverne sans majorité au parlement, sans pour autant qu'il existe de réels blocages, compte tenu de la nature semi-présidentielle du régime.

L'appel du gouvernement à une nouvelle aide de Moscou et le rejet d'une partie des préconisations de la troïka s'inscrivent dans un contexte politique marqué par les élections présidentielles de février prochain. Aucun parti politique ne semble vouloir imposer avant ce scrutin un programme d'austérité, a fortiori l'AKEL déjà affaiblie par sa défaite aux élections locales de décembre 2011, marquées par la victoire du DSIY. Par ailleurs, l'AKEL, alors dans l'opposition, avait manifesté son scepticisme à l'égard de l'adoption de la monnaie unique en 2008. C'est à la lumière de cette position passée qu'il convient d'analyser les propos du secrétaire général de cette formation, Andros Kyprianou, invitant le gouvernement à réfléchir à une sortie de la zone euro si les mesures préconisées par la troïka s'avéraient trop rigoureuses. Si l'hypothèse d'un abandon de la monnaie unique ne semble pas crédible, le président Christofias a, de son côté, indiqué qu'il rejoindrait dans la rue les manifestants hostiles à un programme d'ajustement trop dur.

C'est dans ce cadre que l'ensemble des partis politiques chypriotes se sont entendus sur des contre-propositions aux mesures préconisées par la troïka. La baisse des dépenses publiques représenterait les trois quarts de celle souhaitée par la troïka. Le retour à l'équilibre budgétaire prévu par la troïka en 2015 serait ainsi différé à 2016. L'âge de départ en retraite que les bailleurs de fonds internationaux entendent voir porter à 67 ans, serait ramené à 64 ou 65 ans. Les entreprises publiques visées par le programme de privatisation ne seraient pas aussi nombreuses que dans le projet de la troïka. Il existait enfin un désaccord entre les autorités chypriotes et la troïka sur l'ampleur de la recapitalisation des banques : les instances européennes et le FMI tablent sur un besoin de financement compris entre 9 et 10 milliards d'euros quand Nicosie limite ce montant à 5 milliards d'euros. La troïka n'arrive pourtant pas, de son côté, à disposer d'informations précises sur l'état des banques locales, tant le dispositif de supervision en place semble insuffisant. Les bailleurs de fonds internationaux souhaitent dans le même temps que le nombre de sociétés coopératives passent de 97 à 35, ce qui suscitait l'opposition du gouvernement chypriote.

Au-delà de ces réserves techniques, le gouvernement rappelle, par ailleurs, régulièrement que la principale cause de la crise chypriote demeure la situation financière de la Grèce, estimant de fait que l'économie de l'île a été très fortement impactée par le deuxième plan d'aide européen à Athènes et les pertes qu'il induit pour les créanciers privés. Le ministère des finances juge, en outre, que les choix effectués par la troïka au sein des États concernés par un programme d'assistance financière ne se sont pas traduits par des résultats positifs. Les conditions d'une aide à Chypre devaient prendre en compte, selon les autorités chypriotes, cet état de fait.

Le gouvernement chypriote souhaitait, en outre, que le secteur bancaire soit recapitalisé directement par le Mécanisme européen de stabilité, sans que cette aide soit prise en compte dans le calcul de la dette publique. Une telle solution ne sera, en tout état de cause, possible que lorsque l'union bancaire sera effectivement mise en place, soit au mieux à la fin du premier semestre 2013. Les gouvernements allemand, finlandais et néerlandais s'opposent, néanmoins, à ce que les crises bancaires préexistantes à la mise en place de l'union bancaire, soient jugulées de la sorte.

Ces réserves ont conduit à retarder la mise en place effective d'une assistance financière. La volonté initiale du gouvernement était d'obtenir un accord à l'occasion de la réunion de l'eurogroupe prévue le 12 novembre. Aucune avancée n'a néanmoins été enregistrée à cette date. La dégradation par l'agence Fitch de la note souveraine du pays - qui passe de BB + à BB - et est assortie d'une perspective négative - a, semble-t-il, contribuer à accélérer le processus. Au lendemain de cette annonce, le gouvernement chypriote a indiqué, en marge du sommet européen du 22 novembre, qu'un accord était proche avec la troïka. L'aide octroyée s'élèverait à 17,5 milliards d'euros - soit l'équivalent du PIB local -, dont 10 serviraient à la recapitalisation du secteur bancaire, 6 au financement du service de la dette et 1,5 au règlement des dépenses courantes. Le versement de ce prêt devrait être étalé jusqu'en 2016. L'accord ne sera toutefois finalisé qu'après la publication des premiers résultats des audits en cours sur la situation du secteur bancaire.

Le programme d'ajustement demandé par la troïka prévoit une baisse des salaires des fonctionnaires de 15 %, une réduction des prestations sociales de 10 %, une minoration de l'aide au logement mais aussi une augmentation de la TVA. La finalisation de l'accord devrait permettre de dépasser les derniers points d'achoppement entre le gouvernement et la troïka en ce qui concerne, notamment, l'indexation des salaires sur le coût de la vie. La troïka souhaite que ce mécanisme soit gelé pendant la durée du programme d'assistance financière puis réduit de 50 %.

4. Un plan B ?

Les retards pris dans les négociations avec la troïka ont pu laisser penser qu'il existait une alternative aux demandes d'assistance financière formulées auprès de l'Union européenne mais aussi de la Russie. L'hypothèse d'un prêt des sociétés coopératives à l'État chypriote est ainsi avancée. La vente du stock d'or (800 millions d'euros) est également mise en avant.

Les réserves devant une réforme en profondeur de l'économie chypriote peuvent aussi tenir à la découverte d'un important potentiel gazier au sein de la zone économique exclusive de l'île. Au terme d'une campagne d'exploration contestée par la Turquie, les premières estimations, diffusées en décembre dernier, indiquent l'existence possible d'un réservoir de gaz naturel pouvant ainsi fournir entre 150 et 200 années de consommation pour Chypre et la moitié des importations annuelles de l'Union européenne. Une deuxième phase d'exploration a été lancée à la mi-février. Une telle manne pourrait éveiller une nouvelle fois l'intérêt de la Russie. Il n'est d'ailleurs pas anodin que la banque russe, Gazprombank , filiale du groupe gazier russe, ait été citée dans la presse locale comme un potentiel bailleur pour l'île : un groupe de banques russes étant, selon certaines rumeurs, susceptible de prêter 1 milliard d'euros à l'île.

Reste qu'une exploitation commerciale de ce gisement est espérée à l'horizon 2019, soit à une échéance très éloignée au regard du besoin criant de liquidités. Quatre entreprises se sont déjà vues attribuer des licences d'exploitation de quatre blocs gaziers le 31 octobre dernier. Des bonus gaziers ont été versés au moment de leur sélection par les entreprises concernées. Cette somme représenterait environ 200 millions d'euros, bien que ce chiffre soit certainement surestimé. Quoiqu'il en soit, elle demeure insuffisante face aux besoins de financement de l'île. D'autant que la manne gazière était initialement destinée, selon le gouvernement chypriote, à financer des mesures en faveur de la croissance. De nombreux problèmes avec la Turquie sont, par ailleurs, à venir, Ankara contestant la présence des gisements dans la seule zone économique exclusive chypriote. La conversion de l'économie chypriote au modèle norvégien n'apparaît pas, en tout état de cause, comme une réponse raisonnable aux errements financiers actuels.

Les réserves latentes du gouvernement chypriote à l'égard de l'aide européenne peuvent laisser sceptique tant le soutien de l'Union européenne à destination du pays demeure constant. En 2011, la Banque européenne d'investissement (BEI) a ainsi versé près de 180 millions d'euros en vue de financer des projets d'infrastructures autoroutière et d'éducation. Le 8 mars dernier, une enveloppe de 130 millions d'euros a également été débloquée en vue de la construction d'une nouvelle centrale électrique à Vassilikos. La BEI a par ailleurs déjà prêté 330 millions d'euros pour la modernisation du réseau de transport et de distribution d'électricité, ainsi que 30 millions d'euros pour la construction d'une nouvelle unité de production dotée de moteurs à combustion interne sur le site de la centrale de Dhekelia, dans le district chypriote de Larnaca. Elle avait déjà octroyé un financement de 200 millions d'euros pour la centrale électrique de Vassilikos, soit l'un des plus gros investissements jamais entrepris à Chypre. Ces deux centrales pourront être converties au gaz naturel.

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Les réserves chypriotes à l'égard de la troïka s'enracinaient dans le sentiment d'affronter une crise importée de Grèce. La crise économique a, dans le même temps, ravivé les difficultés liées à la partition de l'île, également considérée comme une conséquence des errements grecs. 36 % du territoire chypriote est actuellement occupé par l'armée turque. Une relance du processus de réunification pourrait, d'ailleurs, constituer une option économique intéressante pour l'île, une étude de 2009 indiquant qu'une hausse du PIB de 3 % serait attendue lors des cinq premières années, créant plus de 33 000 emplois. La réunification apporterait 5 500 euros à chaque famille chypriote. Le niveau des relations commerciales avec la Turquie serait de l'ordre de 1,8 milliard d'euros par an en cas de paix.

Le coût politique d'un programme d'ajustement n'est pas, non plus, à négliger dans l'analyse de la volonté chypriote de négocier les conditions d'attribution des prêts de l'Union européenne et du Fonds monétaire international. Il convient également de prendre en compte les réserves pour partie légitimes sur l'efficacité des plans déjà mis en place en Grèce, en Irlande ou au Portugal. L'assistance financière octroyée à ces pays y a en effet des résultats mitigés, alors que le débat sur le montant du pare-feu mis en place pour éviter toute contagion demeure d'actualité, malgré l'installation du Mécanisme européen de stabilité.

II. CRISE DE LA ZONE EURO : BILAN DE L'AIDE EUROPÉENNE

La mise en place de programmes d'assistance financière à quatre pays membres de la zone euro - Grèce, Irlande, Portugal et Espagne - n'a pas mis fin aux difficultés que ces pays rencontraient ni annulé le risque de contagion, quand bien même chaque crise possède ses spécificités propres. La période de turbulence que traverse la zone euro tend à durer en dépit des effets d'annonce liés à l'activation des prêts à destination des États concernés, au lancement des plans d'ajustement ou à la création d'un pare-feu permanent.

A. MES, BANQUE CENTRALE EUROPÉENNE OU EUROBILLS : QUELLES RÉPONSES FINANCIERES A UNE CRISE DURABLE ?

1. Le Mécanisme européen de stabilité enfin à l'oeuvre

Attendu en juillet, le Mécanisme européen de stabilité financière (MES), chargé de prendre le relais du Fonds européen de stabilité financière (FESF) institué en mai 2010 pour une durée de trois ans, a finalement tenu sa première réunion le 8 octobre dernier. Le début de son activité était conditionné à la décision de la Cour constitutionnelle allemande, saisie par des élus et des associations citoyennes sur la question de la compatibilité du Mécanisme avec le principe de souveraineté budgétaire du Bundestag. La décision, rendue le 12 septembre, relève que le dispositif est conforme à ce principe, n'assortissant son commentaire que d'une seule réserve, relative à l'implication financière de l'Allemagne. D'après le juge constitutionnel, toute augmentation de sa part au capital du Fonds ne sera possible qu'après avis favorable du Bundestag et du Bundesrat.

Doté d'une capacité d'intervention de 500 milliards d'euros, le MES dispose d'un capital fixe de 80 milliards d'euros, appelé à se constituer au cours des trois prochaines années (16 milliards par semestre d'ici 2014). A cette somme, il convient d'ajouter les 200 milliards d'euros non encore utilisés par le FESF. La contribution des 17 États membres de la zone euro au capital du MES est fonction de leur poids économique, l'Allemagne (27 %), la France (20 %) et l'Italie (18 %) représentant ainsi 65 % du capital.

Le MES dispose, à l'heure actuelle, de quatre moyens d'intervention :

• Octroi de prêts, sous conditions, aux États qui en font la demande ;

• Achat de titres de dette d'un État membre sur les marchés primaire et secondaire. Une analyse de la Banque centrale européenne (BCE) doit, au préalable justifier une telle intervention, l'État concerné devant par ailleurs signer un protocole d'accord avec le MES ;

• Assistance financière préventive sous forme d'une ligne de crédit, sur la base d'un avis de la BCE. L'État concerné doit en contrepartie adopter des mesures de redressement budgétaire négociées avec la Commission et la BCE ;

• Recapitalisation d'établissements bancaires par l'intermédiaire de prêts octroyés aux gouvernements des pays d'accueil.

Dès lors que l'Union bancaire sera effectivement mise en place, la recapitalisation directe d'une banque par le MES sera possible. Cette opération n'alourdira pas, de fait, la dette de l'État d'accueil de l'établissement. Il n'en demeure pas moins que trois États - Allemagne, Finlande et Pays-Bas, tous trois classés triple A par les agences de notation - sont réservés sur les modalités de mise en oeuvre de cette faculté. Selon eux, la recapitalisation directe ne doit pas servir à résoudre les difficultés anciennes d'une banque mais uniquement celles apparues depuis le lancement du mécanisme de supervision bancaire européen. Chypre comme l'Espagne pourraient dès lors être exclues de ce dispositif et se verraient en conséquence accordés un prêt classique, alourdissant leur dette publique.

Seuls les pays ayant ratifié le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de l'Union européenne pourront bénéficier d'une aide du MES. A compter du 1 er janvier 2014, l'inscription d'une règle d'équilibre budgétaire contraignante dans la législation des États constituera un préalable indispensable à toute demande d'assistance financière.

L'octroi d'un prêt et les conditions de celui-ci sont décidées à l'unanimité par le Conseil des gouverneurs, composé des ministres des finances des 17 États membres. Si la Commission et la Banque centrale européenne estiment que, sans une aide d'urgence à un pays, la viabilité économique et financière de la zone euro est menacée, une procédure d'urgence peut être enclenchée, la décision d'accorder cette assistance étant prise à la majorité de 85 % des suffrages exprimés.

A l'inverse du FESF, le MES dispose en théorie d'un statut de créancier privilégié, c'est-à-dire qu'il est remboursé en priorité.

Il n'en demeure pas moins que la capacité d'intervention du MES, même complété par les fonds restant du FESF, peut s'avérer relativement limitée en cas de crise de liquidités affectant l'Italie et l'Espagne par exemple. D'autant que sa capacité ne pourra atteindre 500 milliards qu'en 2014, date à laquelle le capital de 80 milliards d'euros sera définitivement constitué. En attendant, le MES, astreint à une obligation de maintenir un ratio capital/prêts de 15 %, ne peut prêter qu'un peu plus de 6 fois le montant du capital dont il dispose.

La question d'une démultiplication des moyens du FESF puis du MES via l'effet de levier est soulevée depuis plus d'un an. Deux instruments ont, à cet égard, été créés début 2012 avec pour objectif de tripler la capacité d'intervention du MES.

Le premier, dit SPIV, octroie une assurance souveraine sur les obligations souveraines des pays en situation difficile. Le second consiste en un fonds de co-investissement (CIV) placé sous l'égide du FMI, associant MES, pays tiers et secteur privé. Au delà des modalités techniques entourant l'intégration de ces deux dispositifs dans le fonctionnement effectif du MES, il est permis de s'interroger sur leur efficacité supposée, notamment en ce qui concerne le SPIV.

Cette assurance est censée stimuler la demande des investisseurs et exercer une pression à la baisse sur les taux d'intérêt. L'État membre émettra ses nouveaux titres avec un certificat de garantie attaché. Les deux éléments seront émis ensemble mais pourront, par la suite, être détachés. Le Fonds octroierait, dans un premier temps, un prêt à l'État membre qui utiliserait cet argent pour acheter des obligations émises par le Fonds, qui serviraient elles-mêmes de garantie partielle aux nouveaux titres de dettes (30 %). Ces obligations seront conservées dans une structure ad hoc et échangées contre le certificat de garantie en cas de défaut de l'État concerné.

Ce type de garantie risque toutefois de ne pas être suffisant pour attirer les investisseurs, qui pourraient s'estimer insuffisamment protégés en cas de défaut. L'Espagne et l'Italie, de leur côté, ont déjà mis en avant la dichotomie qui serait ainsi créée entre leur dette passée, qui restera non garantie, et la nouvelle qui sera garantie. Un marché à deux vitesses sera implicitement créé au risque de considérablement perturber les investisseurs et faire chuter les obligations déjà émises. Une telle évolution pourrait affecter directement les établissements bancaires qui détiennent de la dette publique.

Elle pourrait, par ailleurs, poser des problèmes juridiques au regard des clauses de sûreté négative par lesquelles les États, dans leurs émissions passées, ont assuré aux investisseurs qu'ils ne garantiraient pas de futures émissions, ou alors uniquement en étendant ces garanties aux titres déjà en circulation.

De fait, le débat sur l'octroi d'une licence bancaire au MES et donc son adossement à la Banque centrale européenne pourraient, à terme, resurgir. Le Mécanisme se verrait ainsi doté d'un accès aux liquidités de la Banque centrale européenne. Cette option est notamment soutenue par la France, l'Espagne et l'Italie. Elle a été relancée en juillet dernier par le président de la Banque centrale d'Autriche, membre du conseil des gouverneurs de la BCE, Ewald Nowotny.

2. L'autre pare-feu : la Banque centrale européenne

La Banque centrale européenne (BCE) a contribué depuis un an à tenter d'endiguer la crise de liquidités que traverse à des degrés divers le secteur bancaire européen tout en tentant de faire baisser les coûts de refinancements auxquels sont confrontés certains États membres en difficulté.

Destiné à répondre à la crise de liquidités rencontrée par certains établissements financiers européens, le programme Long term refinancing operation (LTRO) leur permet d'emprunter de l'argent auprès de la Banque centrale européenne (BCE) à long terme (entre un et trois ans) et à un taux avantageux : 1 %, là où une banque bien notée peut espérer sur les marchés un taux de 3,5 % à trois ans. Cette pratique diffère des prêts à court terme (MRO - Main refinancing operation ) généralement octroyés par le BCE (entre une semaine et un mois). Deux opérations de ce type ont été menées en décembre 2011 et en février 2012. 523 banques ont ainsi levé 489 milliards d'euros à la fin de l'année dernière. Début 2012, ce sont 800 banques qui ont pu lever 529 milliards d'euros. Si le principe des LTRO ne constitue pas une nouveauté, leur durée était jusqu'alors limitée à un an. Au final, les sommes levées représentent 72 % du montant total des obligations bancaires arrivant à échéance en 2012 et 2013.

L'utilisation des LTRO permet, en outre, de décorréler le taux d'emprunt des banques de celui des États jusque-là associés par les marchés, les établissements bancaires peuvent, en effet, désormais faire face à leurs obligations. Elle peut également contribuer à une baisse des taux d'emprunt des États. Les banques réinvestissent, en effet, les sommes obtenues via les LTRO dans l'achat d'obligations d'État à maturité moyenne. Les banques espagnoles et italiennes ont ainsi acheté pour respectivement 23 et 21 milliards d'euros de dette souveraine en janvier dernier, suite à la première LTRO. L'opération visait également à faciliter l'octroi, par les banques, de crédits et relancer l'économie de la zone euro. Le résultat semble, à cet égard, plus mitigé.

La BCE a également annoncé en juillet dernier vouloir intervenir à nouveau sur les marchés obligataires pour acquérir des titres de pays en difficulté. Le Securities Market Program (SMP) lui avait déjà permis d'acheter 208,53 milliards de titres grecs, irlandais, portugais, espagnols et italien entre mai 2010 et mars 2012, sans exiger de contrepartie particulière aux États concernés. Si elle ne peut en principe participer au financement des États, la BCE estime cependant son intervention fondée puisque des taux trop élevés sur les dettes souveraines des États membres handicapent in fine la transmission de la politique monétaire. L'annonce de cette relance a contribué à détendre les taux de pays en difficulté tels que l'Italie ou l'Espagne.

Les modalités d'une intervention de la BCE ont néanmoins été précisées en septembre dernier. Elles diffèrent de celles du SMP puisque les achats viendraient, désormais, relayer ceux du FESF puis du MES sur les marchés primaires. L'achat de titres par les fonds de sauvetage européens n'est toutefois possible que si les États concernés signent, au préalable, un protocole d'accord avec l'eurogroupe. Les achats de la BCE sont donc désormais conditionnés au respect par les États membres de ce document qui prévoit un certain nombre de réformes structurelles à mettre en place. Cette conditionnalité n'est pas sans coût politique pour les gouvernements concernés. Les pays seront placés sous surveillance, un rapport trimestriel permettant à la BCE de décider de la poursuite des achats. En cas de non-respect de ses engagements, la BCE suspendra son action.

Le nouveau programme de la Banque centrale - Outright monetary transaction (OMT) - consistera en des achats sur le marché secondaire d'obligations d'État dont la maturité varie entre 1 et 3 ans, soit la durée retenue pour les opérations LTRO. Il n'y aura pas de limite quantitative à ces achats ni de niveau de taux d'emprunt au-delà duquel elle intervient. De nombreux indicateurs seront utilisés : le spread , soit l'écart entre le taux appliqué aux titres allemands et celui des obligations de l'État concerné par le rachat, le niveau des CDS souverains - Credit default swap , contrat d'assurance sur les titres obligataires - mais aussi les conditions de liquidité et de volatilité sur les marchés. En cas d'insolvabilité d'un pays dont elle a acheté des titres, la BCE renonce par ailleurs à son statut de créancier privilégié (principe dit de séniorité). L'OMT n'a pas été adopté à l'unanimité du Conseil des gouverneurs, la Bundesbank allemande estimant qu'il s'agissait là d'un moyen détourné de financer les déficits publics.

En ce qui concerne le volet bancaire de la crise, la Banque centrale européenne a également annoncé son souhait d'alléger ses critères pour les garanties demandées aux banques de la zone euro en contrepartie des prêts qu'elle leur accorde dans le cadre des opérations de refinancement. L'application d'un seuil minimal de notation pour ces garanties est ainsi suspendue. La BCE pourra ainsi accepter des obligations d'États de la zone euro, mal notées par les agences de notation, à l'exception notable des titres grecs. Les titres libellés en dollars, en yen et en livre sterling seront également désormais éligibles.

Le programme SMP est, quant à lui, arrêté. La BCE conservera ainsi les titres acquis jusqu'à maturité.

L'annonce du programme OMT a eu pour effet une détente des taux immédiate. L'Espagne, dont les taux à deux ans atteignaient 6,5 %, a pu placer des bons de cette durée à 2,5 % au lendemain de la présentation du programme. Le gouverneur de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, estime néanmoins que l'intervention de son institution ne saurait être durablement efficace si une union bancaire mais aussi une union budgétaire ne voient pas rapidement le jour.

3. Le projet d'union budgétaire et l'émission de dette commune

Les chefs d'État et de gouvernement de l'Union européenne ont chargé, en juin dernier, les présidents du Conseil, de la Commission européenne, du Parlement européen et le gouverneur de la Banque centrale européenne de préparer un rapport sur le renforcement de l'Union économique et monétaire (UEM).

Le rapport intérimaire, présenté par le président du Conseil européen Herman van Rompuy en octobre, préconise la création d'un organe budgétaire doté de la capacité à emprunter. Le document relève, à cet effet, qu'il convient d'aller au-delà du seul renforcement de la discipline budgétaire des États membres, mis en place par les règlements six-pack ou le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance. Ce budget européen pourrait ainsi accompagner les réformes structurelles mises en oeuvre par un pays pour faire face à la crise. Le document évoque, en outre, deux instruments de solidarité budgétaire pouvant être utilisés par l'UEM afin de répondre aux difficultés à se refinancer sur les marchés, éprouvées par certains de ses membres.

Des titres de dette souveraine à court terme ( eurobills ) pourraient ainsi être lancés, à la condition que les pays concernés mettent davantage en commun leurs compétences budgétaires. Une agence européenne devrait être chargée de l'émission de ces titres, destinés à satisfaire les besoins de financement de courte durée des États membres de la zone euro. Ces derniers assumeraient une garantie conjointe et solidaire pour ces titres. Le volume des eurobills émis pour chaque État pourrait ne pas dépasser les 10 % du PIB. Pour les besoins de financement à long terme, les États continueraient à lever des fonds sur les marchés de manière autonome. L'émission d' eurobills induirait le respect par les États des deux règlements relatifs à la surveillance budgétaire contenus au sein du two pack , en cours d'adoption et qui visent à encadrer un peu plus le processus d'adoption des budgets nationaux. Ces textes prévoient notamment l'examen des projets de plans budgétaires et la coordination ex ante de l'émission de dette.

Un fonds de rédemption permettrait, en outre, de gérer temporairement la base excessive, c'est-à-dire supérieure à 60 % du PIB, de la dette des États membres de l'UEM. Le fonds prendrait en charge le refinancement de ce montant limité de dette nationale, qui s'élèverait à environ 2 300 milliards d'euros pour l'ensemble de la zone euro. La garantie apportée par les États notés triple A devrait permettre à ce fonds d'emprunter de l'argent sur les marchés financiers à des taux nettement inférieurs à ceux payés actuellement par les pays en difficulté financière. Les analystes estiment que ce taux devrait avoisiner les 3 %. La consolidation des budgets à moyen terme demeurerait la condition sine qua non pour accéder au Fonds. Chaque année, les États contribueront financièrement au fonds, en étant tenus de rembourser les intérêts mais aussi d'amortir la dette transférée. La dette gérée par le fonds pourrait ainsi être effacée sur une période comprise entre 20 et 25 ans.

La feuille de route pour le renforcement de l'Union économique et monétaire présentée par le président de la Commission le 28 novembre dernier indique qu'il faudra attendre au moins 2014 pour qu'un mécanisme de mutualisation des dettes puisse être mis en place. Qu'il s'agisse du fonds de rédemption ou des eurobills , un changement de traité sera nécessaire. Il n'en demeure pas moins que ces propositions ne suscitent pas l'unanimité au sein du Conseil , l'Allemagne étant, notamment, rétive à toute idée de mutualisation des risques. Il n'en demeure pas moins que de telles dispositions permettraient de dépasser la question de la taille du pare-feu, en atténuant les difficultés de certains États sur les marchés.

B. L'ÉTERNELLE INCONNUE GRECQUE

1. Le second plan d'aide

Dessiné à l'occasion du sommet de la zone euro du 26 octobre 2011, le second plan d'aide à la Grèce a été définitivement arrêté le 21 février dernier. Il comprend deux volets :

• Une réduction de l'encours de la dette grecque détenue par les bailleurs privés, via un effacement de 53,5 % des créances détenues, soit une économie de 107 milliards d'euros. 31,5 % des créances sont, par ailleurs, échangées contre de nouveaux emprunts grecs à plus longue échéance (11 à 30 ans) et à des taux plus bas (2 % jusqu'en 2014, 3 % entre 2015 et 2020 et 4,3 % au-delà). Les pertes essuyées par les créanciers privés sont, de fait, de l'ordre de 70 % ;

• Une assistance financière publique de 130 milliards d'euros sur trois ans, qui vient compléter une première aide de 110 milliards d'euros octroyée en mai 2010 par l'Union européenne et le Fonds monétaire international, 37 milliards d'euros n'étant pas encore décaissés le 21 février dernier. 30 milliards d'euros devraient notamment servir à garantir le programme d'échange de titres. Les taux sur les tranches du premier prêt déjà versées ont, dans le même temps, étaient abaissés.

L'objectif de ce nouveau dispositif est de permettre à la Grèce de ramener sa dette publique à un niveau équivalent à 120,5 % du PIB en 2020 contre plus de 160 % aujourd'hui. Cet objectif demeure néanmoins ambitieux, tant la Grèce se trouve dans l'incapacité d'atteindre un excédent budgétaire primaire - c'est-à-dire à l'exclusion des intérêts de la dette - de plus de 2,5 % du PIB. Un tel excédent est la condition sine qua non pour éviter toute augmentation de la dette publique. Le solde budgétaire primaire devrait ainsi être de - 1 % à la fin de l'année 2012.

Au total le soutien international public et privé à destination du pays s'élève à près de 380 milliards d'euros (en intégrant les fonds de cohésion), soit environ 80 000 euros par famille grecque depuis le début de la crise.

Le rapport sur la viabilité de la dette grecque présenté devant l'Eurogroupe le 21 février insiste sur l'effet déterminant d'une adoption rapide des réformes sur l'encours de la dette. Un différé de 3 ans dans la cession d'actifs de l'État conjugué à un retard de trois ans dans la mise en oeuvre de réformes structurelles devrait conduire la dette publique grecque à s'élever à 178 % du PIB en 2015. Une croissance annuelle inférieure à 1 % porterait quant à elle la dette à 143 % du PIB en 2020. Quand bien même les réformes et la croissance seraient au rendez-vous, l'endettement public grec devrait attendre 90 % du PIB en 2030, loin du seuil des 60 %. L'activité s'est pourtant contractée de 6 % en 2011, le mouvement devant se poursuivre en 2012 avec une récession de 6,5 %. La reprise n'est attendue qu'en 2014. Le chômage a, quant à lui, plus que doublé depuis 2009, passant de 9 % de la population active à près de 25 %. Les conditions macro-économiques ne semblent donc pas réunies pour permettre à la Grèce de respecter la trajectoire qui lui a été assignée en matière d'endettement.

L'octroi de l'aide financière a néanmoins été subordonné à la mise en place d'un nouveau plan d'ajustement budgétaire de 3,3 milliards d'euros, alors même qu'Athènes n'a pas répondu aux objectifs assignés lors de l'octroi du premier prêt. Les réformes souhaitées par l'eurogroupe visaient notamment la suppression de 150 000 postes sur les 800 000 que comprend la fonction publique d'ici à 2015, dont 15 000 en 2015, une réforme des retraites et la réduction de 22 % du niveau du salaire minimum (32 % pour les moins de 25 ans), qui était plus élevé qu'en Espagne, au Portugal ou en Pologne. L'ouverture à la concurrence des professions réglementées attendue depuis 2010 est également à mettre en oeuvre ainsi qu'un dispositif efficace de lutte contre l'évasion fiscale, le budget de la défense devant également être réduit. Les gains espérés des privatisations sont, quant à eux, revus à la baisse par rapport aux estimations de 2010 et 2011 : l'eurogroupe espère qu'elles rapporteront 19 milliards d'euros à la Grèce contre 35 initialement.

La présence de la Commission sur place, via sa task force , est également renforcée et devient permanente afin d'accompagner la mise en oeuvre des réformes. Celle-ci est composée de 45 personnes auxquels sont adjoints 10 experts nationaux. La Commission a, par ailleurs, présenté une stratégie pour la croissance du pays en avril dernier, déclinée autour de trois thèmes : assainissement des finances publics, recapitalisation du secteur bancaire et réformes structurelles.

2. Un plan déjà obsolète ?

Un rapport présenté par la task force en mars dernier fait état de progrès relatifs en matière de réforme mais aussi d'utilisation des fonds de cohésion. L'amélioration du système grec de collecte des impôts a ainsi permis en 2011 de récupérer 946 millions d'euros contre 400 escomptés initialement. Cette somme représente cependant à peine plus de 10 % des arriérés fiscaux enregistrés l'an dernier et estimés à 8 milliards d'euros. Des progrès restent à accomplir en ce qui concerne le système de santé, très coûteux, ou de façon plus générale en matière d'allègement des procédures administratives. Les contrôles à l'exportation prennent ainsi 20 jours dans le pays contre 10 en moyenne au sein de l'Union européenne.

La task force relève également une meilleure absorption des fonds structurels, le niveau atteint - 35 % - étant supérieur à la moyenne européenne en la matière. La mise en oeuvre effective des décisions législatives en la matière demeure néanmoins tributaire de l'absence de structure de contrôle. Des retards sont donc à prévoir en ce qui concerne l'octroi d'une aide directe aux petites et moyennes entreprises grecques (1,3 milliard d'euros) ou la construction de 1 400 kilomètres d'autoroute (3,2 milliards d'euros).

La difficulté à mettre en place au printemps dernier une coalition gouvernementale apte à répondre aux objectifs européens a pu relativiser la volonté de la population grecque, lasse d'années d'austérité drastique, à aller plus loin sur la voie des réformes et prompte à miser sur une sortie de la zone euro. Si le nouveau gouvernement a insisté sur son engagement européen, il a également rapidement demandé un report de deux ans des objectifs qui lui étaient assignés jusqu'en 2014, date à laquelle l'excédent budgétaire structurel doit atteindre 4,5 % PIB.

Préalable indispensable au versement d'une nouvelle tranche du prêt international, estimées à 34,4 milliards d'euros (10,6 milliards affectés au budget, 23,8 milliards destinés à recapitaliser les banques), les mesures d'économies présentées par le gouvernement grec fin septembre portent sur 13,5 milliards d'euros sur 2013 et 2014, dont 9,4 milliards au titre de la première année. Les pensions de retraites seront ainsi amputées de 3,8 milliards d'euros, les salaires des fonctionnaires de 1,1 milliard. L'âge de départ en retraite est par ailleurs porté de 65 à 67 ans. De telles dispositions devraient permettre au gouvernement d'atteindre l'équilibre budgétaire avant paiement des intérêts de la dette en 2013. Le déficit budgétaire sera alors intégralement imputable au paiement des intérêts de la dette, qui représente environ 5 % du PIB.

L'octroi de cette nouvelle tranche du prêt était également conditionné à la mise en oeuvre de 89 actions prioritaires (réforme du marché du travail, privatisation, simplifications administratives et lutte contre l'évasion fiscale) définies en mars. La troïka exigeait notamment le licenciement immédiat de 15 000 fonctionnaires, le passage de 5 à 6 jours de la semaine de travail, la fin de l'indexation des salaires dans l'ancienneté et la réduction de moitié des indemnités de licenciement. La coalition gouvernementale est apparue divisée sur l'ampleur de telles réformes avant de devoir y souscrire, faute d'alternative. Il convient de rappeler que des réformes demandées par la troïka concernant le contrat d'apprentissage ou le salaire minimum pour les moins de 25 ans ont été jugés contraires à la Charte sociale européenne, dont la Grèce est partie, par le Comité européen des droits sociaux du Conseil de l'Europe.

La réunion de l'eurogroupe du 12 novembre dernier a salué les efforts en la matière du gouvernement grec et satisfait à sa volonté de prolonger de reporter de deux ans les objectifs qui lui étaient assignés pour 2014. Le coût de ce délai supplémentaire est estimé à 32,6 milliards d'euros par les créanciers. Dans le même temps le niveau d'endettement de 120 % du PIB attendu en 2020 pourrait également être reporté de deux ans. En effet, compte tenu du report de deux ans des objectifs, l'endettement pourrait atteindre 145 % du PIB en 2020. Cette option était rejetée par le FMI qui a longtemps privilégié une restructuration des dettes détenues par les créanciers publics, induisant des abandons de créances. Cette solution a été refusée par un certain nombre d'États membres, au nombre desquels l'Allemagne, la Finlande et les Pays-Bas.

L'accord trouvé le 26 novembre dernier permet de ramener la dette à 124 % du PIB en 2020 puis à 110 % deux ans plus tard. Afin de souscrire à ces objectifs, la BCE et les banques centrales nationales vont rétrocéder 11 milliards d'euros de profit réalisés sur les obligations grecques. Cette somme sera versée sur un compte bloqué destiné à rembourser à terme la dette grecque et où sont déjà versés le produit des privatisations et 30 % de l'excédent budgétaire primaire. Les taux d'intérêt des prêts octroyés à la Grèce sont diminués d'un point et leur échéance repoussée de 15 ans. Le paiement des intérêts au FESF est repoussé de 10 ans. La Grèce est, enfin, autorisé à racheter ses titres de dettes avec une décote d'environ 60. Cette opération vise environ la moitié des 63,3 milliards d'euros d'obligations souveraines détenues par les créanciers privés. Athènes espère ainsi alléger sa dette de 17 milliards d'euros. Il s'agit, en tout état de cause, d'un troisième plan d'aide.

Moins d'un an après l'octroi d'une nouvelle aide financière assorti de nouvelles conditions, impliquant d'énormes sacrifices pour les bailleurs privés, le report des objectifs grecs affecte la crédibilité de l'Union européenne dans ce dossier : les exigences de la troïka, au coût social et politique indéniable, s'avèrent in fine à géométrie variable, voire illisibles tant pour la population grecque que pour les marchés financiers.

Au delà de l'accord trouvé avec l'eurogroupe, il convient de s'attarder sur les hypothèses retenues par le gouvernement grec pour préparer le plan d'austérité. Il table en effet sur une récession de 4,5 % du PIB en 2013 et une dette publique atteignant 189,1 % du PIB. Le déficit budgétaire s'élèverait quant à lui à 5,2 % du PIB. De telles perspectives ne sont pas sans susciter d'interrogation sur la possibilité pour la Grèce d'arriver à atteindre ses objectifs, fut-ce en 2016.

La question d'une sortie de la zone euro, qui suppose aux termes des Traités une sortie de l'Union européenne elle-même, est souvent considérée comme une alternative crédible à l'incapacité pour la Grèce de faire face à sa dette et à retrouver le chemin de la croissance. Elle ne serait pourtant pas anodine pour l'ensemble de la zone euro. Liée à un défaut sur la totalité de sa dette, elle impliquerait des pertes de l'ordre de 82 milliards d'euros pour l'Allemagne et de 62 milliards d'euros pour la France par exemple. Le FMI craint que la tentation du défaut ne s'impose au sein du gouvernement grec alors que le déficit budgétaire pour 2013 ne sera imputable qu'au seul service de la dette. C'est en ce sens qu'il militait avant la réunion du 26 novembre pour une restructuration de la dette détenue par les créanciers publics.

De fait, avant de souscrire à un scenario, il convient d'insister sur le potentiel dont dispose la Grèce pour créer les conditions d'une relance de son activité. Si le programme d'austérité est en effet indispensable, il ne peut constituer la seule politique du pays. Une meilleure exploitation de ses ressources agricoles traditionnelles (olives, tomates, fruits), un développement de ses structures touristiques (le nombre de visiteurs continue à augmenter malgré la crise) et surtout l'utilisation optimale de son ensoleillement pourraient constituer les trois vecteurs du retour à la croissance. Les fonds de cohésion pourraient notamment être investis dans l'énergie solaire. 20 milliards d'euros d'investissement seraient nécessaires pour la mise en place de 20 000 parcs photovoltaïques permettant de produire 10 000 megawatts à l'horizon 2050. L'amélioration de la compétitivité grecque est par ailleurs devenue une réalité, puisque le coût du travail, sous l'effet de certaines réformes, a baissé de 11,5 % en un an, alors qu'il a augmenté en moyenne de 1,5 % au sein de la zone euro.

C. IRLANDE ET PORTUGAL : RETOUR PROGRESSIF SUR LES MARCHÉS FINANCIERS

L'Irlande et le Portugal ont été les deux premiers États membres de la zone euro à bénéficier d'une aide du Fonds européen de stabilité financière (FESF). Si elles ne répondaient pas aux mêmes logiques - explosion de la bulle immobilière à Dublin et crise sévère de compétitivité - les deux demandes d'assistance financière semblent avoir répondu aujourd'hui à un de leurs objectifs principaux : permettre à moyen terme à ces deux pays d'accéder à nouveau aux marchés financiers pour pouvoir refinancer leur dette.

1. Sortie de crise pour l'Irlande ?

Confronté à une crise de liquidités liée aux difficultés du secteur bancaire, l'Irlande s'est vue accorder en novembre 2010 une aide financière de l'Union européenne, du FMI, de la Suède et du Royaume-Uni de 85 milliards d'euros. A l'issue de sa huitième mission d'évaluation du programme d'ajustement irlandais menée du 16 au 25 octobre dernier, la troïka a souligné les progrès enregistrés par Dublin en matière de consolidation budgétaire. Une telle évolution devrait déboucher sur le versement d'une nouvelle tranche de 2,2 milliards d'euros, dont 0,8 au titre du FESF, 0,9 provenant du FMI et 0,5 octroyé dans le cadre des prêts bilatéraux accordés à l'Irlande par le Royaume-Uni et la Suède. La troïka avait déjà donné son accord au versement d'une septième tranche d'1,7 milliard d'euros fin septembre.

Tranches du prêt du FESF accordées à l'Irlande (en milliards d'euros)

Date

Montant distribué

Fin du remboursement

01/02/2011

3,6

18/07/2011

10/11/2011

3

04/02/2022

15/12/2011

1

23/08/2012

12/01/2012

1,2

04/02/2015

19/01/2012

0,5

19/07/2012

03/04/2012

2,7

03/04/2037

Le déficit budgétaire devrait ainsi atteindre 7,5 % du PIB en 2013 et s'inscrire, à l'issue du présent exercice, en dessous du plafond retenu dans le mémorandum d'accord signé entre l'Irlande d'une part, l'Union européenne et le FMI d'autre part en décembre 2010 (solde budgétaire établi à - 8,6 % du PIB). Quelques dépenses supplémentaires ont cependant été enregistrées dans le secteur de la santé.

Solde budgétaire irlandais (en % du PIB)

2008

2009

2010

2011

2012

2013

- 7,3

- 13,9

- 30,9

- 13,4

- 8,6

- 7,5

Le respect par l'Irlande de son programme d'ajustement devrait se traduire à terme par un retour complet sur les marchés financiers. Les conditions d'emprunt se sont ainsi nettement assouplies. Pour la première fois depuis septembre 2010, Dublin a ainsi pu lever, le 26 juillet dernier, 4,2 milliards d'euros de titre à 5 et 8 ans sur les marchés financiers. Établis à 6,1 % lors de cette opération, les taux à huit ans sont aujourd'hui inférieurs à 5 %. L'Irlande avait effectué un retour sur le marché de la dette à court terme le 5 juillet, levant 500 millions d'euros de bons du Trésor à trois mois. Le taux moyen obtenu s'était élevé à 1,8 %, soit un rendement inférieur à celui concédé à l'Espagne lors d'une émission équivalente trois semaines plus tôt (2,36 %). La demande a représenté 2,8 fois l'offre. Forte de ces taux et de l'intérêt pour de telles émissions, l'Agence de la dette irlandaise (NTMA) envisage désormais une émission à deux ans d'ici au début de l'année prochaine. Début 2012, elle avait préféré échanger avec succès 3,5 milliards d'euros de bons du trésor arrivant à échéance en 2014 contre de nouveaux titres dont le terme est fixé un an plus tard, mais bénéficiant d'un taux d'intérêt plus élevé.

Des interrogations demeurent néanmoins sur le secteur bancaire irlandais. Le désendettement cumulé des banques a atteint en novembre 2011, 40,5 milliards d'euros dépassant largement l'objectif initial de 34,7 milliards assigné pour toute l'année 2011. Le gouvernement tente également de mettre en oeuvre un cadre législatif concernant les cas d'insolvabilité. Les difficultés tiennent aux pertes enregistrées par deux banques nationalisées, l' Anglo Irish Bank et l' Irish Nationwide . La recapitalisation bancaire directe par le Mécanisme européen de stabilité permettrait de stabiliser le secteur financier irlandais. Toutefois, cette solution est conditionnée à la mise en place effective de l'Union bancaire prévue, dans le meilleur des cas, pour la fin du premier semestre 2013.

La question de la participation des créanciers dit « seniors » dans le cadre de la restructuration des banques est également soulevée. La Banque centrale européenne souhaite que les détenteurs de dette senior - qui doivent donc être remboursés en priorité - essuient également des pertes dans le cadre de la restructuration des banques espagnoles les plus en difficulté. Une telle option fait écho au paquet législatif présenté par la Commission concernant la gestion d'une faillite bancaire et qui prévoit une participation des créanciers seniors à partir de 2018. Cette participation a pourtant été exclue lors de la négociation du plan d'aide à l'Irlande. De fait, si Dublin a d'ores et déjà remboursé les créanciers seniors, le gouvernement irlandais souhaite désormais - et la Banque centrale européenne avec elle - que les conditions d'application du programme d'ajustement soient assouplies pour tenir compte de ce revirement.

En dépit du satisfecit de la troïka, la reprise économique demeure, relativement modeste. Alors que le gouvernement tablait sur une augmentation du PIB de 1 % en 2012, la croissance devrait finalement se limiter à 0,5 %. Elle pourrait atteindre un peu plus de 1 % l'an prochain. Les exportations constituent le principal moteur de l'activité économique locale, alors que la demande intérieure reste faible. La faiblesse des prêts accordés aux ménages et aux entreprises comme le taux de chômage élevé justifient une telle atonie.

2. Le succès relatif de l'aide au Portugal

Le Portugal bénéficie depuis mai 2011 d'une assistance financière de l'Union européenne et du FMI de 78 milliards d'euros. Le début de l'année 2012 a été marqué de nombreuses interrogations sur une éventuelle restructuration de la dette publique locale. Les perspectives économiques médiocres du pays ont notamment conduit à une nouvelle dégradation de la note du pays par l'agence Moody's le 13 février. Une contraction du PIB estimée à 3,3 % en 2012 conjuguée à une progression soutenue de l'encours de la dette publique - évaluée à 124 % du PIB en 2013 - remettaient en question la perspective d'un retour sur les marchés financiers l'année prochaine.

Encours de la dette publique portugaise (en % du PIB)

2009

2010

2011

2012

2013

83

93,4

108,1

111

124

Le plan d'aide au Portugal prévoit pourtant que les autorités locales refinanceront seules la dette à long terme à partir de septembre 2013, date à laquelle est prévu un premier remboursement de 10 milliards d'euros. Si Lisbonne a levé en février dernier 1,5 milliard de bons du Trésor à 3 et 6 mois avec succès, il restait néanmoins permis de douter sur sa capacité à obtenir des taux favorables pour des émissions à dix ans, ceux-ci atteignant encore 17 % au début de l'année.

Compte tenu de la contraction de l'activité, d'un chômage sans cesse croissant (15,7 % de la population active) et d'une baisse sensible des rentrées fiscales, l'objectif de réduction du déficit public à 4,5 % du PIB fin 2012 puis en dessous des 3 % fin 2013 a été remis en cause. Selon la troïka, 110 mesures d'ajustement sur les 120 prévues par le mémorandum d'accord entre le Portugal et ses créanciers avaient déjà été mises en oeuvre par le gouvernement en avril dernier. L'effort de consolidation budgétaire entrepris est estimé à 7,5 % du PIB sur la période 2011-2012. Il est néanmoins apparu insuffisant pour respecter la trajectoire budgétaire établie en mai 2011. Lisbonne a, en conséquence, obtenu le 11 septembre dernier la révision des objectifs initialement fixés : le déficit public devra être au maximum égal à 5 % du PIB cette année, le plafond étant abaissé à 4,5 % fin 2013, puis 2,5 % fin 2014.

Cette réévaluation de la trajectoire d'assainissement exige cependant des contreparties : rationalisation de l'administration publique, réduction des pertes des entreprises publiques ou baisse des coûts des partenariats public-privé. La troïka avait par ailleurs rappelé en avril qu'un certain nombre de réformes devaient encore être accomplies, à l'image de celle concernant la libéralisation des services et des professions réglementées. Une solution devait, en outre, être trouvée au problème soulevé par la Cour constitutionnelle portugaise qui avait, en juillet dernier, invalidé une des mesures d'austérité les plus emblématiques du programme d'ajustement : la suppression des treizième et quatorzième mois des employés et retraités de la fonction publique, au motif qu'elle ne concernait qu'une partie de la société.

Aux contreparties demandées par les créanciers s'ajoutait une baisse des cotisations patronales, destinées à améliorer la compétitivité des entreprises et à favoriser l'emploi. Leur taux passe ainsi de 23,75 % à 18 %. Dans le même temps, les cotisations salariales étaient, quant à elles, augmentées de 7 points, passant de 11 à 18 %. Un tel choix a néanmoins eu pour conséquence de diviser la classe politique sur l'ampleur du programme d'austérité, brisant le consensus qui semblait régner jusqu'alors. Le projet dit « Mesure 18-18 » a finalement été retiré. Lui a été substitué, au sein du projet de budget 2013, une hausse généralisée de l'impôt sur le revenu. Le taux moyen d'imposition des revenus passe ainsi de 9,8 % cette année à 13,2 % en 2013. Dans le même temps, le nombre de tranches d'imposition est réduit de 8 à 5. Une surtaxe de 4 % et une taxe supplémentaire de solidarité de 2,5 % viendront, en outre, affecter les plus hauts revenus. L'ensemble de ces mesures fiscales est censé rapporter 4,3 milliards d'euros supplémentaires à l'État.

La loi de finances pour 2013, adoptée le 31 octobre, prévoit en outre une réduction des dépenses publiques supérieure à 1 milliard d'euros, permise notamment par une réduction du nombre de fonctionnaires de 2 %, une diminution des prestations sociales et une baisse des pensions de retraites supérieures à 1 350 euros mensuels.

Ces mesures comme l'assouplissement des objectifs budgétaires n'ont pas été sans incidence sur la position des marchés financiers à l'égard du Portugal : le taux des obligations à 10 ans était fin octobre proche de 8 %, soit son niveau le plus bas depuis un an et demi. Les entreprises portugaises EDP, PT et REN ont dans le même temps réussi à lever des fonds à Wall Street, alors que la Banque Espírito Santo a rencontré un certain succès lors de l'émission, le 31 octobre, de 750 millions d'euros d'obligations à trois ans, la demande étant 3,6 fois supérieure à l'offre. Quand bien même les taux restent élevés (5,9 %), il s'agissait de la première émission de titres par une banque portugaise depuis mars 2010.

Une nouvelle tranche du prêt international - 4,3 milliards d'euros - a, par ailleurs, été débloquée en octobre, après avis favorable de la troïka.

Reste que le budget 2013 reposait sur une prévision de récession établie à 1 %, estimation approuvée par les bailleurs internationaux. La Banque du Portugal a révisé le 13 novembre cette estimation en évaluant la contraction du PIB à 1,6 %. Si le programme d'austérité est bien appliqué et salué comme tel par les bailleurs de fonds, il n'existe pas pour autant de relance de l'activité. Il existe même un risque de spirale récessive pouvant remettre en cause les objectifs budgétaires assignés au Portugal. La baisse de la demande interne favorisée par le plan d'ajustement se conjugue en fait avec un ralentissement des exportations en raison de la conjoncture européenne, 70 % des exportations portugaises étant à destination de l'Union européenne. De fait, une réflexion sur le rééchelonnement voire la restructuration de la dette semble de nouveau être d'actualité.

Une attention particulière doit, par ailleurs, être portée à la situation sociale au Portugal. La « mesure 18-18 » a cristallisé une partie de l'hostilité de la population au programme d'austérité mis en oeuvre depuis l'année dernière. Le Fonds monétaire international a d'ailleurs constaté le 25 octobre que le Portugal devait faire face à une résistance politique et sociale à l'ajustement accrue, au risque de remettre en cause les objectifs budgétaires assignés au pays. Cette opposition croissante fait écho aux difficultés rencontrées par la population dont près de 43 % est exposée au risque de pauvreté. 20 % des Portugais sont déjà considérés comme pauvres, une majorité de foyers vivent avec 900 euros mensuels. 3 000 familles sont, par ailleurs, dans l'incapacité chaque mois de régler leurs factures énergétiques. Plus de 35 % des jeunes sont sans emploi. 70 à 90 00 jeunes Portugais quittent par ailleurs le territoire chaque année.

Tranches du prêt du FESF accordées au Portugal (en milliards d'euros)

Date

Montant distribué

Fin du remboursement

22/06/2011

3,7

05/07/2021

29/06/2011

2,2

05/12/2016

20/12/2011

1

23/08/2012

12/01/2012

1,7

04/02/2015

19/01/2012

1

19/07/2012

30/05/2012

5,2

30/05/2032

17/07/2012

2,6

17/07/2038

D. L'ESPAGNE ENTRE DEUX AIDES ?

1. L'aide européenne à la recapitalisation du secteur financier

En dépit d'une troisième réforme en quatre ans de son secteur bancaire adoptée en février dernier, l'Espagne a été contrainte de solliciter, le 9 juin, une aide de 100 milliards d'euros auprès de l'Union européenne afin de répondre aux besoins de recapitalisation des établissements financiers locaux.

Saluée par l'Union européenne, la réforme de février prévoyait une restructuration du secteur, visant à mobiliser davantage les banques au service de l'économie productive, et réduire leurs activités spéculatives. 80 % des auto-entrepreneurs ont des difficultés d'accès au financement bancaire, la moitié d'entre eux étant même dans l'impossibilité d'y accéder. Les banques cherchent en effet en priorité à réduire l'endettement privé passé de 100 % du PIB en 2001 à 200 % en 2008.

Les établissements espagnols devaient, aux termes du plan annoncé, provisionner près de 50 milliards d'euros d'ici à la fin de l'année 2012. 40 milliards d'euros étaient ainsi destinés à couvrir les actifs immobiliers et fonciers problématiques, les 10 milliards restant constituant une réserve en cas de détérioration d'autres actifs. Les créances douteuses atteignaient 9,86 % des crédits en juillet 2012, soit 169,33 milliards d'euros. Le stock de logements invendus varie selon les estimations entre 680 000 et 818 000 unités. Les crédits immobiliers représentent 75 % de l'endettement des ménages, la durée moyenne des prêts étant de 27 ans, contre 12 en 1990.

Le plan prévoyait parallèlement une restructuration du secteur, en favorisant les fusions. Celles-ci devaient répondre à trois conditions : fusion avant le 30 mai 2012, augmentation de leurs actifs de 20 % et maintien des crédits à l'économie productive. Les regroupements de banques permettent à celles-ci de bénéficier d'avantages spécifiques : possibilité de faire appel au fonds de sauvetage local, le FROB, et délai de deux ans pour les souscrire aux objectifs de provisionnement.

La réforme limitait, par ailleurs, les salaires des dirigeants des banques et caisses d'épargne aidées par l'État à 600 000 euros annuels. Les rémunérations des dirigeants des établissements financiers placés sous la tutelle de l'État sont, quant à elles, plafonnées à 300 000 euros annuels.

La réforme a été complétée en mai par un nouveau dispositif obligeant les banques à provisionner 33,8 milliards d'euros supplémentaires. Cependant, alors que le plan prévoyait de limiter au maximum le recours à l'argent public, les difficultés de Bankia ont néanmoins conduit le gouvernement espagnol à injecter 23,5 milliards d'euros au sein de son capital. Bankia , issue du regroupement en 2010 de sept caisses d'épargne, venait d'annoncer des pertes de l'ordre de 3 milliards d'euros alors que son portefeuille d'actifs immobiliers risqués est estimé à 31,8 milliards d'euros. Troisième banque du pays, sa faillite pourrait avoir un impact négatif sur l'ensemble du secteur.

D'un montant de 100 milliards d'euros, le plan d'aide européen anticipe largement les pires scenarios. Deux experts indépendants, la société américaine Wyman , mandatée en juin par le gouvernement espagnol, comme l'agence de notation Fitch évaluaient en effet les besoins maximaux du secteur à environ 60 milliards d'euros, le Fonds monétaire international (FMI) à 70. Le cabinet allemand Roland Berger , également mandaté par le gouvernement espagnol, tablait lui sur 51,8 milliards d'euros. En décembre 2011, l'Autorité bancaire européenne estimait la somme nécessaire à 26,17 milliards d'euros. Le scenario le plus probable retenu par les auditeurs consultés par les autorités espagnoles tablait en juin sur un besoin d'environ 25 milliards d'euros. Le FMI l'évaluait lui à 37,11 milliards d'euros.

Le test de résistance, effectué sur 14 groupes bancaires représentant près de 90 % du secteur, et dont les résultats ont été rendus publics fin septembre ont finalement mis en avant un besoin maximal de 59,3 milliards d'euros. Cette hypothèse haute se fonde sur une contraction du PIB de 6,5 % sur la période 2012-2014. Compte tenu des processus de fusion en cours, ce montant peut être ramené à 53,7 milliards d'euros. 86 % des besoins proviennent de quatre banques déjà nationalisées : Bankia (27,4 milliards d'euros), Catalunya Bank (10,8 milliards d'euros), NCG Banco (7,2 milliards d'euros) et Banco de Valencia (3,5 milliards d'euros). Ces montants ne correspondront pas forcément à l'aide octroyée via le FROB puisque la levée de fonds propres sur les marchés, la cession d'actifs, la fixation de pertes pour les créanciers non privilégiés ou le transfert d'actifs à une structure de défaisance ( bad bank ) pourrait alléger le besoin de financement des banques concernées.

Le prêt européen vient avant tout relayer l'État espagnol déjà confronté à des difficultés économiques et budgétaires sévères. Le FROB ne disposait plus en juin que de 9 milliards d'euros. Le plan d'aide implique une restructuration du secteur et est placé sous la surveillance d'un quartet, réunissant membres de la Commission, de la Banque centrale européenne, de l'Autorité bancaire européenne et du Fonds monétaire international. Aucun plan d'ajustement macroéconomique n'est demandé en contrepartie, tant le problème est considéré comme circonscrit au niveau bancaire. Le gouvernement s'est simplement engagé à observer les recommandations budgétaires et macro-économiques adressées au pays dans le cadre du semestre européen. Bien qu'octroyé par le mécanisme de sauvetage européen (FESF puis MES), le plan diffère donc des aides versées à la Grèce, à l'Irlande et au Portugal.

Le prêt sera accordé au FROB, en charge d'attribuer les fonds aux banques qui en ont besoin. Le gouvernement espagnol devrait conserver, cependant, l'entière responsabilité de l'exécution du programme. Afin de rassurer les marchés, le FESF puis le MES ne disposent pas du statut de créancier privilégié et ne seront donc pas remboursés en priorité. La durée moyenne des prêts est estimée à 12 ans et demi, les taux variant en fonction des marchés au moment du versement. Ces crédits viennent, en théorie, affecter la dette publique espagnole. Cet élément a poussé Madrid à demander à ce qu'à l'avenir la recapitalisation de ses établissements bancaires s'opère directement, sans « relais » étatique. Les statuts du Mécanisme européen de sauvetage autorisent en effet son action en faveur du renflouement des banques d'un État membre, à la seule condition qu'elle prenne la forme d'un prêt octroyé à ce pays. L'aide européenne aux banques espagnoles a, de fait, constitué un élément déterminant pour la mise en place d'une Union bancaire et la révision concomitante du statut du MES. En attendant que cet instrument soit effectivement mis en place et que l'aide à l'Espagne lui soit éventuellement transférée, le prêt demeure à la charge de l'État espagnol. La dette publique devrait donc augmenter en conséquence et atteindre 90 % du PIB en fin d'année.

La conditionnalité du prêt vise uniquement l'adaptation de la réglementation bancaire aux exigences communautaires et la restructuration de certains établissements. Le mémorandum d'accord (MoU) prévoit ainsi 32 critères à respecter pour l'obtention du prêt. L'eurogroupe souhaite que le gouvernement espagnol impose les mesures adéquates pour que les détenteurs de dettes subordonnées, qui ne sont donc pas prioritaires pour être remboursés, acceptent d'essuyer des pertes. Une telle option - renflouement interne ou bail in l - met de fait à contribution actionnaires et créanciers et diminue, in fine , l'injection de capitaux publics. Elle constitue, aux termes du mémorandum d'accord, le préalable à tout versement d'une tranche du prêt octroyé à l'Espagne. Les actifs douteux devront, quant à eux, être placés au sein d'une structure de défaisance. Le texte invite également au transfert à la Banque d'Espagne, d'ici à fin 2012, d'un certain nombre de prérogatives en matière de supervision, jusque là détenues par le ministère de l'économie. La Banque centrale devrait de la sorte pouvoir intervenir dès l'apparition d'éléments objectifs indiquant qu'une banque n'est plus en mesure de respecter ses obligations en matière de solvabilité et de liquidité. Elle disposera d'un pouvoir de sanction à l'égard des dirigeants d'une banque placée dans cette situation et pourra imposer plus tôt une recapitalisation. La réforme bancaire adoptée par le gouvernement espagnol fin août reprend l'essentiel de ces dispositions. L'Espagne anticipe de la sorte l'adoption du paquet législatif communautaire sur la restructuration bancaire, qui devrait entrer en vigueur d'ici à 2018.

Par ailleurs, afin de pouvoir bénéficier de l'aide européenne, les banques concernées devront, au préalable, vendre actifs et activités. Elles ne pourront verser de dividendes à leurs actionnaires, la rémunération des dirigeants devant, en outre, être plafonnée.

Aux termes du mémorandum d'accord, les banques espagnoles devaient en octobre présenter les plans individuels de recapitalisation. La Banque d'Espagne et la Commission devaient répartir les banques au sein de deux groupes : le premier comprenant les banques nécessitant une aide financière, le second les établissements qui auront jusqu'à fin juin 2013 pour se recapitaliser. Les banques placées dans le premier groupe devront soumettre un plan de recapitalisation, qui une fois homologué, ouvrira la voie à une injection de capital. Les actifs toxiques auront été, au préalable, transférés au sein de la société de gestion des actifs ( Sareb ), bad bank gérée par l'État.

Dans l'attente de l'entrée en vigueur de ces dispositions, aucune tranche du prêt ne pouvait être versée. Seuls 30 milliards d'euros ont été débloqués en vue de répondre à une éventuelle situation d'urgence. En attendant, le FROB a de nouveau été sollicité pour aider Bankia , dont les pertes au premier semestre 2012 ont dépassé 4 milliards d'euros et dont le niveau de fonds propres de qualité optimale s'élève à 6,3 %, la réforme bancaire imposant un niveau de 9 %.

Compte tenu de la réforme du secteur accomplie par le gouvernement et saluée par la Commission à la mi-novembre, une première tranche du prêt devrait cependant être versée avant la fin 2012. D'un montant de 37 milliards d'euros, elle concernerait quatre banques : Bankia (18 milliards), Catalunya (9 milliards), NCG (5,5 milliards) et Banco de Valencia (4,5 milliards). D'ici 2017, les trois premières verront leurs bilans réduits de 60 % par rapport à 2010. Elles devront, dans le même temps, recentrer leurs activités sur les prêts aux PME et aux individus, en abandonnant leurs activités liées à la promotion immobilière. 45 milliards d'euros de créances douteuses seront parallèlement transmises à la Sareb . NCG et Catalunya devraient, en outre, être vendues d'ici à 2017. Banco de Valencia sera, de son côté, cédée à CaixaBank pour un euro symbolique. Compte tenu de l'aide publique accordée par le gouvernement espagnol, ces quatre banques auront au total perçu 67 milliards d'euros depuis 2010 : dont 36 pour Bankia , 14 pour Catalunya , 10 pour NCG , et 7 pour Banco de Valencia .

2. Une situation budgétaire de plus en plus délicate

Alors que l'Espagne avait pour objectif de réduire son déficit public à 6 % du PIB en 2011, celui-ci s'est finalement élevé à 9,44 %, remettant en cause l'objectif de 4,4 % fixé pour 2012. Atteindre ce taux revenait à un ajustement budgétaire de 40 milliards d'euros supplémentaires, 15 milliards d'euros d'économies ayant déjà été annoncées pour 2012. L'objectif pour 2012 reposait, en outre, sur une hypothèse de croissance du PIB de 2,3 % invalidée par la suite puisque l'Espagne devrait enregistrer en 2012 une contraction de l'activité de l'ordre de 1,7 %. La dette publique s'élevait quant à elle à 69,6 % du PIB fin 2011 contre 61 % l'année précédente.

Compte tenu de ces éléments, l'Espagne a révisé en février la trajectoire établie initialement, en fixant pour objectif pour 2012 un déficit public ramené à 5,3 %. Le budget de rigueur présenté en avril, comporte 27 milliards euros d'économies pour atteindre ce seuil. Il a été salué par la Commission, qui a néanmoins relevé un manque de précisions sur la situation des 17 régions autonomes.

Les déficits de celles-ci ont, en effet, considérablement augmenté en 2011, au point de constituer les deux tiers du dérapage budgétaire constaté au niveau national. L'endettement des régions représente 145 milliards d'euros, soit 20 % de la dette nationale. L'octroi d'une aide de 5 milliards d'euros du gouvernement a permis aux comunidades autonómas de revenir à l'équilibre au début de l'exercice 2012. Le Pacte budgétaire passé entre les régions et l'État central impose, en outre, aux premières un déficit public limité à 1,5 % du PIB, contre 3,34 % en 2011. Huit d'entre elles ne devraient pas toutefois pouvoir répondre à cet objectif. Le déficit des régions devrait, de fait, se situer entre 2,2 et 4 % à la fin de l'année. L'objectif pour 2013, a, par ailleurs, été fixé à 0,7 % du PIB en 2013.

Le Fonds de liquidité régionale (FLA) mis en place en juillet devrait permettre de soutenir les régions dans leurs quêtes de liquidités, alors qu'elles rencontrent pour l'essentiel de graves difficultés d'accès aux marchés financiers. Le FLA, doté de 18 milliards d'euros (milliards d'euros issus du Trésor, 6 de la loterie nationale, 3 d'émissions obligataires et 5 d'un placement privé), accordera aux régions des prêts sous conditions - un plan d'austérité devra avoir été au préalable adopté par les exécutifs locaux - à un taux correspondant à celui imposé sur les marchés au Trésor espagnol. Le besoin de financement des régions est estimé à 32 milliards d'euros pour 2012 : 17 pour rembourser des créances venant à échéance et 15 destinés à combler les déficits. La Catalogne, qui représente près d'un quart du PIB espagnol, pourrait, notamment, avoir recours au FLA à hauteur de 5 milliards d'euros, l'Andalousie pour 4,9 milliards d'euros, et Valence pour 4,5 milliards, soit au total près de 15 milliards d'euros.

Nonobstant la question des régions, le retour progressif à l'équilibre budgétaire ne pourra être atteint que si la situation économique du pays s'améliore, ce qui est, à l'heure actuelle, loin d'être le cas. Comme l'a noté la Commission dans un rapport publié le 14 février, l'Espagne n'a pu maintenir en 2011 à un niveau acceptable le montant de ses exportations et celui des investissements internationaux. Le chômage touche, par ailleurs, 25 % de la population active espagnole et près de 50 % chez les jeunes. La récession devrait, en outre, se poursuivre en 2013 avec une contraction du PIB de 0,5 %.

Cette dégradation des fondamentaux économiques du pays, l'incapacité à répondre aux objectifs budgétaires qu'elle s'était fixés, les difficultés des régions et la situation des banques a conduit à une augmentation des taux à dix ans qui ont dépassé 6 % en avril avant d'atteindre 7,5 % en juillet. Les marchés prennent également une trajectoire catastrophique de la dette publique, évaluée par l'agence Fitch à 95 % du PIB à l'horizon 2015.

L'accord sur le prêt de 100 milliards d'euros au secteur bancaire a conduit le gouvernement espagnol, longtemps rétif à lancer de nouvelles réformes structurelles et réticent à toute augmentation supplémentaire de la TVA, à réviser sa stratégie. Ces orientations font partie des recommandations de la Commission présentées en juin. Seule une vaste réforme du marché du travail avait au préalable été lancée en mars 2012. Celle-ci flexibilise les conditions de licenciement, de baisses de salaires et d'aménagement du temps de travail via une réduction de la durée des préavis ou des autorisations préalables de licenciement et du montant des indemnités correspondant à celles-ci.

L'Espagne a, dans le même temps, obtenu une année supplémentaire pour ramener son déficit public en dessous de 3 % du PIB, objectif désormais fixé à 2014. La nouvelle trajectoire présentée en juillet table désormais sur un déficit public de 6,3 % du PIB en 2012 (contre 5,3 % annoncés cinq mois plus tôt), 4,5 % en 2013 puis 2,8 % l'année suivante. Un plan d'ajustement budgétaire de 65 milliards d'euros sur trois ans a été adopté pour satisfaire à ces objectifs, avec notamment une augmentation de la fiscalité directe (impôt sur le revenu et sur les sociétés) et indirecte (la TVA passe de 18 à 21 %). La difficulté tient à ce qu'à fin septembre, l'État avait déjà atteint les seuils maximaux de dépense fixés pour 2012. Le déficit pourrait d'ailleurs atteindre 7,4 % du PIB fin 2012.

Le gouvernement a présenté dans le cadre du projet de budget 2013 un certain nombre de réformes, tenant notamment compte des recommandations de la Commission. L'effort de consolidation budgétaire pour 2013 est de l'ordre de 40 milliards d'euro. Fondé sur l'hypothèse d'une contraction du PIB de 0,5 % du PIB, il prévoit une diminution moyenne des crédits ministériels de 8,9 %. Le salaire des fonctionnaires est gelé, même si la prime de Noël supprimée en 2012 est réinstaurée en 2013. Une taxe sur les gains de loterie, dont le taux atteint 20 %, devrait, en outre rapporter 824 millions d'euros à l'État. Au total, le gouvernement espère augmenter ses recettes fiscales de 3,8 %.

En ce qui concerne les réformes structurelles demandées par la Commission, le gouvernement espagnol a, dans le même temps présenté un plan de réforme comprenant 43 nouveaux textes législatifs destinés à améliorer la compétitivité et à favoriser la création d'emplois. Ce programme de dévaluation interne n'est, d'ailleurs, pas sans rappeler celui poursuivi au Portugal. Une réforme du marché du travail ou la libéralisation de certains secteurs (services, énergie, télécommunications) sont ainsi envisagées. Il a également annoncé la création d'une autorité nationale de contrôle des comptes, autorité budgétaire indépendante censée redonner de la crédibilité à la gestion publique.

Même si le gouvernement espagnol s'en défend, l'annonce de ce plan d'ajustement budgétaire et de ce programme de réforme préfigure l'octroi d'une aide financière, à l'instar de celles qu'ont pu percevoir la Grèce, l'Irlande ou le Portugal. Comme l'a récemment indiqué la Commission, ces mesures correspondent aux attentes de l'eurogroupe à l'égard de l'Espagne et auraient donc toute leur place au sein d'un mémorandum d'accord entre l'Union et Madrid. Les autorités espagnoles auraient en quelque sorte anticipé la conditionnalité d'un prêt, ce qui pourrait rendre cette aide plus acceptable aux yeux d'une opinion publique lasse d'années d'austérité. Une autre option pourrait consister en la demande d'une assistance financière préventive, sous la forme de l'ouverture d'une ligne de crédit auprès du Mécanisme européen de stabilité.

La dérive continue du déficit public - trois points d'écart et deux révisions entre la première estimation retenue pour 2012 et le taux attendu en fin d'année -, les demandes de financement des régions ou la récession fragilisent la position du pays sur les marchés à l'heure de se refinancer. Reste que la Commission a récemment remis en question les hypothèses de travail du gouvernement espagnol, en tablant sur une récession de 1,4 % pour l'année 2013 et non 0,5 %. La Commission estime, ainsi, que le déficit public pourrait atteindre 6,4 % du PIB en 2014 et non 2,8 %. Si le rachat par la Banque centrale européenne d'obligations de la zone euro a pu contribuer pour un temps à une certaine accalmie sur les marchés, cette solution n'apparaît pas pour autant optimale. Le principal poste de dépense budgétaire concerne en Espagne le paiement des intérêts de la dette. Il s'agit du seul poste en hausse dans le budget 2013.

CONCLUSION

Le bilan mitigé des aides octroyées aux pays en crise se fonde, au-delà des performances économiques ou financières de chacun d'entre eux, sur le coût social des programmes d'ajustement qui y sont mis en place. Ces plans ne permettent pas de juguler, pour l'instant, un chômage record dans la plupart des États aidés alors même que les gouvernements sont tenus de réduire la plupart de leurs dépenses d'assistance. La pression fiscale renforcée, inévitable en vue de permettre aux États de réduire déficits et endettement, empêche dans le même temps toute relance interne ne laissant à ces pays d'autres solutions que d'améliorer leur compétitivité à l'extérieur. Une telle situation n'est pas, non plus, sans incidence politique comme en témoignent les défaites électorales des gouvernements en place dans tous les pays bénéficiant d'un prêt européen.

L'euro était conçu comme une monnaie destinée à apporter une prospérité durable sur le continent. Dix ans après, son introduction s'apparente, au sein des opinions publiques, au moins-disant social. L'avenir passe désormais aux yeux de nombre de concitoyens européens par un retour aux anciennes devises nationales, quand bien même cette option ne ferait en réalité que rendre plus aiguë la crise économique et financière que traversent leurs pays.

S'il convient de saluer les efforts entrepris au sein de la zone euro pour se doter d'une meilleure gouvernance, étape indispensable dans la gestion de cette crise, il est cependant indispensable de franchir une deuxième étape et mettre en place de façon effective un véritable cadre pour la relance de l'activité au sein de l'ensemble de l'Union économique et monétaire. Les programmes d'ajustement mis en place doivent dans le même temps mieux intégrer cet impératif de stimulation de la croissance tant la seule austérité ne peut constituer un véritable projet pour l'avenir.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie le jeudi 29 novembre 2012 pour l'examen du présent rapport.

M. Simon Sutour , président . - Nous ne pouvons, hélas, que partager ces conclusions.

M. Jean Bizet . - Ce n'est pas ce que nous entendons dire au plus haut sommet de l'État ! Mais c'est M. Humbert qui a raison.

M. Simon Sutour , président . - Ce point sur la situation de Chypre est très instructif, de même que le panorama des aides aux États dans la zone euro.

Je rappelle qu'au niveau géopolitique, Chypre est un membre de l'Union européenne, occupé par un candidat à l'Union européenne !

M. Jean-François Humbert . - Ce travail, qui m'a passionné, méritera une actualisation dans quelques mois.

M. Simon Sutour , président . - Vous avez bien évidemment un droit de suite.

Je crois tout de même que, dans cette crise de la zone euro, les grands soubresauts sont derrière nous.

Mme Bernadette Bourzai . - Grâce aux outils mis en place...

M. Simon Sutour , président . - Certes. Nous verrons comment ils fonctionnent.

M. Jean Bizet . - La situation de la Grèce a eu des répercussions sur Chypre... L'occupation d'une partie de l'île par la Turquie n'est pas acceptable. Nous devons le signifier à nos amis turcs dans les négociations menées par l'Union européenne.

Enfin, si l'Irlande s'en sort mieux, le Portugal et l'Espagne ont engagé de lourdes réformes structurelles : c'est pourquoi ils ont plus de chances de s'en sortir qu'on ne veut bien le croire. Vous comprenez mon message...

M. Simon Sutour , président . - Nous aussi avons engagé des réformes au plan national... Nous n'avons pas parlé de l'Italie, dont la situation s'améliore.

M. Joël Guerriau . - Le lien économique entre Chypre et la Grèce ne facilite ni la reprise ni le redressement de l'économie chypriote : un quart des activités économiques de l'île se fait avec des clients ou des fournisseurs grecs. Et l'austérité ne crée pas forcément les conditions du cercle vertueux de la reprise.

Enfin, la monnaie unique prive ces pays de la souplesse dont ils auraient besoin, elle est un vrai handicap.

Mme Bernadette Bourzai . - Chypre fait bien entendu partie des griefs contre la Turquie, les autorités européennes ne manquent pas de le lui rappeler.

Je me suis rendue à Nicosie pour la commission des affaires économiques - il s'agissait d'une réunion de parlementaires sur la PAC - et j'ai pu constater cette coupure physique dans la ville : elle est impressionnante. Soit dit en passant, j'ai vérifié en cette occasion la pugnacité britannique dont parlait Mme Keller, en discutant avec une baronne anglaise fort hostile à la PAC.

Je remercie M. Humbert de son rapport qui a actualisé ses travaux sur le sujet.

Certains pays, la Grèce et Chypre sans aucun doute, le Portugal et l'Espagne vraisemblablement, sont arrivés au bout de la logique d'austérité. La situation n'est plus supportable pour les peuples et je redoute de violentes explosions sociales. L'Europe doit trouver un nouveau cap.

M. André Gattolin . - La présence russe n'est pas la moindre des questions. Si des États membres sont très critiques à l'égard du renflouement de Chypre, c'est à cause de l'intrication de son système bancaire avec celui de la Russie. Les flux d'argent, douteux, sont pour partie liés au commerce d'armes. L'île est le poste avancé des trafics d'armes à destination de la Syrie. Soyons vigilants, ayons à l'esprit la Serbie dont le gouvernement a été pris en main par des conseillers chinois et russes, financiers comme militaires... Essayez, là-bas, de dire quoi que ce soit sur la Chine ou la Russie ! Je suis un européen convaincu, favorable à l'élargissement, mais pas dans n'importe quelles conditions.

C'est vrai, les peuples souffrent. Mais en Grèce, des structures politiques et économiques n'avaient jamais été réformées ! Acceptons-nous des oligarchies en Europe ? Des États membres dont l'Église ou les armateurs richissimes ne payent pas d'impôt ? En 2000, la session parlementaire grecque était encore ouverte par des représentants de l'Église orthodoxe... Et pour hériter d'un bien, il fallait se convertir. Je crois que la mention de la religion figure encore sur la carte d'identité. Avons-nous fait respecter les objectifs et les valeurs de l'Union européenne ? Cela n'empêche pas la solidarité, du reste.

M. Jean Bizet . - Cela méritait d'être dit. Bravo.

Mme Catherine Morin-Desailly . - Je trouve inquiétant le déficit d'image qu'a l'Europe dans les opinions publiques. La dégradation se poursuit. Dans ces conditions, comment construire l'avenir de l'Europe ? La situation de certains pays, malgré les réformes qu'ils mènent, reste périlleuse. Il faut y réfléchir.

M. Pierre Bernard-Reymond . - Chypre est un pays qui flotte un peu, en matière géopolitique... Rappelons qu'avant son adhésion, il hésitait entre l'Europe et une alliance forte avec la Libye !

Je partage totalement l'inquiétude de Mme Morin-Desailly : il faut engager une réflexion sur le positionnement de l'Union européenne vis-à-vis de l'opinion publique. Bruxelles n'a aucune politique de communication. Les deux sujets européens connus de tout le monde sont la baisse des crédits d'Erasmus et la diminution envisagée de l'aide alimentaire, au moment même où le froid s'empare de nos contrées : rien de positif...

M. Jean-François Humbert . - La présence des Turcs à Chypre  est évoquée dans mon rapport. Je suis fondamentalement européen et je me désole de constater que l'opinion publique se détache peu à peu de l'Europe, alors que nous avons besoin de plus d'Europe. Le sentiment anti-européen se répand.

M. Pierre Bernard-Reymond . - Que les pro-européens sortent de leurs cénacles !

M. Simon Sutour , président . - J'ai reçu récemment le ministre des affaires européennes turc et je lui ai tenu ce discours. L'entretien s'est bien passé. Merci à M. Humbert : je vous propose d'autoriser la publication du rapport.

*

A l'issue du débat, la commission a autorisé la publication du rapport.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES À NICOSIE

• M. Vassos Shiarly, ministre des finances ;

• M. Nicholas Papadopoulos, président de la commission des affaires financières et budgétaires du Parlement ;

• M. Michalis Sarris, directeur de la Marfin popular bank ;

• MM. George Georgiou, directeur du cabinet du gouverneur de la Banque centrale, et Spyros Stravinakis, directeur du département supervision et régulation de la Banque centrale ;

• Mme Fiona Mullen, consultant indépendant ;

• Son Exc. M. Jean-Luc Florent, ambassadeur de France à Chypre, Mme Aude Robin-Mitrevski, déléguée du chef économique régional et M. Julien Deruffe, premier secrétaire.

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