2. L'approche du rapport

Pour une assemblée politique, un travail de prospective sur un sujet aussi concret, vivant et sensible au contexte normatif et budgétaire que celui des campagnes, ne saurait déboucher sur une scénarisation purement indicative. L'approche est donc politique, dans les deux moments de la réflexion portée par le rapport : pour élaborer le scénario que vos rapporteurs jugent souhaitable, et pour décliner les conditions de sa réalisation.

a) La recherche d'un scénario optimal pour esquisser ses conditions de réalisation

Il s'agit d'inscrire les travaux de la délégation dans une temporalité et/ou une approche à la fois singulière et fructueuse, non seulement au regard des « sommes » prospectives de l'INRA et de la DATAR portant sur les campagnes, mais encore du rapport intitulé « Territoires ruraux, territoires d'avenir », publié en février 2012 par le comité d'évaluation et de contrôle (CEC) de l'Assemblée nationale, qui ambitionne essentiellement d'évaluer les outils de la décentralisation et de l'aménagement du territoire dans leur aptitude à valoriser ces territoires.

En outre, le Président de la République a confié au député Pierre Morel-A-l'Huissier une mission « ruralité » aux fins de simplifications ou de clarifications règlementaires, qui vient de rendre ses principales conclusions.

Estimant que deux démarches de prospective rurale d'importance ont été conduites par l'INRA et la DATAR, qui y ont chacun consacré, durant environ deux années, des moyens importants, nous nous sommes livrés, sur cette base, mais aussi celle de notre expérience, de nos auditions et de l'atelier de prospective que nous avons organisé sur l'avenir des campagnes, à une stylisation prospective débouchant sur des préconisations générales à l'horizon 2030/2040.

Après avoir marqué une préférence pour les scénarios conduisant à un développement équilibré des territoires ruraux, un scénario que nous jugeons « souhaitable » a donc été métabolisé. Il distingue, en son sein, le cas de divers types de campagnes pour rendre compte de la diversité des territoires. Il est clair, en effet, que la campagne idéale de 2030/2040 ne peut avoir le même aspect ni le même contenu, pour prendre l'exemple de deux terroirs voisins, selon qu'on se réfère à la Beauce ou aux collines du Perche. Bien entendu, les conséquences des évolutions possibles de certaines « variables-clé », en particulier du coût de l'énergie, ne sont pas ignorées.

Ce scénario s'oppose à celui, jugé indésirable, qui poursuit les tendances actuelles, mais dont l'évolution de certaines variables sous-jacentes est toutefois infléchie par le développement et les conséquences économiques et budgétaires de la crise mondiale.

Dans cette perspective, notre scénario préférentiel s'inscrit plutôt en résonnance avec , parmi les scénarios de l'INRA et de la DATAR, ceux qui aboutissent à un développement économique équilibré et à un peuplement harmonieux des campagnes. Il s'agit en l'espèce du scénario n° 4 de l'INRA (« Les campagnes dans les mailles des réseaux des villes ») et du scénario n° 4 de la DATAR (« Le canevas territorial des systèmes entreprenants »).

Ces deux scénarios, qui ne sont pas sans parenté, évitent les nombreux écueils qui sont alternativement développés dans les autres scénarios - parmi lesquels se trouvent les trajectoires tendancielles identifiées par l'INRA et la DATAR - et qui ont été souvent évoqués au cours de nos auditions et de l'atelier.

Ces écueils résident essentiellement dans l' isolement ou l' exploitation des campagnes, dans leur arraisonnement par les métropoles ou leur confinement dans une logique d'étalement urbain ou, à l'inverse, dans une muséification desséchante ou une gentrification déséquilibrante.

Il est alors possible de formuler un certain nombre de recommandations ou, plutôt, d'orientations d'ordre général tendant à la réalisation du scénario souhaitable, plutôt qu'à la poursuite des évolutions tendancielles.

b) Une option politique : l'aménagement de tout le territoire

En somme, les travaux qui sont présentés sont le fruit d'une démarche volontariste et politique consistant :

- à déterminer un scénario d'évolution des campagnes françaises qui soit à la fois crédible et mobilisateur pour chacune d'entre elles ;

- à donner les grandes lignes des politiques publiques qu'il conviendrait de mettre en oeuvre aux fins de sa réalisation.

Nous partons du postulat que les campagnes doivent être regardées comme des remèdes ou des alternatives aux problèmes des zones urbaines, qui demeureront les principaux pôles de création d'activité. Les trois figures de la campagne mentionnées plus haut - campagne ressource, campagne cadre de vie et campagne nature - peuvent aisément être comprises dans cette optique susceptible d'inspirer des politique dynamiques de valorisation et d'animation.

Il s'agit en particulier de favoriser partout le renforcement, du moins le maintien de l'activité économique , sans quoi des territoires entiers seront transformés en déserts, au mieux en réserves naturelles vides de résidents, destinées à la fréquentation muséale de populations extérieures privées de tout lien pérenne avec elles.

C'est une option forte pour l'avenir des campagnes. Il ne va pas de soi, en effet, de s'obstiner à aménager tout le territoire et de refuser , quelles que soient les tensions sur la ressource budgétaire, d'en délaisser certains pans au motif que les difficultés y sont structurelles . Dans une telle hypothèse, les services publics, la population et l'activité se raréfieraient et seuls les plus pauvres ou les moins mobiles se trouveraient confinés dans ces espaces, qui seraient rapidement dévastés.

Nous n'envisageons pas davantage de concentrer les moyens dans les territoires où la dépense publique, d'un point de vue strictement comptable, aurait un effet multiplicateur plus important , c'est-à-dire essentiellement dans de grands pôles urbains, mais aussi dans les zones rurales dont la dynamique économique est avérée.

La valorisation des campagnes doit revêtir une dimension économique forte là où existe un potentiel de développement et c'est, au fond, presque partout le cas, dans l'agriculture, dans l'industrie ou dans les services. Une des richesses de la campagne, qui est l'espace, doit pouvoir être mobilisée à cette fin dans le cadre d'une planification négociée des différents usages.

Par ailleurs, en tant que lieu de vie, les campagnes doivent fournir à leurs habitants et visiteurs l'ensemble des services disponibles dans la société moderne (commerces, administrations, soins) sans quoi, faute de résidents, les revenus engendrés par l'activité économique seront essentiellement dépensés ailleurs, favorisant alors le développement d'autres territoires. Ainsi, pour ce qui concerne en particulier les services publics, les critères d'implantation ou de maintien ne peuvent être identiques à ceux des villes.

La vision politique de l'avenir des campagnes ne peut être que celle de l'équilibre, aussi les mouvements de concentration économique et démographique vers les grandes villes et les métropoles devront-ils être maîtrisés. Freiner les polarisations excessives est l'un des enjeux principaux de l'avenir des campagnes.

En fonction de ces orientations éparses dont certaines tendances majeures telles que la repopulation d'un grand nombre de territoires ruraux confirment la faisabilité, les politiques publiques à mettre en oeuvre à l'horizon 2030/2040 devront être inspirées par l'objectif de ne pas faire obstacle au nom d'objectifs de rentabilité à court terme à la construction des campagnes de demain, mais de rendre cet avenir fécond en préservant l'« éventail des possibles » .

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