B. LA RECHERCHE D'UN NOUVEL ÉQUILIBRE ENTRE LES SEXES DANS L'ARTICULATION DES TEMPS DE VIE

Les inégalités professionnelles puisent leur source dans l'inégal partage des tâches entre les hommes et les femmes et dans la discrimination systématique subie par les femmes « en âge de procréer » sur le marché de l'emploi.

Cette dissymétrie découle de l'évolution récente de la place des femmes sur le marché du travail.

Alors qu'on a assisté à leur montée en puissance dans les années 1960, liée à leur entrée massive dans le salariat, la question de savoir qui allait se charger des tâches réalisées par les femmes lorsqu'elles étaient au foyer n'a pas été posée.

Comme l'a souligné Hélène Périvier 45 ( * ) , on n'a pas réaménagé la sphère privée à la hauteur de cette entrée massive des femmes dans le salariat et de la nouvelle organisation du travail. Il en résulte :

- d'une part, une inertie persistante dans la répartition des tâches entre les hommes et les femmes, ces dernières continuent à assumer 80 % du temps domestique 46 ( * ) . Le sociologue François de Singly parle d'« injustice ménagère » pour décrire cette situation ;

- d'autre part, ce que Brigitte Grésy qualifie de « parentalité bancale », c'est-à-dire une grande dissymétrie dans la prise en charge de ou des enfants, en défaveur des femmes.

Les conséquences de ces dissymétries se traduisent pour les femmes par :

- l'inflexion des perspectives de carrière, 40 % des femmes voyant leur trajectoire modifiée à l'arrivée d'un enfant (contre 6 % des hommes) ;

- le « décrochage » par rapport aux collègues masculins au moment de l'arrivée du deuxième enfant ;

- l'obligation de choisir un temps partiel, avec les diminutions de salaire induites ;

- et les conséquences sur leur santé, décrites supra (stress lié à l'accumulation des tâches et à l'absence de perspective d'évolution dans la carrière).

La délégation considère qu'il est, par conséquent, urgent de réaménager la sphère privée à la hauteur de l'entrée massive des femmes dans le salariat et de la nouvelle organisation du travail.

Ceci implique :

- que les pères s'investissent plus systématiquement dans la sphère parentale et privée ;

- que les régimes des congés soient aménagés pour permettre une prise en charge équitable de la parentalité entre les hommes et les femmes ;

- que les structures publiques d'accueil, en particulier du jeune enfant, soient renforcées ;

- enfin, que les entreprises s'investissent dans les services qui facilitent le quotidien des salariés-parents.

1. Inciter les pères à s'investir dans la sphère parentale

Décrite par Brigitte Grésy comme dissuadée et dissymétrique, la parentalité masculine, telle qu'elle est aujourd'hui pratiquée dans les entreprises et dans les administrations, reste, de l'avis unanime des professionnels, un sujet délicat.

Les enquêtes qu'elle a menées auprès d'échantillons d'hommes sur le marché du travail et qui ont donné lieu à la publication d'un rapport sur le poids des normes masculines dans le monde de l'entreprise 47 ( * ) , ont montré que, dans l'entreprise, le regard des collègues et de l'employeur constitue un frein important pour les hommes à la décision de prendre un congé parental et/ou d'aménager leurs horaires.

Les hommes subissent donc aussi le poids des stéréotypes qui découlent du modèle de réussite traditionnel, basé sur la réussite professionnelle chez l'homme et la réussite familiale chez la femme, et sur lequel se sont construites les organisations de travail.

Ces organisations, selon Jérôme Ballarin 48 ( * ) , président de l'Observatoire de la parentalité en entreprise (ORSE), encouragent le « présentéisme » et la compétition horaire entre collègues et découragent les hommes à concilier la vie privée avec la vie professionnelle.

A cet égard, le président de l'ORSE soulignait qu'une prise de conscience était en train d'émerger. Certaines entreprises, comme l'entreprise Orange par exemple, se sont engagées dans la déconstruction de ce modèle en diffusant, notamment sur Internet, des clips vidéo visant à mettre en valeur les jeunes pères salariés qui ont décidé de s'impliquer davantage dans les tâches familiale. Il s'agit donc, aujourd'hui, de provoquer une véritable révolution culturelle des organisations .

Pour la délégation, il est essentiel que les hommes s'impliquent dans le changement. Elle soutient l'idée, défendue notamment par Jérôme Ballarin, que « l'égalité, tant professionnelle que familiale, ne peut se construire que sur l'implication des hommes » .

Elle souhaite par conséquent, que toutes les branches professionnelles se saisissent du sujet, notamment par le biais de la signature de la charte de la parentalité 49 ( * ) , de manière à mobiliser les chefs d'entreprise, les directeurs des ressources humaines, les syndicats et les citoyens eux-mêmes et amorcer un débat sur ce sujet qui est à la confluence de stéréotypes, de la culture et des mentalités.

Cette charte est actuellement signée par quatre cents employeurs en France, des entreprises de toutes tailles et de tous les secteurs d'activité qui représentent 10 % de la population active, soit environ trois millions de personnes : des grands groupes (Danone, L'Oréal, Areva, BNP) y côtoient des petites et moyennes entreprises (PME) et des très petites entreprises (TPE) ; la moitié des signataires sont des petites entreprises - de dix salariés à quelques centaines.

Interrogées sur ce sujet, les organisations syndicales entendues par la délégation, même si elles diffèrent sur les modalités de mise en oeuvre - notamment sur l'opportunité de développer le télétravail pour faciliter la conciliation des tâches - ont fait preuve d'une réelle prise de conscience et avancé des pistes concrètes pour faire évoluer les organisations.

Toutes ont engagé une réflexion sur la réforme du régime du congé de paternité et du congé parental visant à rendre possible la conciliation d'une parentalité partagée avec la carrière professionnelle des deux parents.

2. Le régime des congés de paternité et de parentalité : vers une parentalité partagée tout au long de la vie

« Il faut changer de paradigme en matière de parentalité : celle-ci est acceptée au moment de la naissance de l'enfant, mais ensuite on ne veut plus en entendre parler, comme si celui-ci ne devait jamais tomber malade. C'est çà la réalité dans l'entreprise » 50 ( * )

La délégation estime qu'il faut rompre avec le mythe du salarié toujours performant car tout salarié est pris dans un réseau d'interdépendances qui conditionnent sa performance et sa compétitivité.

« Refuser de le prendre en compte, c'est méconnaître le fait que sur la durée d'une carrière - durée qui va s'allonger à 41 ou 42 ans - il y aura inévitablement un moment où le temps personnel devra l'emporter sur le temps professionnel » , a poursuivi Brigitte Grésy.

C'est donc au réalisme, autant qu'à la qualité de vie au travail qu'elle en appelle. Parce que l'équilibre du salarié, qui résulte de sa double appartenance à une sphère privée et à une sphère professionnelle, lui permet de prendre la bonne distance vis-à-vis des choses, de réduire son stress et d'améliorer son estime en soi, il faut désormais considérer la notion de « parentalité tout au long de la vie » de la même façon que celle de la formation tout au long de la vie.

Cette reconnaissance passe par l'évolution du régime des congés disponibles pour les hommes qui souhaitent adapter leur temps de travail à leur parentalité.

a) La naissance et l'accueil de l'enfant

« L'arrivée de l'enfant est un bouleversement tant pour le père que pour la mère : physiquement comme émotionnellement, l'homme peut traverser une période de trouble qui peut avoir des répercussions sur son emploi » 51 ( * )

Le président de l'ORSE a donc proposé d'encadrer juridiquement l'arrivée de l'enfant pour le père, comme c'est le cas actuellement pour la mère. A titre d'exemple, il serait interdit de licencier un jeune père dans les trois mois qui suivent la naissance de l'enfant.

Pourrait également être instituée la prise en charge financière d'un certain nombre d'absences pour le père, comme cela est prévu à l'article L1225-16 du code du travail pour la femme enceinte.

La délégation propose d'encadrer juridiquement l'arrivée de l'enfant pour le père, comme cela existe à l'heure actuelle pour la femme enceinte (interdiction de licenciement, prise en charge d'un certain nombre d'absences pendant la maternité...).

b) La réforme de l'actuel congé de paternité

L'article L.1225-35 du code du travail prévoit, à l'heure actuelle, qu'après la naissance de l'enfant, et dans un délai déterminé par décret, le père salarié bénéficie d'un congé de paternité de onze jours consécutifs (ou dix-huit jours en cas de naissances multiples).

Un consensus s'est établi pour considérer ce délai comme trop court. Encore faut-il relever que tous les pères ne font pas valoir leurs droits au congé de paternité - 69 % le faisaient en 2007 - ce qui amène certaines organisations syndicales (comme Force ouvrière) à proposer que ce congé devienne obligatoire.

Pour les encourager à faire ce choix librement, Caroline Cano 52 ( * ) propose le maintien intégral du salaire durant les onze jours du congé de paternité 53 ( * ) .

La délégation propose de porter à quatre semaines la durée du congé de paternité et de le rendre obligatoire.

Cette période serait aussi, comme l'a souligné Brigitte Grésy, l'occasion d'ouvrir la négociation conjugale, vers plus de parité.

Au-delà de ce temps « exceptionnel » de la naissance de l'enfant, il s'agit, ensuite, d'aménager le temps quotidien du travail au sein de l'entreprise - développer les horaires variables, organiser des possibilités de télétravail - et permettre aux salariés qui le souhaitent - ou qui font face à un événement exceptionnel - de suspendre pendant un temps leur activité professionnelle pour s'occuper de l'éducation de leur(s) enfant(s).

c) La réforme du congé parental d'éducation

Le dispositif actuel, prévu à l'article L.122-28-1 du code du travail est, de l'avis unanime, insatisfaisant : trop long - trois ans constituant souvent un « piège » pour les femmes qui font ce choix - financièrement pas ou peu pris en charge, il doit être aujourd'hui repensé.

Plusieurs pistes ont été avancées lors de l'audition des organisations syndicales.

Certaines organisations 54 ( * ) défendent l'idée d'un congé d'une durée d'un an - rémunéré à 80 % - avec la possibilité de le prolonger deux années supplémentaires, mais avec une moindre rémunération .

Ainsi, ce congé d'un an serait obligatoirement réparti entre la mère (quatre mois) et le père (quatre mois), les deux mois restants étant à partager entre les deux parents et permettrait un coexercice obligatoire de la parentalité.

Certains membres de la délégation ont émis des réserves sur la possibilité de laisser un libre choix aux parents, celui-ci aboutissant, systématiquement, à ce que ce soit la femme qui s'arrête, les écarts de salaire entre elle et son conjoint laissant peu de marge d'appréciation au couple.

L' idée d'un congé modulable tout au long de la vie a également été envisagée .

« En effet, si les petits enfants ont besoin de leurs parents, il y a aussi des périodes délicates - tel le passage du collège au lycée - où l'on devrait permettre aux parents de s'absenter de l'entreprise, au moins à partir d'une certaine heure l'après-midi. » 55 ( * )

La délégation est favorable à cette proposition, qui pourrait prendre la forme d'une nouvelle garantie sociale , qu'il soit envisagé comme un droit individuel à la parentalité (DIP), bénéficiant d'un portage en dehors de l'entreprise ou comme une refonte de dispositifs existants, peu financés et méconnus, tels que le congé de soutien familial, le congé de présence parentale et le congé de solidarité familiale.

La délégation demande une réforme du congé parental d'éducation, qui deviendrait modulable tout au long de la vie, sous la forme d'une nouvelle garantie sociale : le droit individuel à la parentalité, portable en dehors de l'entreprise, et cofinancé selon des modalités à définir.

3. Le rôle des structures publiques d'accueil

« L'impossibilité de disposer d'un mode de garde adapté à leurs besoins pénalise principalement les femmes. Nombreuses sont celles qui risquent alors de renoncer à leur emploi et de se retirer du marché du travail » . C'est ce que l'on peut lire dans le relevé de conclusions du Comité interministériel aux droits des femmes et à l'égalité entre les femmes et les hommes, qui a eu lieu le 30 novembre 2012.

Et, en effet, environ 40 % des bénéficiaires du « complément de libre choix d'activité », soit près de 210 000 femmes, ont décidé de se retirer du marché du travail alors qu'elles auraient préféré y rester et, pour 40 %, soit environ 84 000 d'entre elles, l'absence de solution de garde en a été la raison principale.

Cette réalité traduit l'inégale assignation des tâches au sein du couple. En effet, chez les couples qui s'occupent de leur enfant à titre principal et où au moins un parent n'exerce pas d'activité professionnelle, c'est dans 95 % des cas la mère qui ne travaille pas.

La ministre aux droits des femmes a donc pris acte d'une réalité déplorée par nombre d'interlocuteurs de la délégation pour qui la question de la garde des enfants reste l'une des conditions essentielles de la réalisation de l'égalité professionnelle.

a) L'accueil des enfants en crèche

La France comptait 350 000 places d'accueil en structure collective pour les moins de trois ans fin 2009, soit 10 000 places de plus qu'en 2008, indique une étude du ministère de l'emploi 56 ( * ) .

Entre 2005 et 2009, on a enregistré 34 000 places de plus, soit une hausse de 10 %. Au cours de cette période, le nombre d'enfants de moins de trois ans a augmenté de 90 000 du fait de la hausse de la fécondité. Par conséquent, ces créations n'ont pas suffi à répondre à l'augmentation du nombre d'enfants et le réseau des assistantes maternelles n'a pu y répondre à lui seul.

40 % des parents déclarent ne pas avoir accès à un mode de garde désiré et, surtout, les inégalités territoriales sont considérables .

L'offre varie, selon les départements, de 9 à 80 pour 100 enfants de 0 à 3 ans 57 ( * ) .

Lors du Comité interministériel du 30 novembre 2012, la ministre a déclaré qu'elle ciblerait les moyens du Fonds national d'action sociale (FNAS) de la branche famille (de l'ordre de 4,5 milliards d'euros).

Ainsi, seraient privilégiés les territoires où les besoins sont le moins couverts et, parmi les différents modes d'accueil et d'organisation de l'accueil, sur ceux qui sont le plus adaptés aux caractéristiques de chaque territoire et répondent le mieux aux difficultés éprouvées par les familles les plus modestes, notamment monoparentales, en prenant en compte la localisation et l'amplitude horaire des services, de la problématique des temps de vie et des nouvelles modalités de travail.

La délégation sera donc attentive à ce que cette priorité, qui doit être débattue lors de la renégociation de la convention d'objectifs et de gestion (COG) pluriannuelle conclue entre l'État et la CNAF au premier trimestre 2013 aboutisse à des propositions concrètes et effectives.

Parallèlement, le redéploiement de la scolarisation avant trois ans est un chantier prioritaire .

b) L'accueil à l'école maternelle

Le baby-boom de l'an 2000 et des années suivantes combiné aux suppressions des postes décidées dans le cadre de la réduction générale des politiques publiques (RGPP) ont entraîné un recul de la scolarisation précoce, la priorité ayant été donnée à l'accueil des enfants de trois ans et plus.

En conséquence, le taux de scolarisation à deux ans [nombre d'enfants nés dans l'année N scolarisés au 20 septembre de l'année N+2 / nombre d'enfants nés dans l'année N] a connu une baisse tendancielle continue depuis le début des années 2000, passant de 35 % à 11,6 % de la tranche d'âge entre les rentrées 2000 et 2011, la baisse étant liée à la contrainte pesant sur les effectifs d'enseignants.

Entre les rentrées 2010-2011 et 2011-2012, la diminution du nombre d'enfants scolarisés avant leur troisième anniversaire s'est poursuivie : - 15,0 % dans le secteur public et - 16,2 % dans le secteur privé (plus des trois-quarts des enfants de moins de trois ans étant scolarisés dans le secteur public).

Le nombre d'enfants de moins de trois ans scolarisés est ainsi passé d'un peu plus de 259 600 à la rentrée 2001 à 182 000 en 2006, 167 600 en 2007, 149 000 en 2008, 123 300 en 2009, 111 700 en 2010 et 94 600 en 2011 58 ( * ) .

En dix ans, le nombre d'enfants scolarisés avant l'âge de trois ans a donc diminué de 165 000.

La circulaire du ministère de l'Éducation nationale, publiée le 15 janvier 2013, annonçant la création de trois mille postes en cinq ans pour accompagner le développement de l'accueil en école maternelle des enfants de moins de trois ans, marque donc un changement des priorités données au primaire dans le cadre de la refondation de l'école.

La circulaire souligne que la scolarisation précoce est « un moyen efficace de favoriser [la] réussite scolaire [du jeune enfant] en particulier lorsque, pour des raisons sociales, culturelles ou linguistiques, sa famille est éloignée de la culture scolaire » .

La délégation estime qu'elle contribuera également à renforcer les modes de gardes publics des petits enfants, et, en ce sens, elle y est favorable.

Cependant, la délégation n'en souhaite pas moins être rendue destinataire du cahier des charges national pour la scolarisation des enfants de moins de trois ans , dont la ministre aux droits des femmes a annoncé la publication.

Toutefois, même si elle juge que cette évolution va dans le bon sens, la délégation estime qu'on ne pourra faire l'économie d'une réflexion globale sur la garde des petits enfants : un réseau public, associant les écoles maternelles, les collectivités territoriales et les associations agréées, doit être mis en place pour constituer un nouveau Service public de la garde des petits enfants.

c) Vers un Service public de la petite enfance ?

Alors que, selon la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF), seul un enfant sur deux (soit 1,1 million) peut être accueilli sous une forme ou sous une autre, la baisse du taux de scolarisation à deux ans ayant entraîné une diminution de 70 000 élèves de cet âge à la maternelle, et qu'il aurait fallu créer 160 000 places d'accueil en structure collective au lieu de 34 000 pour ne faire que stabiliser les besoins, le rétablissement d'un véritable service public de garde des petits enfants est un dossier prioritaire.

En effet, tant que la charge de la garde des petits enfants sera tenue pour une affaire principalement « privée » à la charge des familles, elle continuera d'être dans les faits, la charge quasi exclusive des femmes.

La délégation souhaite que le financement d'un véritable service public de la petite enfance devienne une priorité budgétaire, pour que :

- tout bébé puisse bénéficier d'une place disponible dans une crèche ou une halte-garderie, selon des horaires adaptés en fonction de son âge, des lieux de résidence et de travail des parents et de leurs heures de travail ;

- un service public de garde et de transport d'enfants malades soit institué, dans les cas où les deux parents travaillent.

Ces services publics seraient assurés par des collectivités publiques ou par des aides publiques quand l'offre de ces services provient d'entreprises privées, (crèches d'entreprise, parentales, « nounous » ...)

Enfin, comme l'ont rappelé certains membres de la délégation, en particulier Christiane Demontès et Catherine Génisson, ce sont aussi les femmes qui adaptent leur temps de travail lorsqu'il faut s'occuper d'une personne âgée dans la famille.

La dépendance est aussi l'affaire des femmes. En tant que telle, elle constitue un frein à la réalisation concrète de l'égalité professionnelle.

La délégation souhaite que soit mis en place un service public de prise en charge de la dépendance, demandé par l'ensemble des organisations syndicales.

4. L'appui des entreprises

Pour Jérôme Ballarin, ancien manager au sein de la direction des ressources humaines du groupe Danone, professionnel des questions de gestion des ressources humaines et de management et président de l'ORSE, les entreprises française doivent aujourd'hui opérer une véritable révolution culturelle pour accompagner les parcours de leurs salariés et s'adapter aux nouvelles exigences de la conciliation vie professionnelle - vie privée.

Or, les pratiques d'entreprise visant à encourager la parentalité sont encore balbutiantes : on estime à 10 % le nombre d'entreprises dites « actives » - et ce sont souvent des grandes entreprises. Ils s'accordent à reconnaître trois types de mesures favorables à la parentalité, qui doivent constituer des leviers d'action :

- des avantages en nature : des places en crèche, par exemple ;

- des avantages financiers : notamment le complément de rémunération au-delà du plafond de la sécurité sociale, mais aussi des mesures favorables aux familles, comme le chèque emploi-service universel (CESU) ou des mutuelles favorables aux familles ;

- des aménagements adaptés de l'organisation du temps : compte épargne temps, horaires variables... De leur avis commun, beaucoup reste à faire, en France, pour que la question de l'organisation du temps devienne, dans l'entreprise, un enjeu de l'égalité professionnelle.

En effet, 10 % seulement des entreprises proposent ces trois types de mesures, 50 % n'en proposent aucune, considérant que la question de la parentalité continue de ressortir de la sphère privée 59 ( * ) ; enfin, 40 % des entreprises ne proposent qu'une partie de ces mesures 60 ( * ) .

Suivant les suggestions de l'Observatoire de la parentalité en entreprise (OPE), la délégation souhaite que les instances représentatives des entreprises françaises engagent une concertation nationale visant à sensibiliser les entreprises à ces questions et encourager l'adoption de mesures concrètes.

A titre d'exemple, on pourrait systématiser les conciergeries - qui permettent des prestations de services réelles au service des salariés sur leur lieu de travail - dans les entreprises en périphérie des villes.

En effet, comme le soulignait Carole Cano, pour des considérations liées au coût des loyers, beaucoup d'entreprises déménagent en périphérie des villes. Outre que cet éloignement augmente les temps de trajet, il empêche les salariés d'accomplir certaines tâches - telles les courses, les rendez-vous chez le médecin... - qui occupaient traditionnellement la pause du déjeuner.

La délégation souhaite que les entreprises abordent plus systématiquement la question de l'aide matérielle aux parents. A cet égard, les services aux salariés pourraient faire partie des critères retenus dans le rapport de situation comparée .

Enfin, dans certains pays européens, comme en Allemagne, les entreprises désignent en leur sein une personne chargée de veiller au respect et à l'application des dispositifs obligatoires en matière d'égalité entre les hommes et les femmes.

En France, ce dispositif existe déjà dans certaines administrations, et a vocation à être renforcé, notamment dans le cadre du plan d'action en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes dans les administrations publiques, présenté le 5 décembre 2012 par la ministre des droits des femmes.

La délégation souhaite que ce dispositif soit généralisé dans toutes les entreprises, les établissements publics et les administrations.

La délégation demande que les entreprises, les établissements publics et les administrations se dotent d'un référent égalité femmes-hommes.

Ce serait un signe fort envoyé par les organisations, qu'elles soient publiques ou privées, pour la prise en compte des problématiques d'égalité, aujourd'hui largement laissée à l'initiative des organisations représentatives.


* 45 Économiste seniore au département des études de l'Observatoire français des conjonctures économiques-Sciences-Po (OFCE), coresponsable du Programme PRESAGE (Recherche et Enseignement des SAvoirs sur le GEnre), auditionnée par la délégation le 29 mars 2012.

* 46 D'après les chiffres fournis par le ministère des droits des femmes, les femmes assurent 18 heures de travail ménager supplémentaire, par rapport au travail assuré par les hommes.

* 47 « Le poids des normes dites masculines sur la vie professionnelle et personnelle d'hommes du monde de l'entreprise » , Brigitte Grésy et Sylviane Giampino.

* 48 Président de l'Observatoire de la parentalité en entreprise (ORSE), auteur du rapport « Parentalité et égalité professionnelle hommes-femmes : comment impliquer les hommes ? » , remis à Mme Claude Greff, secrétaire d'État chargée de la famille, auditionné par la délégation le 24 mai 2012.

* 49 La charte de la parentalité a été élaborée par l'ORSE, en s'inspirant de la charte de la discrimination qui avait conduit à l'adoption de la loi du 31 mars 2006 contre les discriminations et à la création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE).

* 50 Mme Brigitte Grésy, devant la délégation.

* 51 M. Jérôme Ballarin, auditionné par la délégation.

* 52 Membre du réseau « équilibre » de la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC), auditionnée dans le cadre d'une table ronde avec les organisations syndicales le 11 octobre 2012.

* 53 Il est actuellement indemnisé selon des modalités fixées par la convention collective.

* 54 En particulier, la représentante de la CFE-CGC, lors de son audition par la commission.

* 55 Claude Raoul,  Secrétaire confédéral en charge des discriminations à la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), auditionné dans le cadre d'une table ronde avec des organisations syndicales le 11 octobre 2012.

* 56 www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/er763.pdf

* 57 Même source.

* 58 Source : Haut Conseil à la famille. Point sur la direction de l'accueil des enfants de 0 à 3 ans (mai 2012).

* 59 C'est souvent le cas pour les petites et moyennes entreprises (PME), où l'on peut cependant trouver des aménagements qui relèvent plutôt de l'accord interpersonnel.

* 60 Extrait de l'audition, par la délégation, de Mme Brigitte Grésy, le 12 juillet 2012.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page