F. ECHANGES AVEC LE PUBLIC

Michel ROCARD, ancien Premier ministre, ancien ministre du Plan et de l'aménagement du territoire

J'ajoute aux propos de Jean-Michel Charpin que si le CGP a effectivement écrit le Livre Blanc, il a aussi grandement contribué à notre inquiétude. Je tiens à rappeler que j'ai mis en place à cette époque toute une stratégie qui passait par l'accord des partenaires sociaux. Nous avions pu ainsi ouvrir le débat, notamment grâce à un diagnostic préparé superbement par le CGP et endossé par le CNPF, la CFDT et FO.

Comme l'a indiqué Hugues de Jouvenel, des prévisions trop fines ne sont pas utiles, mais les partenaires sociaux avaient donné leur accord avant la publication du rapport, qu'ils avaient cosigné. Le Livre Blanc constituait ainsi à la fois le diagnostic et la boîte à outils. Sans annoncer de mesure, il dressait un inventaire de tous les points sur lesquels il était possible d'intervenir. Une mission du dialogue sur les retraites présidée par un syndicaliste a, par la suite, été lancée pour une durée de deux ans afin que le diagnostic soit accepté et reconnu partout en France. Mon successeur a malheureusement interrompu le travail de cette mission malgré sa grande utilité. Il a annulé, de fait, la possibilité que débute la négociation entre l'Etat, les partenaires sociaux et le patronat, qui constituait l'étape suivante. La dernière étape consistait en une loi. Le point important est bien que les partenaires sociaux ont participé au diagnostic préalable.

Grégoire POSTEL-VINAY, responsable de la stratégie à la direction de la compétitivité, de l'industrie et des services

Le rapport de madame Moreau propose une initiative intéressante dans l'intégration de plusieurs organismes, dont le Conseil national de l'industrie (CNI). En effet, la composante industrielle et productive de la France semble en mauvais état et nécessite une attention particulière. Tout comme Pierre Massé aux premières heures du CGP, nous devons redonner confiance par le biais de perspectives suffisamment attrayantes pour entraîner les énergies d'une part, et assez réalistes pour ne pas créer le phénomène de défiance décrit par Hugues de Jouvenel, d'autre part.

La situation de la France dans l'Europe rend, quant à elle, indispensable l'intégration des stratégies de nos voisins européens. A titre d'exemple, les flux de population du Sud de l'Europe vers l'Allemagne ont des conséquences insoupçonnées et inédites sur la démographie et la compétitivité. Ainsi les scénarios de prospective doivent-ils intégrer les possibilités de ruptures afin d'examiner l'ensemble des situations envisageables.

Enfin, si les modèles et les économistes sont naturellement nécessaires, ils peuvent se révéler très nuisibles. En effet, les bases statistiques utilisées dans les modèles ne reflètent pas nécessairement la réalité actuelle des entreprises. Que ce soit l'interaction entre l'industrie et les services ou les effets des technologies de l'information, les données manquent. Je note que la récente communication du gouvernement sur le commerce extérieur indique que le domaine des services n'a pu être présenté en détail car les statistiques ne fournissent pas assez d'informations. Une réflexion sur les instruments de mesure paraît donc essentielle.

Jean-Claude PIEL, Union nationale des coopératives agricoles de céréales

Il n'a pas été question de l'Europe. Je propose pour la réflexion à venir une étude de cas portant sur la création de l'Europe puissance. Celle-ci est plus que jamais nécessaire dans le contexte mondial actuel. La France pourrait être le moteur de cette Europe, l'avant-garde de la renaissance de l'Europe, victime d'un avortement provoqué par l'extérieur et par le fléchissement de l'intérieur.

Jean-Claude DEVEZ, porte-parole du Pacte civique

Vos tables rondes portent sur une planification rénovée. Le rapport de madame Moreau suggère de constituer un centre de ressources, lieu de concertation et de débat public en observant la qualité des pratiques. Cela suffira-t-il pour associer les partenaires sociaux et la société civile ?

Dominique ROUSSET

Nous aborderons cette question au cours de la seconde table ronde.

Question de la salle

Comment réaliser la prospective avec la prolifération de lois que nous connaissons ? Si trop de lois et de réformes sont votées aux niveaux européen, national et même local, l'autorégulation est mise à mal et la planification semble difficile à mettre en oeuvre.

Jean-Pierre RAFFARIN

S'il existe trop de lois, c'est que la pensée n'est pas assez présente, que l'immédiat dévore. L'inflation législative contemporaine est liée à une inflation des attitudes de réactivité qui prennent le pas sur la stratégie et la pensée dans l'action publique. Plus la pensée de long terme s'imposera dans l'action publique, moins l'opportunisme dominera car c'est ce dernier qui conduit à légiférer dans l'urgence.

Jean-François VEYSSET, vice-président de la CGPME

Partenaire social, patronal au nom des petites et moyennes entreprises, j'ai été acteur de cette concertation et je témoigne de son efficacité. Je pense que nous avons su prendre les décisions responsables, raisonnables et financées pour la question des retraites, ce qui n'a pas été le cas dans le domaine de la santé et de la protection sociale. C'est pourquoi la charge de la dette ne peut pas être ignorée, tant à travers la CRDS qu'à travers la difficulté croissante à dégager les sommes nécessaires pour que les entreprises puissent continuer à investir aux côtés de l'Etat. Le défi pour demain consiste à trouver les solutions adaptées à la démographie actuelle, ainsi que les financements pour aller de l'avant.

François RACHLINE, conseiller spécial de Jean-Paul Delevoye

Le Maréchal Lyautey dit un jour à son jardinier : « j'aimerais beaucoup avoir un cèdre du Liban dans mon jardin ». Comme le jardinier lui répondit qu'« un cèdre du Liban nécessite cent ans pour pousser », le Maréchal Lyautey répliqua : « nous devons alors le planter dès cet après-midi ». Messieurs, êtes-vous d'accord pour affirmer que le présent est la conséquence du futur ?

Hugues de JOUVENEL

Evidemment.

Jacqueline DONEDDU, membre de la CGT, membre du CESE

J'ai rédigé un avis sur les missions et l'organisation de l'Etat dans les territoires, qui abordait notamment la question de la balkanisation des différentes missions auparavant exercées par le CGP. Cet avis s'interroge sur le besoin, non pas de recréer un commissariat au plan, mais sur celui d'un outil pour mettre en oeuvre plus de prospective et de planification. Je soulève trois points.

D'abord, les leviers d'intervention de l'Etat se sont amoindris, du fait notamment de la décentralisation et de la construction européenne.

Ensuite, les échelles de temps étant variables, nous devons savoir quelle place donner à l'évaluation dans la prospective et l'élaboration d'une stratégie. Nous devons déterminer la place des séquences d'évaluation, de réorientation des décisions prises.

Enfin, un commissariat à la stratégie et à la prospective va être créé. Il s'ajoutera au CESE, composé certes d'une délégation mais aussi de sections, lesquelles émettent des avis qui partent du présent avec un diagnostic partagé, discuté, pour aboutir à un consensus avec l'ensemble de la société civile organisée. Quelle articulation existera-t-il entre le CESE, le Parlement et ce futur commissariat ?

Par ailleurs, j'entends bien les experts, mais les discussions d'aujourd'hui montrent que l'expertise peut être contestée, que les indicateurs peuvent être interrogés, dans le but de parvenir à un diagnostic partagé et à un sens à donner aux orientations. Or, en matière de retraites, si le diagnostic était effectivement partagé, ce n'était pas le cas du sens donné à ce diagnostic. A la veille de la Conférence gouvernementale contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale, je veux dire que l'une des conséquences de la réforme des retraites a été l'explosion du taux de pauvreté chez les retraités. Je souhaite savoir comment ces problématiques peuvent désormais être traitées.

André-Jean GUERIN, Fondation Nicolas Hulot, membre du CESE

Nous savons depuis une cinquantaine d'années que l'évolution du monde a changé les avenirs possibles. Le PIB est moins corrélé au bien-être et l'OCDE, comme l'Union européenne, ont engagé des travaux pour multiplier les indicateurs. Comment articuler le travail prospectif avec une représentation opératoire des valeurs concrètes débattues ? Quels seront les écarts de revenus dans dix ou vingt ans au sein de la communauté nationale ? Comment se définira l'indépendance énergétique ? Quelle sera la capacité à influencer l'Union européenne et le monde ? Quels indicateurs vont-ils pouvoir orienter la construction des politiques publiques et leur évaluation ? Le CESE a une certaine expérience, partagée avec le CNIS et le Commissariat général au développement durable, sur un débat concernant les indicateurs de développement durable. Comment aborde-t-on ces points dans une approche prospective ?

Bénédicte ROLLAND

Les valeurs n'ont guère été évoquées. Une vraie définition de nos valeurs ne constitue-t-elle pas le préalable à la recherche de finalités qui orienteraient nos explorations et nos décisions ?

Dominique ROUSSET

Les indicateurs de bien-être prennent de l'importance et de nombreux experts travaillent sur la notion d'économie du bonheur. Cet élément peut être ajouté au débat.

Jean-Pierre RAFFARIN

Je suis d'accord avec Hugues de Jouvenel lorsqu'il affirme que la prospective doit débroussailler grossièrement l'avenir. Cependant, on ne gouverne pas grossièrement. Entre la prospective et la gouvernance, une dialectique existe, qu'il faut animer. C'est ici que les valeurs doivent intervenir. Nous devons accepter qu'il est à la fois nécessaire de dégager des lignes d'avenir avec une certaine netteté et de prendre en compte la société.

Hugues de JOUVENEL

Je regrette d'avoir peut être trop insisté sur l'avenir des retraites alors que le vrai problème de la France est le sous-emploi, notamment chez les jeunes et les seniors. La gauche comme la droite, en connivence avec les partenaires sociaux, ont depuis quarante ans, contrairement à nombre de nos partenaires européens, fait du sous-emploi la principale variable d'ajustement sur le marché du travail. Ce sous-emploi endémique constitue certainement un des problèmes majeurs de notre société. Il constitue une menace majeure au regard de l'avenir de notre contrat social et de l'avenir des solidarités entre et au sein des générations. Je pense que nous devons d'urgence nous attaquer à cette question. Je répondrai par ailleurs à François Rachline de planter son cèdre du Liban immédiatement car le futur n'attend pas. A trop attendre, les problèmes s'aggravent. Enfin, je confirme à Grégoire Postel-Vinay que le travail sur les indicateurs et les données est essentiel si nous voulons pouvoir appréhender la situation actuelle et l'avenir autrement qu'avec des concepts et des outils dépassés.

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