CHAPITRE V - RENFORCER LA GOUVERNANCE DE LA MODERNISATION NUMÉRIQUE DU TERRITOIRE

Il existe depuis quelques années une tendance sourde à imaginer que le marché puisse systématiquement se substituer à l'intervention publique. Même quand elle cède devant le principe de réalité, cette tendance imprègne souvent les arrangements des organisations finalement chargées de l'intervention publique.

A sa façon, le programme national du très haut débit illustre les problèmes qui en résultent. Les imperfections de marché ont été insuffisamment corrigées par les dispositifs mis en place.

Une seconde tendance, apparentée à la première, se manifeste sous la forme d'une certaine anomie de l'État. Il arrive que celui-ci veuille mais sans vouloir vraiment, ce qui le conduit à énoncer des objectifs, souvent trop flous, sans les accompagner des moyens qu'il faudrait. Dans ce contexte, souvent aussi, l'État reporte la charge, et parfois une partie de la responsabilité de ses objectifs sur les collectivités territoriales. Comme celles-ci n'ont-elles-mêmes pas toujours les moyens de se substituer à l'État, ou à des conditions particulièrement insatisfaisantes, des tensions interviennent : ou les objectifs de la politique publique ne sont pas atteints, ou ils le sont mais dans des conditions insoutenables ou très éloignées de ce qui serait satisfaisant.

Ce scénario est également à l'oeuvre de façon exemplaire dans le programme national du très haut débit.

La plupart des personnes auditionnées par vos rapporteurs ont exprimé le voeu que l'État reprenne ses responsabilités afin de réunir les conditions de succès du déploiement du THD.

Ce consensus rejoint en somme celui qui s'est formé dans votre Haute Assemblée.

Vos rapporteurs ont déjà mentionné que l'État devait assumer son rôle de financeur de l'investissement. Cette recommandation est l'une des composantes du « retour de l'État ». Ce n'en est pas la seule.

L'existence de failles dans le système d'incitations économiques mis en place et leurs effets sur le rythme de l'investissement mais aussi sur sa répartition sur le territoire ont été exposés, ainsi que certaines interrogations sur le processus que suit la décision publique dans le champ offert par la politique des télécommunications. C'était suggérer que le rôle de régulateur d'l'État dans ce champ méritait à son tour d'être repensé.

L'objectif à poursuivre ne doit pas être de revaloriser ce rôle pour le plaisir d'étatiser une politique et un dossier qui doit au contraire pouvoir continuer de reposer sur une distribution des initiatives laissant toute sa place aux initiatives décentralisées, que ce soit celles des collectivités territoriales ou celles des opérateurs privés.

Il s'agit au contraire de créer un environnement où la pluralité des initiatives permette d'atteindre les objectifs qu'on attend d'une telle configuration.

A cet effet, l'État doit poser les bases d'une diffusion dynamique de l'innovation permettant de la conduire en minimisant ses coûts administratifs.

Dans ce programme de politique publique, la coordination jouerait un grand rôle ainsi qu'une pleine responsabilisation de tous les acteurs. La politique du très haut débit doit être ouverte à un processus réellement démocratique, tant au stade de sa conception qu'à ceux de sa mise en oeuvre et de son évaluation.

Le rapport ici présenté a ce sens ; il ne doit être qu'une étape dans le « retour du Parlement », et en particulier du Sénat, comme représentant des collectivités territoriales dans un domaine où les collectivités territoriales sont des acteurs essentiels d'une politique qui, pour être d'intérêt national, est aussi la leur.

Le présent rapport a été réalisé dans le cadre de la commission de contrôle de l'application des lois dont le Président, notre collègue David Assouline , a souhaité, en plein accord avec les autres commissions du Sénat faire un aiguillon de la surveillance des politiques publiques.

La modernisation des infrastructures numériques est confrontée à des logiques socio-économiques plurielles mais où les réflexes managériaux peuvent aller à l'encontre des objectifs affichés par les régulateurs de long terme et alimenter une certaine myopie du marché.

Pour que celle-ci ne se communique pas aux pouvoirs publics, il est de la plus haute importance que le Parlement exerce pleinement son rôle de conseil de surveillance des politiques publiques.

C'est tout le sens que vos rapporteurs ont souhaité donner à leur mission. Elle devra trouver tous les prolongements nécessaires.

L'État stratège doit remplir plusieurs fonctions : il doit d'abord apporter une sécurité aux investisseurs de sorte qu'ils soient assurés contre les risques liés aux dysfonctionnements des marchés ; il doit aussi pallier les insuffisances du marché.

Dans cette dernière fonction, l'État a fait un choix structurel largement discuté par vos rapporteurs de faire largement confiance au marché. Il n'est pas allé au bout de cette logique puisque, soit comme financeur, soit comme organisateur de l'investissement public, il a laissé subsister des situations d'incohérence auxquelles il faut remédier. C'est en particulier aux franges où investissement public rencontre le marché que se posent les problèmes les plus aigus.

Dans sa première fonction, le régulateur a prévu des instruments pour prévenir les dysfonctionnements des mécanismes de marché, mais la puissance des ces instruments est en cause.

L'État stratège doit avoir pour objectif de combler ces lacunes.

Par ailleurs, le choix structurel d'encadrement du programme d'équipement en THD implique que l'État ne néglige pas l'obligation qui en découle d'assumer tous les « coûts de coordination » qui en résultent.

Sous cet angle, ce serait une faute de faire l'impasse sur la consécration du rôle des collectivités territoriales par leur participation aux institutions, quel qu'en soit le niveau, à mettre en place pour « gérer » ces coûts de coordination.

L'institutionnalisation de l'indispensable coordination des investisseurs - qui doit être un substitut efficace d'une formule d'intégration - devrait se traduire par la création d'un établissement public comme le Président de la République l'a récemment suggéré.

I. PRÉSERVER EN LES AMÉLIORANT LES ACQUIS DE LA LIBÉRATION DES INITIATIVES LOCALES

A. PRÉSERVER ET ACCROÎTRE LE POTENTIEL D'INITIATIVES DE L'ARTICLE L. 1425-1 DU CGCT

L'article L. 1425-1 ouvre largement les possibilités d'initiative locale. Les objectifs légitimes de rationalisation des RIP aux fins d'en maximiser les recettes et d'en réduire les coûts ne doivent pas réduire la faculté d'initiative des échelons infra-départementaux .

1. L'apport des échelons communaux a été précieux mais « typé »

Sur le plan financier, l'investissement total des RIP du numérique communaux s'est élevé à 659,82 millions d'euros, ce qui permet, à l'heure où des projets de les en exclure semblent être formés, de situer les enjeux financiers du maintien de l'implication des structures de ce niveau dans l'équipement numérique des territoires .

Cette contribution est d'autant plus remarquable qu'elle est intervenue dans un contexte difficile, qui a « typé » l'intervention des échelons communaux comme on va le préciser.

L'investissement des communes correspond à une moyenne de 8,9 millions d'euros par RIP dont la significativité, est en réalité, faible étant donné la grande dispersion des projets sous l'angle de leur envergure financière. A eux seuls, les trois RIP du Sipperec totalisent 95,7 millions d'euros soit 14,5 % du total.

Si l'on ajoute à ses investissements les investissements des 9 autres RIP égaux ou supérieurs à 20 millions d'euros, on relève une forte concentration des engagements financiers autour d'un peu plus de dix projets qui représentent, en cumulé, 283,7 millions d'euros d'engagement, soit 43 % du total.

Cette concentration a un prolongement géographique : les RIP de niveau communal les mieux dotés couvrent de grandes agglomérations, en particulier en Île-de-France. C'est dire si les autres projets, généralement ruraux représentent une contribution essentielle. Essentielle et pas que historique.

La variabilité des RIP de niveau communal se vérifie également sous l'angle de l'effet d'entraînement des capitaux privés et publics . Globalement, le taux d'investissement public - 345,7 millions d'euros en valeur nominale - atteint 52,3 %, ce qui conduit l'ARCEP à juger que l'investissement public exerce un effet de lever significatif.

En réalité, cet effet est variable. Seules les délégations de service public concessives donnent lieu à un cofinancement public-privé réellement appréciable mais selon une répartition très différente selon les cas envisagés.

Dans un grand nombre de cas, l'investissement est exclusivement public.

Sous cet angle encore, l'effet d'entraînement des RIP sur l'investissement privé paraît étroitement corrélé avec la densité de l'habitat à travers une concentration sur les zones très urbaines d'Île-de-France, mais aussi (pas toujours cependant) de quelques grandes métropoles régionales .

Il est somme toute logique que les projets communaux aient réuni les propriétés décrites. Elles limitent leur extension géographique mais n'ont pas empêché des projets d'apporter une précieuse contribution à l'aménagement du territoire.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page