DEUXIÈME TABLE RONDE :
« L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR, LA RECHERCHE ET LES TERRITOIRES »

Présidence de Mme Fabienne Keller, sénatrice

Mme Fabienne Keller, sénatrice. Je suis très honorée d'ouvrir cette table ronde tant votre engagement et votre excellence nourrissent la réputation de notre pays. Le rayonnement de son université et de sa recherche est l'un des facteurs de la compétitivité de notre pays.

Comment tirer parti de la richesse de notre histoire et de notre culture universitaires, ainsi que de la diversité des structures qui se sont créées dans ce domaine au fil des siècles ? Il existe, parallèlement à l'université, des écoles d'ingénieurs, de médecine et de commerce dont l'organisation, les statuts et les modes de financement et de gestion sont extrêmement divers.

Il va de soi que l'enseignement supérieur et la recherche sont complémentaires et que leur avenir est lié. La plupart des établissements sont d'ailleurs dotés d'unités mixtes et la coopération s'intensifie, mais elle est plus forte dans d'autres pays qu'en France.

De nouvelles grandes universités se sont créées dont celle de Strasbourg, premier établissement de ce type, qui a réunifié les trois universités strasbourgeoises. L'accouchement fut douloureux et j'ai souvenir que la première réunion fondatrice de l'établissement en présence de la ministre Valérie Pécresse fut difficile. Cependant, des éléments très positifs se dégagent de cette réforme. Pour ma part, je fonde beaucoup d'espoir dans la transversalité et le regroupement des disciplines, que favorise celui des universités. Pour développer ces regroupements, convient-il de fixer des règles uniformes ou des règles plus souples sont-elles préférables ? Si nous réfléchissons à un nouveau projet de loi, ne remettons pas en cause les acquis des lois précédentes et ne cassons pas la dynamique à l'oeuvre ! La loi de juillet 2007 relative aux libertés et aux responsabilités des universités a permis des avancées : tirons-en les leçons.

Étant donné les difficultés budgétaires de l'État, comment répondre aux besoins financiers considérables des universités ? Comment coopérer avec les régions et les métropoles ? Comment s'assurer que les projets des universités répondent aux critères de l'Agence nationale de la recherche (ANR) et des appels à projet de recherche internationaux ? Quelles leçons tirer de l'expérience des investissements d'avenir, retenus au terme d'un processus de sélection rigoureux, et de celle, parfois difficile, du plan Campus ?

La question des relations entre les différentes structures, l'État, les régions, les métropoles et les départements se pose également. Nous avons l'habitude de telles coopérations, comme ce fut le cas récemment avec le plan Campus et, auparavant, les contrats de projet et le plan « Université du troisième millénaire », dans le cadre duquel nous avions construit une belle programmation pour l'université de Strasbourg. Tous les niveaux de collectivité sont conscients de la chance que représente l'université, lieu d'accueil des jeunes, de créativité et de culture qui dynamise nos métropoles.

Pour ce qui est de la coopération internationale, l'Alsace par exemple a établi une coopération transfrontalière entre Mulhouse-Strasbourg et Fribourg, Karlsruhe et Bâle, au profit de 1 000 étudiants par an, étudiant en trois langues : le français, l'allemand et l'anglais.

Comme aura sans doute l'occasion de nous le redire ici Claudie Haigneré, l'appétence des filles pour les sciences reste encore très en retrait.

Enfin, je terminerai par deux cris du coeur. Puissent toutes les universités de France se regrouper de manière interdisciplinaire et proposer des catalogues de formations permettant aux étudiants de s'initier à d'autres disciplines que celles de leur majeure. Puissions-nous trouver le moyen de remédier au gâchis que constitue l'échec si massif des étudiants en première et deuxième années à l'université et mettre en place un système universitaire plus constructif auquel ils auraient envie de participer en personnes responsables.

Exposé introductif

M. Dominique Le Quéau, rapporteur territorial de la région Midi-Pyrénées aux Assises de l'enseignement supérieur et de la recherche. Mon intervention portera sur le territoire midi-pyrénéen, dont plus de 90 % du potentiel de recherche, du potentiel économique et d'enseignement supérieur sont concentrés dans la métropole toulousaine. D'autres villes de la région aspirent pourtant à une présence forte de l'enseignement supérieur sur leur territoire, comme l'ont montré de nombreux débats au cours des Assises territoriales.

L'enseignement supérieur de proximité est bénéfique à plusieurs titres pour les territoires infrarégionaux. Premièrement, il contribue au développement de la démocratie et à la lutte contre la fracture éducative - il facilite l'accès à l'enseignement supérieur et favorise la réussite des étudiants en licence -, contre la fracture sociale - le nombre de boursiers est plus important dans les cellules universitaires locales, rattachées aux universités de la métropole - et contre la fracture politique - les étudiants y sont mieux intégrés aux structures de recherche. Deuxièmement, cet enseignement supérieur de proximité apporte des facilités dans le domaine économique : il favorise l'innovation dans les petites et moyennes entreprises locales et rapproche les cultures académique et entrepreneuriale, surtout s'il s'appuie sur l'apprentissage et la formation en alternance. Il permet en particulier de trouver des cadres pour reprendre de très petites entreprises (TPE) qui sinon disparaissent bien souvent avec leur fondateur. Troisièmement, l'activité que suscite cet enseignement supérieur de proximité a un effet très positif sur la culture scientifique et technique, sur l'attractivité du territoire et donc son solde démographique.

Des difficultés demeurent néanmoins. Tout d'abord, le pourcentage du PIB consacré à la recherche publique en général, et à l'enseignement supérieur en particulier, est-il assez important pour qu'on l'utilise à des fins d'aménagement du territoire ? Faire de la recherche en partenariat entre industries et universités ou instituts universitaires technologiques (IUT) exige de créer des plateformes mutualisées, dont non seulement la constitution mais aussi le fonctionnement ultérieur coûte cher. On gagnerait donc à lier le bénéfice du crédit d'impôt recherche au développement d'activités mutualisées. Ensuite, les enseignants-chercheurs mais aussi les personnels BIATSS travaillant dans des structures déconcentrées rencontrent des difficultés de promotion. En effet, comme le dit l'adage, « loin des yeux, loin du coeur ». En outre, même si l'on développe l'interdisciplinarité, il est impossible de proposer partout toutes les disciplines. La spécialisation disciplinaire est donc indispensable et le nombre d'étudiants de master ou de doctorat dans certaines disciplines peut être faible. Enfin, la formation des enseignants, centralisée au niveau de la métropole régionale, n'est que peu présente sur le reste du territoire régional.

Quelles peuvent être les solutions ?

Premièrement, il faut développer des plateformes mutualisées qui ancrent l'enseignement supérieur dans nos territoires. Deuxièmement, la recherche amont doit s'articuler avec les spécialisations locales. Par exemple, un grand cluster d'industries mécaniques se trouve implanté au nord de la région Midi-Pyrénées. La recherche pourrait donc s'y spécialiser dans ce domaine. De même, les enjeux environnementaux - tels que les risques naturels ou les questions agricoles - sont spécifiques aux différents territoires et pourraient bénéficier d'équipes ou de laboratoires de recherche dédiés. Troisièmement, il faut mieux structurer la recherche technologique - laquelle, en termes de maturité, se situe au-dessus de la recherche amont et en dessous de la recherche industrielle - à l'échelon local, dans les établissements universitaires déconcentrés. Enfin, pour faire de la recherche, surtout au niveau international, il faut être visible : les universités fédérales sont à même d'assurer la visibilité nécessaire. Quant aux organismes publics de recherche nationaux, il leur revient de coordonner dans la même perspective l'activité de leurs réseaux sur l'ensemble du territoire.

M. Jean-Yves Le Déaut. Notre cadre juridique est mal adapté au puissant mouvement de reconfiguration des établissements qui s'opère au niveau territorial. Ainsi l'université de Lorraine a-t-elle dû opter pour le statut de grand établissement pour pouvoir regrouper des universités et des écoles d'ingénieurs. Une loi définissant un statut national unique est-elle adaptée à toute la diversité des situations locales ? Face à cette diversité, trois types de statuts ont été proposés - les fusions, les fédérations et les confédérations d'établissements. Pour ma part, je privilégie la notion de communauté d'universités qui, dans le système confédéral, consiste en la mise en commun de compétences, comme le font dans d'autres domaines les communautés d'agglomération et de communes.

Quant aux investissements d'avenir, certains les ont loués, d'autres les ont fortement critiqués ...

Mme Fabienne Keller. Selon que leur établissement avait été ou non retenu !

M. Jean-Yves Le Déaut. Nous souhaitons davantage d'égalité sur le territoire. Nous ne refusons pas le développement de l'excellence dans les universités, mais force est de reconnaître que les inégalités se sont creusées entre les établissements des métropoles et les sites universitaires plus éloignés.

Enfin, l'implication des collectivités territoriales est source de malentendus et suscite la méfiance. Certains craignent une régionalisation des universités, porteuse d'inégalités. La future loi et l'acte III de la décentralisation devront donc définir ce qui relève de la compétence de l'État et de celle des collectivités territoriales, ainsi que le contenu de l'autonomie des établissements. Le rapporteur général du comité de pilotage des Assises a laissé ouvert le choix entre un contrat unique tripartite et plusieurs contrats. En tant que premier vice-président d'une région dont les financements représentent 30% des dépenses de fonctionnement des universités de la région hors personnel, j'estime que les régions doivent être associées, non tant d'ailleurs parce qu'elles sont financeurs que du fait de leur rôle en matière économique et d'aménagement du territoire. Il ne s'agit bien entendu pas pour autant de confisquer l'autonomie accordée aux établissements.

Intervenants

M. Vincent Berger, rapporteur général du comité de pilotage des Assises. Lors des Assises nationales, les syndicats étudiants, les syndicats de personnels et la CPU ont exprimé ensemble - fait rare ! - la même crainte d'une régionalisation des universités.

Mme Fabienne Keller. Qu'en pensent ceux qui sont à l'extérieur - les citoyens, les entreprises et les organisations sociales - et qui ont également un avis sur l'université ?

M. Patrick Montfort, secrétaire général du SNCS-FSU. Le « mikado » actuel s'écroulera tout seul, même si l'on n'y touche pas. Nous devons donc réformer cet empilement de structures qui nous étouffent.

Le dispositif des investissements d'avenir a abouti à une mise en concurrence de l'ensemble des établissements à tous les niveaux. Les fonds ont été distribués sans aucun souci de politique territoriale. Des sites universitaires importants ont été écartés de la distribution et des déserts se sont formés. Ce dispositif aussi doit donc être réformé.

Il est normal que les régions aient leur mot à dire en matière d'enseignement supérieur et de recherche dans la mesure où elles contribuent à leur financement. Pour autant, elles ne peuvent être le pilote et le système ne peut pas être réorganisé à leur niveau. La politique de recherche doit être définie par l'État et relever d'organismes nationaux, les régions n'étant que des partenaires. Elles ne doivent pas introduire de contraintes supplémentaires.

M. Jean-Philippe Cassar, SGEN-CFDT. Que les universités soient autonomes ne signifie pas qu'elles sont isolées : elles doivent prendre en compte leur environnement régional ainsi que leurs partenaires. Les contrats de financement des universités autonomes doivent être élaborés de façon coordonnée, ce qui suppose de synchroniser les calendriers de l'ensemble des acteurs concernés et d'associer ces acteurs à une discussion unique portant sur la politique régionale de recherche. Il conviendrait également de faire évoluer l'implantation régionale des organismes de recherche et le rôle qu'ils peuvent jouer dans ces discussions.

La définition de cartes régionales des formations est une autre responsabilité essentielle des régions. Il faut y associer non seulement l'enseignement supérieur et la recherche mais aussi l'enseignement secondaire.

Mme Isabelle This Saint-Jean, vice-présidente du conseil régional d'Île-de-France et vice-présidente de l'Association des régions de France (ARF). Lors des Assises, l'ARF n'a absolument pas revendiqué la régionalisation de l'enseignement supérieur ! Dans sa présentation, le rapporteur a rappelé le caractère national du statut des personnels et des établissements ainsi que le cadre national des diplômes. Il n'en reste pas moins que les régions sont devenues des financeurs substantiels de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. En 2011, elles y ont contribué à hauteur d'un milliard d'euros. J'entends bien que ce n'est pas parce qu'elles sont financeurs qu'elles sont fondées à intervenir en matière d'enseignement supérieur et de recherche. Leur action en ce domaine se justifie par leur proximité. Plus proches, elles sont mieux à même que l'Etat d'assurer la réussite des étudiants, la valorisation économique de la recherche et la mise en place d'un dialogue entre la science et la société. Elles sont en outre des aménageurs du territoire. Or, la dimension de l'aménagement du territoire est essentielle pour les établissements d'enseignement supérieur et de recherche, y compris au sein d'une même région - c'est tout particulièrement vrai en Île-de-France. C'est pourquoi les collectivités régionales ont demandé que leur intervention soit prise en compte et qu'un contrat puisse être conclu entre la région, l'État reconnu comme stratège et éventuellement, les établissements concernés.

M. Marc Neveu, SNESUP. Les investissements d'avenir et les initiatives d'excellence (IDEX) visaient à la restructuration du territoire en matière d'enseignement supérieur et de recherche, même si, dans les faits, les pôles d'excellence ainsi créés se sont superposés à ceux identifiés dans le cadre du plan Campus. Cette restructuration fut, hélas, exclusivement fondée sur une concurrence, délétère, entre pôles, établissements, unités et équipes au sein de ces unités, alors que c'est la coopération qui devrait prévaloir en matière de formation et de recherche. Cette concurrence a fait éclater les équipes pédagogiques et les ensembles de base que sont les unités, et entraîné la paupérisation de l'enseignement supérieur et de la recherche. Le maillage territorial des formations a été mis à mal par cette organisation en pôles d'excellence, quantité d'étudiants, de la licence au doctorat, se trouvant exclus des formations dites d'excellence. Il faut en finir avec cette concentration de moyens sur des portions de territoires qui s'est opérée au détriment de la diversité des équipes et rééquilibrer la répartition des financements afin d'éviter la constitution de déserts scientifiques. Une loi d'orientation devra définir le statut des nouvelles entités et une loi de programmation les priorités en termes de ressources et de postes nécessaires à la constitution d'un maillage cohérent sur l'ensemble du territoire national.

M. Yannis Burgat, responsable des questions universitaires au bureau national de l'UNEF. L'enseignement supérieur a connu de profondes mutations du fait des regroupements universitaires qui ont été opérés - à Strasbourg, en Lorraine, à Aix-Marseille - dans la logique concurrentielle du plan Campus et des investissements d'avenir, sans que le moindre débat national n'ait eu lieu au préalable sur la pertinence et l'utilité de ces regroupements. Ce processus de regroupement se poursuit aujourd'hui.

Nous sommes favorables à la mutualisation et à la coopération entre établissements mais leur fusion pose problème lorsqu'elle n'est pas décidée dans un cadre démocratique et que les étudiants se sentent perdus dans ces mastodontes universitaires où leur représentation est insuffisante.

Les moyens financiers accordés aux universités doivent être rééquilibrés, les investissements d'avenir et les IDEX ayant creusé les inégalités entre les établissements et entre les étudiants. Dans les établissements sélectionnés au titre de ces programmes, le plus souvent seule une poignée d'étudiants bénéficiait au final des moyens supplémentaires.

M. Michel Eddi, directeur général de l'INRA. Les établissements publics nationaux de recherche contribuent à la dimension territoriale de l'enseignement supérieur et de la recherche. C'est tout particulièrement le cas pour l'INRA qui est, certes, un établissement public national, mais aussi est implanté dans une centaine de lieux sur tous les territoires et dans toutes les régions de France. La stratégie nationale d'un établissement lui permet de jouer son rôle d'opérateur de l'État dans le jeu de la compétition internationale. La dimension partenariale de son activité de recherche et les relations contractuelles fortes qu'il noue avec d'autres partenaires académiques ou avec des collectivités sont essentielles à la mise en oeuvre de cette stratégie.

L'INRA étant un opérateur de l'État, sa gouvernance doit rester nationale et le seul contrat global qu'il puisse conclure est avec l'État. Mais la contractualisation sur projet existe déjà entre notre établissement, les régions et d'autres partenaires : elle nous permet de savoir ce que nous partageons, de mieux coordonner nos activités et de finaliser les opérations que nous souhaitons conduire ensemble. Ce type de contrat doit préciser les thèmes concernés et la contribution financière des différentes parties. Dans ces conditions, les établissements nationaux pourront contribuer à la régionalisation et à la territorialisation de la politique d'enseignement supérieur et de recherche.

M. Bruno Revellin-Falcoz, président de l'Académie des sciences et technologies. Il y a deux ans, nous avons conduit une étude avec la DATAR et le Conseil d'analyse économique, dont les conclusions ont confirmé que les conditions nécessaires à la créativité et à l'innovation - qui s'entend comme l'industrialisation de l'invention - dans les territoires tiennent un peu à leur niveau technique et scientifique mais beaucoup aux facteurs humains et à l'environnement.

Afin d'améliorer notre compétitivité, la recherche technologique doit être bien prise en compte par le législateur.

Pour ce qui est de la coopération européenne, dans le cadre de l'Institut européen d'innovation et de technologie, des entités juridiques ont été créées sous forme de communautés de l'innovation et de la communication (CIC), regroupant des chercheurs, des centres de recherche et des industriels. Ces chercheurs y reçoivent une formation à l'entrepreneuriat. Ce modèle intéressant fait l'objet de discussions entre le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche et la commissaire européenne compétente.

M. Roger Fougères, membre du comité de pilotage des Assises. J'ai animé avec Mme Frédérique Pallez l'atelier n° 3 de ces Assises, consacré à la question de l'université et des territoires : un certain nombre de points y ont fait consensus.

Tout d'abord, les schémas régionaux de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation qu'il conviendrait de rendre obligatoires, tout en conservant le rôle stratège de l'État : les diplômes et les statuts des personnels doivent demeurer nationaux et l'État doit définir des politiques nationales, ensuite déclinées dans les territoires.

Ensuite, les collectivités, notamment les régions, devraient pouvoir passer des contrats avec les établissements et les organismes sur leur territoire. La nécessité d'une coopération entre ces trois partenaires fait consensus. La question porte sur son outil. Le contrat unique tripartite proposé par notre comité, et qui pourrait prévenir les dérives de la régionalisation, a suscité de vifs débats et a été rejeté par la plupart des participants aux Assises nationales. Si l'on opte pour des contrats séparés, il conviendra d'assurer une coordination entre les actions de l'État, des collectivités et des établissements, sur un territoire donné.

Mme Sophie Jullian, directrice scientifique de l'IFPEN. Les régions jouent un rôle important en matière de transferts technologiques car elles connaissent le tissu d'emploi et de développement économique de leur territoire. Ce sont elles les mieux placées pour s'assurer que le circuit est fluide entre apports de la recherche fondamentale et création de valeur économique. Ne perdons jamais de vue que si l'on forme des jeunes, c'est bien pour qu'ils trouvent un emploi.

M. Jean-Loup Salzmann, président de l'université Paris XIII Nord et président de la commission des moyens de la CPU. Henri Audier a eu raison d'affirmer tout à l'heure que le problème des moyens est peu abordé ! Une bonne vingtaine des propositions des Assises supposent l'allocation de moyens supplémentaires - dans un contexte budgétaire contraint. La CPU a proposé que la taxe d'apprentissage, obligatoire pour les entreprises et aujourd'hui collectée par des organismes collecteurs, puisse l'être par les universités puisque dans certaines d'entre elles, 25 % des étudiants sont en apprentissage.

Mme Simone Cassette, CGT Thalès. Notre industrie innove trop peu. Censées favoriser la recherche et l'innovation et améliorer la compétitivité de nos entreprises, les mesures prises ces dernières années ont été mises à profit par les entreprises pour dégager des marges plus élevées, pas pour développer l'emploi scientifique : les centres de recherche industrielle ont vu leurs effectifs décroître quand ils n'ont pas fermé ! En réalité, le crédit impôt recherche (CIR) n'a pas été utilisé par les grands groupes pour développer leur recherche-développement. La CGT demande donc que son attribution soit réservée aux PME qui n'ont pas les moyens de soutenir un effort de recherche sur le long terme et que les sommes ainsi économisées sur cette dépense fiscale soient allouées à la recherche publique.

Le soutien à la recherche devrait permettre d'augmenter le nombre de doctorants, plus faible en France qu'en moyenne en Europe, de recruter des docteurs et d'augmenter le nombre de femmes hautement qualifiées dans les entreprises. Il conviendrait également de rapprocher les écoles doctorales des entreprises et d'apporter aux doctorants l'aide de réseaux équivalents à ceux des écoles d'ingénieurs.

La recherche doit contribuer à notre redressement productif et répondre aux besoins de la société future. Nous devons donc promouvoir la constitution de filières industrielles, allant de la recherche fondamentale à la production, en passant par la recherche technologique - et ce, notamment dans les domaines de l'énergie, de la santé, des biotechnologies et de la mécanique, dans lesquelles la France possède des atouts. Les pôles de compétitivité n'ayant pas permis d'y parvenir, il faut les transformer en pôles de coopération et de développement territorial et faire en sorte que l'activité de recherche repose sur une collaboration équilibrée et des rapports de confiance à long terme.

M. Jean-François Girard, président du PRES Sorbonne Paris Cité. En Île-de-France, les principes sont les mêmes qu'ailleurs, qu'il s'agisse du rapprochement entre grandes écoles, universités, enseignement et recherche, ou encore de l'omnidisciplinarité. Nous sommes d'autant plus astreints à une obligation de résultat que nous avons les moyens de mettre en oeuvre ces principes.

En revanche, les enjeux d'aménagement du territoire y sont différents. Il peut être pertinent de constituer un ensemble intra et extra muros dans notre région qui accueille 40 % de nos forces scientifiques nationales. C'est un héritage que l'on peut certes considérer comme une anomalie mais dont il faut tenir compte dans le cadre de la restructuration et de la valorisation académique et économique de notre territoire, même si bien entendu doit s'appliquer le principe de subsidiarité. Ce serait une erreur que de ne pas tenir compte de la particularité de la région parisienne, où il existe aujourd'hui huit PRES. Ceux-ci doivent s'organiser entre eux et coopérer, mais on ne peut pas faire ce qui a été fait à Strasbourg...

Mme Fabienne Keller. L'Île-de-France peut néanmoins faire des efforts de regroupement et de transversalité !

M. Henri Audier, SNCS-FSU. J'ai beaucoup apprécié l'intervention du représentant de la CGT qui, quasiment pour la première fois dans ce débat, a abordé la relation entre recherche industrielle et recherche publique. Dans le système actuel, l'intérêt des régions en matière de recherche se justifie par leur rôle économique. Dès lors, va-t-on continuer à gérer l'aide à l'innovation des PME de manière centralisée ou la décentraliser ? Comment les programmes nationaux à finalité économique ou sociale seront-ils déclinés au niveau régional ? Les 20 milliards d'euros du crédit d'impôt compétitivité emploi doivent servir à valoriser la productivité de la recherche industrielle. Sinon ils seront inutiles ! Chimiste, je suis bien entendu très favorable aux liens entre recherche publique et recherche privée, dont je sais tout l'intérêt.

Depuis 2007, le montant du crédit d'impôt recherche a triplé. Or, la France ne consacre que de 1,35 à 1,4 % de son PIB à la recherche industrielle. Dans tous les autres pays de l'OCDE - qui n'ont pas mis en place de crédit d'impôt ou en ont un qui représente trois fois moins que le nôtre -, ce pourcentage a augmenté beaucoup plus vite que chez nous. La question n'est donc pas tant celle des moyens mis à disposition que de leur utilisation. Si nous ne développons pas une politique de l'offre et de l'innovation et si nous ne rénovons pas complètement notre recherche industrielle afin d'innover davantage, nous allons dans une impasse. Notre débat sur l'enseignement supérieur et la recherche risque alors de demeurer bien incompris du grand public !

Mme Claudie Haigneré, présidente d'Universcience. Je rappelle en introduction que notre débat porte sur un enjeu interministériel et recoupe trois projets de loi : celui sur l'école, celui sur l'acte III de la décentralisation et celui sur l'enseignement supérieur et la recherche. Dans la perspective de l'examen de ces textes, je souhaiterais aborder quatre points.

Premier point : le thème de l'enseignement supérieur et de la recherche doit s'articuler avec celui de l'éducation des plus jeunes. Afin de susciter davantage d'enthousiasme pour les sciences et techniques, peut-être faut-il organiser un partenariat entre les acteurs de l'éducation informelle et de l'école, renforcer la connaissance des métiers scientifiques - de l'école à l'université - grâce aux orientations guidées et lancer une campagne nationale pour susciter l'intérêt des jeunes filles à l'égard des sciences dures.

Deuxième point : la culture scientifique et technique doit être accessible à tous. Les chaînes de télévision publique ont un rôle à jouer en ce domaine. Il y a dix ans, un Science Media Centre a été créé à Londres afin de mettre en lien les journalistes et les scientifiques. Nous pourrions nous en inspirer. On dit toujours que les médias sauront mieux parler de la science lorsque les scientifiques sauront mieux parler aux médias : il s'agit donc d'un apprentissage commun. Nous devons inciter les universités et les organismes de recherche à favoriser cette accessibilité ainsi qu'une professionnalisation de la médiation scientifique. Il s'agit de mieux diffuser et partager les savoirs scientifiques et techniques.

Troisième point : nous devons structurer nos réseaux scientifiques sur tout le territoire en y déclinant les objectifs de notre stratégie nationale. La proximité jouera comme effet de levier.

Enfin, quatrième point : il convient de recréer les conditions d'un débat sur la science et les technologies afin de sortir du face-à-face entre le pouvoir et les experts et de faire participer notre société à l'élaboration de nos décisions ainsi qu'à leur suivi.

Mme Élodie Derdaele, maître de conférences de droit public à l'Université de Lorraine et adjointe au maire de Bar-le-Duc. Je partage le propos tenu sur la pertinence de l'État stratège. Le statut d'enseignant-chercheur doit rester national. Cela dit, les collectivités locales pourraient exercer des compétences d'appui afin d'aider les universités et les centres de recherche. Par exemple, la région Lorraine souffre d'une fracture territoriale : elle comprend deux grandes métropoles, Nancy et Metz, ce qui est une chance, mais aussi deux départements ruraux, les Vosges et la Meuse, qui attirent moins de jeunes que les territoires urbains. Il importe donc que les villes promeuvent l'enseignement supérieur et la recherche, et en renforcent la visibilité dans les territoires.

Mme Haigneré parlait à juste titre de la nécessité de susciter des vocations. Lorsque nous traiterons de la refondation de l'école de la République, nous aborderons notamment la question des activités périscolaires. Les villes, même de moyenne importance, peuvent elles aussi être à l'initiative d'actions de promotion des sciences et des technologies, y compris auprès des filles - lesquelles s'intéressent autant à ces sujets que les garçons à l'école primaire.

Enfin, dans le cadre de l'acte III de la décentralisation, il conviendra de clarifier les compétences des différents acteurs et de décider si la région sera ou non le chef de file des collectivités territoriales. Quoi qu'il en soit, la clause générale de compétence devra être respectée afin de permettre aux villes de s'associer à l'enseignement supérieur et à la recherche.

M. Bernard Saint-Giron, président du PRES de l'université de Paris Est. La représentation nationale se prononcera prochainement sur trois lois, parmi lesquelles la loi sur l'école et celle sur l'enseignement supérieur. Il pourrait être utile de les corréler au lieu de les traiter successivement de façon indépendante.

Il est logique que les résultats de la sélection pour les IDEX ne répondent pas aux préoccupations d'aménagement du territoire puisque les jurys n'avaient pas à prendre en compte la dimension territoriale dans leurs choix. L'excellence existe aussi en-dehors des IDEX. Comment faire en sorte que les IDEX ne se comportent pas en citadelles mais s'intègrent à un réseau scientifique irrigant l'ensemble du territoire pour faire face à l'ouverture internationale ?

Pour ce qui est du rôle à attribuer aux régions, je rappelle qu'il existe des domaines dans lesquels l'État légifère et fixe les règles ; d'autres dans lesquels il fixe les principes, et d'autres enfin, dans lesquels il a intérêt à déléguer des responsabilités. Quel est le bon périmètre en la matière ? D'aucuns ont évoqué la possibilité d'élaborer des schémas directeurs et de recourir à la valorisation. Étant donné les déséquilibres entre les régions, une péréquation sera nécessaire.

M. Joël Bertrand, directeur général délégué à la science au CNRS. J'ai entendu critiquer nos grands groupes qui n'investiraient pas assez, dans l'innovation notamment. Tous ne sont pas des voyous, tant s'en faut. La plupart sont extrêmement vertueux et réalisent des opérations importantes pour notre pays.

Les termes de « technologie », « innovation », « transfert » et « valorisation », qu'il faut bien distinguer, sont importants pour la recherche scientifique dans notre pays. Une entreprise doit avoir à son service, non pas seulement les universités ou les organismes présents dans sa région, mais tout le système universitaire et de recherche français. Inversement, une université implantée dans une région, même quand elle ne fait pas partie d'un pôle IDEX, doit s'adresser à toutes les entreprises situées en France car les questions industrielles se traduisent souvent en termes scientifiques et inversement. Nous devons tirer parti autant que possible de l'ensemble des compétences mises en commun.

M. Laurent Diez, secrétaire général du SNPTES-UNSA. Le concept d'université fédérale demeure virtuel et flou car les situations sont complexes et diffèrent d'une région à une autre. Le cadre juridique doit nécessairement rester national et identique pour tous. Pourquoi ne pas reprendre le modèle du bloc communal, doté de compétences obligatoires et facultatives et l'appliquer aux structures universitaires existantes ?

Les conventions créant les plateformes de mutualisation doivent être conclues entre tous les types d'établissements d'enseignement supérieur - écoles, instituts, universités - et d'organismes de recherche. Mais ces plateformes doivent-elles être mises en place dans un cadre institutionnel tel que celui, actuel ou futur, des PRES, ou bien tout simplement entre établissements ? La deuxième solution serait plus simple, permettant de conserver de la lisibilité, tant au niveau local pour les étudiants qu'aux niveaux national et international.

Les collectivités territoriales, en premier lieu les régions, mais aussi les métropoles urbaines, sans oublier les territoires ruraux, apportent beaucoup à l'enseignement supérieur et à la recherche, non seulement par la voie financière mais également en contribuant à la vie universitaire.

M. Morgan Marietti, président de l'Association nationale des apprentis de France. Pour les apprentis et les étudiants en alternance, les régions sont les premiers financeurs, et donc les premiers partenaires. Or, certaines d'entre elles exercent un chantage financier en finançant des formations en alternance débouchant directement sur une insertion professionnelle, ce qui empêche les étudiants de poursuivre leurs études comme ils pourraient le souhaiter parfois. Il faut ruser pour contourner l'obligation.

Il conviendra de bien faire le lien entre les différentes lois qui seront votées l'an prochain en matière d'enseignement : la loi sur l'enseignement supérieur, la loi sur l'école et la loi sur la formation professionnelle.

Enfin, nous sommes favorables à ce que les universités collectent la taxe d'apprentissage, à condition que les fonds collectés reviennent aux premiers concernés.

M. Stéphane Tassel, secrétaire général du Syndicat national de l'enseignement supérieur. Nous assistons à une recomposition profonde du tissu universitaire. La situation de l'université de Strasbourg n'est absolument pas comparable à celles de Nancy, d'Aix-Marseille ou du PRES Paris Est ! Unifier le service public ne signifie en aucun cas l'uniformiser. Il n'empêche qu'un même cadre législatif doit s'appliquer à tous les établissements et inclure les situations particulières. La création d'universités fédérales soulève des interrogations : comment les éléments plus petits s'intègrent-ils dans l'ensemble ? Ainsi, dans le cas de la grande université unifiée de Strasbourg, quel est l'avenir pour l'université de Mulhouse ?

Nous craignons que la procédure d'habilitation des masters sanctionnant la formation des enseignants ne constitue un galop d'essai pour remettre en question le cadre national des diplômes de master et de doctorat.

Pour ce qui est de la procédure nationale de qualification des enseignants chercheurs, dont le statut doit demeurer national, nous proposons, afin d'alléger la tâche, que certains emplois soient regroupés dans des périmètres qui pourraient être à peu près ceux de PRES.

Enfin, la loi d'orientation pour l'enseignement supérieur, la loi d'orientation et de programmation pour l'école et l'acte III de la décentralisation devront bien entendu s'articuler avec la programmation des moyens accordés à la recherche et à l'enseignement supérieur.

M. Louis Vogel, président de la CPU. C'est avec un État stratège, un État fort, que les universités doivent conclure des contrats déclinant des politiques nationales sur un territoire. À cet égard, la notion de « compétence d'appui », déjà évoquée, est tout à fait pertinente. Une université doit bien sûr travailler en étroite collaboration avec les différents niveaux de collectivités du territoire sur lequel elle se trouve, tant pour l'insertion que pour la formation et les programmes de recherche. Mais les politiques demeurent nationales !

Par ailleurs, l'excellence existant partout sur notre territoire, nous devons éviter toute rupture entre les pôles IDEX et les structures de recherche de rang inférieur, car ce sont les chercheurs de ces structures qui rejoindront ensuite les pôles. La mise en place des IDEX ne doit pas porter préjudice aux structures telles que les Labex et les Équipex, dont l'un des buts est précisément de rééquilibrer les choses.

Enfin, la future loi devra préserver la cohérence du système en favorisant la contractualisation avec l'État et l'élaboration de schémas territoriaux, non seulement en matière de recherche mais aussi de formation et de vie étudiante.

M. Jean-Marie Maillard, Sauvons l'université (SLU). Lors des Assises territoriales, dont les chercheurs, les enseignants-chercheurs et a fortiori les BIATSS ont été exclus au profit des présidents et vice-présidents de structures
- il semble qu'il fallait au minimum être recteur pour avoir voix au chapitre ! -, il a tellement été dénié qu'il s'agisse de régionalisation ou de territorialisation de l'enseignement supérieur et de la recherche que nous finissons par penser que c'est bien de cela dont il s'agit.

Cette territorialisation risque d'entraîner une rupture d'égalité entre les territoires, une concurrence entre les blocs régionaux et l'émergence de véritables baronnies universitaires remettant en cause le caractère démocratique du système. Il ne s'agit pas là d'un procès d'intention, mais d'un jugement porté a posteriori à partir des pratiques constatées. Ainsi, dans le PRES de Paris VI, le processus de sélection de l'IDEX s'est déroulé dans l'opacité la plus totale : les élus des différents conseils, qui avaient demandé à avoir connaissance du projet, n'y sont jamais parvenus. Les membres du sénat académique du PRES eux-mêmes ont été tenus à l'écart.

Mme Marie-Bernadette Albert, SUD Recherche EPST. Le syndicat au nom duquel je m'exprime représente les personnels, titulaires ou précaires, des organismes de recherche : chercheurs, mais aussi ingénieurs ou techniciens, ces grands absents des Assises.

Les Assises n'ont pas été un modèle de démocratie, étant donné le poids qui y a été donné aux institutions ! En outre, plusieurs sujets importants avaient été réglés en amont : qu'il s'agisse du budget 2013 ou du crédit impôt recherche, le débat était verrouillé. Pour nous, ces questions restent donc ouvertes.

Oui à un État stratège, mais quelle stratégie l'État peut-il mettre en place si les organismes nationaux, qui constituent normalement ses bras armés, consacrent près de 90 % de leurs dotations budgétaires à la masse salariale, n'ont plus de moyens pour faire de l'évaluation et de la programmation et sont réduits à n'être que des hôtels à projets, les financeurs décidant seuls des orientations de recherche ? Il importe de restaurer les capacités de financement, de programmation et d'évaluation des organismes de recherche. Les régions peuvent certes être des partenaires mais il ne faut pas qu'elles contribuent comme aujourd'hui à la précarité en finançant des projets avec CDD à la clé, ni ne déstabilisent les salaires en rémunérant chacune à leur guise doctorants et post-doctorants, ce qui aboutit à d'importantes disparités.

M. Laurent Batsch, président de Paris-Dauphine. Le cadre national de notre système n'a pas empêché les différenciations et les inégalités. Au contraire, les établissements ne se battent jamais mieux que lorsque les régions les soutiennent et n'ont jamais été aussi d'aussi bons gestionnaires - y compris de leur masse salariale insuffisante ! - que depuis qu'ils sont autonomes. La première question est de savoir si l'on veut renforcer ou atténuer la régionalisation et l'autonomie des universités. J'estime pour ma part qu'il faut renforcer les deux.

Quant au bilan qui a été dressé du programme des investissements d'avenir, il a été quelque peu expéditif, presque gênant pour les équipes qui y ont tant travaillé. D'aucuns dénoncent les inégalités créées par la mise en place des IDEX mais l'excellence y a été reconnue sous des formes très diverses. Il ne suffit pas d'en appeler à un État stratège, il faut définir la stratégie que l'on souhaite. Car si l'État a fixé le but pour les IDEX, il a laissé le choix des moyens aux acteurs et certaines équipes et certains établissements se sont choisis. Je suis toujours surpris que les mêmes qui invoquent la cause des personnels et la démocratie veuillent leur imposer un modèle unique.

Certains PRES d'Île-de-France ont choisi des modèles d'organisation dont l'élaboration et la mise en oeuvre leur ont demandé beaucoup de temps et d'énergie. Les statuts qui en résultent peuvent être ceux d'une fondation de coopération scientifique. Allons-nous devoir tout recommencer à zéro ? Va-t-on nous forcer à entrer dans le moule unique de cette université fédérale, confédérale ou que sais-je ? L'imposition d'un tel modèle ne semble motivée que par la phobie que suscite le grand établissement Université de Lorraine.

Un représentant de la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE). On craint que les formations ne soient régionalisées. Elles le sont déjà dans le secteur sanitaire et social. Or, bien que ces formations soient habilitées par les agences régionales de santé, on constate d'importantes disparités dans leur qualité.

Le rôle des régions, des autres collectivités et des entreprises implantées sur nos territoires est important, notamment au sein des conseils de perfectionnement - lesquels devraient être développés comme le propose le comité de suivi de la licence. C'est néanmoins l'État stratège qui doit définir la carte des formations comme prévu par la loi. Celle-ci, hélas, n'est pas appliquée. Le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER), qui a la mission de veiller à la carte des formations, n'est pas en mesure de le faire pour diverses raisons, dont l'une est tout simplement que les intitulés des formations sont illisibles - ce à quoi le comité de suivi de la licence propose de remédier. La rationalisation des formations devra se faire non pas au niveau de la licence, qui doit rester un niveau de proximité, mais sans doute du master et nécessitera l'attribution d'aides à la mobilité intra-nationale, de façon à inciter les étudiants à aller là où se trouve l'excellence. Jusqu'à il y a peu, il semblait plus facile de bénéficier d'une aide à la mobilité internationale qu'intra-nationale !

Mme Michelle Lauton, secrétaire générale adjointe du SNESUP-FSU. J'aborderai trois points. Tout d'abord, lors de la constitution des PRES, on a permis le regroupement d'établissements privés ou consulaires, ce qui peut poser problème, puisque la loi autorise les PRES ayant opté pour le statut d'EPCS (établissement public de coopération scientifique) à délivrer des diplômes nationaux. La conjugaison de ces deux possibilités remet en cause le monopole universitaire de la collation des grades.

Ensuite, les formations doivent être réparties sur l'ensemble des territoires afin que certaines d'entre elles puissent continuer à exister - en grec, en génie mécanique, etc.

Enfin, il importe d'attirer davantage de filles et de femmes vers les études scientifiques. Comme l'a mis en évidence un rapport récent, le problème se pose même dans des disciplines où l'on ne s'y attendait pas, comme les mathématiques. Il faut de même remédier à la sous-représentation des femmes parmi les professeurs d'université et d'une manière générale, dans les postes à responsabilité.

M. Gilles Dowek, chercheur à l'Institut national de recherche en informatique et automatique (INRIA). Nulle part dans le monde, sur aucun continent, je n'ai vu de petite faculté qui soit une bonne faculté. Les petites facultés qui se trouvent sur de grands campus ou à quelques kilomètres seulement d'une grande université tirent leur épingle du jeu car elles ont la chance de bénéficier des avantages de la vie universitaire de ces établissements dont la masse critique garantit la qualité de la recherche et de l'enseignement. Mais en France, nombre de ces facultés de petite taille sont situées à une centaine de kilomètres d'un grand pôle universitaire. Or, notre pays a sans doute la capacité d'accueillir douze à quinze pôles de ce type mais pas cent ni même cinquante ! Ces petites facultés gagneraient à être fermées et regroupées au sein d'un pôle universitaire régional. Cela pose bien sûr un problème d'égalité d'accès pour les étudiants qui n'habitent pas dans une métropole régionale mais la solution n'est pas d'ouvrir partout des facultés, comme on le ferait pour les écoles maternelles. Mieux vaut aider les étudiants à rejoindre une grande métropole en leur attribuant des bourses et des chambres en cité universitaire. Ils y auraient accès à une véritable vie étudiante et à une offre importante d'enseignements, de séminaires et d'activités scientifiques, éléments déterminants de la réussite.

Mme Fabienne Keller. Je vous remercie tous pour votre contribution à ce débat. Jean-Yves Le Déaut a la tâche redoutable de synthétiser les éléments pouvant être repris dans une loi. Cela étant, la loi ne fait pas tout. Elle doit s'en tenir à fixer des principes sans être bavarde. Elle doit laisser de la place pour le dialogue.

Il a été intéressant d'entendre les critiques formulées à l'encontre des IDEX. Mais lorsqu'on recherche l'excellence, des choix douloureux sont inévitables. Pour ce qui est des autres dispositifs évoqués, si leur méthodologie mérite d'être analysée en détail et peut-être amendée, ils ne doivent pas être supprimés.

Il importe de développer le savoir des jeunes en formation mais aussi leur curiosité, leur esprit critique, et leur envie d'entreprendre et de devenir acteurs de notre société. Travaillons tous ensemble à la réussite de nos étudiants !

M. Jean-Yves Le Déaut. Les conclusions des Assises n'étaient pas fixées d'avance ! Preuve en est que c'est à leur issue que le rapporteur général a formulé des propositions, dont nous débattons ici. Il est très rare que nous ayons l'occasion de débattre en amont de l'élaboration d'une loi.

Les élus nationaux que nous sommes ne sont pas favorables à la régionalisation de l'enseignement supérieur et de la recherche ni à ce que les universités soient enfermées dans un carcan unique. Nous cherchons simplement à faire évoluer notre système universitaire afin que la France de demain soit plus forte.

En tant que chefs de file dans le domaine économique, les régions doivent bien évidemment jouer un rôle en matière d'innovation. En lien avec Universcience, elles sont bien placées pour diffuser la culture scientifique et technique. Compétentes en matière de formation professionnelle, elles peuvent contribuer à la promotion de l'alternance, de la formation tout au long de la vie et des formations professionnalisantes dans les universités. Mais elles n'ont aucun intérêt à devenir seules compétentes.

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