INTR ODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, le Parlement français est informé et appelé à se prononcer, en vertu de l'article 35 de la Constitution, sur la décision du Président de la République, chef des armées, et du Gouvernement, de faire intervenir les forces armées à l'étranger.

Il s'agit là d'une réforme importante qui, tout en favorisant un certain rééquilibrage des institutions en faveur du Parlement dans un domaine longtemps réservé à l'exécutif, a conservé l'autonomie de décision et d'action présidentielle qui caractérise la V ème République.

La consultation du Parlement sur sa décision de faire intervenir les forces armées à l'étranger se déroule en fait en deux temps :

- dans un premier temps, en vertu de l'article 35, alinéa 2, le Gouvernement informe le Parlement, dans les trois jours de l'intervention, par tous moyens, et un débat peut avoir lieu en séance publique, qui ne donne pas lieu à un vote. C'est ainsi que le Sénat a débattu, le 16 janvier dernier, de l'intervention au Mali ;

- dans un deuxième temps, en vertu de l'article 35 alinéa 3, " lorsque la durée de l'intervention excède quatre mois, le Gouvernement soumet sa prolongation à l'autorisation du Parlement ." Le Parlement se prononce alors par un vote, qui vient sanctionner une décision relevant jusqu'alors de l'exécutif seul.

À ce jour, la nouvelle procédure d'autorisation de la prolongation au-delà de 4 mois d'intervention a été mise en oeuvre à trois reprises :

- une première fois, le 22 septembre 2008, à l'issue du vote de la révision constitutionnelle, sur l'engagement des troupes françaises en Afghanistan ;

- une deuxième fois, le 28 janvier 2009, concernant plusieurs théâtres d'opérations extérieures : Côte d'Ivoire, Kosovo, Liban, ainsi que Tchad et République centrafricaine ;

- une troisième fois, le 12 juillet 2011, pour la prolongation de l'intervention en Libye.

En vertu de la Constitution, le Parlement doit aujourd'hui autoriser la prolongation de l'intervention qui a débuté au Mali le 11 janvier 2013. C'est pour préparer ce vote au Sénat que le groupe de travail « Sahel » de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées présente ce rapport d'information. Il a été rédigé sur la base d'un déplacement à Bamako les 23 et 25 février dernier, et de nombreux entretiens dont la liste figure en annexe.

I. UNE INTERVENTION JUSTIFIÉE CONFIRMANT LA CAPACITÉ DES FORCES FRANÇAISES ET RÉVÉLANT LES FAIBLESSES DE L'EUROPE DE LA DÉFENSE

A. UNE INTERVENTION JUSTIFIÉE

1. Les intérêts en jeu : français, européens, africains, de droit international, justifiaient d'agir

Certains commentateurs ont tenté de présenter l'intervention française au Mali comme une résurgence de la « Françafrique » où l'ancien colonisateur se poserait en gendarme dans son ancienne colonie, au mépris de sa souveraineté et au nom d'un prétendu agenda caché.

Cette affirmation ne résiste pas à l'analyse, tant il est manifeste que les intérêts européens et français en jeu se sont combinés avec l'appel au secours d'un pays central en Afrique de l'Ouest, dans le cadre de la légalité internationale, pour justifier pleinement l'intervention française.

Il ne s'agit pas d'une ingérence qui aurait violé la souveraineté d'un pays indépendant. Au contraire, il s'agit d'une assistance apportée à un pays ami en grand danger, dont l'intégrité territoriale avait été violée par des groupes terroristes entendant imposer leur loi - et quelle loi ! - et dont non seulement la souveraineté mais la survie même eussent été compromises, si les éléments islamistes armés avaient pu continuer leur raid vers le Sud. L'intervention de la France s'est faite en vertu de l'article 51 de la Charte des Nations unies et a donné lieu à une réunion du Conseil de Sécurité, qui a confirmé la légitimité et la légalité de l'intervention française.

Il va de soi que la « négociation » politique, naturellement toujours préférable à la violence, n'était plus une option, à partir du moment où les colonnes d'AQMI, du MUJAO et d'Ansar Dine marchaient sur Bamako

Sans qu'il soit besoin de développer trop avant une argumentation qui n'est plus aujourd'hui remise en cause par personne, qu'il soit permis de rappeler les principaux enjeux pour notre sécurité :

- 6 000 Français et 1 000 Européens résident au Mali, 35 000 Français 1 ( * ) dans la bande sahélo-saharienne ; 80 000 en Afrique de l'Ouest ; 200 000 sur le continent africain. De très nombreuses entreprises françaises y exercent des activités. Environ 100 000 Maliens vivent en France. Sans l'intervention de l'armée française, c'est tout un pays qui aurait été livré aux preneurs d'otages ;

- les conséquences de l'établissement d'un sanctuaire terroriste aux portes de l'Europe auraient été désastreuses non seulement pour les Occidentaux et les Européens, comme viennent tristement le rappeler les récentes prises d'otages, mais aussi pour toute la sous-région sahélienne et l'Afrique occidentale, qui aurait été profondément déstabilisée : le Mali est un pays continental qui a 7 frontières 2 ( * ) ... ;

- nos intérêts économiques ne sont pas déterminants, même si le gaz et les hydrocarbures présents en Afrique représentent 30 % de nos approvisionnements et si au Niger est extraite une grande part de l'uranium nécessaire à la production d'électricité française d'origine électronucléaire;

- la France et l'Europe ne peuvent se désintéresser de l'Afrique qui est depuis des décennies leur profondeur stratégique, qui sera demain plus peuplée que l'Inde et la Chine (en 2050 l'Afrique aura 1,8 milliard d'habitants, contre 250 millions en 1950), qui recèle la plupart des ressources naturelles, désormais raréfiées, et qui connaît un décollage économique certes inégal mais sans précédent, qui n'est plus seulement porté par l'envolée du cours des matières premières mais aussi par l'émergence d'une véritable classe moyenne ;

- on ne peut laisser croire que ce serait à la suite de l'intervention au Mali que la France serait devenue, avec les récentes prises d'otages de nouveaux ressortissants français, la cible des terroristes. La menace préexistait indéniablement, tout comme le risque d'infiltrations terroristes sur notre territoire. Il suffit de regarder les déclarations et actions du GIA, du GSPC et d'AQMI depuis 20 ans pour s'en convaincre.

Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008 avait retenu 7 principes directeurs pour qualifier la pertinence d'un engagement extérieur. Cette grille d'analyse conserve sa pertinence :

Intervention à l'étranger : les 7 principes du Livre Blanc de 2008

- Caractère grave et sérieux de la menace contre la sécurité nationale ou la paix et la sécurité internationale.

- Examen, préalable à l'usage de la force armée, des autres mesures possibles, sans préjudice de l'urgence tenant à la légitime défense ou à la responsabilité de protéger.

- Respect de la légalité internationale.

- Appréciation souveraine de l'autorité politique française, liberté d'action, et capacité d'évaluer la situation en permanence.

- Légitimité démocratique, impliquant la transparence des objectifs poursuivis et le soutien de la collectivité nationale, exprimé notamment par ses représentants au Parlement.

- Capacité d'engagement français d'un niveau suffisant, maîtrise nationale de l'emploi de nos forces et stratégie politique visant le règlement durable de la crise.

- Définition de l'engagement dans l'espace et dans le temps, avec une évaluation précise du coût.

2. Le consensus international et national autour de cette intervention ne s'est d'ailleurs pas fissuré
a) Un intense travail de préparation diplomatique a permis d'établir les conditions d'une adhésion de la communauté internationale

C'est une intense séquence diplomatique , à l'initiative du Président François Hollande, ouverte par l'Événement de haut niveau sur le Sahel, en marge de l'Assemblée générale des Nations unies, le 26 septembre dernier, qui a permis de façonner un consensus international sur un sujet qui ne figurait pas jusqu'alors en tête de l'agenda international.

Indéniablement, la France a su mobiliser tant la communauté internationale que les États africains, et nos partenaires européens. Cela montre la crédibilité dont elle dispose encore aujourd'hui notamment pour ce qui concerne l'Afrique.

Même si les événements ont précipité un scénario alternatif à celui que la France avait initialement préconisé (intervention conduite par les forces africaines) et qui a donné lieu à la résolution 2085 -auquel, il faut le dire, tous nos alliés n'avaient d'ailleurs pas immédiatement adhéré- le travail de persuasion diplomatique avait été accompli.

Ce consensus, qui a réuni, il faut le noter, l'ensemble des membres permanents du Conseil de sécurité, y compris la Russie et la Chine , s'est manifesté par l'adoption de quatre résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. Le soutien unanime des 27 États membres de l'Union européenne à l'intervention française a été solennellement affirmé par plusieurs conclusions du Conseil européen. Les organisations régionales africaines, qu'il s'agisse de la CEDEAO ou de l'Union Africaine, ont également apporté leur soutien à l'intervention au Mali. Enfin, l'Algérie, il faut le noter, en dépit de réticences bien compréhensibles à voir se dérouler un conflit armé impliquant une puissance étrangère sur son flanc sud, fait montre d'un esprit constructif de coopération.

D'ailleurs il faut observer que l'éventuel questionnement sur la base légale de l'intervention française (article 51 de la Charte des Nations unies, et non pas résolution 2085 du Conseil de sécurité) n'a pas émergé dans le débat public, preuve s'il en était besoin que la légitimé et la légalité de cette intervention n'étaient pas contestées.

LES QUATRE RÉSOLUTIONS DU CONSEIL DE SÉCURITÉ DES NATIONS UNIES

Trois résolutions placées sous chapitre VII de la Charte traitant de la crise malienne ont été adoptées par le Conseil de Sécurité des Nations unies : la résolution 2056 , adoptée le 5 juillet 2012, la résolution 2071 , adoptée le 12 octobre 2012, la résolution 2085 adoptée le 20 décembre 2012. Une quatrième résolution devrait être adoptée fin avril 2013.

La résolution 2071 appelle les autorités maliennes à engager un dialogue politique avec les acteurs du Nord-Mali et menace de sanctions les groupes armés au Nord-Mali qui ne se dissocieraient pas des mouvements terroristes. Cette résolution demandait au Secrétaire général des Nations unies de présenter un rapport, en concertation notamment avec l'UA et la CEDEAO en vue duquel le Conseil de Sécurité pourrait autoriser le déploiement d'une opération africaine au Mali, pour permettre aux Maliens de recouvrer leur souveraineté et l'intégrité de leur territoire tout en participant à la lutte contre le terrorisme international. La résolution 2085 autorise le déploiement au Mali, pour un an, d'une force militaire internationale sous contrôle africain (la MISMA), visant à aider le pays à restaurer son intégrité territoriale au Nord.

b) Le très large consensus des forces politiques françaises s'est exprimé à l'occasion de plusieurs débats au Parlement

Le très large consensus des forces politiques françaises qui s'est formé autour de la décision d'intervention au Mali s'est manifesté par plusieurs débats au Parlement. Certains extraits des débats du 16 janvier, tenus en application de l'article 35 de la Constitution, puis du 19 février au Sénat (débat de politique étrangère) figurent en annexe du présent rapport.

L'information des commissions parlementaires concernées a été continue depuis le début des opérations, au moyen d'une audition hebdomadaire, le plus souvent du ministre de la défense en ce qui concerne la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, mais aussi de plusieurs auditions du ministre des affaires étrangères. Ces auditions, tenues le plus souvent à huis clos, ont permis des échanges très approfondis, tout en préservant le secret nécessaire pour le bon déroulement des opérations.


* 1 S'agissant des seuls Français immatriculés il s'agit d'une estimation basse, les communautés françaises étant sans aucun doute plus nombreuses

* 2 Algérie, Mauritanie, Sénégal, Guinée, Côte d'Ivoire, Burkina Faso, Niger

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