C. LE MALI, RÉVÉLATEUR DES FAIBLESSES DE LA POLITIQUE DE DÉFENSE EUROPÉENNE

Le groupe de travail 7 ( * ) de la commission des affaires étrangère et de la défense du Sénat spécialement constitué pour traiter de la question : « Quelle défense pour quelle Europe ? », notamment en vue du Conseil européen de décembre 2013 consacré à l'Europe de la défense, sera sans doute à même de tirer toutes les conclusions des enseignements de la crise malienne pour l' « Europe de la défense », dans son rapport qui sera publié d'ici la fin de l'été.

Le rapport de M. Hubert Védrine sur les conséquences du retour de la France dans le commandement intégré de l'OTAN, a fait le constat d'une « Europe de la défense » en sommeil. C'est à l'élaboration de solutions concrètes que s'est attelé ce groupe de travail, dont le rapport prend d'ailleurs, dans le contexte actuel, toute son importance, tant un nouvel élan paraît indispensable pour avancer plus avant dans la voie d'une défense européenne autonome et efficace.

Pour l'heure, vos rapporteurs se limiteront à constater un paradoxe frappant : alors que l'Union européenne a adopté en 2011 une « Stratégie intégrée pour le Sahel » faisant de cette région l'une de ses zones prioritaires d'action, ses initiatives propres pour résoudre la crise malienne sont pourtant singulièrement limitées, ou plutôt, cantonnées à certains domaines comme la formation de l'armée malienne

On peut rappeler aussi que le concept « Recamp » de restauration des capacités de sécurité africaines, initialement porté par la France (cf. ci-après) a été repris à son compte par l'Union européenne (concept « Eurocamp ») qui a défini à Lisbonne en 2007 un projet de partenariat stratégique avec l'Union Africaine, prenant en compte l'émergence d'un échelon continental africain de prévention et de gestion des crises.

Les réponses européennes à la crise malienne, pour limitées, ne sont pas non plus totalement inexistantes , ce qui distingue, certes, le cas malien du cas libyen où l'Union européenne est restée singulièrement absente. L'Union européenne a su mettre en place une action commune au Mali, même si limitée au soutien politique, à la formation des soldats maliens et à l'aide au développement.

Certains n'hésitent pas à relever que les organisations africaines (Union Africaine, CEDEAO), malgré la faiblesse de leurs moyens, ont été finalement plus promptes à réajuster leurs dispositifs militaires dans les jours qui ont suivi le 11 janvier 2013 que les institutions européennes, qui se seraient finalement contentées d'accélérer un processus déjà en cours (EUTM-Mali).

Peut-être ne s'agit-il tout simplement que d'un manque d'appétence réel, au-delà des affichages, de nos partenaires européens pour un continent, l'Afrique, qu'ils considèrent à tort comme périphérique et sur lequel se joue pourtant une partie de l'avenir de la sécurité et de la prospérité de l'Europe. Force est de constater que la priorité stratégique qu'accorde la France à ses marges méridionales n'est pas partagée par certains Etats membres. Vu sous cet angle, avoir réussi à mobiliser des soldats de 22 nationalités 8 ( * ) européennes pour la formation de l'armée malienne pourrait finalement avoir constitué un succès d'étape. Ce déficit de mobilisation collective fait paradoxalement des Canadiens et des Américains, aux côtés naturellement des Britanniques et des Belges, nos principaux partenaires au Mali aujourd'hui.

1. Le Sahel, une zone pourtant prioritaire de l'action extérieure européenne

Deux résolutions manifestent symboliquement que d'un point de vue médiatique du moins, le Sahel est une priorité de l'action extérieure de l'Union européenne.

• La stratégie intégrée de l'Union européenne pour le Sahel (septembre 2011)

Le service européen pour l'action extérieure a rendu publique en septembre 2011 une « Stratégie pour la sécurité et le développement au Sahel » qui concerne essentiellement le Mali, la Mauritanie et le Niger, et s'articule autour de quatre lignes d'action complémentaires :

- développement, bonne gouvernance et règlement des conflits internes ;

- politique et diplomatie: promouvoir une vision et une stratégie communes pour s'attaquer aux menaces transfrontalières ;

- sécurité et État de droit : renforcer les capacités des États concernés dans les domaines de la sécurité, du maintien de l'ordre et de l'État de droit ;

- prévention et lutte contre l'extrémisme violent et la radicalisation.

Chaque ligne d'action stratégique donne lieu à des actions concrètes, dotées au total d'un budget de 167 millions d'euros .

Vos rapporteurs se rendront prochainement à Bruxelles auprès des institutions de l'Union européenne pour évaluer l'état exact de mise en oeuvre de cette stratégie intégrée.

• Le soutien à l'équipement des forces africaines

Lors de la conférence des donateurs du 29 janvier dernier, l'Union européenne s'est engagée à soutenir financièrement les troupes de la MISMA par l'intermédiaire de la « facilité de paix » pour l'Afrique, et ce à hauteur de 50 millions d'euros.

• La nomination d'un représentant spécial de l'Union européenne pour le Sahel (mars 2013)

Autre signal politique, le Conseil a nommé le 18 mars 2013 en la personne de l'ambassadeur français M. Michel Reveyrand de Menthon un Représentant spécial de l'Union européenne pour la région du Sahel, manifestant là encore son intérêt particulier pour la région.

D'après les termes du communiqué du Conseil, « Ce Haut représentant est chargé de contribuer aux efforts régionaux et internationaux en faveur d'une paix, d'une sécurité et d'un développement durables au Sahel, et de coordonner également l'approche globale de l'UE à l'égard de la crise qui sévit dans cette région, en se fondant sur la stratégie de l'UE pour la sécurité et le développement dans la région du Sahel . ».

2. Une action cantonnée mais significative
a) La formation de l'armée malienne, principale réponse européenne à la crise malienne

Concrètement, l'action de l'Union européenne depuis le déclenchement de la crise malienne, se concrétise par :

- un appui politique sans réserve à l'opération SERVAL conduite par la France,

- une aide logistique (dans un cadre bilatéral) de certains États membres, limitée mais extrêmement appréciable, comme ce fut le cas notamment de l'appui britannique, danois, belge, suédois, hongrois... en termes de transport de troupes et de matériels par exemple ;

- une action proprement européenne de formation de l'armée malienne (EUTM Mali), conçue avant l'intervention française mais dont la mise en oeuvre a été accélérée ;

- la reprise de l'aide au développement (250 millions d'euros) ;

- des crédits pour :

. l'équipement des forces africaines de la MISMA (50 millions d'euros),

. l'accompagnement du processus électoral au Mali (20 millions d'euros issus de l'instrument de stabilité)

. et pour les situations d'urgence humanitaire (plus de 100 millions d'euros en 2012).

Cette action, certes significative, est toutefois cantonnée. Faut-il s'en satisfaire ?

En particulier, certains observateurs estiment que l'opération au Mali aurait pu être l'occasion « idéale » de mettre en place un groupement tactique de l'Union européenne, ou « battlegroup ». En d'autres termes, pourquoi n'y a-t-il pas eu d'opération « EUFOR-Mali » ?

Plusieurs conditions étaient réunies - un cadre juridique international solide, un certain consensus européen, une demande légitime de l'État concerné-. La plupart des éléments doctrinaux étaient également présents : crise, hors d'un territoire européen, à moins de 6000 km de Bruxelles, où une intervention rapide est nécessaire avant le relais à une autre force.

Le concept opérationnel des groupements tactiques prévoit expressément ce type de missions. « Les groupements tactiques peuvent être employés pour l'éventail complet des tâches e'nume're'es a` l'article 43, paragraphe 1, du traite' sur l'Union européenne et pour celles qui sont énoncées dans la Strate'gie europe'enne de se'curite'. ». Parmi ces actions figurent : « les missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris les missions de rétablissement de la paix ... » comme l'objectif de « contribuer à la lutte contre le terrorisme, y compris par le soutien apporté à des pays tiers pour combattre le terrorisme sur leur territoire ».

Le groupement tactique de permanence pour les six mois à venir est en outre formé par trois pays qui sont au coeur de l'Europe de la défense, et disposent de forces armées bien aguerries : la Pologne qui est nation-cadre, l'Allemagne et la France en soutien. Les trois pays dits du « Triangle de Weimar », qui ont manifesté ensemble leur souhait d'utiliser les groupements tactiques européens, qui, jusqu'à présent, n'ont jamais encore été employés.

Pour quelles raisons l'Union européenne n'est-elle pas intervenue militairement au Mali ?

A l'occasion d'une récente audition 9 ( * ) , M. Jean-Louis Falconi, ambassadeur représentant de la France auprès du Comité politique et de sécurité de l'Union européenne, a détaillé les enjeux de cette question, et développé des arguments dont la pertinence est laissée à l'appréciation de votre commission : « S'agissant du Mali, si votre question est de savoir si l'opération Serval, déclenchée par la France en une demi-journée, consultation du Parlement comprise, aurait pu être lancée par l'Union européenne avec participation et déploiement sur le terrain des États membres, la réponse est non. Faut-il en déduire que c'est un échec complet, la fin de l'Europe de la défense ? Non, non plus. »

L'Union européenne aurait-elle pu intervenir au Mali ?
Point de vue du représentant français au Comité politique et de sécurité de l'Union européenne (COPS)

« Pour déclencher une mission comme Serval dans un cadre européen, l'Union européenne rencontrerait plusieurs difficultés. D'abord, il y a une question de disponibilité des forces et la volonté de les engager. Le premier problème, dans l'Union européenne, c'est que les Européens ont de moins en moins de capacité de défense. (...)

« Par ailleurs, l'Union européenne est un tel promoteur de paix entre nous que certains des vingt-sept États membres sont des pacifistes tous azimuts qui ne se demandent pas si la préservation de la paix chez nous pourrait nécessiter d'intervenir au-dehors pour nous protéger et éviter le développement du terrorisme. (...)

« Ensuite, il y a une question de volonté de déclencher l'action, de se projeter à l'extérieur. Pour que la décision d'intervenir soit prise, il faut arriver à une analyse partagée que la cause est bonne. Vis-à-vis de la Libye, la réaction de l'Union européenne a été bien pire que pour le Mali, l'Union ayant décliné toute compétence dans cette crise qui s'est déclarée plus vite. Alors que la France, par la voix d'Alain Juppé, lors du conseil des affaires étrangères du 11 mars 2011, avait plaidé pour que l'Union européenne joue un rôle dans la résolution de la crise libyenne, vingt-six États membres ont dit non.

« Si l'analyse politique d'une pertinence de l'action arrive à être partagée, encore faut-il trouver des partenaires capables d'intervenir. Or celui qui, culturellement, est le plus proche d'une certaine vision de politique étrangère, à savoir le Royaume-Uni, est aussi celui qui réfute, la plupart du temps, la pertinence d'un cadre européen pour les questions de sécurité. (...) »

« Le Mali est-il un échec ? (...). L'Union européenne n'est pas plus à blâmer que quiconque : même quand un gouvernement national a toutes les raisons de considérer qu'il y a un risque et qu'il faut prévenir un conflit, les décisions politiques d'agir, qui peuvent être coûteuses, se prennent en général au pied du mur. Pour l'Union européenne, c'est la même chose multipliée par vingt-sept. Ce qui est à blâmer, c'est le réflexe naturel et politique, devant des moyens limités, d'hésiter à faire des choses . »

Audition de M. Jean-Louis Falconi, ambassadeur représentant de la France auprès du Comité politique et de sécurité de l'Union européenne, février 2013 .

À l'image de ce qui avait été réalisé en Somalie, l'Union européenne a mis en place une mission de formation des forces armées maliennes, EUTM-Mali, à laquelle participent 22 États membres , dont le mandat a été adopté par le Conseil du 18 février et dont vos rapporteurs ont pu rencontrer, à Bamako, l'encadrement.

Son effectif est très majoritairement français :

Graphique n° 2 : EUTM MALI 1 er mandat

La France est la plus impliquée dans cette mission de formation (207 militaires français présents sur les camps de Bamako et de Koulikoro), suivie par l'Allemagne, l'Espagne, la Grande-Bretagne et la République tchèque. Mais l'on trouve également notamment des formateurs suédois, lituaniens, des médecins allemands et des pilotes d'hélicoptères belges.

À cet égard, vos rapporteurs soulignent la grande qualité des militaires français rencontrés et leur parfaite appréhension, en particulier, des enjeux de formation au respect des droits de l'homme.

Les 500 militaires européens qui vont former 4 bataillons maliens de 600 soldats, soit environ 2 500 hommes, auront la lourde tâche de reconstruire les fondamentaux de forces armées dont l'unité organique (capacité à manoeuvrer ensemble d'unités préconstituées), l'esprit de corps et les lignes hiérarchiques ont été disloquées, aux dires mêmes des responsables militaires maliens rencontrés sur place, notamment par des recrutements fondés sur le népotisme. Le corps des sous-officiers a été décimé et l'équipement et l'entraînement, insuffisants, ne leur permettent pas d'atteindre le niveau opérationnel requis pour faire face à la menace sécuritaire.

Une centaine d'éléments précurseurs étaient d'ores et déjà déployées fin février, quand vos rapporteurs se sont rendus sur place, dont la totalité des effectifs du volet « conseil », qui se concentre sur trois sujets principaux : la gestion des ressources humaines, l'organisation territoriale de l'armée malienne, le cycle de préparation opérationnelle. Le volet « formation », a démarré début avril. Dans ce but, la totalité des effectifs de la mission a été déployée fin mars.

Cette mission, indispensable, est en quelque sorte limitée aux confins de l'action militaire, puisqu'il ne s'agit pas à proprement parler d'un engagement opérationnel.

Des restrictions d'emploi ( caveat ) s'appliquent en outre à certains contingents et limitent leurs possibilités d'emploi.

En outre, des difficultés ont surgi pour réunir les troupes nécessaires pour assurer la protection des formateurs sur le camp de Koulikoro.

En effet, au-delà des formateurs eux-mêmes, dont la France fournit les plus gros contingents, le déploiement de la mission dépendait de la fourniture de capacités critiques telles que le soutien médical (fourni par l'Allemagne), l'évacuation médicale par voie aérienne (fournie par la Belgique), ou encore la protection de la force. Malgré des contributions tchèque et espagnole, la génération de forces pour les protecteurs d'EUTM Mali a donné lieu à des difficultés conduisant à ce que la France agisse comme variable d'ajustement afin de permettre un démarrage de la mission dans les temps.

L'appel à la solidarité lancé par la France, qui assure déjà le plus gros du fardeau, pour 90 protecteurs des formateurs européens, n'a pas été entendu .

Afin de ne pas retarder le calendrier des formations de la mission EUTM Mali, la France a donc décidé, le 11 mars, de fournir dans l'urgence et de manière exceptionnelle les trois sections manquantes et l'élément de commandement pour protéger le site de Koulikoro, soit 95 militaires supplémentaires qui s'ajoutaient à la contribution française déjà prévue.

Cet épisode en dit long sur la mobilisation réelle de nos partenaires européens. Faut-il souligner en outre que les sommes prises en charge par le budget européen sont assez modestes (de l'ordre de 12 millions d'euros ) et que ce sont les États qui fournissent les contingents qui font, en réalité, et à due proportion, l'essentiel de l'effort ?

La prochaine rotation d'EUTM Mali (juillet) sera peut-être l'occasion d'une plus grande implication de la part de nos partenaires européens.

b) Le développement : l'Union européenne, premier bailleur de fonds au Sahel

L'Union européenne a déjà consacré 660 millions d'euros du 10 ème fonds européen de développement (FED) au Sahel, ce qui en fait le premier bailleur de fonds de la région .

Pour 2013, des mesures additionnelles destinées spécifiquement au Mali sont en discussion, pour un montant global de 297 M€ , se composant en :

- Un contrat d'Appui à la Consolidation de l'Etat : 225 M€ (aide budgétaire)

- Une Initiative de Renforcement de la Résilience par l'Irrigation et la Gestion Appropriée des Ressources (IRRIGAR) : 27 M€ ;

- Un programme d'appui aux collectivités territoriales pour l'eau potable et l'assainissement au Mali : 30 M€ ;

- Un programme d'appui au processus électoral pour une sortie de transition : 15 M€.

Une Conférence sur le développement , co-présidée par l'Union européenne et la France, devrait avoir lieu le 15 mai à Bruxelles, avec pour objectif de mobiliser la communauté internationale pour rassembler des financements suffisants et dégager des priorités d'action qui permettront aux acteurs de coordonner la reprise graduelle de l'aide au développement. Cette conférence devrait permettre aussi d'identifier des décisions concrètes qui puissent être mises en oeuvre rapidement par les Maliens, sur la base d'un document stratégique présentant leurs priorités de développement.

Outre un volet gouvernance (par l'appui à la décentralisation et le développement équilibré du territoire, à la justice, à l'État de droit), la Conférence aurait un volet économique (relance de l'économie et appui au secteur privé, à l'agriculture au retour des migrants) et un volet développement humain (par le soutien à l'éducation, la santé et la culture notamment).

La France devrait assurer la coprésidence de cette conférence.

c) Vers une extension de l'opération « EUCAP Sahel Niger» au Mali ?

La mission de l'Union européenne « Eucap Sahel-Niger », opérationnelle depuis août 2012, vise à renforcer les capacités nigériennes de lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée. Les experts de l'Union européenne forment et entraînent les forces de sécurité nigériennes, pour une durée de deux ans.

L'enjeu du renforcement des forces de sécurité est en effet essentiel. Faute d'offrir aux citoyens le respect de leur droit le plus élémentaire, celui de la sécurité, l'état se discrédite et laisse la voie à tous les types de radicalismes qui peuvent paradoxalement être perçus dans un premier temps comme porteurs d'un certain « ordre ».

Les missions d'EUCAP-Niger

- fournir conseils et assistance pour la mise en oeuvre du volet sécurité de la stratégie nigérienne pour la sécurité et le développement au niveau national, en collaboration avec d'autres intervenants;

- soutenir la coordination régionale et internationale dans le domaine de la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée;

- renforcer l'État de droit grâce au développement des capacités en matière d'enquête criminelle et à l'élaboration de programmes de formation adéquats;

- améliorer la capacité des forces de sécurité nigériennes (gendarmerie, garde nationale et police nationale) à s'inscrire dans la durée;

- aider à recenser, à programmer et à mettre en oeuvre des projets dans le domaine de la sécurité.

Dotée d'un budget annuel de 8,7 millions d'euros , la mission au Niger s'appuie sur cinquante experts internationaux, policiers et militaires, placés sous l'autorité du chef de la mission, le colonel Francisco Espinosa Navas.

Cette mission, qui a vocation à s'appliquer à l'ensemble du Sahel dans le cadre de la stratégie intégrée de l'Union européenne pour le Sahel, pourrait être étendue au Mali, voire à la Mauritanie.

d) L'aide humanitaire

Enfin, la Commission européenne et en particulier sa direction générale « ECHO » ont débloqué des fonds pour l'aide humanitaire aux populations. 172 millions d'euros ont ainsi été attribués au Sahel en 2012, dont 58 millions ont été utilisés au Mali pour la lutte contre la crise alimentaire.

3. Une aide européenne essentiellement bilatérale
a) L'aide belge, danoise ou britannique est passée par un canal bilatéral

Plusieurs états membres ont apporté, dans un cadre bilatéral, une aide substantielle à l'opération conduite par la France. Il s'agit naturellement du Royaume Uni, de l'Allemagne, de l'Espagne, mais aussi de la Belgique ou encore du Danemark (pays qui bénéficie pourtant d'un « opt out », ou exemption, en matière de défense, dans le cadre des traités européens).

Graphique n° 3 : Contributions alliées à l'opération

b) Les États-Unis restent notre principal soutien au Mali

Parmi les autres pays aidant l'opération française, outre le Canada , ce sont les États-Unis qui ont été notre principal soutien.

Bien qu'ils n'aient pas de troupes engagées au sol, les États-Unis sont aujourd'hui le principal partenaire des Français en termes financiers, et un maillon important en termes opérationnels.

Les États-Unis ont apporté immédiatement leur appui politique à l'opération française. Ils ont répondu progressivement à l'ensemble des demandes de soutien opérationnel exprimées par la France au lendemain du lancement de « Serval ». Que ce soit en termes de partage du renseignement , de transport ou de ravitaillement en vol de nos avions de combat, l'appui américain est aujourd'hui inégalé .

Afin de donner une base juridique solide aux dépenses à venir de l'administration américaine, le Président américain a signé le 11 février dernier un « mémorandum » autorisant l'allocation d'une enveloppe spécifique de 50 millions de dollars pour financer le soutien américain à la France et au Tchad dans le cadre du conflit malien. S'agissant du soutien au déploiement de la MISMA, ainsi qu'à l'équipement et à l'appui logistique des forces africaines, là aussi les Etats-Unis ont su déployer d'importants moyens. Le Département d'Etat a dégagé dès le mois de janvier une enveloppe de 96 millions de dollars , dont les deux premières tranches (8 et 32 millions de dollars) ont d'ores et déjà été débloquées. Ces financements participent aujourd'hui au soutien logistique de la MISMA ainsi qu'au déploiement et à l'équipement des troupes africaines sur le terrain.

Sur le plan politique, la décision de déployer une opération de maintien de la paix onusienne (MINUSMA) résulte d'une concertation au plus haut niveau de l'État entre la France et les États-Unis, confirmé par les responsables politiques de nos deux pays, la décision relevant bien entendu du Conseil de sécurité des Nations Unies.

Des interrogations se sont naturellement exprimées du côté de l'administration américaine, qui reste sous la pression du Congrès, sur la stratégie proposée devant le Conseil de sécurité, notamment lors du vote de la résolution 2085, pour laquelle la France a tenu la plume, ou encore aujourd'hui s'agissant plus particulièrement des aspects sécuritaires entourant le déploiement de la future opération de maintien de la paix et des capacités africaines à déployer une force crédible.

Elles ne doivent pas faire oublier le fait que les États-Unis sont aujourd'hui le seul partenaire avec lequel des concertations bilatérales de cette nature et de cette intensité sont établies sur le dossier malien.

Lors de sa récente visite à Paris, John Kerry a montré que la concertation entre Paris et Washington sur le règlement politique de la crise malienne figurait au premier rang des priorités américaines.

4. Quel « partage de l'effort » pour la défense d'intérêts européens ?

La France assume presque seule l'essentiel de l'effort pour la défense d'intérêts qui sont, comme cela a déjà été dit, largement européens. Il lui en a déjà coûté environ 200 millions d'euros, sans parler des formateurs européens dont l'Union ne prend en charge qu'une part modeste (12,5 millions d'euros), l'essentiel étant assumé par les pays qui fournissent les contingents.

Au-delà même des aspects stratégiques, il est un autre domaine dans lequel notre pays assure la défense des intérêts européens, c'est celui de la protection consulaire , c'est-à-dire de la sécurité des ressortissants européens dans les pays tiers, comme au Sahel.

Faut-il rappeler que la France assure ainsi, dans 17 états sur 24 identifiés comme « à risque » par l'Union européenne, la protection des citoyens de l'Union au même titre que de ses propres citoyens ?

Les Européens qui voyagent ou qui résident dans un pays tiers dans lequel l'État membre dont ils ont la nationalité ne dispose pas d'une ambassade ou d'un consulat ont le droit de bénéficier de la protection des autorités consulaires de tout autre État membre . Celui-ci doit prêter assistance à ces citoyens de l'Union non représentés dans les mêmes conditions qu'à ses propres ressortissants. Ce principe s'applique en cas d'évacuation notamment.

Ainsi, s'il avait fallu évacuer Bamako, la France aurait été nation pilote pour les 1 000 ressortissants européens, au même titre que pour ses 6 000 ressortissants.

La protection consulaire dans le droit de l'Union européenne

Le droit dont jouissent les citoyens de l'Union non représentés de bénéficier de la protection des autorités diplomatiques et consulaires d'autres États membres dans les mêmes conditions que les ressortissants de ces derniers est inscrit à l'article 20, paragraphe 2, point c), et à l'article 23 du TFUE, ainsi qu'à l'article 46 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Aux termes de ces trois dispositions, tout citoyen de l'Union «bénéficie [...] de la protection des autorités diplomatiques et consulaires de tout État membre dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État». Un droit individuel est ainsi clairement conféré à tout ressortissant 10 ( * ) d'un État membre de recevoir un traitement égal de la part des autorités consulaires d'un autre État membre sur le territoire d'un pays tiers où son propre État membre n'est pas représenté. Le statut de citoyen de l'Union a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des États membres 11 ( * ) et le droit de l'Union confère des droits individuels, entre autres pour garantir le plein effet des droits légaux des citoyens.

Ainsi, en avril 2011, lors des violences à Abidjan, la force française Licorne a mis à l'abri 2 700 français et 250 européens. Dans certains cas comme au Sénégal, il y a autant de Français que de ressortissants de l'Union qui figurent dans le plan de sécurité de l'ambassade française. Sur les 40 plans de sécurité en Afrique, la moitié inclut des non Français. De plus, en cas de crise, les États se tournent volontiers vers la France, même si leurs ressortissants ne sont pas inclus dans les plans de sécurité.

Pourtant, les négociations en cours autour de la proposition de directive présentée par la Commission européenne, relative à la protection consulaire des citoyens de l'Union à l'étranger, ne prévoit pas à ce stade, contrairement à ce que demandait la France, de meilleur partage du fardeau, notamment financier, non plus qu'un rôle pour le service européen d'action extérieure et les délégations de l'Union européenne : le projet de directive laisse reposer la charge d'assistance aux citoyens non représentés, et de la coopération à mettre en oeuvre à cet effet, sur les seuls États membres .


* 7 Co-présidé par MM Daniel Reiner, Jacques Gautier, André Vallini et Xavier Pintat

* 8 Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Espagne, Estonie, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Pologne, Portugal, République Tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Slovénie, Suède

* 9 Le 4 février 2013, audition devant la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale

* 10 Voir les affaires 57/65, Lütticke, et 26/62, Gend & Loos. L'article 23, paragraphe 2, du TFUE ne prévoit plus que les États membres établissent entre eux les règles nécessaires. L'article 23, premier et deuxième alinéas, du TFUE permet simplement aux États membres de prendre les dispositions internes nécessaires.

* 11 Affaire C-184/99, Grzelczyk,

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