...QUI NE RECUEILLE PAS UN CONSENSUS

UNE ADOPTION BLOQUÉE

Si la présidence irlandaise du Conseil souhaite obtenir un accord sur ce texte d'ici au terme de son mandat fin juin 2013, trois points suscitent actuellement une certaine crispation.

L'article 3 du projet de directive qui définit un faisceau d'indices pour déterminer la réalité du détachement suscite un certain nombre de réserves de la part d'États membres, principalement les « nouveaux États membres » et le Royaume-Uni, quant à sa forme. La rédaction retenue prend la forme d'une liste non-exhaustive, ouverte, ce qui suscite l'opposition de ces pays. Une liste fermée allègerait, à leurs yeux, les charges administratives portant sur les entreprises concernées. La France a manifesté dès l'origine son opposition à une nouvelle rédaction de cet article.

Les pays favorables à une révision de l'article 3 s'appuient, logiquement, sur les motivations qui ont prévalu au sein de la Commission pour rédiger l'article 9 , qui définit une liste fermée de mesures de contrôle. Un certain nombre d'États, à l'instar de l'Allemagne, de la Belgique, de l'Espagne, de la Finlande, de la France et des Pays-Bas s'opposent d'ailleurs à cette rédaction et militent pour une liste ouverte. Le principe d'une liste fermée limite, aux yeux de ces États, la possibilité de mieux combattre une fraude protéiforme et de plus en plus complexe. La précision du texte pourrait en outre conduire certains États, à l'instar de la France, à réviser le format des déclarations de détachement et des contrôles qu'elle met en oeuvre sur son territoire, au risque d'accentuer un peu plus le phénomène de contournement de la directive. Si l'article 3 ne constitue pas à l'heure actuelle un point de blocage irrémédiable, il semble que l'article 9 tende à opposer deux minorités suffisamment fortes pour empêcher l'adoption de l'ensemble du dispositif, les nouveaux États membres et le Royaume-Uni refusant toute révision de cette liste.

Un rapport de force équivalent se retrouve sur l'article 12 , instituant un mécanisme de responsabilité solidaire pour le donneur d'ordre. La rédaction minimaliste de cette disposition, limitée à la fois au seul secteur de la construction et au sous-traitant direct, traduisait déjà les oppositions au sein du collège des commissaires sur l'opportunité d'une telle mesure. Envisagé comme le plus petit dénominateur commun, la formule retenue ne suscite pas pour autant l'adhésion de l'ensemble des États membres. Là encore deux minorités de blocage s'opposent, l'une militant pour la suppression de cette disposition ou au pire son maintien en l'état, quand l'autre, réunissant notamment la France, la Belgique et l'Italie, estime que le dispositif devrait à la fois être étendu à tous les secteurs d'activité mais aussi à l'ensemble de la chaîne de sous-traitance. L'Allemagne semble, quant à elle, plus réservée. Son calendrier électoral fragilise de façon plus générale toute prise de position tranchée sur l'ensemble du dossier et donc toute accélération.

Les débats en cours au Parlement européen, colégislateur, traduisent également une certaine crispation. Trois commissions sont associées dans l'examen du rapport : emploi et affaires sociales, marché intérieur et protection des consommateurs et affaires juridiques. Les échanges en leur sein révèlent un double clivage : géographique, qui reprend les oppositions observées au Conseil, et politique. Le groupe PPE est notamment extrêmement divisé sur le sujet. Le vote au sein de la commission de l'emploi et des questions sociales prévu le 30 mai prochain devrait faire figure de test. Les amendements présentés par la rapporteure, Mme Danuta Jazlowiecka (Pologne - PPE), confèrent à l'heure actuelle une tonalité très libérale au texte. Ils prévoient notamment la suppression de la notion d'activité substantielle dans le faisceau d'indices utilisé pour cerner l'active d'une entreprise, la fermeture de la liste prévue à l'article 3 ou la suppression du mécanisme de responsabilité solidaire, jugé incompatible avec l'objectif d'amélioration de la compétitivité des entreprises. La rapporteure conditionne également l'application des règles du pays d'accueil à leur accessibilité sur un site web officiel. Compte tenu de ces éléments, il semble peu probable que le texte soit voté en séance plénière au début du mois de juillet, un report au mois de septembre étant probable.

LA POSITION DE VOTRE RAPPORTEUR

Notre collègue Richard Yung a présenté, le 19 juillet 2012, une communication sur le projet de directive d'exécution devant la commission des affaires européennes. Saluant un texte « globalement positif », il avait indiqué que la proposition de la Commission répondait à un certain nombre de préoccupations soulevées par le Sénat depuis 2009, notamment en matière d'effectivité des contrôles et des sanctions. Il a également salué la désignation très claire, opérée par le texte, des entreprises « boîte aux lettres » et des faux détachements.

Soulevant un certain nombre de réserves, il avait néanmoins indiqué que le dépôt d'une proposition de résolution européenne n'était pas, pour l'heure opportun, et qu'il convenait d'attendre l'évolution des négociations. La tournure de celles-ci laisse aujourd'hui penser qu'une nouvelle prise de position du Sénat sur ce sujet permettrait de renforcer la position de la France au Conseil, position intangible depuis le début des négociations qui ont débuté sous la précédente législature.

Les deux réserves principales concernant le texte tiennent évidemment aux articles 9 et 12, ceux-là même qui suscitent un blocage dans les négociations au Conseil.

Compte-tenu des cas de fraude détaillés plus haut, de leur complexité sans cesse croissante, il serait illusoire de considérer que les États membres puissent combattre de telles entorses à la légalité avec un arsenal limité à trois mesures, dont la puissance demeure sujette à caution. Il convient de s'associer aux demandes du gouvernement français et de certains de ses partenaires de prévoir une liste ouverte de mesures de contrôle. Il est nécessaire de rappeler que le détachement des travailleurs ne saurait être simplement envisagé sous l'angle de la compétitivité des entreprises. Il pose un certain nombre de difficultés politiques dans les États d'accueil, au risque de fragiliser la cohésion sociale. C'est en ce sens qu'il convient de répondre le plus efficacement possible aux tentatives de contournement de la directive.

En ce qui concerne la clause de responsabilité solidaire, il convient de s'interroger sur l'adéquation du dispositif minimaliste envisagé avec la réalité du détachement des travailleurs en Europe qui ne saurait être résumée au seul secteur de la construction. Seuls 25 % des travailleurs détachés oeuvrent dans ce domaine. Par ailleurs, comme l'avait souligné Richard Yung, le droit communautaire prévoit déjà une clause de responsabilité plus étendue en matière de lutte contre l'emploi d'étrangers sans titre . La directive 2009/50 destinée à lutter contre les employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier contient en effet une clause de solidarité du donneur d'ordre qui s'étend à toute la chaîne de sous-traitance. La cohérence du droit de l'Union incite à adopter un dispositif équivalent.

La clause de responsabilité solidaire du donneur d'ordre ne répond qu'imparfaitement, surtout dans sa rédaction actuelle, au défi de la sous-traitance en cascade. Il apparaît délicat, même si le mécanisme venait à viser l'ensemble de la chaine de sous-traitance, d'imposer au donneur d'ordre d'être vigilant sur la situation d'une entreprise placée au huitième ou au neuvième échelon. Il semble à ce titre indispensable de limiter la chaîne de sous-traitance à trois échelons, à l'image des dispositifs mis en place en Allemagne ou en Espagne.

La directive d'exécution devra également préciser la notion de « diligence raisonnable », définie à l'article 12, qui exonère le donneur d'ordre de toute responsabilité, afin qu'une même conception de ce terme s'impose de part et d'autre de l'Union européenne. En tout état de cause, la « diligence raisonnable » des donneurs d'ordre pourrait être favorisée par l'introduction de clauses Responsabilité sociale d'entreprise (RSE) dans les cahiers de charges d'achat de prestations. ERDF a ainsi mis en place en 2012 un accord de type « sous-traitance socialement responsable », à l'image de celui mis en place par ERDF en 2012. Ces clauses peuvent conduire à la rupture de la relation commerciale en cas de manquements graves de la part du fournisseur.

Au-delà de ces deux articles, il convient de préciser certains points du texte.

Dans le cadre des articles 3 et 9 du projet de directive, il convient d'envisager pour les États membres qui recourent aux déclarations préalables de détachement une harmonisation du formulaire émis à cette occasion. Une telle harmonisation devrait permettre de faciliter les échanges d'informations entre États membres sur les entreprises concernées et participer notamment à l'objectif de l'article 3 du texte de cerner les entreprises « boîtes aux lettres ». Dans le même ordre d'idée, une labellisation européenne des sociétés qui détachent correctement des salariés à l'étranger pourrait permettre aux petits donneurs d'ordre qui utilisent ce type de prestations de mieux sélectionner leurs partenaires.

Sans remettre en cause l'intérêt de l'article 5 sur la nécessité d'améliorer la coopération administrative entre les États membres, le délai préconisé par la Commission semble en l'espèce irréaliste car trop court. Les services de contrôle relèvent que les demandes formulées auprès des bureaux de liaison des États membres impliquent des recherches détaillées qui ne sauraient être menées correctement en moins de 15 jours. Un délai de réponse d'un mois semble, à cet égard, une option plus raisonnable.

L'article 11 autorise par ailleurs les syndicats à assister en justice les travailleurs détachés contre leur employeur. Les pressions que ceux-ci peuvent subir laissent cependant songeur quant à leur volonté d'ester devant des tribunaux, dont ils ne maîtrisent pas, le plus souvent, la langue. Il convient de relever que la majorité des cas de fraude majeure qui ont suscité l'attention des médias ont été le fruit d'enquêtes menées par les partenaires sociaux sur le terrain. La directive d'exécution pourrait, en conséquence, autoriser les syndicats à engager des procédures judiciaires ou administratives sans l'approbation du travailleur .

En ce qui concerne le régime de sanction applicable en cas d'infraction aux dispositions nationales, l'article 17 se limite à qualifier lesdites sanctions de « proportionnées et dissuasives ». Les différences notables d'une législation d'un État membre à l'autre laissent songeur sur la portée, en l'espèce, de cet article.

L'ensemble de ces mesures tend à réduire les risques de fraude contenus dans la directive de 1996. Reste que le règlement 883/2004 relatif à la coordination des régimes de sécurité sociale favorise l'optimisation sociale, en raison du différentiel de cotisations sociales observable de part et d'autre de l'Union européenne . Quand bien même les entreprises concernées respectent toutes les règles contenues dans la directive 96/71. Il convient de fait d'engager un débat concernant ce règlement, dont la renégociation vient d'ouvrir. Sans aller jusqu'à demander un versement des cotisations sociales au régime du pays d'accueil, option en l'espèce irréaliste, il semble cependant nécessaire de mieux préciser les conditions du détachement en ce qui concerne la sécurité sociale. Plusieurs mesures simples pourraient ainsi être envisagées.

Allonger le délai entre deux détachements dans un autre État peut ainsi constituer une option pour mieux déterminer si l'entreprise qui détache ne fait pas du prêt de main d'oeuvre. Le règlement prévoit, à l'heure actuelle, une obligation d'affiliation au régime de sécurité sociale de l'État membre d'origine au moins un mois avant le détachement. Cette disposition ne permet pas de déterminer si le nouvel affilié exerce véritablement une activité au sein de l'entreprise avant son détachement. Il serait donc opportun d'assortir cette obligation d'affiliation d'une obligation d'exercice d'une activité dans cette entreprise. Étendre l'obligation d'activité substantielle à l'entreprise qui recourt aux services de travailleurs détachés pour vérifier que si, sans ces travailleurs, l'entreprise n'a pas qu'une activité administrative, permettrait enfin de lutter contre les stratégies d'optimisation sociale de certains employeurs.

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