B. UNE APPLICATION PLUS COMPLEXE QUE N'EN LAISSE PARAÎTRE L'OBJECTIF DE SIMPLIFICATION

1. Une simplification à double face...
a) Un « front office » simplifié pour le bénéficiaire...

Le régime de l'auto-entrepreneur visait à lever les deux principaux obstacles identifiés à la création de très petites entreprises et à l'émergence d'un travail indépendant :

- la complexité des procédures déclaratives et leur multiplicité ;

- le poids des cotisations sociales appelées sous forme provisionnelle et forfaitaire, dès le début de l'activité, avant tout chiffre d'affaires et revenu.

Ce régime a permis à toute personne physique d'exercer très simplement une activité artisanale, commerciale ou libérale sous forme individuelle, à titre principal ou accessoire, dès lors que son chiffre d'affaires annuel est inférieur aux seuils du régime fiscal de la micro-entreprise , en prévoyant un règlement des taxes et cotisations proportionnel au chiffre d'affaires et réglé a posteriori en un lieu unique.

Les cotisations sociales dues sont calculées à partir d'un taux unique de prélèvement assis sur le chiffre d'affaires déclaré mensuellement ou trimestriellement. Ce taux unique se substitue aux huit taux existants dans le droit commun, souvent appliqués à des assiettes différentes.

La simplification dont bénéficient les auto-entrepreneurs s'opère par comparaison avec la situation des travailleurs indépendants de droit commun :

Le régime fiscal de la micro-entreprise s'applique pour tous les types de travailleurs indépendants. Le régime micro-social créé un an avant le régime de l'auto-entrepreneur, a été très peu utilisé. Son remplacement par le régime de l'auto entrepreneur, qui agrège et simplifie les différents types de prélèvements, a fait l'objet d'une large promotion et de la mise à disposition d'outils déclaratifs adaptés, ce qui a considérablement modifié l'équilibre entre les deux régimes.

La comparaison du régime de la micro-entreprise de droit commun avec le régime de l'auto-entrepreneur fait apparaître les différences suivantes :

- les charges des auto-entrepreneurs sont calculées en appliquant un taux fixe sur le chiffre d'affaires et celles-ci sont liquidées et payées uniquement lorsqu'un chiffre d'affaires est déclaré ;

- à l'inverse, pour les travailleurs indépendants de droit commun, les charges du régime général sont calculées avec des formules différentes appliquées au revenu, pour chaque branche de la sécurité sociale (maladie, vieillesse, complémentaire, invalidité-décès, allocation familiale, CSG-CRDS). Ces formules imposent une cotisation minimale totale de l'ordre de 1 500 euros par an. Par ailleurs, ces cotisations sont appelées de manière anticipée, sur une base forfaitaire, dès l'affiliation au RSI, et régularisées dans le courant de l'année suivante. Les montants versés pendant les deux premières années ne sont donc pas corrélés aux revenus effectivement dégagés.

Le tableau ci-dessous présente un comparatif mettant en lumière l'avantage déterminant que représente le principe « pas de chiffre d'affaires, pas de charges » pour l'auto-entrepreneur.

Micro-entreprise de droit commun

Auto-entrepreneur

Fiscalité (si choix du régime micro-fiscal)

Prélèvement libératoire IR

Prélèvement libératoire IR

TVA (si franchise en base de TVA)

Non soumis à TVA

Facturation des prestations HT

Pas de récupération de la TVA

Non soumis à TVA

Facturation des prestations HT

Pas de récupération de la TVA

Charges sociales

Formule complexe

Cotisation minimale de l'ordre de 1 500 euros/an

Montant payés quels que soient les revenus dégagés les deux premières années

Taux fixe du CA

Pas de CA, pas de charges

Contribution foncière des entreprises

Exonération de la CFE pendant l'année de création, abattement de 50% l'année suivante

Exonération de la CFE pendant l'année de création et les deux années suivantes

Taxes pour frais de chambres

Soumis à taxes pour frais de chambres

Exonération l'année de création et les deux années suivantes

Dans ce contexte, la branche du recouvrement de la sécurité sociale, l'Acoss, a fait fonction de pivot du système pour l'auto-entrepreneur qui, au stade de l'inscription fait face à un interlocuteur unique, gage de simplicité. Ce guichet unique fonctionnel s'est donc retrouvé en première ligne pour traiter non seulement les questions relevant de son domaine de compétence, mais aussi pour renseigner et orienter les auto-entrepreneurs vers les administrations et caisses de sécurité sociales.

b) ...mais une gestion administrative et juridique qui demeure complexe en « back office »

En réalité, derrière le paravent du guichet unique, l'articulation de ces régimes sociaux et fiscaux, ainsi que la chaîne de traitement de l'information, dès lors que l'on dépasse l'étape de l'inscription fait intervenir ensemble des organismes et administrations très diverses, en charge de la gestion sociale, fiscale et statistique du dispositif, avec toute la complexité propre à chaque régime.

Ainsi, l'affiliation au titre de l'assurance vieillesse relève du régime social des indépendants (RSI) pour les activités de commerce et d'artisanat, mais de la CIPAV pour les professions libérales. De la même manière, la gestion de l'assurance maladie des nouveaux inscrits diffère selon qu'il s'agisse d'une activité complémentaire (maintien de la caisse maladie relevant de l'activité principale) ou qu'il s'agisse d'une activité principale (basculement vers une nouvelle caisse).

Outre la diversité des organismes gestionnaires, l'encadrement juridique du dispositif demeure fondamentalement complexe, faisant appel à des séries de seuils différents entre les conditions d'imposition sur les revenus et de franchise de TVA.

Ainsi, le régime est conditionné au bénéfice du régime microfiscal prévu aux articles 50-0 (micro-entreprises) et 102 ter (professions non commerciales) du code général des impôts, lesquels déterminent des seuils de chiffres d'affaires maximaux d'éligibilité. Ces seuils annuels sont fixés pour 2013 à :

- 81 500 euros pour une activité de vente de marchandises, d'objets, de fournitures, de denrées à emporter ou à consommer sur place, ou pour des prestations d'hébergement, à l'exception de la location de locaux d'habitation meublés dont le seuil est de 32 600 euros ;

- 32 600 euros pour les prestations de services relevant de la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) ou des bénéfices non commerciaux (BNC).

En revanche, les seuils ouvrant droit au régime de franchise de TVA sont fixés respectivement à 89 600 euros ou 34 600 euros.

En cas de dépassement de ces seuils, les conséquences fiscales et sociales deviennent complexe à gérer pour l'administration, et à comprendre pour l'auto-entrepreneur , car elles répondent à des conditions d'application dans le temps distinctes :

- l'AE bénéficie du régime micro-social simplifié jusqu'au 31 décembre de l'année de dépassement ;

- l'option pour le prélèvement libératoire de l'impôt sur le revenu cesse rétroactivement au 1 er janvier de l'année de dépassement, les versements déjà effectués étant déduits l'année suivante lors du paiement de l'impôt sur le revenu ;

- enfin, la TVA doit être facturée aux clients à compter du 1 er jour du mois de dépassement de ces seuils.

2. Les conditions de mise en oeuvre opérationnelle du régime de l'auto-entrepreneur
a) L'entrée en vigueur très rapide du dispositif...

Ce régime, ouvert à tous les micro-entrepreneurs soumis au régime fiscal de la micro-entreprise, en franchise de TVA, est entré en vigueur le 1 er janvier 2009, soit moins de six mois après la promulgation de la LME.

Il a ensuite été étendu tout au long de l'année 2009 : il a ainsi été ouvert aux professionnels libéraux non réglementés en février, rendu compatible avec l'aide au chômeur créateur ou repreneur d'entreprise (ACCRE) en avril, puis avec le versement du revenu de solidarité active (RSA) en juillet et, enfin, avec les cotisations sociales en vigueur dans les départements d'outre-mer en octobre 10 ( * ) .

La montée en puissance du dispositif a été rapide puisque 328 000 auto-entrepreneurs se sont inscrits pendant la première année de création du régime, entre le 1 er janvier et le 31 décembre 2009, pour un chiffre d'affaires global approchant le milliard d'euros. Un niveau record de création d'entreprises a été enregistré par l'Insee (580 200 créations d'entreprises, soit 75 % de plus qu'en 2008) mais le nombre global de créations de sociétés, hors auto-entrepreneurs, a diminué par effet de substitution.

b) ... a suscité des difficultés concrètes d'application en matière de gestion administrative, juridique et statistique

Mais il faut souligner que cette mise en oeuvre accélérée du système de traitement des inscriptions a engendré de multiples difficultés pratiques d'application.

Ainsi, la détermination des activités éligibles au régime de l'auto-entrepreneur s'est révélée délicate à appliquer en raison du cadre déclaratif de l'opération d'inscription. Le respect des activités exclues n'est, par définition, pas garanti puisque c'est en ligne qu'est le plus souvent déclarée l'activité exercée et que les distinctions peuvent être complexes 11 ( * ) (il est possible d'être agent commercial mais pas d'être agent immobilier, par exemple). A l'intérieur même des activités ouvertes, un mauvais renseignement peut, de bonne foi, intervenir et, le cas échéant avoir des effets pénalisants pour l'auto-entrepreneur concerné, les taux de prélèvements variant suivant les trois différentes classes d'activités.

Après adhésion au régime auprès du CFE, l'Insee enregistre la création de l'activité et identifie l'entreprise dans le répertoire SIREN et y porte le code NAF classant l'entreprise en fonction de son activité principale. Intervient ensuite l'immatriculation qui, depuis le 1 er janvier 2011, est centralisée au Centre national de l'immatriculation commune (CNIC) que gère le RSI et qui vise à déterminer le régime de sécurité sociale compétent. Enfin, le RSI ou la CIPAV procèdent à l'affiliation, qui prend effet au 1 er jour du trimestre civil suivant le début d'activité.

Mais cette chaîne de gestion de l'information a rencontré des points de blocage et d'incohérence :

- l'INSEE donne systématiquement un numéro d'identification, même si ultérieurement l'activité ne donne pas lieu à immatriculation ;

- le contrôle sur le périmètre des activités effectué par le CNIC est délicat et ne permet pas d'appréhender si la personne est dotée des qualifications requises pour exercer une activité, faute de lien avec les chambres consulaires ou la commission nationale de la certification professionnelle ;

- la mauvaise compréhension du questionnaire en ligne, notamment sur le caractère accessoire ou principal de l'activité et le régime maladie de rattachement préalable à l'adhésion, peuvent conduire à des doublons en matière de couverture maladie ;

- les données de l'ACOSS sont retraitées et réexaminées par les caisses prestataires de manière à garantir la bonne affectation du bénéficiaire (sections professionnelles du RSI, CIPAV) avant injection dans leurs systèmes d'information respectifs ;

- les échanges de fichiers sont lourds en gestion pour les organismes qui doivent saisir la déclaration initiale, les modifications, radiations.

Enfin, la chaîne de traitement statistique répartie entre trois sources principales (Acoss, Insee et caisses d'affiliation) n'a pas pu permettre un suivi fiable et complet des données. Comme vos rapporteurs l'ont relevé, en raison du mode déclaratif et de la simplicité de l'adhésion en ligne, des informations importantes peuvent être erronées ou peu fiables. La nature des questions posées comme l'ordre de ces interrogations peuvent être difficiles à comprendre pour l'internaute, qui de plus n'a pas connaissance de l'effet de ses réponses : par exemple, que le caractère principal ou accessoire de son activité détermine la caisse compétente en matière de couverture maladie. Les failles suivantes ont été relevées :

- le caractère accessoire ou principal de l'activité est mal appréhendé ;

- il n'y a pas de correspondance entre la nomenclature utilisée par l'INSEE et celle retenue par les organismes de sécurité sociale ;

- les trajectoires sont peu identifiées en cas de changement de statut et les cumuls d'activités inconnus faute de renseignement sur l'employeur principal ;

- il n'existe pas de données pour des partenaires importants du dispositif tels que l'inspection du travail ou Pôle emploi qui ne distinguent pas dans leurs statistiques les auto-entrepreneurs, cette situation résultant du fait que l'auto-entrepreneur n'est pas, comme nous l'avons vu précédemment, un statut mais un régime particulier de règlement des cotisations et contributions sociales des travailleurs indépendants.

Au final, pour s'en tenir à une première appréciation technique des conditions de mise en oeuvre du régime de l'auto-entrepreneur , vos rapporteur ont pu relever l'implication avec laquelle l'ensemble des acteurs du dispositif se sont mobilisés pour rendre possible l'application accélérée voulue par le Gouvernement de l'époque. A ce titre, il apparaît clairement que cette application « à marche forcée » n'a pas été sans poser des problèmes pratiques de gestion et, à la lumière de ceux-ci, il est permis de s'interroger sur le fait que la priorité accordée au principe de simplification des formalités se soit exercée au détriment de l'impératif de sécurité de la chaîne de gestion administrative, juridique et statistique .

Cette précipitation est certainement à l'origine des multiples ajustements réglementaires et législatifs intervenus depuis 2009 , jusqu'à la dernière loi de finances pour 2013 qui a relevé les taux de cotisations sociales des auto-entrepreneurs afin de supprimer la différence constatée en leur faveur par rapport au régime de droit commun du travailleur indépendant.


* 10 Cf . infra les mesures législatives et règlementaires d'application.

* 11 Peuvent être exercées en tant qu'auto-entrepreneur les activités commerciales, artisanales et certaines activités libérales. Sont à ce titre exclues certaines activités :

- les activités agricoles rattachées au régime social de la mutualité sociale agricole (MSA), y compris si elles sont déclarées auprès de la chambre de commerce et d'industrie ou de la chambre de métiers et de l'artisanat (exemple : paysagiste, entretien de jardins, etc.) ;

- les activités libérales qui relèvent d'une caisse de retraite autre que la CIPAV ou le RSI, cas qui concerne notamment les professions juridiques et judiciaires (avocats, notaires, officiers ministériels, officiers publics et des compagnies judiciaires3), les professions de santé (médecins, chirurgiens-dentistes, pharmaciens, sages-femmes, infirmiers, masseurs kinésithérapeutes, pédicures podologues, orthophonistes, orthoptistes), les vétérinaires, les experts comptables et commissaires aux comptes ;

- les activités relevant de la TVA immobilière : marchands de biens, lotisseurs, agents immobiliers, etc. ;

- la location de matériels et de biens de consommation durable (par exemple : la location d'un véhicule d'enseignement à la conduite à double commande) ou d'immeubles non meublés ou professionnels ; les activités artistiques rémunérées par des droits d'auteur, qui dépendent de la maison des artistes (artistes plasticiens) ou de l'AGESSA (artistes auteurs).

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