D. ÉCHANGES AVEC LE PUBLIC

Fabienne KELLER , rapporteure

J'invite à présent les intervenants ou les participants de la salle à réagir, à compléter, à poser leurs questions, et je me permets notamment de solliciter le témoignage éclairé de Bernard Dunevon.

Bernard DUNEVON, principal de collège honoraire, Marseille

À mon sens, montrer que les cultures d'origine, les langues et les histoires croisées ont une équité d'honorabilité me semble un principe intangible et propre à contribuer au vivre-ensemble.

Une fois que ce principe est posé, il existe toutefois un risque de conforter le communautarisme, qui soulève actuellement de nombreuses difficultés. Il ne faudrait pas que les efforts intellectuels autour de ce principe se révèlent contre-productifs.

Concernant le vivre-ensemble dans nos quartiers, les difficultés sociales sont telles que l'école ne peut pas, à elle seule, y répondre. Elle doit donc nouer des partenariats étroits avec l'ensemble des associations, organismes sociaux, éducatifs, culturels, locaux, pour créer une continuité éducative entre l'intérieur et l'extérieur de l'école, où chaque partenaire jouerait un rôle précis et complémentaire.

Les nombreuses initiatives existantes de rapprochement des acteurs relèvent trop souvent d'un heureux concours de circonstances, d'une envie, de la part de responsables, de travailler ensemble. Il manque toutefois une impulsion institutionnelle, permettant de créer une grande mobilisation éducative dans ces quartiers, au sein de laquelle le travail de mémoire aurait toute sa place.

Anne-Marie BAZZO

De mon point de vue, pour nos élèves, l'important est de se comprendre pour comprendre et accepter l'autre. Dans ce contexte, le travail de mémoire et d'enracinement me semble essentiel pour pouvoir se projeter dans l'avenir.

Dans les programmes de l'éducation nationale, dès la maternelle, l'élève apprend à se situer dans l'espace et le temps. Il s'agit de commencer autour de l'élève, par rapport à son temps proche : la journée, la semaine, les temps récurrents. L'histoire peut être vue comme une extension et une continuité de cet apprentissage initial.

Pour assurer la cohérence des actions des acteurs très divers qui ne se connaissent pas toujours, il pourrait exister un levier au travers d'une redéfinition de la politique de la ville. Toutefois, la ville n'est pas la seule concernée par cette problématique. Le milieu rural est aussi un milieu dans lequel les origines sociales et géographiques sont très diverses. Il convient de ne pas oublier ces territoires.

Mariam TOURÉ, association Liberté d'Agir Scolaire

L'association Liberté d'Agir Scolaire effectue des interventions dans des établissements scolaires pour y parler en particulier des relations filles-garçons, de la mixité et de toutes formes de discriminations. Vous avez évoqué à plusieurs reprises la notion de transmission.

Mes interventions portent principalement sur les violences faites aux femmes. Si les manuels évoquent les droits des femmes, le sujet reste très peu abordé. Lorsque j'interviens dans les établissements scolaires, certaines filles ignorent qu'il y a à peine soixante ans, en France, les femmes n'avaient pas le droit de vote ou avaient des difficultés à travailler.

La marraine de mon association s'est fait brûler vive en 2005, et elle est vivante aujourd'hui. Lorsqu'elle intervient à mes côtés, elle indique que, si les associations étaient venues dans son établissement pour détecter les premiers signes de violence, elle ne serait peut-être pas entrée dans ce piège. Elle interpelle aujourd'hui les établissements scolaires et les proviseurs et demande pourquoi le sujet n'est pas davantage abordé. Il faut rappeler que, même en France, certaines femmes sont mortes pour défendre leurs droits. Aujourd'hui, le travail de transmission porte également sur les femmes.

Fabienne KELLER , rapporteure

Il est vrai qu'au cours de mes travaux, la question des femmes est apparue comme l'un des leviers d'action pertinents. Il s'agit de donner aux jeunes filles tous les éléments pour qu'elles puissent construire leur avenir, maîtriser leurs choix scolaires, leur temps, leur vie personnelle mais aussi leur corps. Ce point est apparu comme très fort, mais avec très peu de prises de parole. La grande masse des jeunes filles vit dans la discrétion. Il s'agit d'un levier essentiel, d'autant que les jeunes filles sont souvent brillantes en termes scolaires, mais de moins en moins nombreuses dans les écoles au-delà de la fin de l'obligation scolaire.

Roland MEYER

À mon sens, la première des choses à faire est de résister à la tentation de la norme. Au cours des dernières années, nous avons substitué la norme à la loi. Cela touche à la question de l'identité. L'identité est singulière par définition. L'identité est affaire non pas de norme, mais de création et d'obligation. L'obligation renvoie à la question de la responsabilité, au sens de Levinas. Détenir une responsabilité n'équivaut pas à être le chef. La responsabilité revient à « répondre de ». À mon sens, la question de la responsabilité est aujourd'hui de l'ordre du féminin.

Fabienne KELLER , rapporteure

Nous sommes tous d'accord sur le fait qu'il n'existe pas d'identité unique. Les identités sont multiples. La question consiste à savoir comment les révéler. Lorsque nous avons élaboré le rapport de 2011, nous avons été très frappés par l'énergie et la créativité des jeunes que nous avons rencontrés. Toutefois, le regard porté aujourd'hui par la masse de la population sur les jeunes qui habitent ces quartiers sensibles n'est pas bienveillant. Dès lors, il s'agit de trouver des lieux ou des thèmes de rencontre pour changer le regard et l'enrichir. J'aimerais avoir la réaction des responsables du centre social Les Bourrely, de Marseille, qui ont une expérience de terrain tout à fait instructive.

Jean-Jacques DUMONT, centre social Les Bourrely, Marseille

Je souhaite intervenir au sujet de la continuité éducative déjà évoquée. En effet, celle-ci est nécessaire, car les quartiers se trouvent dans des situations de plus en plus complexes. Les problématiques rencontrées sont d'ordre culturel et sociologique. Nous sommes confrontés à des situations sociales qui se dégradent. Le travail devient donc de plus en plus difficile et nécessite l'intervention de plusieurs acteurs sur le terrain.

Les personnes qui viennent du Maghreb constituent une migration essentiellement agricole. Elles peuvent donc avoir des points communs avec des populations qu'elles sont amenées à rencontrer. Ainsi, nous allons mettre en place un projet de jardin partagé, qui permet de faire converger des personnes issues d'origines différentes. Le jardin donne lieu à des échanges et à un vivre-ensemble, pour construire, in fine , une nouvelle culture.

Hervé GOURIO, association Entreprise et Progrès

Les échanges ont soulevé un certain nombre de pistes remarquables sur les moyens de réduire l'éclatement social à l'intérieur des collèges. Toutefois, il ne faut pas se cacher que le collège est lui-même responsable, par construction, de certaines difficultés et de certains processus d'éclatement. Le décrochage existe. À partir de la quatrième, certains élèves reconnaissent qu'ils n'ont pas de chance de réussir un parcours social satisfaisant à l'intérieur du système.

Dès lors, je m'associe aux réflexions de M. Duvenon. Il est essentiel que le collège puisse s'inscrire dans une communauté locale. Je le constate en tant qu'entrepreneur.

Fabienne KELLER , rapporteure

Tous les collèges où nous nous sommes rendus se caractérisent par la présence d'équipes très motivées. Ils étaient, en tant que collèges faisant partie du programme Éclair, plutôt bien dotés. En revanche, le reste de la société est terriblement absente dans les quartiers. Ainsi, à Marseille, dans certains quartiers, l'essentiel de l'espace public est tenu par les trafiquants.

Le collège est un acteur important, d'autant qu'il est quasiment le seul à tenir le choc, aux côtés de quelques associations. Il convient de poser notamment la question du retour des entreprises, des commerces, des établissements de santé, dans les quartiers, comme autant de référents pour les jeunes.

Gauthier SCHLEIFER, conseiller principal d'éducation du collège Louise-Michel, Clichy-sous-Bois

Au sein du collège où je travaille, nous avons proposé une section bilangue arabe qui n'a pas rencontré de succès. Si cet échec s'explique par une absence d'intérêt pour la question des racines, il y aurait lieu de s'inquiéter. La réponse aux besoins d'apprentissage de l'arabe se trouve peut-être en dehors de l'éducation nationale, ce qui pourrait aussi être inquiétant.

En outre, les questions du vivre-ensemble sont distillées dans l'enseignement de l'éducation civique, de l'histoire. Il serait peut-être utile d'élaborer un système qui évolue avec la société, en mettant fin à une approche fractionnée des disciplines.

Marc VIGIÉ

Bernard Dunevon a mentionné le piège du communautarisme. À mon sens, l'école est le premier rempart contre le communautarisme. Pour autant, parfois, elle en devient malheureusement l'instrument. Le système américain regorge à cet égard d'exemples de pièges dans lesquels il ne faut pas tomber.

Par ailleurs, le vivre-ensemble n'équivaut pas à une sorte de consensus a minima , qui se limiterait à « tout ce qui ne nuit pas à autrui ». Une telle approche ne serait pas à la hauteur des enjeux.

Yahya CHEIKH

Si les parents d'élèves ne choisissent pas les classes bilangues au collège, c'est parce qu'ils craignent qu'un tel enseignement ne soit pas poursuivi au lycée : il faut en effet que trois collèges en fassent la demande pour que la classe soit créée au lycée.

Par ailleurs, le travail de mémoire intervient à partir d'un manuel d'histoire. Un manuel est l'interprète des idées de son concepteur. Ce dernier s'appuie sur les références du ministère. En ce qui concerne les manuels de langue, le professeur n'est pas obligé d'utiliser le manuel. Il peut choisir les textes qu'il souhaite, tout en restant dans le cadre proposé par le ministère.

Autrefois, la demande d'enseignement de l'arabe ne concernait que les élèves issus de l'immigration. Avec le printemps arabe, la demande s'élargit à la Syrie, à l'Algérie, à la Libye. Nous sommes alors confrontés à un nouveau problème. Ces élèves ne parlent pratiquement pas français parfois et sont obligés d'apprendre l'arabe en langue vivante 1, car ils ne peuvent pas choisir une autre langue étrangère. C'est une cause d'échec.

La question d'un manuel commun doit être soutenue. Elle doit s'accompagner d'un travail de sensibilisation des interprètes de ces manuels, à savoir les enseignants.

Aujourd'hui, le programme de terminale aborde la question du Proche-Orient, le conflit israélo-palestinien, la guerre Iran-Irak. Moi-même, j'ai créé une association visant à enseigner l'arabe et l'hébreu. Il s'agit de travailler à partir de la langue pour faire taire les armes.

Fabienne KELLER , rapporteure

Je salue d'ailleurs votre engagement dans ce travail.

Gaël MOUYEN

Je souhaite souligner l'importance, évoquée par M. Quéré, du lien entre l'Histoire et le parcours individuel des élèves. Je reçois régulièrement des élèves qui ne savent pas comment se dépêtrer d'une histoire familiale souvent complexe, lourde, et d'une histoire récente qui a une influence sur leur quotidien. L'établissement où je travaille comporte une classe d'accueil, avec des élèves d'immigrés récents, originaires notamment d'Afghanistan, d'Haïti, qui ont connu des moments difficiles.

De plus, comme l'a souligné M. Meyer, il est essentiel de faire preuve de bienveillance et d'écoute à l'égard d'élèves dont les capacités sont rarement reconnues. La communauté éducative n'a pas toujours le temps de se consacrer pleinement aux élèves pour leur donner suffisamment confiance et leur permettre de révéler leurs capacités. Il conviendrait de redonner aux professeurs une autre image de certains élèves aux comportements difficiles ou aux résultats scolaires très mauvais.

Enfin, comme l'a souligné M. Duvenon, je constate également que l'école se retrouve à devoir gérer des difficultés sociales qui dépassent le cadre d'un établissement scolaire. Il est donc en effet indispensable de travailler avec les partenaires locaux, associatifs, institutionnels, voire interministériels : je pense aux politiques de la ville ou de la santé. L'éducation nationale doit faire en sorte de conserver son rôle et ses spécificités et s'ouvrir davantage aux différents intervenants de terrain.

Mohamed LARBI HAOUAT, président d'un conseil de quartier à Sarcelles et de l'Association de solidarité pour l'intégration par les langues, l'éducation et la culture (Asilec)

Comme vous le savez, il existe aujourd'hui en France 1,4 million d'associations. Dans le contexte de nos échanges, la société civile peut représenter un apport formidable. Le collège n'est pas le seul acteur. Le travail devient dès lors un travail de réseau, qui permettra d'être plus fructueux pour l'encadrement des enfants. Ce travail en commun est le lieu à approfondir pour une action efficace.

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