II. SECONDE TABLE RONDE : CONCILIER ACTIVITÉ À HORAIRES ATYPIQUES ET VIE FAMILIALE, LE RÔLE STRUCTURANT DE L'EMPLOI

Présidence de Joël BOURDIN, président de la délégation à la prospective du Sénat

Emmanuelle BARBARA, avocate spécialiste en droit social, associée, August & Debouzy

Bertrand CASTAGNÉ, vice-président de la fédération des entreprises de propreté et président de la commission sociale

Christine KELLY, membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), présidente de la fondation K d'urgences

Gaël MOUYEN, assistant social, collège Jean Moulin d'Aubervilliers

Sophie PASQUET, photojournaliste

François ROUX, délégué général du Prisme, organisation professionnelle représentant les agences d'emploi

Fabienne KELLER , rapporteure

Je vous propose de passer à notre seconde table ronde. J'ai identifié dans mon rapport de 2011 l'insertion professionnelle comme un levier d'action stratégique dans les quartiers. L'emploi joue évidemment un rôle important pour structurer la vie personnelle, apporter un revenu et conférer un statut au chef de famille. Mais il s'exerce parfois sur des rythmes fractionnés ou calé sur des horaires atypiques. Dès lors, comment concilier activité à horaires atypiques et vie familiale pour permettre l'accompagnement des adolescents ?

A. L'IMPACT DES HORAIRES ATYPIQUES SUR LA VIE QUOTIDIENNE DES FAMILLES

Gaël MOUYEN

Le collège où je travaille fait partie du dispositif Éclair et est implanté dans un quartier classé zone urbaine sensible (Zus). Il bénéficie également d'un contrat urbain de cohésion sociale (Cucs).

Le personnel de l'établissement fait souvent état de difficultés liées à la communication entre l'institution scolaire et les parents. Surtout, comme je l'ai indiqué à l'occasion de la première table ronde, le lien avec l'ensemble des acteurs locaux est indispensable pour favoriser la réussite scolaire des élèves et aider à la résolution des problèmes sociaux ou familiaux auxquels ils peuvent être confrontés. Je travaille notamment avec les assistantes sociales polyvalentes de secteur, les services généralistes de la mairie ou du département, les éducateurs de prévention spécialisée, mais aussi avec des organismes proposant loisirs ou soutien scolaire, afin de favoriser l'équilibre des jeunes.

Le thème du travail fractionné revient assez régulièrement dans mon activité professionnelle. Il concerne souvent les mères isolées ou des familles dans lesquelles les pères sont peu impliqués dans le suivi de la scolarité et où cette tâche reste essentiellement réservée aux femmes.

Les horaires atypiques ont des incidences en termes de suivi de la scolarité. Étant absents lors du lever de leurs enfants, les parents ont davantage de difficultés à remettre leurs enfants à l'école lorsque ces derniers commencent à décrocher ou à avoir des conduites absentéistes.

De plus, les femmes concernées accomplissent souvent une double journée de travail. Elles partent très tôt le matin, connaissent des temps de transport longs, retournent au domicile vers onze heures, font les courses, le ménage, préparent les repas car, fréquemment dans ces situations, les enfants rentrent déjeuner à la maison. À la fin de la journée de cours, ceux qui sont susceptibles d'être entraînés dans des conduites de délinquance ou d'évitement du milieu familial ont plus de risques de rester dans le quartier, qui connaît des problèmes de violence. Il est plus difficile pour les parents d'exercer leur autorité sur ce point. De la même manière, les parents sont parfois en difficulté pour aider leurs enfants dans le travail scolaire. Cette tâche est souvent confiée, le cas échéant, aux frères ou soeurs aînés, sachant que cela peut nuire à leur propre parcours scolaire ou professionnel.

Je précise que mes propos concernent les familles de toutes origines. Je n'ai jamais pu établir un lien de causalité entre le travail fractionné et l'apparition de difficultés telles que l'absentéisme ou les conduites délinquantes. En revanche, il est indéniable que les horaires atypiques rendent plus difficile la résolution des problèmes et peuvent mettre les parents en difficulté dans l'exercice de leur travail.

Je constate aussi les effets positifs de l'activité professionnelle sur les familles : elle suscite la fierté de certains parents et joue un rôle structurant. Je rencontre toutefois également des jeunes qui peinent à se projeter dans le travail, souvent par manque de maturité, mais aussi parce qu'ils sont nombreux à avoir conscience d'une certaine stigmatisation et d'une difficulté accrue d'accès à l'emploi pour ceux qui, comme eux, sont issus de quartiers difficiles. Enfin, certains observent que leurs parents exercent un métier fatigant, avec un bas salaire et peu valorisant socialement.

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