C. LES DIFFICULTÉS DES FOYERS MONOPARENTAUX

Fabienne KELLER , rapporteure

Je vous remercie pour cet autre regard sur le métier du ménage, qui concerne souvent des femmes ayant seules la charge d'une famille. Christine Kelly, vous vous êtes engagée pour ces femmes que peu de personnes défendent. Vous avez créé une fondation pour qu'elles soient reconnues dans les difficultés qu'elles rencontrent.

Christine KELLY

Je n'oublierai jamais les femmes que j'ai rencontrées, comme cet agent de police à Nanterre, Agnès, trente-trois ans, vivant seule avec un enfant de sept ans, gagnant 1 100 euros par mois et heureuse d'avoir un emploi. Sa garde d'enfant coûtait 750 euros par mois, parce qu'elle travaillait en horaires décalés et habitait loin de son lieu de travail. Il lui restait 450 euros pour vivre. Voilà la réalité vécue par cette femme, qui est pourtant fonctionnaire.

En France, les familles monoparentales représentent un cinquième, voire un quart des familles. Elles sont composées, pour 85 % d'entre elles, de femmes. Elles sont au total deux millions de familles, un chiffre qui a presque triplé en l'espace de quarante ans.

Tout le monde ici connaît au moins une famille monoparentale. Mais personne n'en parle. J'ai commencé à mener ce combat il y a trois ans pour mettre un terme à ce silence. Plus je creusais la réalité du terrain, plus je découvrais qu'il fallait agir. Pour rejoindre le sujet qui nous réunit aujourd'hui, les enfants des familles monoparentales feront, eux aussi, la France de demain. Bien sûr, tous ne sont pas dans des situations de détresse. On peut réussir lorsque l'on a grandi dans une famille monoparentale. Toutefois, comme je l'ai écrit dans mon ouvrage Le scandale du silence , ces familles sont les premières victimes de la crise, de la pauvreté et du surendettement. Comme personne n'en parlait, j'ai dû mener des enquêtes, des recoupements, pour faire état de ces réalités.

Selon les experts, la séparation d'un couple met un enfant en difficulté pendant deux ans. S'il est bien accompagné, l'enfant a de très bonnes chances de s'en sortir. Toujours selon les experts, il importe de mettre un terme à la féminisation à outrance de l'enseignement en maternelle et au primaire. Pour aider la femme qui élève seule son enfant, il serait souhaitable que davantage d'hommes enseignent à ces niveaux. L'enfant est souvent uniquement entouré de femmes jusqu'à son entrée en sixième.

Ce n'est pas parce qu'il grandit dans une famille monoparentale qu'un enfant deviendra délinquant. Néanmoins, la plupart des délinquants sont issus de familles monoparentales. L'enfant a besoin d'autorité, de repères, qu'il va parfois chercher dans les gangs.

Dans ce contexte, le système de scolarisation est essentiel. Les familles monoparentales connaissent souvent des histoires familiales complexes, qui influencent le quotidien de l'enfant.

La fondation que j'ai créée il y a trois ans concentre son action sur la garde d'enfants. En effet, les familles monoparentales ont trois sources de revenus : la pension alimentaire, les aides et l'emploi. Or, 40 % des pensions alimentaires décidées par les tribunaux ne sont pas payées. Par ailleurs, les aides ne vont pas aux personnes les plus défavorisées. Concernant l'emploi, son premier frein réside dans la garde d'enfants.

Les horaires atypiques complexifient encore plus la garde d'enfants et l'organisation du quotidien, donc in fine l'avenir de l'enfant. J'ai le souvenir de cette femme seule, au chômage, trouvant finalement un emploi à horaires décalés, dont la petite fille faisait ses devoirs dans une cabine téléphonique en face de l'école en attendant que sa mère vienne la chercher, à vingt et une heures trente. Je me suis employée à trouver les moyens d'assurer la prise en charge de son enfant jusqu'à son retour. Il s'agit d'une réalité dont on ne parle pas. De tels cas sont pourtant nombreux.

Ma fondation agit concrètement. Lors de la Journée internationale des familles, j'ai organisé divers ateliers pour aider les femmes à obtenir des conseils dans de multiples domaines : aide au CV, entretien avec un psychologue, un avocat, mais aussi atelier maquillage, etc.

J'agis et j'agite les pouvoirs publics, avec le livre que j'ai évoqué précédemment, ou en intervenant régulièrement dans des colloques. J'ai également élaboré récemment un rapport, qui comporte dix propositions d'actions pour aider les familles monoparentales à sortir de l'impasse. Je l'ai remis au Président de la République, au Premier ministre et à tous les membres du gouvernement.

Pour conclure, j'énoncerai tout simplement ma deuxième proposition : « Instaurer des horaires atypiques pour les modes de garde ».

Fabienne KELLER , rapporteure

Merci de votre engagement et de votre témoignage en faveur de ces femmes seules. Le mode de garde constitue bien sûr l'un des blocages majeurs. Sophie Pasquet, vous avez été touchée par les situations personnelles de certaines de ces femmes, fragilisées notamment par des problèmes de mode de garde.

Sophie PASQUET

J'ai mené une enquête pour le magazine Marie Claire , en suivant trois jeunes femmes célibataires mères d'enfants en bas-âge et travaillant en horaires décalés. L'objectif était de voir comment elles concilient leur métier, qui est leur dernier rempart contre la précarité et auquel elles tiennent énormément, et leur situation de mère célibataire.

Un diaporama des photos est diffusé pendant l'intervention .

La première de ces jeunes femmes est aide médico-psychologique à Bourg-en-Bresse. Elle s'appuie sur un double système de garde : une assistante maternelle à raison de 600 euros pour trente-cinq heures par mois ; mais aussi, ce qui est une chance pour elle, une organisation familiale assez solide.

Photo Sophie Pasquet pour Marie-Claire

La deuxième jeune femme est chef d'antenne et gagne 2 500 euros nets par mois. Paradoxalement, elle n'est pas celle qui s'en sort le mieux car, comme elle le dit, elle « bricole ». Autrement dit, elle doit décider d'une semaine sur l'autre comment elle va procéder pour la garde de son enfant.

Celles qui s'en sortent le mieux sont celles qui ont mis en place des systèmes de garde solides.

Photo Sophie Pasquet pour Marie-Claire

La troisième jeune femme, âgée de trente-cinq ans, est conductrice de bus. Elle réveille souvent son fils à quatre heures du matin, et en ressent une grande culpabilité. Elle a beaucoup bataillé pour avoir accès à une crèche en horaires décalés, dont la directrice la rassure sur les problématiques du sommeil. Elle reçoit son planning de travail plusieurs semaines à l'avance, ce qui l'aide à s'organiser. Elle bénéficie par ailleurs d'une bourse d'échange d'horaires par Internet.

Photo Sophie Pasquet pour Marie-Claire

Au travers de cette enquête, j'ai constaté que le travail en horaires décalés touche toutes les catégories socio-professionnelles. Il concerne une large part de femmes en situation monoparentale. Ces femmes sont très attachées à leur travail, non seulement parce qu'il est une source de revenu, mais aussi parfois parce qu'elles l'ont choisi. Elles parlent souvent d'elles-mêmes comme des fantômes : et vis-à-vis de l'entreprise, parce que leurs horaires atypiques les coupent de leurs collègues ; et vis-à-vis de la société, même si certaines crèches et des centres de loisirs commencent juste à adopter des horaires décalés.

Cette enquête est un plaidoyer pour la mise en place de modes de garde décalés. Il s'agit d'une réalité dont la société doit s'occuper.

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