C. ASSURER L'INDÉPENDANCE ET L'EFFICACITÉ DE LA SANCTION DISCIPLINAIRE

Lorsqu'une analyse d'échantillons fait apparaître la présence d'une substance interdite en l'absence d'autorisation d'usage à des fins thérapeutiques, une procédure de sanction du sportif est engagée par l'autorité antidopage. Cependant, il convient de rappeler que le contrôle positif n'est pas le seul fondement sur lequel une violation des règles antidopage peut être constatée et sanctionnée : il peut également s'agir d'un manquement (répété) à l'obligation de localisation ou encore d'un faisceau de preuves matérielles (témoignages, preuves de détention de produits, etc.) non analytiques.

1. Un dispositif de sanction inadapté

L'organisation antidopage compétente pour la gestion des résultats et la sanction est celle qui a diligenté le contrôle 334 ( * ) .

Ainsi, les fédérations internationales sont compétentes pour les sanctions relatives à des contrôles en compétitions internationales ou des contrôles inopinés sur son groupe-cible . La sanction ne peut alors faire l'objet d'un appel qu'auprès du Tribunal arbitral du sport (TAS) , conformément à l'article 13.2.1 du code mondial. Ce fut, par exemple, le cas de la sanction prononcée par la FIT à l'encontre du sportif français Richard Gasquet, en 2009, suite à un contrôle positif en marge du Masters de Miami ; la sanction a ensuite été réformée en appel par le TAS.

De même, le code mondial prévoit que l'autorité nationale ayant diligenté les contrôles (sur les compétitions nationales ou sur son groupe-cible) est responsable de la gestion des résultats .

Au niveau français, les articles L. 232-21 et suivants du code du sport prévoient un partage des compétences disciplinaires entre les fédérations et l'AFLD .


• En vertu de l'article L. 232-21, ce sont les fédérations sportives nationales qui sont compétentes pour prononcer les sanctions disciplinaires à l'égard de leurs licenciés. Chaque fédération doit, en conséquence, mettre en place dans son règlement un organe disciplinaire de première instance et un organe d'appel . En effet, l'article du code prévoit que « l'organe disciplinaire de première instance de ces fédérations se prononce, après que l'intéressé a été mis en mesure de présenter ses observations, dans un délai de dix semaines à compter de la date à laquelle l'infraction a été constatée ». À l'expiration de ce délai, l'organe d'appel de la fédération est saisi du dossier et doit rendre sa décision dans un délai maximum de quatre mois.


• En vertu de l'article L. 232-22 du code du sport, l'AFLD n'a, dans ce cadre, qu'une compétence supplétive et complémentaire à celle des fédérations sportives . Elle a compétence pour infliger une sanction disciplinaire dans quatre cas de figure :

- les personnes non licenciées ;

- les personnes licenciées sur lesquelles les fédérations ne se sont pas prononcées dans les délais prévus ;

- la réformation d'une décision disciplinaire d'une fédération ;

- l'extension d'une décision disciplinaire fédérale aux activités du sportif sanctionné relevant d'autres fédérations .

Les décisions des fédérations peuvent faire l'objet d'un appel auprès du tribunal administratif ; les décisions de l'AFLD ne peuvent être contestées que devant le Conseil d'État et non le TAS, en dépit des prescriptions du code mondial antidopage (voir encadré ci-dessous).

Deux juridictions suprêmes concurrentes :
le Tribunal arbitral du sport et le Conseil d'État

Le Tribunal arbitral du sport de Lausanne (TAS) est une juridiction privée indépendante des ordres juridiques nationaux qui fait office de juridiction suprême pour le sport mondial. Le CMA confie une compétence d'appel exclusive au TAS pour les sportifs de niveau international. Les sentences du TAS ne sont pas susceptibles d'appel, sauf, dans des cas très limités 335 ( * ) , devant le tribunal fédéral suisse.

La compétence d'appel du TAS vaut pour les sanctions prononcées par les fédérations internationales, mais aussi pour celles prononcées par les fédérations nationales pour le compte de la fédération internationale suite à un contrôle positif lors d'une compétition internationale. C'est ce qu'a reconnu le Conseil d'État dans un arrêt « Chotard » du 19 mars 2010, confirmé par l'ordonnance du 14 avril 2010.

En revanche, en vertu d'une jurisprudence constante du Conseil d'État (Note de l'Assemblée générale du 12 octobre 2006 n° 373.750), le TAS ne saurait être compétent pour réformer les sanctions prises par une fédération ou l'AFLD sur des licenciés français, prononcées dans le cadre de l'exercice de prérogatives de puissance publique, quand bien même ces sportifs sont de niveau international.

Ce système de compétence partagée, au niveau national, entre fédérations et AFLD présente plusieurs inconvénients :

- il est complexe et, pour cette raison, manque de visibilité pour les sportifs . En effet, il y a aujourd'hui cinq niveaux possibles de jugement, comme l'illustre le schéma ci-après.

Procédure disciplinaire pour les sportifs nationaux

Source : commission d'enquête

- il ne permet pas une harmonisation des sanctions entre les disciplines . Plusieurs acteurs du mouvement sportif se sont plaints des différences de traitement entre les sportifs selon leur discipline 336 ( * ) .

- il impose la mise en place de deux organes disciplinaires (première instance, appel) au sein de chaque fédération, composé de bénévoles ne se réunissant que quelques fois par an pour des dossiers d'importance sportive parfois mineure. Ce dispositif est lourd pour les fédérations et, surtout, il ne favorise pas l'émergence d'une vraie compétence spécialisée en matière de sanctions pour dopage, comme l'a par exemple souligné Marie-Philippe Rousseaux-Blanchi 337 ( * ) ;

- surtout, il place les fédérations dans la position de juge et partie de leurs sportifs .

2. Retirer le pouvoir de sanction aux fédérations

Votre commission d'enquête a constaté, au cours de ses auditions, une large convergence des différents acteurs du sport et de la lutte antidopage pour demander que le pouvoir disciplinaire soit retiré aux fédérations :

- Jean-Pierre Mondenard a insisté sur « la nécessité de séparer la lutte antidopage du monde sportif . On ne peut pas à la fois courir après les médailles et empêcher les sportifs de s'en donner les moyens, tous les moyens ! » 338 ( * ) ;

- Bernard Amsalem a estimé qu'il « convient d'externaliser les sanctions : les fédérations ne peuvent pas être juge et partie . La fédération sportive doit faire de la prévention, mais la sanction doit relever d'une instance extérieure spécialisée » 339 ( * ) , insistant notamment sur la complexité du droit du sport et du risque de vices de procédure pour les juridictions non spécialisées ;

- Francis Luyce a indiqué qu'il souhaitait « que l'organisme disciplinaire passe par une procédure externalisée et n'intervienne plus en dépendance des fédérations » 340 ( * ) ;

- Christophe Bassons a souligné que, selon lui, « il est évident que l'indépendance est nécessaire sur le plan disciplinaire » 341 ( * ) .

Le cyclisme, qui se singularise, dans l'histoire récente, par la révélation d'une grande affaire de dopage ayant secoué l'opinion, fournit une parfaite illustration de cette situation de conflit d'intérêts potentiel. En effet, le nombre de licenciés (en cyclisme sur route) a connu une baisse significative et durable suite à la révélation de l'affaire Festina , comme le montre le graphique ci-dessous. La fédération n'a d'ailleurs, depuis lors, jamais retrouvé le niveau atteint en 1998 (78 000 licenciés).

Évolution du nombre de licenciés de cyclisme traditionnel entre 1995 et 2012

Source : Fédération française de cyclisme

Dans ce contexte, confier la responsabilité de sanctionner les sportifs aux fédérations revient à les mettre dans la situation délicate de prononcer des peines dont le sport qu'elles doivent promouvoir pourrait durablement pâtir .

Certains ont souligné qu'il ne fallait pas, en leur retirant le pouvoir de sanction, déresponsabiliser les fédérations et, de façon générale, le mouvement sportif 342 ( * ) . Cependant, les fédérations resteront responsabilisées, en matière de lutte contre le dopage, sur le coeur de leur mission, à savoir la prévention . D'ailleurs, les fédérations qui ont réclamé une externalisation du processus de sanction (d'athlétisme, de natation ou de ski notamment) sont également celles où les actions de prévention sont parmi les plus développées.

Par ailleurs, de toute évidence, la procédure d'instruction des dossiers disciplinaires, voire la délibération de la commission des sanctions, devra être l'occasion d'un échange avec les fédérations sportives , qui apporteront leur expertise technique et leur connaissance du sportif : ces dernières ne seront pas absentes de la procédure mais seront régulièrement consultées par l'AFLD.

En conséquence, votre rapporteur propose que le pouvoir de sanction soit exercé non plus par les fédérations, mais par l'AFLD, qui statuerait en première instance, avec possibilité d'appel auprès du Conseil d'État .

Les évolutions requises par cette proposition quant à l'organisation de l'AFLD sont présentées dans une partie distincte ci-dessous. Il est certain que l'AFLD ne pourra pas faire face à l'augmentation du nombre de dossiers disciplinaires dont elle serait saisie sans renforcement de sa section juridique , composée aujourd'hui - selon les informations fournies à votre rapporteur - de trois agents.

Proposition n° 41 Confier à l'AFLD le pouvoir de sanction dès la première instance,
avec appel devant le Conseil d'État

En tout état de cause, il conviendrait que la même indépendance entre le mouvement sportif et la sanction soit assurée au niveau international, s'agissant des fédérations internationales . Une fédération internationale n'a aucun intérêt à la révélation d'un scandale de dopage dans ses disciplines, particulièrement lorsqu'il touche une figure sportive de premier plan.

À cet égard, sans chercher à établir son rôle ou sa complicité dans le système de dopage de Lance Armstrong, votre commission d'enquête constate que l'UCI n'a pas cherché à faciliter les contrôles ni à crédibiliser les analyses effectués sur cet athlète . Ainsi, Pierre Bordry rappelle que « le rôle de l'UCI (...) est surtout apparu avec le rapport Vriejman contre le LNDD, à propos de l'analyse des échantillons. On a cherché à démontrer que Lance Armstrong n'était pas dopé mais que c'est le LNDD qui était mauvais ». De même, les difficultés rapportées par Travis Tygart 343 ( * ) montrent qu'au-delà de la question des éventuelles complicités au sein de l'UCI s'agissant des contrôles sur Lance Armstrong, il n'y a pas eu de volonté politique, de la part de l'UCI, que soit sanctionné le septuple vainqueur du Tour de France .

Dans le même sens, le joueur de tennis André Agassi a rapporté dans son autobiographie qu'il a fait l'objet d'un contrôle positif à la méthamphétamine en 1997. Or, l'Association des joueurs de tennis professionnels (ATP), alors en charge de la lutte contre le dopage dans le tennis, avait décidé de passer ce contrôle sous silence et de ne pas le sanctionner après que le joueur eut expliqué qu'il s'agissait d'une prise accidentelle, dans le cadre d'un usage festif 344 ( * ) . Même si l'organisation de la lutte antidopage était encore en gestation au niveau international, cette anecdote traduit le malaise des instances internationales chargées de la promotion d'un sport lorsqu'il s'agit de sanctionner ses représentants de premier plan .

En conséquence, il conviendrait de prévoir également, à l'échelle internationale, dans le cadre de la révision du code mondial antidopage, la création d'une juridiction spécialisée, rattachée à l'AMA, chargée de prononcer les sanctions pour les sportifs de niveau international .

Proposition n° 42 Soutenir auprès de l'AMA le retrait du pouvoir de sanction des fédérations internationales à l'encontre des sportifs internationaux

3. Rendre les sanctions plus dissuasives

Le quantum des sanctions est fixé, au niveau international, par l'article 10 du code mondial antidopage . Cet article précise à la fois les sanctions possibles (suspension, annulation de résultats, sanctions financières) et, surtout, les cas dans lesquels cette sanction peut être alourdie ou, au contraire, allégée.

Si les principes fixés par le code mondial semblent globalement adéquats et suffisamment larges pour permettre une application appropriée et graduée par les autorités antidopage, le dispositif français de sanction ne semble en faire qu'imparfaitement usage. À cet égard, au-delà de la proportionnalité déjà mise en oeuvre par l'Agence dans ses sanctions disciplinaires 345 ( * ) , votre rapporteur formule plusieurs propositions dans le sens d'un dispositif de sanctions à la fois plus dissuasif et mieux adapté aux situations individuelles.

a) Renforcer les sanctions en cas de prise de produits lourds

Actuellement, le code mondial n'établit pas de distinction dans les sanctions selon le type de substance utilisée : la suspension est toujours, en principe, fixée à deux ans. Pourtant, il semble justifié de prévoir des sanctions plus lourdes lorsque le produit ou la méthode utilisé est nécessairement lié à la recherche d'une amélioration directe de la performance , comme l'EPO ou l'hormone de croissance. C'est ce que préconise, par exemple, David Lappartient, président de la FFC : « une interdiction de deux ans semble courte en cas de prise volontaire d'EPO. Je préconise plutôt une durée de quatre ans , avant une interdiction à vie en cas de récidive » 346 ( * ) .

Il est à l'heure actuelle prévu de porter à quatre ans la suspension en cas de prise de produits lourds, dans le cadre de la révision du code mondial antidopage. Votre rapporteur est très favorable à cette modification et souhaite qu'elle soit traduite dans le code du sport.

Proposition n° 43 Porter à quatre ans la durée de suspension en cas de prise de produits dopants lourds

b) Développer les sanctions pécuniaires

Aujourd'hui, les fédérations sportives ne peuvent pas prononcer de sanctions pécuniaires. En revanche, l'AFLD peut, aux termes de l'article L. 232-23 du code du sport, prononcer des sanctions pécuniaires allant jusqu'à 45 000 euros pour les sportifs ayant enfreint les règles antidopage et 150 000 euros pour les personnes ayant prescrit, fourni ou détenu des produits dopants.

Cependant, il apparaît, à la lecture de l'ensemble des sanctions prononcées par l'AFLD depuis 2006, que l'Agence n'a condamné un sportif à une amende qu'une seule fois en sept ans, et seulement à 2 500 euros d'amende, accompagnée d'une suspension de dix ans 347 ( * ) .

Votre rapporteur regrette qu'une sanction financière, adaptée au profit tiré par le sportif de sa tricherie, ne soit pas plus souvent prononcée. Comme le souligne David Lappartient, « il faut également sanctionner financièrement les contrevenants. L'athlète tire en effet profit de son dopage . Il faut frapper ceux qui trichent au porte-monnaie, à hauteur du préjudice qu'ils causent. Quand un athlète gagne 6 à 8 millions d'euros par an en s'étant dopé, il doit être sanctionné à de tels montants » 348 ( * ) . Il est vrai, cependant, qu'à ce niveau de revenus, les sportifs relèvent généralement de la fédération internationale et non de l'AFLD.

Denis Masseglia s'est également dit favorable aux sanctions pécuniaires : « il me semble important d'ouvrir la possibilité de sanctions financières pour réparation du préjudice de la dégradation de l'image du sport » 349 ( * ) .

De même, Bernard Amsallem a souhaité que « ces sanctions [de suspension] soient assorties d'amendes financières », soulignant plus loin « qu'en athlétisme l'amende pécuniaire serait radicale pour dissuader certains sportifs » 350 ( * ) . La proposition est également venue d'un sportif, Martin Fourcade 351 ( * ) , ainsi que de Christophe Blanchard-Dignac, qui a par ailleurs souhaité que l'AFLD bénéficie du produit de ces amendes 352 ( * ) .

En conséquence, votre rapporteur estime que la sanction pécuniaire pourrait en effet être prévue de façon systématique dès lors que la suspension est supérieure à deux ans, ce qui indique généralement la prise de produits lourds et/ou des circonstances aggravantes comme une récidive . Bien que le montant de la sanction doive évidemment être adapté au cas par cas par l'AFLD, en fonction des ressources du sportif, il conviendrait de porter à 100 000 euros le plafond des sanctions pécuniaires possibles, de manière à envoyer un signal politique . Enfin, le produit de ces amendes serait versé aux actions de prévention mises en oeuvre par l'AFLD .

Enfin, cette préconisation rejoint celle, qui sera présentée plus tard dans le détail, de la mise en place d'un système de « repentis » (proposition n° 58) : les sportifs qui acceptent de livrer des informations sur leurs réseaux ou d'autres sportifs ayant recours au dopage pourraient voir leur sanction pécuniaire diminuer .

Proposition n° 44 Prévoir des sanctions pécuniaires systématiques dès lors qu'est prononcée
une suspension de deux ans ou plus

Proposition n° 45 Porter à 100 000 euros le plafond des sanctions pécuniaires envisageables
pour un sportif

Proposition n° 46 Attribuer à l'AFLD le produit des amendes financières

c) Introduire des sanctions collectives dans les sports d'équipe

Comme il a été exposé précédemment s'agissant des contrôles hors compétition, votre rapporteur souhaite que le dispositif de lutte contre le dopage soit adapté à la spécificité des sports collectifs .

Or, les sanctions sportives sont aujourd'hui uniquement prononcées à l'égard des sportifs individuellement, et non de leur équipe ou club, à moins d'obtenir la preuve directe que ce dernier ou certains de ses cadres n'aient prescrit ou fourni les produits dopants.

Or, l'implication d'une équipe dans la lutte contre le dopage ne doit pas se limiter à s'abstenir de fournir des produits . Elle devrait également comprendre une politique active de prévention de ce type de pratiques chez leurs joueurs . À cet égard, la violation d'une règle antidopage par plusieurs joueurs d'une même équipe, si elle ne suffit pas à établir l'existence d'un système de dopage organisé, témoigne à tout le moins d'une défaillance dans l'encadrement et l'accompagnement des joueurs .

Dans cette perspective, Jean-Pierre Paclet a ainsi indiqué à votre commission que « dans les sports collectifs, les sanctions devraient être collectives. Cela inciterait l'ensemble des dirigeants, des entraineurs, des accompagnateurs à s'engager davantage » 353 ( * ) .

Dans le cyclisme, les sanctions collectives ont été mises en place sur une base volontaire dans le cadre du mouvement pour un cyclisme crédible (MPCC) ; comme l'a indiqué Christophe Blanchard-Dignac devant la commission d'enquête : « si aucune équipe n'est à l'abri d'une défaillance individuelle, toute défaillance collective s'explique, en revanche, par une chaîne de complicités et un défaut de surveillance » 354 ( * ) . Le MPCC prévoit notamment, dans sa charte, qu'une équipe doit « s'auto-exclure » des compétitions si elle présente plus de deux cas de dopage sur une période réduite 355 ( * ) .

La généralisation et l'institutionnalisation de ce type de sanctions collectives seraient conformes au code mondial antidopage , dont l'article 11.2 dispose que « si plus de deux membres d'une équipe dans un sport d'équipe ont commis une violation des règles antidopage pendant la durée de la manifestation, l'organisme responsable de la manifestation doit imposer une sanction appropriée à l'équipe en question (par exemple, perte de points, disqualification d'une compétition ou d'une manifestation, ou autre sanction) en plus des conséquences imposées aux sportifs ayant commis la violation des règles antidopage ».

L'article L. 232-23-3 du code du sport fournit une ébauche de sanction collective en prévoyant que « dans les sports collectifs, lorsque, à la suite d'un contrôle effectué au cours d'une manifestation sportive organisée par une fédération (...) , plus de deux sportifs d'une équipe ont fait l'objet d'une sanction administrative prévue à l'article L. 232-23, la fédération prend les mesures appropriées à l'encontre de l'équipe à laquelle ils appartiennent ».

Toutefois, cet article est lacunaire :

- il limite la sanction collective aux cas de violation des règles antidopage au cours d'une même manifestation . En l'état actuel du code mondial, il semble qu'il serait possible d'adopter une approche plus extensive consistant, notamment, à considérer l'ensemble d'une saison comme la « durée de la manifestation » ;

- l a sanction collective n'est possible que si la sanction a été prononcée par l'AFLD et non par les fédérations : dès lors, la plupart des sanctions, qui sont prononcées par les fédérations, ne peuvent pas donner lieu à l'établissement d'une sanction collective ;

- l'éventuelle sanction collective se limite à des « mesures appropriées » prises par la seule fédération . L'AFLD ne peut donc pas prononcer elle-même une sanction.

En conséquence, votre rapporteur souhaite que cet article soit réécrit afin de prévoir que lorsque plus de deux sportifs d'une même équipe ont fait l'objet d'une sanction au cours d'une même saison sportive, l'AFLD peut enjoindre à la fédération ou à la ligue professionnelle de prononcer, à l'encontre de l'équipe à laquelle ils appartiennent, une sanction pouvant notamment consister en un retrait de points ou une disqualification . Votre commission d'enquête a pu constater, lors de son déplacement, que cette possibilité serait introduite en Espagne dans le cadre de l'application de la nouvelle loi antidopage 356 ( * ) .

Proposition n° 47 Permettre à l'AFLD de prononcer des sanctions collectives, en particulier un retrait
de points ou une disqualification, à l'encontre des équipes ayant fait l'objet
de plus de deux sanctions individuelles au cours d'une même saison

4. Accroître le nombre de sanctions sur la base d'éléments de preuve non analytiques

Les résultats des contrôles ont longtemps constitué le socle de la lutte antidopage et des sanctions prononcées contre les sportifs . Cependant, comme l'a souligné Bruno Genevois lors de son audition par votre commission d'enquête, on constate que « l'efficacité des contrôles analytiques traditionnels diminue ». Cela tient notamment au fait que les sportifs se sont adaptés au dispositif de contrôle, par exemple à travers le micro-dosage d'EPO ou la prise de produits dont la fenêtre de détection est très réduite.

Dans ce contexte, l'importance de compléter les contrôles traditionnels par du renseignement a déjà été soulignée précédemment (voir supra ). Le renseignement permet non seulement de cibler les contrôles, mais également, le cas échéant, de constituer un dossier qui, dès lors qu'il fait apparaître avec certitude le cas de dopage, permet de sanctionner le sportif en question sans même un contrôle positif.

L'instruction du dossier de Lance Armstrong par l'Usada constitue l'exemple le plus abouti de cette possibilité d'établir le dopage d'un sportif en l'absence de tout contrôle positif, sur la base de témoignages et de données de renseignement (courriers, procès-verbaux de prélèvements, rapprochement d'informations, etc.).

À côté de l'agence américaine, il convient de citer l'agence australienne qui, en 2011-2012, a instruit vingt-huit dossiers sur la base du renseignement, dont dix-neuf ont été transférés à la section juridique pour sanction disciplinaire 357 ( * ) .

L'instruction de ce type de dossiers est encore très étrangère à la culture française de lutte contre le dopage, fondée sur la gestion d'un résultat positif suite à un contrôle. Ainsi, il apparaît que, depuis 2006, l'AFLD n'a pris qu'une seule décision sans contrôle positif 358 ( * ) : il s'est agi, en 2006, d'une sanction sportive prise à la suite d'une sanction pénale 359 ( * ) . Ce type de sanctions avait déjà été mis en oeuvre à deux reprises par le CPLD 360 ( * ) .

Ainsi, l'agence française limite les sanctions sur la base d'éléments non analytiques aux sanctions traduisant, de façon automatique, une peine prononcée par le juge pénal . La base légale existe pourtant, dans la mesure où les articles du code du sport permettent à l'AFLD de prononcer une sanction pour violation de l'article L. 232-9, sans préciser les modalités d'établissement de la preuve de cette violation.

En réalité, le développement de ce type de sanctions fait appel moins à une évolution du droit qu'à une évolution de la culture de l'agence française et de l'utilisation des moyens à sa disposition . En conséquence, votre rapporteur souhaite que les services de l'Agence, à côté de la planification et du ciblage des contrôles, s'organisent de manière à établir des dossiers individuels sur la base des renseignements obtenus directement ou transmis par les autorités policières ou douanières (voir supra ).

Cette préconisation rejoint celles en matière de développement de la coopération avec les autorités policières, judiciaires et douanières et de renforcement des capacités de renseignement propres à l'Agence.

Proposition n° 48 Développer les sanctions sur la base d'éléments de preuve non analytiques

Votre rapporteur note que la prise de ce type de sanctions serait grandement facilitée par la capacité de l'Agence à recevoir des témoignages faits par certains sportifs, par exemple dans le cadre d'une atténuation de sanction.

5. Encourager le repentir

L'un des enseignements majeur de la décision raisonnée de l'Usada sur l'affaire Armstrong est que la possibilité laissée par le code mondial antidopage de réduire les sanctions sportives en cas de collaboration à la lutte antidopage est un outil extrêmement pertinent pour les Onad. Elle permet en effet :

- de libérer la parole des sportifs , qui ont largement tendance à nier, même en cas de sanction, la réalité de leur pratique dopante ;

- de réunir des éléments sur les pratiques d'autres sportifs des mêmes équipes, qui n'ont pas été contrôlés positifs ;

- de remonter des filières de trafics de produits dopants et de lutter de manière plus large contre le dopage ;

- et de renforcer par conséquent les liens entre les autorités antidopage et les services de police et de gendarmerie en charge de la lutte contre le trafic de produits dopants.

Il est à noter que, dans le cadre de son pouvoir de modulation de la sanction, l'Agence française de lutte contre le dopage peut déjà réduire les suspensions envisagées en fonction de l'attitude du sportif et notamment s'il fournit des éléments de nature à améliorer l'efficacité de la lutte contre le dopage.

Il apparaît cependant que cette possibilité n'est jusqu'ici pas utilisée pour favoriser la révélation d'informations par le sportif. Selon les informations fournies à votre commission d'enquête, l'Agence a même sanctionné sévèrement des sportifs pourtant disposés à fournir des éléments relatifs aux modalités de son approvisionnement et aux personnes concernées.

Considérant qu'il y a un intérêt majeur à disposer d'informations précises permettant de remonter les filières, votre rapporteur considère qu'une disposition précise dans le code du sport devrait fixer à l'Agence comme objectif de mettre en place un véritable système de repentir.

C'est la raison pour laquelle il a fait une proposition de mise en place d'une telle mesure, très longuement développée, dans la partie intitulée, « l'AFLD, un soutien nécessaire des acteurs de la lutte pénale ».


* 334 S'agissant des sanctions sur la base de preuves non analytiques, la compétence est partagée entre l'organisation nationale dans laquelle le sportif est licencié (par exemple l'Usada dans le cas de Lance Armstrong) ou la fédération internationale concernée.

* 335 Les recours sont limités aux motifs suivants de procédure : composition irrégulière du TAS, défaut de compétence, sentence statuant ultra ou infra petita , violation du droit d'être entendu ou de l'égalité des parties, incompatibilité avec l'ordre public.

* 336 Voir par exemple l'audition de Bernard Amsalem du 18 avril 2013 ou de Laurent Jalabert du 15 mai 2013.

* 337 Voir l'audition du 29 mai 2013 : « Ces commissions, de première et deuxième instances, ont peu de travail au sein de notre fédération. Cependant, nous estimons que trop de cas sont rejugés par l'AFLD, remettant en question l'intérêt des commissions disciplinaires fédérales ».

* 338 Audition du 14 mars 2013.

* 339 Audition du 18 avril 2013.

* 340 Audition du 22 mai 2013.

* 341 Audition du 18 avril 2013.

* 342 Voir notamment l'audition de Marie-George Buffet le 20 mars 2013.

* 343 Voir l'audition du 25 avril 2013.

* 344 André Agassi, « Open », Plon, 2009.

* 345 Voir le rapport d'activité 2012 de l'AFLD : proportionnalité en fonction des conditions de pratique et l'âge des sportifs, de leur attitude, de l'existence d'un dossier médical, de la nature des produits utilisés.

* 346 Audition du 22 mai 2013.

* 347 Décision n° 2012/119 du 20 décembre 2012 ; il s'agit d'un cas d'EPO en athlétisme.

* 348 Audition du 22 mai 2013.

* 349 Audition du 22 mai 2013.

* 350 Audition du 18 avril 2013.

* 351 Voir l'audition du 16 avril 2013.

* 352 Voir l'audition du 23 mai 2013.

* 353 Audition du 16 mai 2013.

* 354 Audition du 23 mai 2013.

* 355 Ibid. Au-delà de la sanction collective, Christophe Blanchard-Dignac a exposé un ensemble de pratiques qui permettent d'assurer que l'équipe et son encadrement sont investis dans la prévention du dopage comme, par exemple, l'absence de rémunération au résultat pour le directeur sportif et le médecin d'équipe.

* 356 Voir le compte rendu du déplacement en Espagne en annexe.

* 357 Rapport annuel de l'ASADA 2011-2012 , Australian Sports Anti-Doping Authority.

* 358 Ou sur la base de manquements liés aux obligations de localisation et de contrôle.

* 359 Il s'agissait d'un cas d'usage de cocaïne chez un cycliste (décision n° 2006-70).

* 360 Décisions n° 2013-85 et 2003-87.

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