TABLE RONDE 2 : QUI SONT LES ULTRAMARINS DE L'HEXAGONE ?

Mme Sophie Élizéon, Déléguée interministérielle pour l'égalité des chances des Français d'outre-mer

La question de qui sont les ultramarins-es de l'Hexagone est essentielle : comment en effet définir des priorités, mettre en oeuvre des actions concrètes et évaluer l'impact de nos politiques si nous n'avons pas une connaissance objectivée de notre public cible ?

C'est pourquoi, j'ai demandé à l'INED de nous apporter cet éclairage sur la population ultramarine de l'Hexagone. Merci à Monsieur Claude-Valentin Marie et à l'INED d'avoir répondu favorablement à notre demande et d'être présent pour vous faire partager son analyse.

Mais notre approche serait incomplète si nous ne prenions pas la mesure de l'état d'esprit des ultramarins de l'Hexagone et c'est tout le sens de l'intervention de Monsieur Hugues Cazenave, Président-fondateur d'Opinion Way, que je remercie de sa présence à nos côtés. France Ô et singulièrement Monsieur Gilles Camouilly que je salue, s'est associée à la démarche de la délégation pour travailler à la définition de ce baromètre que nous souhaitons pérenne. En effet, sa régularité nous permettra d'évaluer l'impact de nos actions et le cas échéant de les infléchir. Je rappelle que c'est la première fois qu'une étude sur un échantillon aussi large est conduite et laisse à Monsieur Hugues Cazenave le soin de vous en divulguer les résultats.

M. Hugues Cazenave, Fondateur et président d'Opinion Way

LES ULTRAMARINS ONT DE L'AUDACE

Rapport d'études (juin 2013)

Première partie : État d'esprit des originaires d'outre-mer

Confiants les ultramarins, oui, mais...

Des originaires d'outre-mer plus confiants et plus enclins à l'enthousiasme et au bien-être

Comparativement à l'ensemble des hexagonaux, les originaires d'outre-mer se sentiraient :

- plus confiants : seuls 13 % de l'ensemble des hexagonaux se déclarent confiants alors que parmi les ultramarins ils sont près d'un quart (23 %) ;

- mais aussi légèrement plus enthousiastes : 12 % de l'ensemble des hexagonaux se disent enthousiastes, parmi les ultramarins ils sont 16 % ;

- et épanouis : 18 % de l'ensemble des hexagonaux estiment ressentir du bien-être, parmi les ultramarins ils sont 22 %.

... bien qu'atteints par la morosité ambiante et avec des craintes plus fortes.

À l'instar de l'ensemble des hexagonaux, 33 % des ultramarins s'estiment moroses et 27 % las.

Parmi les ultramarins victimes de discriminations liées à leur origine ou leur appartenance à une « race » ou une ethnie, ils sont 40 % et 35 %.

Mais, alors que seul 10 % des hexagonaux déclarent ressentir de la peur, ce sont 17 % des ultramarins qui estiment que la peur caractérise bien leur état d'esprit.

Parmi les ultramarins victimes de discriminations liées à leur origine ou leur appartenance à une « race » ou une ethnie, ils sont 22 %.

De la même manière, quand 20 % des hexagonaux se disent sereins, seuls 13 % déclarent l'être parmi les ultramarins.

Parmi les ultramarins victimes de discriminations liées à leur origine ou leur appartenance à une « race » ou une ethnie, on observe un niveau de méfiance plus élevé (36 % contre 26 % pour l'ensemble des ultramarins), et ce notamment à l'encontre des personnes qu'ils rencontrent pour la première fois (59 % contre 55 %) ou de leurs voisins (42 % contre 38 %).

Deuxième partie : Image des ultramarins

Troisième partie : La situation des originaires d'outre-mer dans l'hexagone

a) L'égalité des chances

b) Les discriminations

Un premier enjeu, lutter contre les discriminations...

Et pourtant une population qui porte un regard plus critique et déclare souffrir plus souvent de discriminations

46 % de l'ensemble des hexagonaux pensent que la France est plutôt raciste. Parmi les ultramarins, ils sont plus de la majorité à le penser : 55 %.

Quand 27 % de l'ensemble des hexagonaux déclarent avoir été victimes de discriminations, ce sont 56 % des ultramarins qui ont expérimenté ce type de situations.

Parmi les ultramarins dont les parents sont originaires d'outre-mer, ils sont près des deux-tiers à déclarer avoir subi des discriminations (63 %).

40 % des ultramarins estiment avoir été écartés de possibilités de réalisations personnelles et/ou professionnelles dans l'hexagone du fait de leur origine ultramarine.

Parmi les ultramarins ayant été victimes de discriminations, ils sont 65 % à avoir vécu cette situation.

Des discriminations qui touchent principalement l'emploi

Comme pour l'ensemble des hexagonaux, c'est avant tout le milieu du travail qui est source de discrimination.

40 % des hexagonaux ayant subi des discriminations les ont vécues à l'occasion d'une recherche d'emploi. Pour les ultramarins, cette proportion est plus importante encore : 56 %. Les évolutions de carrière, également, suscitent des situations de discrimination (36 % pour les hexagonaux ayant subi des discriminations, 48 % pour les ultramarins ayant subi des discriminations).

... mais aussi la recherche de logement et les relations avec l'administration

Alors que les discriminations liées à l'accès au logement touchent relativement peu d'hexagonaux (18 % des hexagonaux victimes de discriminations), parmi les ultramarins victimes de discriminations la proportion est nettement supérieure : 50 % déclarent avoir été victimes de discriminations dans le cadre d'une recherche de logement.

Quant aux relations avec l'administration, elles sont également fortement sujettes à des discriminations aussi bien pour les hexagonaux que les ultramarins, quoique plus encore pour les ultramarins (49 % des ultramarins ayant subi des discriminations contre 30 % des Français ayant subi des discriminations).

... un second enjeu trouver le ton juste...

Des situations de discrimination insuffisamment relayées et abordées en France...

Près de la majorité des hexagonaux estime que la discrimination est un sujet insuffisamment abordé (45 %). Parmi les ultramarins ils sont 58 %.

Parmi ceux ayant subi des discriminations liées à leur origine ou à leur appartenance ethnique ou à une « race », ils sont plus des trois-quarts (76 %).

Et quand il est abordé, 80 % des hexagonaux et 79 % des ultramarins pour lesquels le sujet est insuffisamment abordé estiment qu'il est mal abordé.

... qui peuvent peser sur le sentiment d'être Français...

59 % des ultramarins se sentent, avant tout, Français.

Mais, parmi les ultramarins ayant subi des discriminations ils sont 56 % (contre 64 % de ceux qui n'ont jamais subi de discriminations).

... et au final améliorer la représentation, la prise en compte et l'image des ultramarins dans un récit apaisé

Des hexagonaux et parmi eux, plus encore, des ultramarins qui relatent une représentation inégale et souvent trop faible des ultramarins

Pour 65 % des hexagonaux et la majorité des ultramarins (51 %), la diversité des origines est bien représentée dans les médias.

Parmi les ultramarins victimes de discriminations liées à l'appartenance à une ethnie, une « race » ou liées à leur origine, ils sont moins de 40 % (39 %).

Mais moins de la moitié des hexagonaux et tout juste un tiers des ultramarins estiment que cette diversité est suffisante parmi la haute fonction publique (respectivement 37 % et 34 %), les candidats aux mandats politiques (41 % et 32 %) ou les entreprises cotées (36 % et 32 %).

Parmi les ultramarins victimes de discriminations liées à l'appartenance à une ethnie, une « race » ou liées à leur origine, ils sont moins d'un quart (respectivement 20 %, 18 %, 23 %).

L'instauration de quotas visant une meilleure diversité des origines dans ces milieux apparaît clivante. 40 % des hexagonaux et une faible majorité des ultramarins l'appellent de leurs voeux et seuls 20 % parmi les ultramarins y seraient tout à fait favorables.

Les personnes ayant subi des discriminations se montrent légèrement plus favorables (autour de 60 %).

Enfin, moins de 40 % estiment qu'une personne originaire des Outre-Mer pourrait être élue Président (37 %).

Parmi les ultramarins victimes de discriminations liées à l'appartenance à une ethnie, une « race » ou liées à leur origine, ils sont 30 %.

Une image médiatique qui doit s'améliorer pour les ultramarins

58 % des ultramarins estiment que les médias diffusent une image positive des ultramarins.

Mais seuls 9 % déclarent que l'image que les médias donnent à voir des ultramarins est très bonne.

M. Claude-Valentin Marie,
Conseiller pour l'outre-mer
à l'Institut national d'études démographiques (INED)

LES JEUNES ULTRAMARINS EN MÉTROPOLE : DU TALENT OUI... MAIS ?

Comme me l'a demandé Madame la Déléguée interministérielle, mon intervention traitera très spécifiquement des migrations des ultramarins et, principalement, des plus jeunes d'entre eux. Mais auparavant, permettez-moi de resituer le contexte et les réalités en cause : celles de nos régions autant que celles de la France métropolitaine.

D'abord, en rappelant que la présence ultramarine dans l'hexagone s'inscrit dans une histoire longue de plus d'un demi-siècle qui a fait des DOM le théâtre de mouvements migratoires intenses où se croisent départs et retours des natifs et arrivées de populations nouvelles, françaises et étrangères.

Des migrations qui, en raison de leur importance, ont profondément modifié la composition par âge, sexe et origine de la population de chacun de ces départements. Et, aujourd'hui encore, elles prennent toute leur part dans les défis qu'ils auront à affronter ces deux prochaines décennies :


• pour les uns, la Martinique, la Guadeloupe, il s'agit des défis du vieillissement et de la décroissance de leur population,


• pour d'autres, la Guyane et Mayotte, il s'agit des défis d'une immigration continue et d'une croissance démographique toujours vive.


• différents encore seront les enjeux pour La Réunion qui, sur ce plan, occupe une position intermédiaire qui ne rend pas moins complexe sa situation.

Le trait majeur de ces migrations - départs et arrivées - est d'avoir, de tout temps, concerné prioritairement des populations en âge de travailler. À ce titre, elles modifient de manière substantielle la composition de la population active des DOM, avec un impact fort en termes de qualification, de taux d'emploi et de taux de chômage des populations concernées. Des réalités qui demeurent, plus que jamais, d'actualité.

Dans cet ensemble, je me limiterai ici à la migration des natifs en m'efforçant, pour en éclairer la complexité, de rendre compte des trajectoires qu'elle recouvre et des sélections qu'elle opère.

Une attention particulière sera accordée aux plus jeunes (18-34 ans), ceux dont les soldes migratoires très négatifs traduisent l'intensité toujours vive des départs. Leur situation sera comparée à celle de leurs aînés (35-64 ans) pour mettre au jour les évolutions qui - d'une génération à l'autre - marquent cette tradition durable et forte de migrations entre les DOM et la métropole.

Pour en traiter, je m'appuierai sur les résultats de deux enquêtes importantes de l'INED. L'une, que j'ai conduite dans les quatre DOM, intitulée « Migrations, famille et Vieillissement » (MFV). L'autre, intitulée « Trajectoires et Origines » (TeO) qui s'efforce de décrire les parcours d'insertion des immigrés étrangers et de leur descendants et les discriminations dont ils se déclarent victimes dans l'Hexagone.

Comme le montre le graphique ci-après, qui en retrace l'histoire depuis 1954, l'immigration des natifs des DOM en France métropolitaine a connu du début des années 60 jusqu'au milieu des années 80 une phase très intense, qui a d'abord concerné les Martiniquais et les Guadeloupéens, dont les effectifs ont été progressivement rattrapés par ceux des Réunionnais. À eux seuls, Antillais et Réunionnais forment l'essentiel (plus de 8 sur 10) des natifs de l'ensemble de l'outre-mer installés dans l'Hexagone.

Graphique 1 - Un demi-siècle d'histoire des natifs des DOM en métropole

Complétant ces données, l'enquête MFV a permis de mesurer à quel point le phénomène a profondément marqué la vie des natifs des DOM. Peu nombreux, en effet, sont ceux qui n'ont jamais quitté leur département.

Le cas des Martiniquais est le plus exemplaire.

Ils sont moins de 10 % à n'être jamais, de toute leur vie, sortis de leur île. À l'inverse, près de 53 % l'ont quitté durablement, inscrivant ainsi leur trajectoire de vie sur un double espace : la Martinique et l'Hexagone. Les uns se sont réinstallés au pays après un séjour relativement long (11 ans en moyenne), les autres, plus nombreux, résident encore en métropole (pour certains depuis plus de 30 ans). Et, dans ces deux groupes, beaucoup ont eu des enfants qui y sont nés et qui y résident encore, formant la population nouvelle non plus seulement des « natifs », mais des « originaires des DOM » en métropole.

Tableau 1 - Rapport à la migration des natifs des DOM âgés de 18 à 79 ans (en %)

18-79 ans

Natifs n'ayant jamais quitté le Dom

Natifs ayant quitté le Dom quelques jours

Natifs de retour

Natifs en métropole

Ensemble des natifs

Guadeloupe

10,0

34,1

24,1

31,9

100,0

Martinique

9,0

38,3

22,0

30,7

100,0

Guyane

16,4

42,1

15,4

26,2

100,0

La Réunion

21,8

39,0

21,8

17,4

100,0

Ensemble

15,1

37,7

22,1

25,2

100,0

Sources : Enquête MFV, 2010 Ined-Insee

L'enquête MFV nous apporte ainsi deux enseignements majeurs et inédits sur les trajectoires de vie des natifs des DOM.

Le premier est que seule une faible minorité n'a jamais quitté son département : un sur six en moyenne ; ils le sont moins en Martinique et en Guadeloupe (9 et 10 %) qu'en Guyane (16,4 %) et à La Réunion (22 %).

Le second, à l'inverse, est qu'une grande part d'entre eux ont vécu, ou vivent encore, l'expérience d'une migration durable.

Le résultat est qu'aujourd'hui une personne sur quatre née aux Antilles réside en métropole . De 1954 à 2010, leur nombre est passé de 15 600 (4 %) à 239 000 (25 %). Si les Réunionnais (108 000) y sont en nombre proches des Martiniquais (120 000) et des Guadeloupéens (119 000), en valeur relative de la population de leur île, leur part est de facto nettement moindre.

Mais l'impact de ces migrations varie aussi selon l'âge, le niveau de diplôme et le statut d'activité. Ainsi, dans la population en âge de travailler (15 à 64 ans), la part de ceux résidant en métropole atteint près de 33 % pour les Antilles (Guadeloupe et Martinique) ; elle est de 25 % pour la Guyane et de un sur cinq pour La Réunion. Plus significative encore est la distribution par âge : 40 % des jeunes adultes nés aux Antilles sont installés en métropole.

Encouragée et organisée par les pouvoirs publics, cette émigration a, dès l'origine, été motivée par la situation économique des DOM (déjà les difficultés d'emploi). Mais, l'objectif était aussi de répondre à la demande du marché du travail métropolitain de l'époque, d'où son orientation quasi exclusive vers l'hexagone et leur concentration dans des secteurs très spécifiques d'emploi : les services publics et assimilés. Les natifs des DOM y étaient appelés à jouer un rôle équivalent, et complémentaire, à celui des salariés étrangers recrutés en grand nombre à la même époque sur les postes de basse qualification de l'industrie et du bâtiment.

C'est à ce titre qu'ils ont formé - les Antillais plus encore que les Réunionnais - une bonne part des bataillons de postiers, policiers, infirmières et aides-soignantes, et autres personnels des administrations publiques, dont on avait grand besoin alors à Paris et en Île-de-France.

Mais les besoins de ce temps passé ne sont plus de mise.

Si les nouvelles « politiques de mobilité » de LADOM offrent aujourd'hui des conditions plus ou moins favorables de départ (prise en charge complète ou partielle des frais de voyage et de première installation), les conditions permettant une installation durable et d'une insertion économique positive en métropole le sont nettement moins.

La demande du marché métropolitain n'est plus celle d'antan.

L'entreprise « Orange » en offre un exemple plus que symbolique. Héritière du service public de la Poste, elle a entrepris de tourner radicalement la page des anciennes PTT. Ni les statuts d'emploi, ni les modes de gestion, ni les parcours professionnels, ni les niveaux de qualification ne s'inscrivent dans la logique antérieure. C'est dire que les candidats potentiels à une immigration depuis les DOM ne peuvent plus espérer y retrouver des emplois et des statuts comparables à ceux proposés autrefois à leurs aînés par feu ce service public qui a longtemps été un des principaux recruteurs de main-d'oeuvre antillaise dans l'Hexagone.

Cet exemple souligne combien les réalités de l'immigration se sont radicalement transformées, pour les natifs des DOM autant que pour les immigrés étrangers.

Les nouvelles demandes du marché privilégient un autre profil, valorisant pour l'essentiel des niveaux nettement plus élevés de qualifications.

Par nature, les migrations comportent en elles-mêmes un double processus de sélection, au départ et à l'arrivée. Il est aussi très commun d'observer que les critères et les stratégies qui organisent cette sélection varient d'une période à l'autre, le plus souvent en fonction des intérêts du pays d'accueil. Le débat actuel, en France et en Europe, sur le thème de « l'immigration choisie » est à ce titre très explicite. Il traduit l'aspiration et, plus encore, la volonté des pays d'immigration de renforcer la sélection de ceux appelés à s'y installer.

La nouvelle compétition sur le « marché international de l'intelligence » en est une autre expression. L'importante réforme des lois sur l'émigration en cours aux États-Unis en fournit un bel exemple. À ce titre, il est significatif que les leaders des grandes sociétés américaines pèsent de tout leur poids pour que les nouveaux textes facilitent l'entrée des jeunes diplômés et des élites intellectuelles mondiales.

La démarche n'est pas différente au Royaume-Uni ou au Canada, où la concurrence est de mise entre les grandes universités, pour attirer vers elles les meilleurs des étudiants.

Les migrants natifs des DOM, et en particulier les plus talentueux d'entre eux, n'échappent pas à cette réalité. Pour l'heure, ils la vivent essentiellement au sein de l'espace national. Peut-être seront-ils plus nombreux demain à être happés par cette compétition internationale.

Cette nouvelle donne change radicalement de la situation des années 1960-70, où même ceux partis avec un niveau de formation relativement modeste pouvaient espérer répondre à la demande du marché métropolitain. Beaucoup ont trouvé ainsi à s'employer dans les postes de catégorie C ou D de la fonction publique, avec des salaires certes modestes, mais en partie compensés par une garantie d'emploi. Ce profil n'est plus recevable dans le marché actuel.

La demande a changé et les critères de sélection aussi, qui privilégient désormais les plus diplômés. Si les moins qualifiés demeurent toujours nombreux à tenter l'expérience du départ, ils se heurtent vite aux exigences nouvelles du marché métropolitain. Là où leurs ainés auraient tenté de prolonger leur séjour pour forcer leurs chances, aujourd'hui, le repli sur le territoire d'origine se fait beaucoup plus rapide.

Ce mouvement de noria entre les DOM et la métropole des moins qualifiés constitue une part de la face cachée du chômage et de l'inactivité des jeunes si préoccupants pour l'équilibre économique et social de ces départements.

Une sélection accrue des candidats à l'émigration : la métropole ne garde que les plus qualifiés

Désormais, les migrations des natifs DOM s'accordent pleinement à cette nouvelle donne d'une sélection accrue des candidats potentiels : la métropole retient d'abord les plus diplômés et ceux susceptibles d'occuper un emploi. Le cas des jeunes guadeloupéens est exemplaire : en 2010, 53 % des 20 à 34 ans, nés en Guadeloupe et diplômés du supérieur, résident en métropole ; et 49 % de ceux de la même classe d'âge qui ont un emploi, l'occupent également en métropole.

C'est cette même sélection que reflète la structure par qualification des jeunes adultes (18-35 ans) nés dans les DOM et résidant en métropole : leur répartition selon le niveau de diplôme est équivalente à celle des jeunes métropolitains de leur âge et donc très supérieure à celle de leurs pairs vivant dans leur département (Graphique 2). Une sélection que reflètent pareillement leurs taux d'activité et d'emploi qui, en 2010, sont comparables aux moyennes nationales et plus encore leur taux de chômage qui sont moindres.

Graphique 2

Tableau 2 - Taux d'emploi des natifs des DOM

de 15 à 64 ans résidant dans l'hexagone

Plus largement, les natifs des DOM en métropole ont dans leur ensemble une situation d'emploi comparable, voire supérieure pour les Antillais, à celle des métropolitains. Mieux encore, le taux d'emploi des Antillaises dépasse de 10 points celui des métropolitaines (Tableau 2).

On ne peut manquer de souligner le paradoxe de ces résultats.

Bénéfique au niveau individuel, parce que répondant aux aspirations de promotion des jeunes concernés, ce renouvellement très sélectif des dynamiques migratoires s'exerce en revanche au détriment des intérêts collectifs des départements : ils voient partir avec une très faible perspective de retour- et c'est le plus important - les mieux formés, ceux qui leur seraient particulièrement utiles dans un contexte qui impose d'oeuvrer à un nouveau modèle de développement et de mobiliser toute la valeur-ajoutée intellectuelle disponible.

Mais il serait inconséquent de tenter d'entraver ce parcours de promotion des plus méritants et/ou des plus talentueux. Il est même impératif qu'ils soient de plus en plus nombreux à s'inscrire dans cette voie d'excellence qui les conduit à parfaire du mieux qu'ils le peuvent leur niveau de qualifications et de compétences.

En l'état, leur absence du pays traduit deux choses :

- leurs capacités très vives à rechercher les opportunités correspondant à leurs aspirations et leurs qualifications ;

- mais une capacité à l'inverse insuffisante de nos régions à les inciter à y revenir.

Le défi est donc d'oeuvrer au renforcement de l'attractivité des DOM pour que les talents d'outre-mer ne soient pas ce qui fait défaut à l'outre-mer.

Le monde du travail à l'épreuve des discriminations

Est-ce à dire que tout va pour le mieux, pour l'ensemble de ceux installés dans l'Hexagone ?

En dépit d'une situation plutôt positive en termes d'emploi pour ceux qui y séjournent durablement, les natifs et les originaires des DOM n'échappent pas (au moins pour partie d'entre eux, souvent les plus vulnérables, mais pas exclusivement) aux dommages de la discrimination et du racisme du fait de leur « origine ». L'enquête TéO le confirme, montrant que celle-ci demeure le facteur le plus déterminant des discriminations ressenties 27 ( * ) , toutes choses égales par ailleurs.

Ainsi, en Île-de-France, à caractéristiques comparables, la probabilité de se sentir discriminé est quatre à cinq fois plus élevée pour un natif ou un originaire des DOM que pour un individu de la population majoritaire. Pour les immigrés et les originaires d'Afrique subsaharienne, le risque est six fois plus élevé. L'enquête témoigne aussi de la forte sensibilité des jeunes sur ce plan. Les inégalités de traitement leur sont plus intolérables et leurs attentes et exigences en matière d'égalité nettement plus fortes.

Comme prévu, l'enquête confirme l'importance de « ressenti » des discriminations dans le monde du travail. L'inégalité de traitement la plus fréquemment dénoncée est le « refus injuste d'emploi » qui prime sur le « refus de promotion », lui-même plus fréquent que le « licenciement injustifié ».

La situation des natifs des Antilles et de la Guyane est à ce titre remarquable. Si le taux des discriminations déclarées pour « refus injuste d'emploi » n'atteint pas chez eux les niveaux des minorités les plus « vulnérables » (immigrés du Maghreb et d'Afrique subsaharienne), il dépasse celui des immigrés de Turquie et il est, surtout, presque trois fois plus élevé que celui de la population majoritaire . À l'inverse, ils se sentent moins menacés par le risque de « licenciement injustifié ». Leur part est même inférieure à celle de la population majoritaire.

Ces deux résultats sont évidemment à rapporter à leur situation d'emploi très spécifique, caractérisée on l'a dit par une forte présence dans les services publics et assimilés. Une situation qui les protège relativement plus que les autres du « licenciement », mais pas d'un « refus injustifié de promotion ».

Le rapprochement avec les enseignements de l'enquête MFV ajoute une dimension complémentaire à l'analyse, et même une profondeur historique. Les données recueillies dans les DOM auprès des « natifs de retour », à propos de leur expérience métropolitaine passée, font très largement écho aux résultats précédents de l'enquête TeO qui nous renseignent sur ceux résidant actuellement en métropole. Dans les deux cas, les taux de discrimination relatifs au « refus d'emploi » sont globalement comparables 28 ( * ) . Le phénomène semble même s'être accentué au fil du temps. Parmi les « natifs de retour » 29 ( * ) , ceux dont les taux de discrimination déclarée sont les plus élevés sont ceux revenus le plus récemment au pays (moins de 10 ans).

Ce résultat conforte les analyses précédentes. Les difficultés accrues rencontrées sur le marché du travail métropolitain, et notamment les mécanismes de sélection et de rejet plus marqués que par le passé (accélérant le repli dans leur DOM de ceux qui ne trouvent pas d'emploi), expliquent probablement ce ressenti plus fort des discriminations chez ceux dont le retour est le plus récent. Il conviendra d'approfondir ce lien entre « discrimination » et « retour au pays », notamment pour les Réunionnais. En effet, la part de ceux qui déclarent une discrimination une fois rentrés sur l'île est deux fois plus importante que parmi ceux résidant encore en métropole.

Un traitement plus sophistiqué des données 30 ( * ) conforte pleinement les résultats de l'analyse statistique descriptive (tableau ci-après). Il montre, toutes choses étant égales par ailleurs, que dans l'accès à l'emploi en métropole les natifs des Antilles-Guyane ont une probabilité d'avoir ressenti une discrimination trois à quatre fois supérieure à celle de la population majoritaire. Ils se retrouvent sur ce point dans une situation équivalente à celles des immigrés du Maghreb et d'Afrique subsaharienne.

Tableau 3 - Effet de l'origine sur la probabilité

d'avoir ressenti une discrimination ( odds ratio )

Refus d'emploi

Immigrés du Maghreb

3,4***

Immigrés d'Af. Subsaharienne

4,5***

Immigrés de Turquie

ns

Immigrés d'Asie du Sud-Est

ns

Immigrés d'un pays UE27

ns

Natifs de La Réunion

ns

Natifs des Antilles-Guyane

3,5***

Population majoritaire

Ref.

Champ : Île-de-France

Source : Ined - Insee, enquête Trajectoire et Origine (TeO) 2008

Une fois contrôlés les effets de structures (notamment ceux liés au « statut d'activité »), il existe donc bel et bien un processus d'inégalité de traitement dans l'accès à l'emploi liée à l'origine des personnes auquel n'échappe pas les natifs et originaires des DOM.

L'étude des motifs évoqués par ceux qui s'estiment victimes d'inégalités de traitement dans l'emploi confirme le propos. Alors que les membres de la population majoritaire évoquent le plus souvent comme motifs leur sexe ou leur âge (ou une « autre » raison), les natifs des DOM et les immigrés d'Afrique subsaharienne désignent prioritairement « la couleur de leur peau » et secondairement « leur origine » 31 ( * ) . Il n'est donc pas étonnant que ce soit eux qui, de tous les répondants à l'enquête, disent le plus souvent avoir fait l'expérience du racisme (Tableau 4). Une réalité d'autant plus insupportable aux natifs des DOM qu'ils se sentent français (à 90 %), mais n'ont pas (pour près de la moitié) le sentiment d'être reconnus comme tel.

Tableau 4 - Expérience de racisme selon l'origine (en %)

Immigrés du Maghreb Immigrés d'Af. subsaharienne Immigrés de Turquie

Immigrés d'Asie du Sud-Est

Immigrés d'un pays UE27

32

45

22

31

19

Natifs de La Réunion

Natifs des Antilles-Guyane

32

50

Population majoritaire

13

Champ : Île-de-France

Source : Ined - Insee, enquête Trajectoire et Origine (TeO) 2008

Graphique 3 - 90 % des natifs de DOM se sentent Français

mais seule la moitié s'estime être reconnue comme tel

Champ : Île-de-France

Source : Ined - Insee, enquête Trajectoire et Origine (TeO) 2008

Mme Sophie Élizéon, Déléguée interministérielle pour l'égalité des chances des Français d'outre-mer

Merci messieurs de vos interventions précises et éclairantes.

Je retiens de vos propos quatre points essentiels.

Premièrement, je retiens l'existence d'un effet discriminations. Si les ultramarins de l'Hexagone se déclarent globalement plus confiants que les autres hexagonaux, leurs craintes sont plus fortes et ceci d'autant plus qu'ils ou elles ont été victimes de discriminations. Ce qui est le cas pour plus de la majorité des ultramarins de l'Hexagone, 56 % d'entre eux disent avoir subi des discriminations, contre seulement 27 % des autres hexagonaux.

Deuxièmement, l'impact de cet effet sur l'exercice par les ultramarins d'une citoyenneté pleine et entière. Dès lors que le sujet des discriminations paraît trop peu abordé et relayé dans notre pays pour 58 % des ultramarins, cette situation semble peser sur l'exercice de leur citoyenneté : 56 % des ultramarins victimes de discriminations se sentent avant tout Français contre 64 % de ceux qui déclarent n'avoir jamais subi de discriminations.

Troisièmement, la transformation du marché de l'emploi hexagonal et son implication sur la mobilité des ultramarins vers et au départ de l'Hexagone. Les mutations, notamment en terme de pré requis et de profils, qui ont impacté le marché de l'emploi conduisent à ne laisser finalement de place qu'aux plus diplômés et compétents des originaires des outre-mer. Cette transformation masque, par un taux d'emploi des ultramarins de l'Hexagone plus élevé que la moyenne nationale, la réalité des difficultés d'insertion professionnelle de celles et ceux dont les profils sont moins pointus et qui les conduit à faire des allers retours entre l'Hexagone et les outre-mer, qu'ils et elles soient ultramarins de naissance ou d'origine, dans une quête sans cesse renouvelée de la formation ou de l'emploi qui assurera leur avenir.

Enfin, l'image médiatique doit s'améliorer.

58 % des ultramarins estiment que les médias diffusent une image positive des ultramarins. Mais seuls 9 % déclarent que l'image que les médias en donnent à voir est très bonne.

En outre, aucune figure ultramarine du monde économique n'émerge. L'audace économique n'occupe pas encore sa juste place dans le panel des représentations collectives.

Cela prouve, s'il en était besoin, que le chemin est encore long avant que nos missions s'éteignent.

Aussi, à la lumière de vos exposés nous pouvons d'ores et déjà fixer nos priorités sur les champs de la jeunesse, de l'économie et de la solidarité, de la santé et de l'accès à l'emploi et la formation. Les projets soutenus par la délégation pour l'année 2014 répondront à ces priorités.

Vous le voyez, les partenariats que nous avons ou allons conclure tiennent compte de l'ensemble des conclusions de ces études, validant ainsi nos choix stratégiques pour accompagner les ultramarins de l'Hexagone vers l'exercice d'une citoyenneté pleine et entière :

- Avec le Défenseur des droits pour former les responsables associatifs à l'identification des situations de discrimination et faire des associations ultramarines de l'Hexagone de véritables relais d'information en matière de discriminations. L'objectif que nous poursuivons ici est d'encourager et de mieux qualifier les réclamations portées par les ultramarins auprès du Défenseur des droits. Pour rendre compte de la réalité observée sur le terrain. Ce partenariat sera signé ce matin à l'issue de la troisième table ronde.

- Avec le réseau d'accueil des villes françaises, dont je salue la présence de la présidente ce matin, afin d'améliorer l'accueil et l'installation des nouveaux arrivants originaires des outre-mer sur le territoire hexagonal. Les AVF, ce sont des permanences d'accueil réparties dans 340 villes françaises de l'Hexagone et des outre-mer et 11 000 bénévoles que nous pourrons mobiliser, grâce à ce partenariat, pour préparer les départs et garantir un accueil personnalisé et chaleureux des ultramarins qui font le choix de la mobilité vers l'Hexagone.

- Avec Akelio accompagnement, qui agit déjà en faveur de l'insertion professionnelle des jeunes de niveau bac à bac+3, pour l'organisation en décembre prochain d'un forum pro jeunesse ultramarine. Ce forum sera pour nous l'occasion d'intéresser un nouveau partenaire spécialiste de l'information jeunesse aux problématiques des jeunes ultramarins de l'Hexagone.

- Avec la Jeune Chambre Économique Française afin de renforcer et d'accompagner le tissu associatif dans le montage de projets et la recherche de partenaires locaux, institutionnels et privés.

- Avec l'Observatoire national des originaires des outre-mer afin d'approfondir notre connaissance de la situation des ultramarins de l'Hexagone sur le sujet de la prévention santé par exemple. Sujet que nous abordons déjà avec Nutricréole pour ce qui relève de l'alimentation et des maladies du métabolisme, ou avec le réseau Rofsed et le professeur Galactéros pour le syndrome drépanocytaire.

Ce sont là les premières nouvelles pistes ouvertes ; d'autres seront à approfondir par exemple sur le thème de la création et de la reprise d'entreprises. Le tour de France de l'audace ultramarine nous permet d'identifier des territoires expérimentaux sur lesquels mener des actions positives afin de restaurer l'égalité des chances.


* 27 Les développements qui font référence aux résultats de l'enquête TéO s'appuient sur l'article de P-E. Bidoux , « Les descendants d'immigrés se sentent au moins autant discriminés que les immigrés ». Insee Île-de-France, n° 395, octobre 2012. Les tableaux 3 et 4 sont extraits de ce document.

* 28 Cette similitude ne se vérifie pas pour le refus injuste de promotion et le licenciement injustifié.

* 29 Sont désignés ainsi les natifs des DOM qui, après un séjour durable en métropole, sont revenus s'installer dans leur département d'origine.

* 30 Méthode statistique inférentielle - modèle de régression logistique binaire (cf. P-E. Bidoux op.cité ) .

* 31 Les natifs des DOM, notamment les Réunionnais, évoquent aussi leur âge et un « autre » motif.

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