Rapport d'information n° 83 (2013-2014) de Mme Kalliopi ANGO ELA , fait au nom de la Mission d'information sur l'action extérieure de la France, déposé le 16 octobre 2013

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N° 83

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 16 octobre 2013

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la mission commune d'information (1) sur l' action extérieure de la France en matière de recherche pour le développement ,

Par Mme Kalliopi ANGO ELA,

Sénatrice.

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(1) Cette mission commune d'information est composée de : M. Henri de Raincourt, président ; Mmes Claudine Lepage, Catherine Morin-Dessailly, Michelle Demessine, M. Robert Hue, vice-présidents ; Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure ; MM. Philippe Adnot, Michel Berson, Mme Corinne Bouchoux, MM. Jacques Chiron, Marc Daunis, Mmes Marie-Annick Duchêne, Josette Durieu, Joëlle Garriaud-Maylam, Brigitte Gonthier-Maurin, Christiane Kammermann, Fabienne Keller, MM. Jean-Yves Leconte, Jacques Legendre, Mme Valérie Létard, M. Rachel Mazuir, Mme Colette Mélot, MM. Robert Navarro, Bernard Piras, Christian Poncelet, Mme Sophie Primas, M. André Trillard.

L'ESSENTIEL

Créée fin mars 2013 à la demande du groupe écologiste du Sénat, la Mission commune d'information sur l'action extérieure de la France en matière de recherche pour le développement, composée de 27 membres, propose d'appréhender notre politique de développement par le prisme de la recherche menée en partenariat avec les pays du Sud. Grâce à trois déplacements à l'étranger (Bruxelles, Inde, Tchad) et une quarantaine d'auditions, dont l'audition de chercheurs du Sud à l'initiative de sa rapporteure Mme Kalliopi ANGO ELA (ECOLO - Français établis hors de France), la mission, présidée par M. Henri de RAINCOURT (UMP - Yonne), a voulu savoir dans quelle mesure la recherche pour le développement, enjeu d'influence pour la France, autonomisait réellement les pays du Sud.

Dans presque tous les pays du Sud, la France est présente par le biais de ses instituts de recherche, dont certains sont dédiés au développement du Sud (le Cirad, l'IRD) : depuis longtemps, notre pays consacre un effort soutenu à la recherche pour le développement. La mission estime que cet atout français, qui représente aussi un enjeu d'influence, est insuffisamment valorisé dans notre politique de développement et peine aussi à trouver sa place dans le monde de la recherche, qui s'organise autour d'alliances thématiques. En outre, la mise en oeuvre des partenariats de recherche entre la France et les pays du Sud rencontre des difficultés, à la fois du fait de l'asymétrie entre les deux partenaires et du fait du morcellement de l'offre scientifique française au Sud, morcellement que la création de l'Agence inter-établissements de recherche pour le développement (AIRD) n'a pu résoudre.

Sur le fondement de ses rencontres avec les acteurs concernés, au Nord comme au Sud, la mission commune d'information voudrait que la recherche partenariale soit pleinement mise au service du développement. À cet effet, elle propose :

- de rendre plus cohérente l'action publique française au service du développement par la recherche. La place des opérateurs dédiés à cette recherche doit être confortée ; la mission leur propose de s'allier aux autres établissements de recherche et universités tournés vers le Sud pour constituer une sixième alliance de recherche, consacrée aux partenariats avec le Sud et transversale aux cinq alliances nationales thématiques de recherche. Leur connexion à l'opérateur-pivot que constitue l'Agence française de développement (AFD) sera la garantie d'une meilleure adéquation des recherches menées aux besoins du terrain. La mission juge aussi nécessaire de doter l'Agence nationale de la recherche (ANR) des moyens de financer cette recherche, y compris de financer directement les équipes du Sud qui y participent ;

- d'améliorer la qualité de nos partenariats de recherche avec les pays du Sud : définition conjointe des objets de recherche pour répondre véritablement aux besoins du Sud, accompagnement dans l'ingénierie des partenariats, mise en oeuvre du projet de recherche dans un respect réciproque, évaluation du projet en commun par les deux partenaires. Ainsi, la recherche en partenariat pourra avoir un effet d'entraînement sur le développement, c'est-à-dire renforcer les capacités des pays du Sud, déboucher sur des décisions politiques éclairées et trouver une valorisation économique ;

- de faire valoir à l'étranger le savoir-faire français en matière de recherche en partenariat, au service du développement. Dans cette perspective, la mission appelle à consacrer la recherche en partenariat avec le Sud comme levier du développement dans la prochaine loi d'orientation et de programmation pour le développement.

SYNTHÈSE DU RAPPORT

La politique de développement constitue avec sa diplomatie et sa politique de défense un des piliers de la politique étrangère de la France. Elle est un élément essentiel du dialogue Nord-Sud, qui est devenu avec la fin de la guerre froide un enjeu central de la géopolitique mondiale. La France est d'autant plus légitime à peser dans ce dialogue qu'elle est le 4ème donateur en matière d'aide publique au développement. Sa politique de coopération est destinée, avec celle des autres États donateurs, à concourir aux Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), définis dans le cadre de l'ONU pour lutter collectivement contre la pauvreté et les inégalités et destinés à être intégrés après 2015 dans le cadre plus large des Objectifs pour le développement durable (ODD), lesquels font actuellement l'objet d'une large consultation. Si ces objectifs constituent un point de ralliement des politiques de développement, ils n'empêchent pas une concurrence entre grandes nations pour favoriser leur influence au Sud.

Créée dans ce contexte à la demande du groupe écologiste du Sénat, la Mission commune d'information sur l'action extérieure de la France en matière de recherche pour le développement propose d'appréhender notre politique de coopération par le prisme de la recherche menée en partenariat avec les pays du Sud. C'est une approche originale, loin d'une conception réduisant le Sud à un terrain de recherche. Ce mouvement vers la recherche partenariale pour le développement se nourrit de la globalisation des questions de recherche, qu'il s'agisse de santé, de sécurité alimentaire, d'environnement ou de changement climatique, de sciences et techniques... Il participe aussi de l'exigence croissante de responsabilité sociale et environnementale (RSE) que le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) du 31 juillet dernier commande d'intégrer pleinement dans notre politique de développement.

Grâce à une quarantaine d'auditions et trois déplacements à l'étranger, la mission a voulu savoir dans quelle mesure la recherche pour le développement, enjeu d'influence pour la France, autonomisait réellement les pays du Sud.

I. La recherche pour le développement, un atout mal connu que la France pourrait mieux valoriser

1. L'effort français en matière de recherche pour le développement : un atout pour notre pays, un enjeu d'influence

La France dispose d'une gamme complète d'acteurs et d'outils : notre pays se distingue par ses organismes de recherche dédiés à cette matière - l'Institut de recherche pour le développement (IRD) et le Centre de coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement (Cirad) - qui se caractérisent par leur présence hors de France dans la durée ; mais la contribution d'autres acteurs importants est mise en valeur : d'autres établissements de recherche ou agences de développement se mobilisent aussi pour le Sud (l'Institut Pasteur, l'ANRS, le CNRS...), mais aussi des universités, des collectivités locales, des ONG, des fondations... Les mobilités étudiantes sont aussi présentées comme un outil au service de la recherche pour le développement.

Cela représente pour la France un effort budgétaire non négligeable : 360 millions d'euros, soit un peu moins de 4 % de l'aide au développement française, mais près de 12 % si on y ajoute les frais d'écolage qui correspondent à la prise en charge des étudiants issus des pays en développement. Cet effort budgétaire est donc soutenu, mais la complexité et la dispersion des lignes budgétaires de la coopération ne permettent pas de le mettre en valeur.

Cet effort en matière de recherche pour le développement est une pièce maîtresse de notre diplomatie scientifique, dans un contexte où la France est concurrencée de manière croissante, y compris dans les États ayant des liens historiques avec elle.

L'importance de ces efforts ne signifie pas pour autant qu'ils produisent les résultats escomptés. En fait, la recherche pour le développement est tiraillée entre les exigences de la recherche et la démarche de développement : comment faire de la recherche d'excellence tout en aidant les pays les plus en difficulté à y accéder ?

De plus, la recherche pour le développement souffre d'une mise en oeuvre délicate, qui ne bénéficie pas toujours aux pays du Sud. Les thématiques de recherche ne sont pas systématiquement élaborées conjointement avec le Sud : les chercheurs du Sud ont indiqué que les recherches n'étaient pas toujours articulées aux besoins des pays du Sud. Les partenariats sont trop souvent inégaux et pas assez tournés vers le renforcement des capacités. Enfin, la recherche est trop souvent confondue avec l'expertise, qui n'a pas les mêmes exigences scientifiques et ne renforce pas les capacités du Sud.

2. La recherche pour le développement, une politique publique mal constituée, une action extérieure dispersée

Si la qualité de la relation partenariale qui la fonde n'est pas toujours satisfaisante, la recherche pour le développement souffre aussi d'un défaut de reconnaissance au sein de l'action publique française.

Cela tient à son positionnement hybride au sein de notre action publique : la recherche pour le développement se situe entre la recherche scientifique, qui s'organise autour d'une stratégie nationale et de cinq alliances thématiques, et le développement, qui est surtout opéré par l'Agence française de développement (AFD), peu connectée à nos opérateurs de recherche. Il en est d'ailleurs de même à Bruxelles. Mal reconnue, la recherche pour le développement se trouve aussi freinée par des politiques publiques qui lui sont mal adaptées : la politique des visas qui entrave la mobilité des étudiants et des chercheurs, et celle de la défense qui s'inquiète des menaces contre le patrimoine scientifique et technique de la nation.

En outre, nos opérateurs de recherche se présentent au Sud en ordre dispersé : la création de l'Agence inter-établissements de recherche pour le développement (AIRD) a tenté d'y remédier en 2010. Il faut admettre son échec, dû à un défaut de conception et à un manque de moyens. Mais il est impossible de s'en satisfaire : non seulement l'offre scientifique française au Sud ne sera pas optimale dans ces conditions, mais l'IRD est menacé dans son existence.

Le Gouvernement est donc appelé à mettre, au plus vite, en cohérence les objectifs qu'il souhaite assigner à la recherche pour le développement et les moyens qu'il entend y consacrer.

II. Une exploration concrète des partenariats de recherche avec le sud : la France avec l'Inde, la France avec le Tchad

La mission a choisi de se rendre en Inde et au Tchad : par leurs différences de populations et de superficies (1,3 milliard d'habitants en Inde, 11 millions et demi au Tchad), de géographie, d'histoire et de développement (le PNB de l'Inde équivaut à celui de l'Afrique entière), ces deux pays illustrent bien la diversité des « Suds » et la variété des relations que la France peut entretenir au Sud sur le terrain de la recherche pour le développement.

1. L'Inde, une palette croissante de partenariats de recherche avec la France

La progression indienne en matière de recherche, voire son avance sur notre pays en certains domaines, rend possible l'établissement d'un partenariat respectueux des deux parties, fondé sur la complémentarité entre la France et l'Inde. Même si l'établissement d'un tel partenariat rencontre des difficultés, notamment du fait de la configuration institutionnelle de l'Inde, cette complexité est stimulante pour la France, qui y déploie un dispositif d'importance croissante.

L'accent est notamment mis sur le rôle catalyseur du Centre franco-indien pour la promotion de la recherche avancée, le CEFIPRA : organisme original, financé à parité par la France et l'Inde. Il joue un rôle décisif de promoteur et de facilitateur pour les partenariats de recherche entre les deux pays, qu'ils soient publics ou privés.

Sont aussi présentés plusieurs partenariats de recherche franco-indiens, dont certains constituent l'archétype d'une relation équilibrée, institutionnalisée, pluridisciplinaire et finalisée, comme le laboratoire international associé (LIA) en sciences de l'eau (qui implique l'IRD) et celui en neurosciences (qui implique l'INSERM) à Bangalore. Des collaborations ont aussi été nouées avec les chercheurs indiens par deux Unités Mixtes des Instituts Français de Recherche à l'Etranger (UMIFRE), mixtes car résultant d'une alliance entre le CNRS et le ministère des affaires étrangères : l'Institut français de Pondichéry et le Centre de Sciences humaines à Delhi. Enfin, la mission a pu voir d'autres types de recherche très différents en Inde : la recherche fondamentale sur l'Inde classique à l'Ecole française d'Extrême-Orient de Pondichéry, et, à l'autre bout de la chaîne de la recherche pour le développement, la recherche-action dans un village rural de l'Inde.

Au-delà des difficultés qui compliquent l'établissement de ces partenariats, il en résulte un véritable enrichissement mutuel : c'est essentiellement en matière de valorisation de la recherche que la France a à apprendre de son partenaire indien. Si la France produit d'abondantes innovations, l'Inde se distingue, pour sa part, par sa capacité à traduire rapidement l'innovation en produits de haute qualité et à bas coût, ce que les Indiens appellent « l'innovation frugale ». A ce titre, la mission a rencontré un acteur clé qui illustre cette ambition : Mme Mazumdar-Shaw, présidente et fondatrice de Biocon, cinquième société mondiale de biotechnologie.

2. Le Tchad : un partenariat de recherche en reconstruction avec la France, après un échec instructif

Le cas du Tchad est complètement différent. Les institutions nationales de recherche souffrent de réelles difficultés. Toutefois, les autorités actuelles affirment une démarche volontariste en la matière. L'action de la France pour soutenir la recherche au Tchad a connu un échec édifiant, son projet d'appui à la recherche tchadienne, conçu pour la période 2005-2011, l'ayant été d'une manière très discutable. A la lumière de cet échec, la stratégie française s'est infléchie et se redéploye à présent vers le renforcement effectif des capacités tchadiennes et vers la connaissance du Tchad contemporain : le nouveau projet part de l'existant au lieu d'inventer de nouvelles structures, il mise sur une nouvelle génération de chercheurs plus motivés, il mobilise le Centre national d'appui à la recherche. De nouvelles pistes peuvent renforcer encore le caractère équitable du partenariat franco-tchadien.

III. Mettre pleinement la recherche partenariale au service du développement

1. Améliorer la cohérence de l'action publique française au service du développement par la recherche

La première urgence consiste à revoir la place que la France veut donner, en interne, à sa recherche pour le développement.

De ce point de vue, il faut conforter la mission des opérateurs de recherche pour le développement, c'est-à-dire:

- clarifier la stratégie scientifique de l'IRD et du CIRAD grâce à un comité de pilotage interministériel et une connexion avec l'AFD ;

- confier à l'Agence nationale de la recherche (ANR) la programmation de la recherche avec le Sud et le financement direct de nos partenaires de recherche Sud ; cela implique de supprimer l'agence AIRD et de réintégrer à l'institut IRD les personnels et les moyens qu'il avait mobilisés pour l'AIRD ;

- adapter les critères d'évaluation scientifique de la recherche partenariale avec le Sud pour valoriser réellement la contribution du Nord au développement du Sud, en matière de formation, de valorisation, de structuration de l'appareil de recherche du partenaire...

- engager la concertation entre les partenaires sociaux autour de la création d'un nouveau statut pour faciliter la mobilité des chercheurs français vers le Sud, entre missions de longue durée et expatriation classique, tout en veillant à sa soutenabilité financière.

Dès lors que l'on admet la nécessité de miser sur la recherche pour le développement, il faut ordonner autour de cela nos politiques publiques :

- en renforçant le dialogue entre tous les acteurs du développement : c'est l'objet du futur Conseil national du développement et de la solidarité internationale (CNDSI);

- en adaptant notre politique de mobilité des chercheurs, avec, par exemple, un droit de visite permanent pour les étrangers devenus docteurs en France;

- en sensibilisant encore davantage les chercheurs sur la protection du patrimoine scientifique et technique de la nation, au lieu d'entraver le dynamisme des partenariats de recherche.

2. Améliorer nos partenariats de recherche avec les Suds

Il est impératif est de mieux accompagner les pays du Sud à chaque étape de la recherche, c'est-à-dire :

- mieux répondre à leurs besoins, dans la définition des objets de recherche, mais aussi dans les formations que nous leur proposons ;

- accompagner le montage des projets en partenariat, notamment en mobilisant mieux les fonds européens de développement pour faciliter l'accès des équipes du Sud aux fonds de l'union Européenne destinés à la recherche;

- mener la recherche dans une relation d'égal à égal, y compris en matière de propriété intellectuelle des échantillons ou des résultats ;

- associer le Sud à l'évaluation des projets de recherche menés avec la France : il s'agit de consulter les personnes à qui la recherche est destinée, en s'inspirant des nouvelles méthodes que l'AFD entend suivre pour évaluer ses propres projets. Cette évaluation doit aussi permettre d'aborder les questions de genre et de mesurer la place faite aux femmes dans le développement.

Une deuxième attente forte des pays du Sud, c'est de favoriser l'effet d'entraînement de la recherche partenariale sur le développement économique : cela passe par un vrai renforcement des capacités scientifiques et institutionnelles de ces pays, grâce à la recherche mais aussi à la formation ; cela commande d'encourager la connexion entre nos opérateurs de recherche et les autorités publiques du pays partenaire ; enfin, cela impose de promouvoir la valorisation économique des résultats de la recherche, par le soutien aux incubateurs d'entreprise, la valorisation des brevets...

3. Faire connaître le savoir-faire français en matière de recherche pour le développement

Il faut rendre notre offre partenariale plus lisible pour le Sud. La création d'une sixième alliance de recherche, transversale aux cinq autres et tournée vers le Sud, permettrait de donner un visage uni à notre recherche au Sud mais aussi de rationaliser le réseau au Sud de nos organismes de recherche, par exemple en mutualisant leurs implantations. L'on pourrait aussi encourager la constitution d'organes paritaires comme le CEFIPRA dans les pays partenaires de taille déjà critique. En outre, via le site diplomatie.gouv.fr, les ambassades devraient répertorier les projets de recherche impliquant la France hors de ses frontières. Enfin, la France doit investir le monde des cours en ligne pour proposer une offre française dans ce nouveau champ de formation, aujourd'hui très anglo-saxon.

Il faut aussi diffuser hors de France notre démarche de recherche partenariale. Le préalable est de consacrer cette démarche dans le projet de loi qui s'annonce et de la labelliser par une charte. La France pourra ensuite la porter au niveau européen : inviter les commissaires au développement et à la recherche à développer la synergie entre leurs actions et initier des réunions communes des conseils des ministres européens de la recherche (Conseil « Compétitivité ») et du développement (Conseil « Affaires étrangères»). Enfin, la France devrait capitaliser sur sa compétence partenariale avec le Sud pour la mettre au service de l'amélioration des coopérations Sud-Sud.

La recherche pour le développement doit d'abord être une aide au développement du Sud, mais, par voie de conséquence et à plus long terme, elle installera également notre influence au Sud, comme elle servira en retour l'influence du Sud au Nord. C'est finalement par la qualité de la relation qu'elle tisse dans la durée et sur le terrain avec chaque pays du Sud, que la France peut se démarquer, dans un contexte d'aide au développement très concurrentiel.

AVANT-PROPOS

La politique de développement constitue avec sa diplomatie et sa politique de défense un des piliers de la politique étrangère de la France. Elle est un élément essentiel du dialogue Nord-Sud, qui est devenu avec la fin de la guerre froide un enjeu central de la géopolitique mondiale.

La France est d'autant plus légitime à peser dans ce dialogue Nord-Sud, que le niveau de son aide publique au développement - 10 milliards d'euros en 2012 - la place au quatrième rang au sein des membres du Comité d'aide au développement de l'OCDE. Sa politique de coopération est destinée, avec celle des autres Etats donateurs, à concourir aux Objectifs du millénaire pour le développement. Ces OMD ont été définis dans le cadre de l'ONU pour lutter collectivement contre la pauvreté et les inégalités ; ils ont vocation à être intégrés ou articulés après 2015 dans le cadre plus large des Objectifs pour le développement durable (ODD), lesquels font actuellement l'objet d'une large consultation en vue de leur définition en 2015.

Si ces objectifs constituent un point de ralliement des politiques de coopération, ils n'empêchent pas une concurrence entre grandes nations pour favoriser leur influence au Sud : concurrence des puissances occidentales entre elles, mais aussi et de plus en plus, des pays membres de l'OCDE avec les pays émergents, qui ont parfois une longue tradition de coopération, comme la Chine ou la Turquie, mais dont les modalités d'intervention diffèrent, notamment en matière d'exigence démocratique et de responsabilité sociale et environnementale.

En prenant l'initiative de cette mission sur l'action extérieure de la France en matière de recherche pour le développement, le groupe écologiste a proposé d'appréhender notre politique de développement par le prisme de la recherche menée en partenariat avec les pays du Sud. C'est une approche inédite dont je me félicite : je peux témoigner qu'il n'est pas commun de s'intéresser à Paris à la dimension scientifique de notre diplomatie. Pourtant, vu du Sud, la recherche menée avec la France ou les masters créés dans les universités sont des aspects très visibles de notre présence.

La démarche de la mission est originale ; elle est aussi difficile, car cette pratique partenariale, en rupture avec une conception réduisant le Sud à un terrain de recherche, est en construction. Ce mouvement vers la recherche partenariale pour le développement se nourrit de la globalisation des questions de recherche, qu'il s'agisse de santé, d'agriculture, de sécurité alimentaire, d'environnement ou de changement climatique. Il s'agit donc de faire évoluer notre politique de développement en adoptant une démarche véritablement partenariale avec les pays du Sud, dans leur intérêt.

Henri de Raincourt

Président de la mission

INTRODUCTION

« Tout ce que vous faites pour moi sans moi, vous le faites contre moi ».

M.K. Ghandi

En demandant la création de cette mission commune d'information, le groupe écologiste invite le Sénat à mener une réflexion approfondie sur l'action de la France en matière de recherche pour le développement, dans une optique de rééquilibrage des rapports Nord/Sud : les acteurs du Sud sont-ils réellement bénéficiaires de la recherche pour le développement ? La recherche pour le développement les autonomise-t-elle réellement ?

Si la France a d'abord développé des activités de recherche dans les pays du Sud, c'est en raison de leur spécificité territoriale et géographique : le Sud - que votre mission entend comme couvrant non seulement les pays pauvres prioritaires, identifiés par le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) du 31 juillet 2013 1 ( * ) , mais l'ensemble des pays en développement, des Pays les Moins Avancés (PMA) aux pays émergents (Brésil, Inde ou Afrique du Sud, mais non pas la Chine) 2 ( * ) - a longtemps constitué pour les chercheurs du Nord un terrain privilégié d'exploration, voire d'expérimentation, sans qu'il soit toujours prêté attention aux besoins de ces pays pour leur développement.

La déclaration de Paris en 2005 a constitué un tournant dans les relations Nord/Sud, suscitant l'apparition d'un nouveau paradigme : comme la coopération en général, la recherche, en particulier, ne peut plus être considérée comme le simple lieu d'un transfert du Nord vers le Sud, mais comme un véritable levier de développement réciproque - celui des pays du Sud, mais aussi celui des pays du Nord : en effet, face aux grands défis mondiaux en matière de santé, de sécurité alimentaire, d'énergie ou de changement climatique, la recherche est le meilleur investissement pour le développement durable au Nord comme au Sud. Elle participe aussi de la montée en puissance de l'exigence de responsabilité sociale et environnementale (RSE) qui est une dimension transversale de l'action du Gouvernement et que le CICID du 31 juillet dernier commande d'intégrer pleinement dans notre politique de développement.

Cette recherche pour le développement (RpD) passe par un nouveau mode de partenariat, dans la lignée du huitième objectif du Millénaire pour le développement (OMD) 3 ( * ) , et par de nouvelles méthodes, qui forment « la doctrine » largement mise en avant par les organismes dédiés à cette recherche :

- la recherche pour le développement doit être authentiquement partenariale, c'est-à-dire définie et effectuée ensemble, dans la reconnaissance des positions réciproques de chacun des opérateurs ; la réciprocité implique une définition claire et préalable des objectifs et des responsabilités de chacun, ainsi que le souci de bénéfices mutuels ;

- elle doit répondre à des questions concrètes posées par les sociétés du Sud, et ses réponses doivent être opérationnelles et directement utiles à leurs destinataires ;

- elle doit être pluridisciplinaire, parce que le développement résulte de nombreux facteurs interdépendants - qui relèvent chacun de plusieurs disciplines scientifiques et qui interagissent ;

- elle doit comporter un volet de formation et de renforcement des capacités ( capacity building) chaque fois que c'est nécessaire, avec comme perspective l'autonomie du Sud ;

- enfin, elle doit être évaluée de façon partenariale, pour que chacun des partenaires participe au « retour d'expérience » et à la décision sur les suites.

Quel a été l'impact du « tournant stratégique » initié il y a bientôt dix ans par la déclaration de Paris? Comment se déroule cette recherche pour le développement que l'Institut de recherche pour le développement (IRD) 4 ( * ) qualifie de « recherche au Sud, avec le Sud  et pour le Sud » ? Cette « recherche en partenariat » est-elle avant tout un outil d'aide au développement des pays du Sud, ou bien un outil d'influence pour la France, un instrument au service de sa puissance « douce » ( soft power) ? Comment rendre plus équitable la relation entre la France et les pays du Sud et la fonder sur des complémentarités plutôt que sur des inégalités ?

C'est pour répondre à ces questions que votre mission commune d'information a entrepris d'analyser cette action extérieure de la France en matière de recherche pour le développement.

A l'initiative du Président de la République, les pouvoirs publics français ont entrepris en 2012 de faire profondément évoluer à la fois la politique de la recherche et la politique du développement : les Assises de la recherche et de l'enseignement supérieur, engagées par la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, Mme Geneviève Fioraso, se sont tenues à l'automne 2012 et ont été suivies par l'adoption de la loi sur l'enseignement supérieur et la recherche le 22 juillet 2013 ; parallèlement, à l'initiative du ministre chargé du développement, M. Pascal Canfin, se sont tenues cet hiver les Assises du développement et de la solidarité internationale, qui devraient donner lieu au prochain dépôt d'un projet de loi d'orientation et de programmation pour le développement. La recherche pour le développement se situe à l'intersection de ces deux dynamiques : évoquée lors des Assises de la recherche, elle a fait l'objet d'une table ronde du cinquième chantier des Assises du développement. Le moment est donc particulièrement bienvenu pour interroger son identité, sa justification et son impact effectif sur le développement du Sud, que l'on pourrait plutôt désigner comme les Suds, tant la situation des pays considérés est hétérogène.

Ces interrogations s'inscrivent dans le cadre d'une exigence croissante d'efficacité de l'aide, consacrée fin 2011 à Busan (Corée du Sud) lors du forum organisé par l'OCDE. La France consent en effet un effort particulièrement important de présence dans la recherche pour le développement, mais cette recherche est-elle réellement mise au service du développement ? Même si mesurer l'impact sur le développement reste éminemment délicat, votre mission s'est de fait attelée à explorer cette question.

Une trentaine d'auditions a permis à votre mission d'entendre les plus grands acteurs de la recherche pour le développement - organismes de recherche, universités, collectivités territoriales, ONG, associations...-, de se pencher sur leur pilotage, leur financement et leur évaluation, et de situer leur action dans le cadre plus large de notre action publique d'aide au développement, appréhendée à travers l'Agence française de développement et l'OCDE 5 ( * ) . Pour compléter cette approche institutionnelle, votre rapporteure a procédé à une douzaine d'auditions , notamment de chercheurs du Nord comme du Sud, pour tenter de saisir la réalité concrète de la mise en oeuvre des partenariats de recherche. Il était convenu que ces auditions menées par la seule rapporteure ne fassent pas l'objet d'un compte-rendu public, afin de permettre une parole libre des personnes rencontrées.

Trois déplacements à l'étranger sont venus enrichir l'analyse de votre mission sur l'action extérieure de la France en matière de recherche pour le développement: le premier, à Bruxelles, lui a permis d'appréhender la dimension européenne du sujet ; les deux suivants, en Inde et au Tchad, ont permis d'explorer deux cas extrêmes et instructifs de partenariat de recherche avec la France, ces deux pays se situant chacun très différemment sur l'échelle de la puissance en ce domaine.

A la lumière de ce travail de plusieurs mois, il apparaît à votre mission que la recherche pour le développement est un atout pour la France, laquelle se distingue par ses organismes de recherche dédiés à cette matière -l'IRD et le Centre de coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement (Cirad) - et par leur présence hors de France dans la durée ; mais aussi que cet atout n'est pas toujours mis en oeuvre de manière satisfaisante par notre pays ni pleinement exploité, du fait de sa dispersion et de son positionnement inconfortable entre recherche et développement. Une deuxième partie du rapport est consacrée à l'exploration concrète des partenariats de recherche que mène la France au Sud, au travers des cas indien et tchadien. Se fondant sur ces analyses et sur ces constats de terrain, votre mission propose dans une troisième partie des voies d'amélioration pour que la recherche que mène la France en partenariat avec le Sud joue sur leurs complémentarités réciproques et devienne un véritable moteur du développement social, environnemental et économique du Sud.

En effet, votre mission est convaincue que la recherche partenariale avec le Sud, malgré les difficultés qu'elle rencontre, du fait de l'instabilité politique, du manque de personnes formées au Sud ou des difficultés matérielles, peut bénéficier aux partenaires Nord aussi bien qu'aux partenaires Sud, malgré l'asymétrie qui existe entre eux en matière de développement ou d'attributs de puissance.

CHAPITRE I : LA RECHERCHE POUR LE DÉVELOPPEMENT, UN ATOUT MAL CONNU QUE LA FRANCE POURRAIT MIEUX VALORISER

De l'avis unanime des personnes que votre mission a auditionnées, la recherche pour le développement représente pour la France un atout, qui la distingue des autres pays donateurs d'aide publique au développement, mais qu'elle n'exploite pas nécessairement de manière optimale.

I. LA RECHERCHE FINALISÉE POUR LE DÉVELOPPEMENT : UN ATOUT POUR LA FRANCE, UN ENJEU D'INFLUENCE

Notre pays consent un effort quantitatif important en faveur de la recherche pour le développement, mais la mise en oeuvre des partenariats de recherche avec le Sud présente des ambiguïtés, entre recherche, développement et soft power .

A. L'EFFORT FRANÇAIS EN MATIÈRE DE RECHERCHE POUR LE DÉVELOPPEMENT : UN ATOUT POUR NOTRE PAYS

La France dispose d'une gamme complète d'acteurs et d'outils qui sont dédiés ou qui concourent à la recherche pour le développement. Elle y consacre un effort budgétaire soutenu, au service de sa diplomatie scientifique.

1. Une gamme complète d'acteurs et d'outils

Notre pays dispose de nombreux opérateurs qui participent à l'action extérieure de la France en matière de recherche pour le développement ; le simple aperçu de l'ensemble révèle cette spécificité française : entre les opérateurs dédiés aux politiques de développement et ceux qui n'interviennent que ponctuellement dans les pays pauvres, notre pays utilise, depuis déjà longtemps, une gamme complète d'outils de recherche finalisée au service du développement.

a) Deux opérateurs et une agence dédiés : l'IRD (dont l'AIRD) et le CIRAD

Deux grands opérateurs se distinguent d'emblée par leur caractère dédié : l'Institut de recherche pour le développement (IRD) et le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad).

(1) L'IRD (dont l'AIRD)

Héritier de l'Office de la recherche scientifique et technique outre-mer (Orstom) 6 ( * ) , l'Institut de recherche pour le développement (IRD) a le statut d'établissement public à caractère scientifique et technique (EPCST), placé sous la double tutelle du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, et du ministère des affaires étrangères . Son périmètre a été modifié en 2010 avec la création, en son sein, de l'Agence interétablissements de recherche pour le développement (AIRD), qui a reçu mission de mobiliser les établissements de recherche et d'enseignement supérieur sur les questions de développement, de veiller à la cohérence des diverses actions de développement, et d'ouvrir le « réseau IRD » à l'ensemble de ces établissements.

Le budget de l'IRD s'établit autour de 230 millions d'euros (dont 88 % proviennent de subventions) et il compte 2 176 agents dont 842 chercheurs et 997 ingénieurs et techniciens, parmi lesquels 1014 (43 %) sont expatriés pour des missions longues de deux à quatre ans à l'étranger (dont la moitié en Afrique et autour du bassin méditerranéen).

La comparaison des trois contrats d'objectifs signés avec l'État depuis bientôt dix ans atteste un véritable tournant dans la méthode d'action de l'Institut . En effet, là où le contrat 2006-2009 énonçait des priorités scientifiques thématiques assez classiques 7 ( * ) , le contrat 2011-2015 est un véritable plaidoyer pour « le développement d'une recherche partenariale avec les Suds » et un guide pratique pour que l'Institut, « opérateur de recherche finalisée, réponde aux enjeux globaux du Sud » 8 ( * ) .

Fruit d'un travail préparatoire important 9 ( * ) , ce contrat critique la méthode suivie depuis des décennies par l'Institut, pour en proposer un changement important. Dans la partie diagnostic, les cosignataires estiment que les projets de l'IRD n'ont pas assez impliqué les partenaires du Sud et que le leadership en revient au Nord, même quand une codirection est affichée et, « d'une manière générale, [que] l'Institut ne s'appuie pas suffisamment sur les partenaires du Sud, qui restent peu représentés dans ses instances statutaires ».

Dès lors, le nouveau contrat d'objectifs énonce que l'IRD s'efforcera :

- de « co-construire des programmes de recherche fondés sur la demande des Suds » (le contrat précise quatre indicateurs de résultats, dont la participation financière des partenaires des Suds);

- de « rééquilibrer les pratiques de partenariat et de renforcement des capacités des Suds » (l'indicateur est ici la part de scientifiques du Sud nommés dans les instances d'évaluation de l'IRD);

- de « restituer les résultats des recherches aux parties prenantes et [d']alimenter le dialogue science-société » (pas d'indicateur associé);

- de « copublier les résultats des recherches en visant l'excellence et [de] les valoriser ensemble » (cinq indicateurs);

- enfin, « [d']élaborer et mettre en oeuvre une charte du partenariat » (l'indicateur en étant le nombre de signataires de la charte).

L'approche thématique n'a pas disparu, puisqu'en tant qu'organisme de recherche finalisée, l'IRD maintient des priorités scientifiques organisées par ses trois départements scientifiques (Santé, Sociétés, Environnement et Ressources). Mais ces priorités thématiques sont d'emblée inscrites dans un contexte globalisé et leur mise en oeuvre passe par de nouveaux outils qui s'inscrivent très bien dans « la doctrine » de la RpD.

Parmi ces outils, on distinguera en particulier :

- des unités mixtes internationales (UMI) et des laboratoires mixtes internationaux (LMI), ainsi que des programmes pilotes régionaux (PPR). Au nombre de 24 (dont dix ont été ouverts en 2012), dont sept en Afrique subsaharienne, les LMI sont installés dans les locaux des partenaires, ils sont copilotés et ils ont vocation à durer, tant qu'ils restent pertinents. Sont mis en avant, en particulier, le LMI « Patrimoines et territoires de l'eau », fondé au Sénégal en collaboration avec des universités sénégalaises et mauritaniennes, un LMI au Gabon sur les zoonoses et un LMI sur les maladies infectieuses au Cameroun et en République démocratique du Congo. Structures de coordination et d'animation paritaires Nord-Sud, les PPR visent à mobiliser et à organiser le travail de chercheurs sur les priorités stratégiques identifiées dans le contrat d'objectifs 2011-2015. Ils sont intégrés, visant à impliquer les partenaires depuis le montage du programme (et des projets), jusqu'à la diffusion de leurs résultats. En 2012, cinq nouveaux PPR ont été labellisés 10 ( * ) ;

- l'AIRD elle-même , qui doit veiller à ce que les programmes de recherche pour le développement procèdent par des partenariats « au Sud, avec le Sud et pour le Sud », selon la formule largement reprise dans la communication de l'IRD. L'Agence est censée, à travers son Conseil d'orientation (COrA), instance paritaire Nord-Sud, « dégager et faire entendre les attentes et les besoins des `Suds' en matière de recherche, de formation et d'innovation au service du développement » - en les explicitant dans un document annuel. Elle doit capitaliser les apports de la recherche pour le développement, apporter sa contribution à la définition de la stratégie nationale de recherche et « faire émerger des programmes labellisés Sud » (notamment à travers les « comités Sud » des Alliances thématiques, auxquelles elle participe, voir infra, mais également en servant de lien avec les institutions européennes). Elle est censée, enfin, coordonner les programmes régionaux pluridisciplinaires et internationaux, en particulier les dispositifs partenariaux ;

- le soutien, par des bourses , à des chercheurs pris individuellement, à des équipes ou à des institutions. A noter en particulier le Programme d'excellence pour l'enseignement et la recherche au Sud (PEERS), qui finance des programmes de recherche et de formation, ou encore les chaires croisées, accordées à un duo de chercheurs (Nord/Sud) ;

- enfin, parmi les outils « herméneutiques », les expertises collégiales , qui visent à faire le point sur des questions de développement et aider les politiques publiques nationales à définir les priorités 11 ( * ) .

Cette inflexion stratégique de l'IRD s'est faite parallèlement à des efforts importants pour une recherche « d'excellence » . En quelques années, l'Institut a considérablement renforcé son intégration dans le monde académique français : alors qu'en 2006, un tiers des unités de recherche de l'Institut étaient mixtes (UMR) avec une ou des universités, 95 % l'étaient devenues en 2012. Cette « umérisation » s'est accompagnée d'une meilleure évaluation (90 % des UMR sont classées A ou A+ par l'AERES) et d'un renforcement des publications : entre 2006 et 2011, les publications des laboratoires de l'IRD ont augmenté de moitié, dont 58 % figurent dans des revues à facteur d'impact élevé et 11 % dans des revues d'excellence 12 ( * ) . Votre mission observe néanmoins que, parmi ces publications des chercheurs de l'IRD, les co-publications avec des chercheurs des pays du Sud ne représentent que 49%.

(2) Le Cirad

Héritier de neuf instituts de recherche agricole tropicale créés dans les années 1940 pour moderniser l'agriculture dans l'Empire français, le Cirad est un organisme de recherche finalisée dans les domaines de l'agriculture, l'alimentation et les territoires ruraux des pays tropicaux et subtropicaux ; il produit et transmet de nouvelles connaissances pour accompagner le développement agricole et contribue au débat sur de grands enjeux relevant de son domaine - sécurité alimentaire, développement rural, réduction des inégalités, connaissance et gestion de la biodiversité, adaptation au changement climatique. Établissement public à caractère industriel et commercial (Epic), il emploie 1770 salariés, dont 856 cadres scientifiques et son budget s'établit autour de 207 millions d'euros (provenant pour les deux-tiers du budget civil de recherche et de développement technologique, le BCRD 13 ( * ) , et pour un tiers de ressources contractuelles).

Par contraste avec l'IRD, le Cirad est focalisé sur un domaine précis, la production des grandes espèces liées à l'agriculture des zones tropicales et sub-tropicales : banane, canne à sucre, coton, riz, sorgho, cacao, café, hévéa, palmier à huile, productions animales, essences forestières de ces zones. Cependant, il a lui aussi opéré un « tournant stratégique » à partir de 2007 , qui s'est traduit par la définition de six grands axes de recherche et d'une méthode d'intervention renouvelée, visant à assurer la cohérence des productions du Centre et à favoriser l'intégration des recherches. Sa « vision stratégique 2012-2022 » 14 ( * ) énonce clairement « une conviction : une société ne saurait se développer sur le long terme sans produire elle-même les connaissances dont elle a besoin pour imaginer et construire son avenir », ce qui a pour conséquence que « seul le renforcement de la culture scientifique dans les pays les plus démunis permettra de réduire la fracture entre pays et cheminer vers un développement durable à l'échelle planétaire ». Dès lors, pour « faire de la recherche un outil de développement », « le Cirad propose aux institutions des pays du Sud et de l'outre-mer français de travailler à la construction d'un système mondial de recherche agronomique partagé et distribué ».

Le mode d'action des quelque 36 unités de recherche du Cirad recourt largement à l'aller-retour entre la France et la cinquantaine de pays du « Sud » dans lesquels le Cirad intervient. Ainsi, le centre de Montpellier fournit-il aux chercheurs, agriculteurs et responsables du Sud des méthodes scientifiques (analyse des génomes, amélioration des plantes), des techniques (culture in vitro , biologie moléculaire, analyses minérales), des outils d'analyse (bases de données, statistiques), des prestations plus complètes (identification de maladies tropicales, sélection variétale) ou encore de l'expertise (conception et évaluation de projets, appui aux politiques de recherche agronomique nationales et internationales). Le même centre reçoit également, pour des programmes de formation, quelque 800 chercheurs et techniciens par an.

De manière plus spécifique encore, le Cirad met en place un outil pour intervenir dans les pays les moins avancés : le dispositif en partenariat.

LES DISPOSITIFS EN PARTENARIAT SELON LE CIRAD

Dans sa réponse au questionnaire de votre Mission, le Cirad a largement souligné l'intérêt de cet outil récent qui coïncide avec la recherche pour le développement :

Un objectif : contribuer au développement des pays du sud par une recherche de qualité :


• Produire des connaissances scientifiques utilisables pour répondre à des enjeux de développement.


• Renforcer les compétences scientifiques des partenaires par la formation et l'enseignement supérieur.


• Promouvoir la souveraineté des communautés scientifiques concernées au sein de la recherche agronomique mondiale.

Un principe : le « faire ensemble » :


• Identifier les enjeux de développement propres à une région donnée.


• Les traduire en questions de recherche élaborées conjointement.


• Partager des moyens de production scientifique avec l'ensemble des acteurs concernés.


• Constituer un portefeuille dynamique de projets de recherche.


• Valoriser les résultats sous forme de publications et d'expertises et favoriser leur usage pour le développement.

Une gouvernance paritaire :

- Un pilotage collégial par l'ensemble des partenaires.

- En principe, trois instances de gouvernance : un comité de pilotage, instance décisionnelle et d'orientation où siègent les directions des institutions membres ; un comité scientifique, formé de personnalités internes et externes ; une cellule de coordination qui gère les activités au quotidien.

- Des présidences tournantes selon des modalités inscrites dans les accords

- Une évaluation externe, commanditée par le comité de pilotage, tous les 4-5 ans, qui fournit l'occasion d'actualiser ou définir une feuille de route stratégique.

- Une mise à disposition équilibrée des ressources humaines, matérielles et financières par les institutions membres.

Des formes institutionnelles adaptables aux contextes :

- Des pôles à vocation nationale ou régionale dans les pays du Sud.

- Des pôles dans l'outre-mer français, à rayonnement régional ;

- Des réseaux thématiques transnationaux.

- La communauté scientifique montpelliéraine et ses collectifs thématiques de recherche nombreux, de renommée internationale, en appui à l'ensemble.

Des moyens à la hauteur du caractère prioritaire de l'outil nouveau :

- des mesures incitatives spécifiques : équipement, financement de thèses ou de post docs, de missions et d'échanges, organisation de séminaires, etc. (10 M€ de mesures incitatives,)

- la mobilisation d'équipes importantes : à l'étranger, 200 chercheurs et 200 équivalents temps plein de missions, 150 chercheurs dans l'outre-mer français.

- de la formation et des échanges universitaires : 3 000 heures d'enseignement dans les universités du Sud.

Enfin, d'une façon tout à fait comparable à l'IRD, le Cirad met en avant sa capacité de concilier partenariat avec « les Suds » et excellence de la recherche . Son document stratégique concilie clairement l'objectif de « contribuer à l'évolution des questionnements sur le développement » et celui « d'y répondre par une production de connaissances scientifiques et techniques adaptée et de haut niveau . » Et le Centre se félicite d'associer étroitement les chercheurs « des Suds » à cette recherche d'excellence : les partenaires cosignent plus de la moitié des publications engageant un chercheur du Cirad.

b) Des acteurs et des outils non dédiés, qui sont mobilisés pour le développement des pays du « Sud »

L'action extérieure de la France en matière de recherche pour le développement recouvre également de nombreuses interventions d'établissements de recherche, qui coopèrent seuls ou en consortium avec des partenaires du « Sud », aussi bien que d'autres acteurs publics - au premier chef les collectivités territoriales - et des organisations issues de la société civile. Votre mission ne saurait décrire chacune de ces interventions, ni tous les outils qu'elles mobilisent : les auditions qu'elle a conduites dessinent cependant quelques lignes de force dans ce paysage, en particulier des points de rencontre en matière de méthode et d'attentes vis-à-vis des pouvoirs publics.

(1) Des établissements de recherche et une agence de programmation et de moyens

Les grands établissements de recherche français, sauf exception, entretiennent tous des relations avec les pays du « Sud », parmi d'autres pays du monde. Un constat d'ensemble est apparu à votre mission : sauf lorsqu'ils entretiennent des plateformes techniques dans les pays les moins avancés, comme l'Institut Pasteur, ces établissements de recherche n'ont pas développé d'outils de partenariat spécifiques avec les pays les moins avancés, en particulier sur le volet « renforcement des capacités » : leur mode d'intervention passe davantage par des missions de courte ou moyenne durée, sur des terrains de recherche qui varient au gré des projets - ce qui n'interdit pas une présence régionale continue, avec une représentation permanente à l'échelle d'un continent ou d'un sous-continent. Ce faisant, les établissements de recherche comptent sur l'IRD et sur le Cirad lorsqu'ils interviennent dans des pays où ces deux instituts dédiés sont présents - ils comptent sur eux, parmi les autres outils de la coopération scientifique française, pour leur faciliter l'accès aux terrains beaucoup plus que pour un partage ou une co-définition des objets ou des méthodes de recherche.

L'Institut Pasteur - fondation privée reconnue d'utilité publique - fait exception dans cet ensemble, du fait de son implantation physique à l'étranger, continue depuis la création de l'Institut. Le Réseau international des Instituts Pasteur compte 32 établissements , où sont expatriés 66 chercheurs, dont 24 experts techniques internationaux (financés par le ministère des affaires étrangères). Le domaine d'action des Instituts Pasteur est bien ciblé : la réponse aux maladies infectieuses, en particulier les pandémies, les maladies liées à la pauvreté et les principales causes de maladies maternelles et infantiles. Le réseau international des Instituts Pasteur définit des orientations stratégiques, en concertation avec les autorités de santé des pays du « Sud », et en interaction avec les projets portés par chaque Institut. L'articulation avec les autorités nationales est présentée comme étroite et l'Institut contribue au renforcement institutionnel de l'administration sanitaire du pays (constitution de données sanitaires, etc.) aussi bien que de la communauté scientifique (formation au sein de l'Institut, bourses).

L'Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS) a elle aussi un objet spécialisé et un impératif de présence à l'étranger, où elle a défini, depuis longtemps, des modalités de partenariat étroit avec les autorités administratives et sanitaires, aussi bien qu'avec les chercheurs. L'Agence concentre ses moyens humains et financiers dans huit « pays sites » 15 ( * ) , où les équipements et les projets de l'Agence sont placés sous la responsabilité conjointe d'un coordonnateur « Nord » et d'un coordonnateur « Sud », qui définissent ensemble les priorités de recherche. Dans les appels d'offres qu'elle lance sur des projets de recherche ou pour des allocations de recherche, l'ANRS pose comme condition que les projets dans les pays du Sud doivent inclure au moins une équipe française et une équipe relevant du ou des pays où se déroule la recherche. Une fois réalisés, les projets sont évalués par un comité scientifique indépendant de l'ANRS, composé d'une quinzaine de chercheurs et cliniciens français et étrangers, du Nord et du Sud (des associations de patients du Sud et du Nord en sont également membres actifs).

Dès 2002, l'ANRS a défini une charte des règles d'éthique et de bonnes pratiques, auxquelles elle s'engage dans les pays du Sud. Y figure en particulier le partenariat tout au long du projet, de sa définition à la restitution des résultats, en passant par la collaboration avec les programmes de santé publique des pays participants.

Le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), l'Inserm, l'Inra, le Museum d'histoire naturelle, aussi bien que les Universités , développent des coopérations avec des organismes de recherche du monde entier, dont il est particulièrement difficile d'apprécier le contenu effectif.

S'agissant des universités, votre mission se fait l'écho de ce que trop souvent, les accords de coopération interuniversitaire ne seraient que des « coquilles vides ». Cependant, d'anciennes et profondes relations de travail existent entre certaines universités du Nord et du Sud (voir infra pour des exemples au Tchad), qui participent très concrètement au renforcement mutuel des compétences et qui nourrissent des flux d'échanges d'étudiants et de chercheurs du Nord et du Sud. Et d'une manière plus générale, les choses paraissent évoluer rapidement : augmentation du nombre de laboratoires internationaux « co-portés » par des universités du Nord et du Sud, définition de programmes communs, mise en oeuvre de stratégies communes - les universités se projettent davantage à l'international 16 ( * ) .

Ces acteurs sont très généralement associés dans la plupart des projets de relevant de la recherche pour le développement. Dans le cadre d'un programme de lutte contre l'encéphalite en Asie du Sud-Est, par exemple, un laboratoire au Cambodge fait l'objet d'un projet commun entre l'Institut Pasteur, l'INSERM, l'IRD, le Cirad et la Fondation Mérieux.

(2) La contribution d'autres acteurs

Votre mission voudrait citer ici à titre de mémoire et sans pouvoir les analyser, la myriade d'initiatives et de soutiens ponctuels qui existent dans le domaine de la recherche pour le développement des pays du Sud - soutiens apportés par les collectivités territoriales au premier chef, mais aussi par des ONG et des fondations publiques ou privées.

Lors de ses auditions, elle a relevé en particulier :

- l'importance de la coopération décentralisée, qui va bien au-delà des montants investis . Selon les informations transmises par le ministère des affaires étrangères à votre rapporteure, 29 collectivités territoriales françaises sont engagées dans des projets de coopération scientifique 17 ( * ) avec 61 collectivités locales partenaires dans 28 pays (pas nécessairement du Sud) : si l'on rapporte ces données à l'ensemble des 12 800 projets de coopération décentralisée, il apparaît que moins de 1 % des coopérations décentralisées concernent la coopération scientifique et technique. Pourtant, lorsque des collectivités territoriales s'associent et que leurs représentants partagent leurs expériences et leurs projets, lorsque cette coopération se maintient dans le temps, les conséquences en sont nombreuses et imprévisibles, car ce sont bien des communautés humaines qui se rencontrent et qui se parlent, condition première d'un partenariat au sens plein du terme . Comme en a témoigné un très bon connaisseur de la coopération décentralisée en Afrique, « la coopération décentralisée donne des résultats concrets, elle s'inscrit dans la durée, elle se soucie du développement institutionnel des collectivités locales de part et d'autre, et elle a aussi une dimension culturelle où, par essence, les partenaires sont à égalité. » 18 ( * )

- le rôle décisif des associations, à l'exemple de Sidaction , devenue incontournable pour la recherche en partenariat sur le VIH et les hépatites ; en plus du soutien qu'elle apporte à la formation des jeunes chercheurs venant parfois du Sud, l'association finance des recherches par deux dispositifs complémentaires : une aide aux équipes (fonctionnement, équipement, personnel technique) et des bourses à de jeunes chercheurs 19 ( * ) ; cependant, le partenariat au Sud porte sur l'épidémiologie, la recherche clinique et les questions relevant des sciences sociales - la recherche fondamentale étant, elle, plutôt réalisée au Nord. Votre mission a également recueilli le témoignage d'une ONG dédiée à la diffusion des innovations : le groupe de recherches et d'échanges technologiques (GRET) ; comme utilisateur des résultats des recherches, cette ONG questionne les chercheurs et vise à rendre les innovations les plus utilisables par les populations ; elle fait elle-même travailler des chercheurs pour améliorer la portée des innovations et accueille dans ses équipes des étudiants, qui y trouvent un tremplin pour la poursuite de leur parcours universitaire 20 ( * ) ;

- la coopération d'entreprises privées , à l'exemple de la Fondation Total avec l'Institut Pasteur et avec l'ANRS pour renforcer les capacités de prévention, de diagnostic et de traitement des pathologies infectieuses et du VIH en particulier. Cette fondation a installé en 2010 une Chaire Françoise Barré-Sinoussi, dotée d'un comité de pilotage commun (Fondation Total, Institut Pasteur, ANRS) et elle s'est engagée à verser 1,8 million d'euros annuels pendant cinq ans pour l'équipement et le fonctionnement du nouveau laboratoire de Françoise Barré-Sinoussi ; une telle organisation facilite l'action contre des infections ciblées, ainsi qu'un renforcement ponctuel de capacités, via l'accueil d'étudiants et de chercheurs du Sud sur la plateforme de l'Institut pasteur 21 ( * ) ;

(3) Des outils non dédiés, mais mobilisables pour « les Suds »

La présentation de l'action extérieure de la France en matière de recherche pour le développement doit également faire sa place à des outils qui ne sont pas dédiés aux pays les moins avancés, mais qui sont mobilisables aux fins de recherche pour le développement - en particulier les bourses et les programmes de mobilité étudiante « Hubert Curien ».

La France a une longue tradition d' accueil des étudiants étrangers , en particulier des pays du « Sud » : parmi les 290 000 étudiants étrangers accueillis cette année dans notre pays ( 12,6 % du nombre total d'étudiants), chiffre qui a doublé depuis 2005, plus de la moitié sont originaires des pays du Maghreb et de l'Afrique subsaharienne 22 ( * ) . Globalement, la part des étudiants étrangers progresse depuis la licence jusqu'au doctorat, 38 % des doctorants étant étrangers, et plus d'un tiers d'entre eux sont issus d'Afrique ; enfin, 41 % des thèses soutenues en France le sont par des étrangers .

S'agissant des bourses accordées par le Gouvernement français , le tableau suivant, constitué par votre mission à partir des données fournies mar le ministère des affaires étrangères, montre leur évolution et leur répartition géographique entre 2007 et 2012 :

2007

2012

Bourses d'études du Gouvernement Français
2007-2012

Ensemble des bourses d'études

Bourses de doctorat

Bourses de doctorats/ ensemble des bourses d'études

Bourses de doctorats par zone géographique/ total bourses de doctorats

Ensemble des bourses d'études

Bourses de doctorat

Bourses de doctorats/ ensemble des bourses d'études

Bourses de doctorats par zone géographique/ total bourses de doctorats

Europe

4 672

600

13 %

17 %

1 889

347

18 %

15,8 %

Amérique

2 598

300

12 %

8,8 %

1 068

159

15 %

7,2 %

Afrique

(dont Afrique

subsaharienne)

8 842

(6 198)

862

(587)

10 %

(9 %)

24,4 %

17,3 %

3 322

(2 028)

563

(325)

17 %

(16 %)

25,7 %

(14,8 %)

Asie-Océanie

6 220

725

12 %

21,3 %

2 107

563

27 %

25,7 %

Proche et Moyen orient

5 559

909

16 %

26,7 %

1 231

560

45 %

25,7 %

Total

27 891

3 396

12 %

100 %

9 617

2 192

23 %

100 %

Source : CNOUS et Campus France

Ces chiffres montrent qu'en cinq ans , le nombre de bourses du gouvernement français a chuté des deux tiers, et celui des bourses de doctorat a baissé d'un tiers ; cette diminution importante s'accompagne d'une relative stabilité géographique, avec cependant une plus forte hausse des bourses doctorales à l'ensemble Asie-Océanie.

Les Partenariats Hubert Curien (PHC) , quant à eux, sont des programmes bilatéraux de soutien à la mobilité des chercheurs entre des laboratoires de recherche ; géré par le ministère des Affaires étrangères en liaison avec celui de l'Enseignement supérieur et de la recherche 23 ( * ) , ce programme est partenarial : appels à propositions bilatéraux, double évaluation des propositions (qui doivent être déposées dans les deux pays), sélection des projets par un comité mixte qui se réunit alternativement en France et à l'étranger - et financement conjoint des deux parties, le plus souvent à parité. Actuellement, les 67 PHC ou programmes assimilés représentent chaque année plus de 2 000 projets (dont 1 000 avec l'Europe) et 80 % des projets conduisent à la publication d'un ou plusieurs articles dans une revue référencée. Cependant, les PHC ne concernent à ce jour aucun PMA.

2. Un effort budgétaire soutenu

L'essentiel des crédits consacrés à la recherche pour le développement est concentré sur les programmes budgétaire 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » et 187 « Recherche dans le domaine de la gestion des milieux et des ressources » du ministère de la recherche. Ces crédits vont aux opérateurs de recherche (IRD, CIRAD, CNRS, ANRS, INSERM...).

Le montant des dépenses effectuées par ces organismes de recherche français oeuvrant en faveur du développement est comptabilisé dans l'aide publique au développement et s'élève à 360 millions d'euros en 2012 avec la répartition suivante :

(en millions d'euros)

Programme Source

APD 2009

APD 2010

APD 2011

APD 2012

Montants opérateurs de Recherche

IRD

P 187

198

201

216

223

CIRAD

P 187

127

131

129

128

ANRS

P 172

10

15

7

4

CNRS

P 172

0

0

8

INSERM

P 172

0

6

5

5

Autres instituts

P 187- CEMAGREF
P 172 INSERM
Autres dont
P 189 et P 192

1

1

0

0

Total instituts de recherche

336

355

365

360

Source : Direction générale du Trésor.

Ne sont recensées que les dépenses éligibles à l'APD aux termes de la définition de l'OCDE : les apports de ressources qui sont fournis aux pays en voie de développement qui émanent d'organismes publics, y compris les États et les collectivités locales, ou d'organismes agissant pour le compte d'organismes publics, sachant que chaque opération doit en outre avoir pour but essentiel de favoriser le développement économique et l'amélioration du niveau de vie de ces pays. La liste des pays en développement est définie par l'OCDE sur la base du revenu par habitant inférieur à 12 275 dollars par an.

L'évolution de ces crédits montre une relative stabilité avec une légère augmentation au profit de l'IRD.

360 millions constituent un budget non négligeable si on le compare aux subventions des programmes 209 et 110 de la mission « aide au développement », consacrées aux 17 pays pauvres prioritaires, qui s'élevaient à 200 millions en 2010, en diminution de presque 30 % depuis 2006.

Pays pauvres prioritaires

2006

2007

2008

2009

2010

Subventions (en millions d'euros)

271

246

243

205

199

Source : MAEE

Alors que de nombreux observateurs considèrent que 200 à 500 millions d'euros sont nécessaires pour rétablir les marges de manoeuvre de la politique de coopération bilatérale et répondre aux nouveaux besoins liés aux évolutions en Méditerranée et au Sahel, la France continue à consacrer un budget important à cette recherche pour le développement .

Ces 360 millions ne représentent cependant qu'un peu moins de 4 % de l'aide au développement française et presque 12 % si on y ajoute les frais d'écolage qui correspondent à la prise en charge des étudiants issus des pays en développement.

Total instituts de recherche

(en millions d'euros)

336

355

365

360

APD totale

9 048

9 751

9 345

9 358

%APD

3,71%

3,64%

3,90%

3,85%

Montants Ecolage

P 150 et P 231

665

697

694

714

%APD

7,35%

7,15%

7,42%

7,63%

Total MESR

1 001

1 051

1 058

1 074

APD totale

9 048

9 751

9 345

9 358

%APD

11,07%

10,78%

11,33%

11,48%

Source : Direction générale du Trésor.

Le rattachement des crédits de la recherche pour le développement aux crédits de la recherche et non à ceux de la mission aide au développement est significatif . Il explique en partie la prééminence des problématiques de recherche sur celle de son application au développement.

Comme le souligne le rapport d'évaluation de l'Institut de recherche pour le développement par l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur : « S'il est vrai que les travaux que mène l'IRD ont davantage vocation à déboucher sur une recherche finalisée qui justifie son rattachement au programme 187, en revanche ce positionnement est problématique à plusieurs égards . »

D'une part, ce programme est défini en référence à la stratégie nationale de recherche et d'innovation, centrée sur la France et l'Europe, alors que l'IRD produit une recherche destinée au Sud. D'autre part, les problématiques du programme 187 ne couvrent pas tous ses champs scientifiques. L'IRD est un institut dédié à la recherche pour le développement, notion qui n'apparaît pas dans l'annexe budgétaire qui définit le programme 187 auquel émarge l'institut.

De surcroît, l'APD relève d'une mission spécifique à laquelle l'IRD n'émarge pas. C'est dans la description de cette mission qu'apparaît la notion de « recherche au service du développement », en particulier dans le programme 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement ». C'est l'action « Politiques et stratégies sectorielles bilatérales dans les pays de la ZSP et les PMA » de ce programme qui mentionne cette notion. C'est de ce programme 209 que relèvent les fonds de solidarité prioritaire (FSP), soit 5 à 6 millions d'euros, que le Ministère des affaires étrangères a pu utiliser, au cours de ces dernières années, pour financer une trentaine de programmes de recherche dans presque 60 pays. Ces projets ciblent des besoins prioritaires répondant aux grands défis de la recherche pour le développement. Ils ont aussi participé au renforcement des équipes et institutions de recherche scientifique du Sud et permis la mise en place de réseaux de recherche. On peut citer, à titre d'exemple, le FSP mobilisateur PARRAF (Programme d'Appui à la Recherche en Réseau en Afrique).

Il est vrai que le rattachement de l'IRD au programme 209 soulèverait la question de son intervention dans les régions (ROM), départements (DOM) et collectivités d'outre-mer (COM) puisqu'ils ne sont ni des pays de la Zone de Solidarité Prioritaire ni des Pays les Moins Avancés.

Votre mission rappelle néanmoins que la politique de recherche en faveur du développement s'inscrit dans le cadre de l'effort conséquent de la France en faveur de l'aide au développement qui s'élève à 10 milliards d'euros , déclarée à l'OCDE pour un effort relatif de 0,46 % en 2011 . La France a été en 2011 le troisième bailleur mondial en volume d'APD nette déclarée, derrière les États-Unis et le Royaume-Uni . En rapportant cette aide au revenu national brut, la France apparaît comme le 10 ème contributeur en termes d'effort relatif par rapport au revenu national du Comité d'aide au développement (CAD) de l'OCDE.

APD de la France par type d'activité
(données 2000-2010 et prévisions pour 2011-2013)

En millions d'euros ; source : DG Trésor 2011 et base de données du CAD

Le Parlement vote surtout, à travers la mission « Aide publique au développement », les crédits des deux principaux programmes concourant à la politique française d'aide publique au développement : le programme 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement » et le programme 110 « Aide économique et financière au développement ». De ce fait, les problématiques de recherche pour le développement sont rarement débattues dans le cadre du débat budgétaire relatif à l'APD.

La mission « Aide publique au développement » ne recouvre cependant que 35 % de l'effort d'aide publique au développement consenti par la France.

Les 65 % de l'APD qui ne figurent pas dans la mission « Aide au développement » sont répartis dans 10 missions et 23 programmes, dont précisément les programmes budgétaires 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » et 187 « Recherche dans le domaine de la gestion des milieux et des ressources » du ministère de la recherche auxquels émargent les organismes de recherche pour le développement.

Ces crédits sont néanmoins recensés dans un document de politique transversale (DPT) communiqué au Parlement dans le cadre du débat budgétaire dont est issu le tableau ci-dessous.

Exécution 2011

LFI 2012

PLF 2013

Numéro et intitulé du programme ou de l'action

Crédits de paiement

Part APD

Crédits de paiement

Part APD

Crédits de paiement

Part APD

105

Action de la France en Europe et dans le monde

1 822 092 860

140 864 890

1 783 346 731

146 612 000

1 865 746 111

152 488 380

110

Aide économique et financière au développement

1 182 645 663

903 615 645

1 191 903 953

885 809 863

1 161 898 434

867 125 512

114

Appels en garantie de l'État (crédits évaluatifs)

598 642 430

28 115 109

189 400 000

3 000 000

207 900 000

2 800 000

124

Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative

1 504 884 555

6 878 830

1 481 361 626

6 802 639

1 560 123 184

6 326 454

142

Enseignement supérieur et recherche agricoles

297 928 851

5 017 000

307 042 801

5 050 000

308 793 759

5 050 000

143

Enseignement technique agricole

1 285 576 624

5 220 000

1 303 098 934

5 250 000

1 324 768 743

5 250 000

144

Environnement et prospective de la politique de défense

1 782 981 053

18 695 633

1 788 993 378

18 810 000

1 909 190 508

24 550 000

150

Formations supérieures et recherche universitaire

12 365 962 943

684 737 006

12 511 247 419

757 047 672

12 760 347 649

770 903 482

152

Gendarmerie nationale

7 720 641 542

45 892 769

7 852 945 241

51 766 167

7 940 991 443

52 248 022

154

Économie et développement durable de l'agriculture et des territoires

1 909 764 932

336 773

2 170 408 692

300 000

1 795 109 419

300 000

155

Conception, gestion et évaluation des politiques de l'emploi et du travail

747 928 905

338 676

742 058 088

338 676

782 657 593

338 676

163

Jeunesse et vie associative

213 371 215

300 000

229 970 979

300 000

230 522 000

300 000

172

Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires

5 033 314 886

20 063 861

5 121 883 472

20 063 861

5 166 763 289

20 063 861

178

Préparation et emploi des forces

23 395 921 033

5 244 235

22 204 404 848

4 740 000

22 432 968 395

3 950 000

181

Prévention des risques

285 785 859

225 000

306 086 394

200 000

284 983 187

200 000

185

Diplomatie culturelle et d'influence

736 377 944

245 809 890

751 690 529

243 957 000

747 605 428

242 037 755

187

Recherche dans le domaine de la gestion des milieux et des ressources

1 237 308 892

344 589 872

1 250 149 388

344 589 872

1 281 772 133

344 589 872

190

Recherche dans les domaines de l'énergie, du développement et de l'aménagement durables

1 444 433 885

22 697

1 352 341 869

33 250

1 380 488 070

42 718

209

Solidarité à l'égard des pays en développement

2 087 003 380

2 023 316 207

2 106 352 293

1 891 323 000

1 963 706 031

1 962 203 000

219

Sport

234 897 759

499 378

255 438 709

481 378

232 240 359

481 378

231

Vie étudiante

2 176 922 547

8 764 968

2 168 623 845

9 539 031

2 324 936 625

9 539 031

301

Développement solidaire et migrations

27 681 073

27 681 072

25 000 000

25 000 000

0

0

303

Immigration et asile

646 332 095

392 300 069

560 153 404

408 142 029

604 710 000

385 702 944

731

Opérations en capital intéressant les participations financières de l'État

716 194 737

54 322 548

1 000 000 000

56 175 458

9 140 491 000

56 671 668

851

Prêts à des États étrangers, de la Réserve pays émergents, en vue de faciliter la réalisation de projets d'infrastructure

287 990 502

287 990 502

390 000 000

390 000 000

447 000 000

447 000 000

852

Prêts à des États étrangers pour consolidation de dettes envers la France

216 831 708

216 831 708

986 640 000

986 640 000

250 210 000

250 210 000

853

Prêts à l'Agence française de développement en vue de favoriser le développement économique et social dans des États étrangers

162 400 000

162 400 000

318 000 000

318 000 000

330 000 000

364 000 000

192

Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle

209 760

209 760

209 760

Source : Document de politique transversale, 2013.

En dehors des programme 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » et 187 « Recherche dans le domaine de la gestion des milieux et des ressources » du ministère de la recherche, il est difficile de retrouver précisément la part consacrée à la recherche pour le développement, notamment dans les ministères techniques comme l'agriculture et la santé et même au sein du ministère des affaires étrangères qui participe à cet effort notamment à travers les assistants techniques qui peuvent être mis à disposition d'instituts de recherche à l'étranger tels que les Instituts Pasteur.

L'effort budgétaire de la France en matière de recherche pour le développement est donc soutenu, mais la complexité et la dispersion des lignes budgétaires de la coopération ne permettent pas de le mettre en valeur.

Comme l'a souligné M. Guillaume Grosso, directeur de One France, lors de son audition par votre rapporteure, cette présentation budgétaire complexe soulève trois difficultés : elle crée un amalgame entre coopération technique et recherche , elle brouille toute vue d'ensemble et l'élaboration d'une stratégie efficace , enfin elle ne renseigne pas sur ce qui relève réellement des actions ayant un impact sur le développement du Sud .

Votre mission estime que le Document de Politique Transversale pourrait opportunément recenser en son sein précisément l'ensemble de ces crédits qui concourent à cette politique de recherche pour le développement.

Elle souligne en outre qu'en complément du budget de l'Etat, la recherche partenariale mobilise d'autres ressources publiques : d'une part, les collectivités territoriales françaises y contribuent, à travers les coopérations décentralisées menées en ce domaine ; d'autre part, les pays du Sud y consacrent des moyens, tant financiers que matériels. Enfin, des fonds privés participent au financement de la recherche pour le développement , via des ONG, des fondations...

3. Une pièce maîtresse de la diplomatie scientifique

Dans le sillage du Général de Gaulle, la politique de coopération a incontestablement représenté pour la France un moyen de préserver son influence au Sud, et particulièrement en Afrique. Dans son livre Politique I , paru en 1977, François Mitterrand écrit : " Le premier devoir de la France, c'est de tout faire pour que les liens ne soient pas coupés, de tout faire pour que nos frères africains restent unis à notre destin... La France reste celle qui conduit, celle dont on a besoin, celle à laquelle on se rattache. II ne pourra y avoir d'histoire authentique de I`Afrique si Ia France en est absente ." 24 ( * ) Cette vision a encore prévalu pendant plusieurs décennies : « Il n'y a pas de hiatus dans la politique africaine de la France avant mai 1981 et après. Si la méthode a changé, l'objectif est resté. II consiste à préserver le rôle et les intérêts de la France en Afrique . » 25 ( * )

Héritiers de cette histoire en toile de fond, les acteurs, outils et financements qui font vivre la recherche pour le développement participent de notre diplomatie scientifique, notion qui a pris de l'importance ces dernières années, au gré de la compétition internationale entre producteurs de recherche : la recherche est partie intégrante de la puissance « douce » ou soft power de notre pays, de son influence dans le monde . Aujourd'hui, le ministère des affaires étrangères considère explicitement « la science comme vecteur d'influence de la politique étrangère de la France », dans son récent rapport sur la diplomatie scientifique de la France 26 ( * ) . Dans ce contexte, la recherche en partenariat avec les pays du Sud est d'autant plus importante à établir aujourd'hui, qu'elle confortera nos liens avec « les émergents de demain ».

a) La France concurrencée de manière croissante, y compris dans les Etats ayant des liens historiques avec elle

Si l'exploration et la connaissance (devenue scientifique) du monde ont toujours eu partie liée aux politiques de puissance, l'importance prise par le marché mondial et le rôle qu'y ont pris les firmes multinationales 27 ( * ) ont profondément changé la donne : la science continue certes de se déployer par-dessus les frontières, dans « la communauté de chercheurs », mais elle devient aussi, de plus en plus, un objet de compétition entre États et entre grandes firmes transnationales , qui s'en saisissent comme facteur d'influence - et de possession du monde. La science est par destination un bien public mondial, mais elle est aussi, en pratique, une composante du soft power des nations, décisive parce que, comme d'autres biens et productions culturels, elle a prise sur les sociétés et sur leur capacité à se transformer.

Dans ce contexte, les politiques publiques de recherche ont renforcé leur « projection » hors des frontières étatiques et se livrent à une sévère concurrence dans le monde, qui est explicitement une lutte d'influence . 28 ( * )

À l'échelle mondiale, la R&D mobilise toujours plus d'investissements, en particulier internationaux, et l'arrivée des « émergents » bouleverse l'ordre établi de longue date par les Occidentaux qui détenaient l'essentiel des ressources de R&D dans le monde. Le phénomène est suffisamment connu : depuis une décennie, la Chine, l'Inde, la Corée du Sud, le Brésil, l'Afrique du Sud et encore bien d'autres « émergents » ont développé des systèmes très performants de formation et ont, comme le Japon et les « dragons » dans les années 1960-80, largement rattrapé le niveau international et pris la première place sur certaines spécialités - la trajectoire de la Corée du Sud est édifiante sur ce point, et continuera d'être ascendante, sachant que ce pays consacre aujourd'hui deux fois plus de sa richesse à la R&D que les pays européens 29 ( * ) . Autres nouveaux investisseurs internationaux qui projettent leur puissance, les pétromonarchies, qui diversifient leurs sources de croissance et investissent massivement dans des régions avec lesquelles elles ont des liens historiques - par exemple les Émirats Arabes Unis en Afrique du Nord.

Dès lors, les échanges mondiaux de formation et de production de connaissances débordent largement la relation asymétrique « Nord/Sud » : ils s'inscrivent dans un cadre incluant des relations « Sud-Sud » très diversifiées.

C'est dans ce cadre renouvelé qu'a été développé - dans les pays du Nord - le concept de « diplomatie scientifique » , défini comme l'utilisation de la coopération scientifique pour établir des liens et renforcer les relations entre les sociétés, y compris dans des régions où les relations officielles sont faibles, voire proscrites. « Pendant la guerre, les affaires continuent » : l'influence est devenue si nécessaire dans la compétition entre nations, que la coopération scientifique doit continuer même dans des régions où les relations sont faibles, voire conflictuelles. Aux États-Unis, cette ligne d'action s'est traduite en particulier par la nomination d'envoyés scientifiques chargés de renouer les fils du dialogue avec les élites dans le monde musulman (Moyen-Orient, Afrique, Asie du Sud-est) et de leur offrir des perspectives de coopération concrètes.

Dans cette vaste recomposition des forces, la France perd nécessairement des positions - comme tous les pays présents de longue date dans cette compétition longtemps fermée. Les chercheurs interrogés par votre rapporteure ont confirmé et précisé une impression d'ensemble : l'influence intellectuelle de notre pays recule , pour des motifs intellectuels - identifiés aux grands thèmes des années 1950-1960, nous aurions perdu notre capacité à être au coeur des questions contemporaines et donc notre rayonnement intellectuel - mais également parce que le monde devient toujours plus anglo-saxon, à la faveur de l'usage hégémonique de l'anglais, ce qui se traduit par la quasi disparition des livres en français dans les citations de chercheurs 30 ( * ) . Autre facteur, matériel : l'État peine - c'est un euphémisme - à maintenir ses moyens budgétaires à la recherche, en particulier dans ses « zones d'influence » que sont les pays où l'on parle le français.

Votre mission, par son déplacement au Tchad, a été particulièrement sensibilisée à la concurrence nouvelle exercée par les « émergents », en particulier par la Chine 31 ( * ) et la Turquie, en Afrique centrale . D'après les informations qu'elle a recueillies, ces pays investissent encore essentiellement dans la production économique et très marginalement dans la formation et le renforcement des capacités. Cette concurrence en matière de développement indique très clairement les avantages que notre pays pourrait tirer d'un investissement fort dans la RpD et pas seulement dans les actions de développement plus classiques.

b) L'utilité de la RpD pour les liens à long terme avec « les émergents de demain », en particulier francophones

Parce qu'elle suppose des relations durables d'égal à égal, la RpD constitue un cadre d'échange et un facteur d'influence bien plus importants qu'une simple coopération scientifique qui se limiterait à un échange de services. Et la France a d'autant plus intérêt à y investir, que nombre de pays les plus directement concernés par la RpD sont francophones et qu'ils sont appelés à devenir « des émergents de demain » .

L'Afrique devrait en effet compter environ 1,8 milliard d'habitants en 2050 et dès aujourd'hui, « elle s'éveille » : quel que soit notre aveuglement - d'ancienne puissance coloniale ? -, nous sommes entrés dans « le temps de l'Afrique » 32 ( * ) et notre meilleure chance de participer à son développement, d'y maintenir notre influence, passe par un investissement important dans ce qui fait notre avantage comparatif en Afrique francophone : la recherche en partenariat et le renforcement des capacités de recherche.

B. UNE MISE EN oeUVRE DÉLICATE, AU CROISEMENT DE LA RECHERCHE ET DU DÉVELOPPEMENT

Pourtant, il n'est pas sûr que les efforts que consent la France au bénéfice de la recherche pour le développement produisent les fruits attendus. Tiraillée entre les exigences de la recherche et la démarche de développement, la recherche pour le développement souffre aussi d'une mise en oeuvre délicate, qui ne bénéficie pas toujours aux pays du Sud.

1. Une double contrainte fondatrice : faire de la recherche d'excellence, tout en aidant les pays les plus en difficulté à y accéder

Les auditions ont largement souligné ce trait : la recherche pour le développement doit répondre à une double contrainte qui est parfois contradictoire, de produire une recherche aux standards internationaux et de travailler d'égal à égal avec des chercheurs du Sud , quand bien même les niveaux et les habitudes de recherche sont très disparates.

Cette double contrainte s'est accentuée ces dernières années avec l'affirmation par l'IRD et le Cirad que leur recherche doit être aux standards internationaux. Au Cirad, par exemple, la priorité à « la science au centre » est passée pour un « recentrage » des activités, au détriment des actions visant d'abord à renforcer les capacités (malgré le slogan « le partenariat au coeur »). Ce débat est plus vif dans les pays quasiment dépourvus de capacités de recherche, d'autant que le « recentrage » se traduit nécessairement par un repli des moyens là où la recherche est la moins performante...

Cette double contrainte, cependant, est bien la condition de la RpD , c'est ce qui distingue le nouveau paradigme de la recherche pour le développement - qui ne saurait être produite en dehors des sociétés concernées, parce qu'elles sont seules légitimes à choisir leur voie de développement. Comme l'écrit un document interne du Cirad, ce nouveau paradigme dépasse le dualisme opposant recherche d'excellence et partenariat : « Il n'y a pas d'un côté la science et de l'autre le développement en partenariat, d'un côté la production de connaissances et de l'autre l'utilisation de ces connaissances, il y a (...) l'affirmation que la pratique de la recherche en partenariat participe du développement , qu'un tel développement de la science est acte de développement et (...) qu'il ne saurait y avoir de développement véritable et durable d'une société sans développement de la connaissance au sein de cette société et par elle ».

On parlera dès lors du « développement par la recherche en partenariat », qui est un pari et un mode d'action qui devra s'adapter aux contextes nationaux, en particulier au niveau de la recherche dans les pays partenaires.

2. Un constat inquiétant : la difficile articulation entre la RpD et le développement des pays du « Sud »

Mais, sur le terrain, la recherche en partenariat ne se déploie pas toujours sur des bases saines, si bien que sa connexion avec le développement effectif des pays du Sud est difficile à assurer.

a) Des thématiques qui ne sont pas systématiquement élaborées ensemble ni toujours fonction des besoins des pays du « Sud »

C'est un constat de votre mission qui peut surprendre : alors que le « tournant stratégique » opéré ces dernières années par les grands établissements français de recherche paraissait les mettre parfaitement à l'écoute des sociétés et des problématiques du « Sud », les témoins et acteurs auditionnés, côté Sud, ont fréquemment estimé que les programmes français étaient plutôt peu connectés aux besoins nationaux et insuffisamment partagés nationalement . Le nouveau discours de la méthode est-il trop récent pour avoir déjà produit des effets tangibles, ou bien les comportements d'hier perdurent-ils malgré ce qui est présenté comme un changement de paradigme ?

Il est particulièrement difficile à votre mission de répondre à cette question avec l'objectivité requise - mais le simple constat de ce décalage suffit à confirmer, s'il en était besoin, qu'il y a encore loin de la parole au fait .

Il faut souligner également que la réponse varie fortement selon les thématiques et la région concernée. L'utilité perçue ne saurait être la même selon que l'action conduite, grâce à un travail en laboratoire, a amélioré le rendement d'une culture vivrière, ou bien qu'elle a, grâce à une expertise collégiale, aidé les décideurs publics locaux à s'accorder sur des priorités d'action... qui paraissent encore lointaines.

En audition devant votre mission, le président directeur général du Cirad a parfaitement illustré la possibilité pour son organisation d'être en prise directe avec une demande et des résultats attendus nationalement :

« Les modes de coopération avec les pays du Sud ont grandement changé en quelques années, nous développons, par exemple au Sénégal, des groupements scientifiques où les chercheurs du sud sont associés dès la définition des objets de recherche, avec constitution d'un conseil d'administration et d'un conseil scientifique, exactement comme nous fonctionnons avec les universités françaises. De même, les résultats sont acquis conjointement, les publications font toute leur place aux chercheurs du sud et nous tâchons de mettre les produits de la recherche dans le domaine public, pour une diffusion maximale. Ce type de partenariat couvre l'ensemble du cycle de la production scientifique, sur une dizaine d'années, et implique tous les niveaux de chercheurs au Sud, du doctorant au professeur d'université. » 33 ( * )

Par contraste, la genèse de l'expertise collégiale sur l'avenir du Lac Tchad fait percevoir bien des incertitudes sur les motivations réelles des participants, et finalement sur la connexion avec les besoins des pays concernés. L'objectif de coopération interétatique pour la gestion de ce lac est d'abord politique : c'est donc déjà un résultat de voir la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT) réunir ces Etats autour d'une table. Cependant, rien là de nouveau, puisque la CBLT est active depuis plusieurs décennies ; ensuite, d'après ce qui en a été dit à votre mission, l'expertise collégiale ne devrait pas apporter d'éléments de connaissance nouveaux - s'agit-il donc d'une recherche ? -, mais plutôt « rationnaliser les discours » sur la situation hydrologique du lac, ce qui apportera des résultats seulement... si les politiques s'en saisissent, sachant que le discours sur ce lac est éminemment politique...

Autre constat entendu à plusieurs reprises, touchant au déficit de connaissance des sociétés « des Suds » en mutation rapide . « On en sait moins sur le Tchad qu'il y a quarante ans » 34 ( * ) , « l'Afrique change, mais nous n'avons pas pris la mesure de ces changements » 35 ( * ) : nous manquerions globalement - et pas seulement la France - de connaissances sur les sociétés actuelles et conserverions trop de réflexes anciens, en particulier dans les pays anciennement colonies françaises.

Ici encore, votre mission est frappée par le contraste entre la qualité « doctrinale » des initiatives françaises, et leur faible traduction dans les propos entendus sur le terrain.

La recherche sur le contemporain est bien une préoccupation des autorités françaises ; ainsi, l'Agence nationale de la recherche a-t-elle lancé en 2007, avec l'AIRD, un appel à projets thématique sur « les Suds, aujourd'hui » - pour financer des recherches sur les dynamiques démographiques, la contagion de la crise du capitalisme financier, les conflits armés et non armés, les langages, langues et productions textuelles... Parmi les projets soutenus dans ce cadre, le programme « Perisud » porte sur les dynamiques territoriales à la périphérie des métropoles du sud et concerne des villes aussi diverses que Shanghai, Mexico, Lima, Le Cap ou Abidjan (un partenariat s'est noué à cette occasion avec l'université d'Abidjan), ou encore le projet, « Mobilités ouest-africaines », qui implique seize chercheurs ; cette année, s'ouvrira le programme « Agrobiosphère », qui touche aux modifications des pratiques agricoles et de leurs représentations en Afrique subsaharienne, en Afrique de l'Est, en Afrique centrale et à Madagascar 36 ( * ) .

De même, sur le terrain, votre mission a-t-elle pu constater au Tchad que le poste diplomatique était tout à fait conscient de ces lacunes et que la connaissance du Tchad contemporain devenait prioritaire (le poste accompagne désormais des projets de recherches sur la société tchadienne actuelle, voir infra chapitre 2).

Les critiques entendues, cependant, vont plus loin que la méconnaissance des sociétés du Sud, certains programmes sont perçus comme extérieurs et poursuivant un « développement » différent de celui que la société concernée choisirait de manière autonome . Lors de son audition par votre mission, M. Jean-Pierre Elong M'Bassi, secrétaire général de Cités et Gouvernements Locaux Unis d'Afrique (CGLUA), a notamment déploré que les thématiques de recherche retenues ne soient pas mieux adaptées au contexte national et évolutif des pays du Sud. Selon lui, l'attention n'a pas été suffisamment prêtée aux conséquences diverses de l'urbanisation accélérée en Afrique, ni aux mutations économiques du continent. Il a notamment regretté le manque de recherches pour inventer la nécessaire transition fiscale de ces pays dans un contexte généralisé de baisse des droits de douane, qui ont pu alimenter jusqu'à 60 % des budgets de certains États. Il a également invité les chercheurs à interroger les modèles de pensée ou les techniques qui ont cours au Nord mais peuvent être inadaptées au Sud : ainsi, en matière d'aménagement urbain, il a considéré qu'une mise à l'égout était inatteignable dans certaines villes du Sud, comme Kinshasa dont la superficie avoisine celle du Liban, et appelé à imaginer un traitement différent des excréments à la source qui permettrait d'éviter le déploiement d'un réseau de canalisations et de stations d'épuration et une excessive consommation d'eau.

On touche ici à l'inévitable ambivalence de toute « voie de développement » définie globalement, ambivalence à laquelle les Objectifs du Millénaire n'échappent que sur le papier. Les pays « développés », qui ont les outils de la connaissance globale, projettent que « les moins avancés », qui sont en pleine croissance démographique, ne pourront produire et consommer comme eux-mêmes sans menacer l'équilibre d'ensemble, qu'il faut en conséquence un modèle de développement durable, et que « le Nord » s'engage à aider « le Sud » dans cette voie...

La recherche occupe une place importante dans cette aide : le Nord met à contribution son appareil scientifique pour trouver les voies d'un développement durable, ce que traduisent nombre de projets de recherche pour le développement (durable) ; mais les pays les moins avancés recherchent d'abord l'efficacité à court terme, pour satisfaire les besoins de leur population, et peuvent critiquer, au mieux un « décalage de perspective », au pire la volonté de maintenir le Sud en position de dépendance 37 ( * ) .

Votre mission n'a certainement pas tranché ce débat, mais y a trouvé une explication du décalage entre la doctrine de la RpD et les propos entendus en audition. Elle y voit également confirmation du caractère essentiel du partenariat et de la valorisation de la recherche : la meilleure voie pour que les projets correspondent aux besoins du pays, c'est qu'ils aient été définis de concert au lieu d'être insufflés du Nord vers le Sud et qu'ils soient valorisés.

b) Des partenariats trop souvent inégaux et insuffisamment tournés vers le renforcement des capacités du Sud

Ici encore, votre mission constate un décalage entre la doctrine et les propos entendus en audition et lors de ses déplacements.

Les responsables des instituts dédiés affirment produire « de la science et du partenariat, de la science en partenariat » 38 ( * ) , une « recherche dans, pour et avec les Suds », fondée sur un partenariat d'égal à égal - avec un volet important de renforcement des capacités là où, comme au Tchad par exemple, le système national de recherche est peu performant (voir chapitre II).

Cependant, les quelques initiatives dans ce sens paraissent insuffisantes : à entendre des chercheurs du Sud ou habitués à y travailler, tout se passe comme si les quelques projets de recherche pour le développement, certes bien calibrés, étaient d'échelle si réduite qu'ils ne changeraient pas une tendance plus générale à continuer de faire « à la place » du Sud, voire à « s'habiller du Sud » pour lui faire concurrence.

Le chercheur camerounais Olivier Iyébi-Mandjek a raconté en audition comment, de son point de vue, les habitudes prises depuis fort longtemps par les instituts français de recherche lui paraissaient devoir perdurer bien au-delà du changement de doctrine. Pour lui, les projets de recherche conduits au Cameroun répondent à « une stratégie de found raising beaucoup plus qu'à de la coopération » : l'IRD comme le Cirad se serviraient de terrains africains pour développer leur activité (en partie commerciale pour le Cirad), bien plus que pour y satisfaire les besoins des populations du Sud. L'exemple est cité du soutien à la culture du coton dans les années 1970-1990 : une production moins utile localement que le sorgho, mais qui répondait à un besoin textile des Français - et qui s'est mal terminée puisque cette production n'a pas trouvé suffisamment de débouchés, étant trop chère sur les marchés internationaux. Autre exemple : l'IRD annonce qu'il va aider à former des chercheurs, mais, ce qui se passe d'abord lorsque les fonds ont été levés auprès de bailleurs, c'est que l'Institut devient une école de formation, à des coûts bien supérieurs à ce qu'il aurait été possible en engageant des formateurs à l'université ou dans des instituts camerounais. Dans ces conditions, « qui aide-t-on ? Le Cameroun, ou bien la France s'aide-t-elle elle-même à travers un mécanisme qu'elle met en place ? ».

Le chercheur Jean-Pierre Olivier de Sardan va dans le même sens en soulignant, parmi les principaux problèmes de la recherche socio-anthropologique en Afrique, « le peu d'intérêt concret (...) manifesté depuis des dizaines d'années par les centres de recherche, les universités et les coopérations bilatérales ou multilatérales des pays du Nord pour l'appui à la constitution et au développement de véritables pôles d'excellence autonomes en sciences sociales dans les pays africains » 39 ( * ) , de même que le caractère « trop fréquent [des] mécanismes de patronage, de tutorat, de complaisance et de condescendance ». Ce très bon connaisseur des conditions de la recherche en Afrique francophone 40 ( * ) poursuit : « Les équipes du Nord se satisfont le plus souvent d'avoir comme partenaires en Afrique des chercheurs isolés , qui apparaissent alors comme leur caution, leur protégé ou leur `client', ou, sinon, de passer des conventions avec des institutions formelles (universités, facultés ou départements, centres officiels de recherche), dont ils mettent en doute en privé le dynamisme scientifique, la capacité à travailler en équipe et la fiabilité, mais qui leur servent de paravents ou de couvertures ».

c) Les dangers de la confusion entre recherche et expertise

Votre mission a encore constaté un mécanisme particulièrement pernicieux envers les infrastructures de recherche dans les pays du « Sud » : faute d'y trouver des capacités de recherche suffisantes, les organisations internationales se tournent volontiers vers la consultance et l'expertise , en faisant comme si les démarches étaient équivalentes. Or, non seulement l'expertise et la recherche diffèrent par leur perspective, leur méthode et leur résultat, mais la confusion entre les deux est pernicieuse parce qu'elle entretient la position dominante des experts du Nord, au détriment du renforcement des capacités des chercheurs du Sud .

M. Raguin, Directeur du groupement d'intérêt public Esther 41 ( * ) , a indiqué à votre mission qu'en Afrique, les experts qui se succèdent et se multiplient sont parfois surnommés les « criquets pèlerins », surnom qui dénonce à mots couverts le caractère itératif voire grégaire de leurs interventions, rarement suivies d'effets faute d'être articulées avec les capacités locales.

Pour sa part, l'économiste Dambisa Moyo souligne comment l'aide extérieure détourne les plus diplômés des pays les moins avancés vers les organisations internationales où ils pratiquent une expertise insuffisamment ancrée dans leurs pays d'origine - une expertise qui, finalement, appelle souvent à plus d'aide et qui marche main dans la main avec des administrations corrompues, au détriment des investissements dans les sociétés dites « bénéficiaires » de l'aide et de leur autonomie 42 ( * ) .

L'anthropologue Jean-Pierre Olivier de Sardan analyse un mécanisme similaire dans le champ de la recherche en sciences sociales en Afrique francophone : le recours systématique des « développeurs » venus du Nord à de juteux contrats de consultance en sciences sociales, outre qu'il entraîne un afflux massif et disproportionné d'étudiants africains dans les sciences sociales, détourne très concrètement les universitaires africains de la recherche ; l'entreprise de consultance, avec ses étudiants sous-traitants qui travaillent dans l'intérêt du chef d'entreprise, remplace la communauté de chercheurs et ses débats ; conséquemment, ce recours à l'expertise en lieu et place de la recherche fait perdre les repères sur les critères d'une bonne recherche.

« A force d'enchaîner les consultations, de nombreux enseignants en sciences sociales finissent par `oublier' les règles du jeu, les ressources et les contraintes propres au `mode recherche' (qui sont pourtant des standards internationaux) (...) ils ne peuvent plus ou ne savent plus faire de la recherche, selon les standards internationaux ». M. Olivier de Sardan poursuit par ce tableau présentant les oppositions entre les deux modes, présentés sous forme idéal-typique :

Mode consultance

Mode recherche

Termes de référence imposés (sujet, question de recherche, méthodologie, sites, etc.)

Problématique élaborée principalement par le chercheur, qui choisit à cet effet ses propres outils méthodologiques.

Temps imparti court ou très court.

Travaux à moyen ou à long terme.

Enquêtes rapides, peu de temps de terrain.

Priorité aux enquêtes de terrain intensives.

Pas ou peu de recherche documentaire académique, lecture préférentielle ou unique de rapports et littérature grise ou officielle.

Recherche documentaire tous azimuts systématique.

Positionnement dans des débats internes au monde du développement (pauvreté, participation, efficacité, empowerment , gestion, etc.)

Positionnement dans des débats scientifiques, théoriques et empiriques.

Usage de la rhétorique des bailleurs de fonds (cadre logique, objectifs généraux et spécifiques, recommandations, etc.)

Usage de la rhétorique de la recherche (états de la question, problématique, hypothèses, questions de recherche, références théoriques).

Recours routinier et immodéré aux travaux d'autrui sans souci de citation, voire parfois au quasi plagiat (copier-coller, non-respect des normes académiques en matière de citations et de référence).

Normes strictes quant aux citations et références, forte condamnation du plagiat.

Pression forte pour une aide à l'action et une recherche opérationnelle au service du commanditaire.

Priorité à la production de connaissances nouvelles et empiriquement fondées.

Autocensure pour ne pas déplaire au commanditaire.

Liberté de parole, priorité à la véridicité.

Produit : un rapport.

Produit : un article, un chapitre, un livre.

Évaluation des rapports par des bailleurs de fonds peu compétents en sciences sociales.

Évaluation des publications par des pairs.

Le brouillage de la frontière entre recherche et consultation, entre recherche et développement, est accentué par les nombreux effets pervers de « l'intrusion au sein de la recherche africaine de diverses `normes pratiques' propres au monde du développement (et aux diverses formes de `rente' qu'il distribue) » : « un processus de `vénalisation' ou de `mercenarisation' indépendamment de tout critère de qualité scientifique » ; la généralisation du paiement à l'acte, indépendamment du salaire, pour des activités qui relèvent normalement du cahier des charges ordinaire d'un universitaire, y compris l'intervention dans des colloques universitaires (organisés par des bailleurs de fonds) ou la participation aux projets d'institutions de développement - autant de pratiques qui sont « en rupture avec les standards internationaux [et dont] on peut penser qu'elles contribuent à isoler les chercheurs africains ».

Ces citations visent à faire comprendre les mécanismes insidieux qui, en isolant les chercheurs africains motivés et en s'accommodant d'universités africaines « au rabais », représentent trop souvent la réalité de la RpD, loin de son idéal-type. Si des initiatives parviennent à contrer ces mécanismes 43 ( * ) , elles paraissent l'exception qui confirme la règle et l'usage d'une relation encore bien trop dissymétrique entre le Nord et le Sud.

Si la qualité de la relation partenariale qui la fonde n'est pas toujours satisfaisante, la recherche pour le développement souffre aussi d'un défaut de reconnaissance au sein de l'action publique française.

II. LA RECHERCHE POUR LE DÉVELOPPEMENT, UNE POLITIQUE PUBLIQUE MAL CONSTITUÉE, UNE ACTION EXTÉRIEURE DISPERSÉE

La recherche pour le développement peine à trouver sa place parmi les politiques publiques que mène la France. En interne, comme d'ailleurs à Bruxelles, elle peine à se positionner entre recherche et développement et n'est pas toujours articulée de manière cohérente avec l'ensemble de l'action publique. Au Sud, elle se présente en ordre dispersé, et les récentes réformes n'ont pu y remédier.

A. UN POSITIONNEMENT INSTITUTIONNEL HYBRIDE AU SEIN DE NOTRE ACTION PUBLIQUE

La France est engagée dans la refonte de sa politique publique de la recherche comme de celle de sa politique de développement, et, prise en étau, la recherche pour le développement se trouve marginalisée de part et d'autre.

1. Une stratégie nationale de la recherche visant l'excellence et marginalisant la RpD

En présentant une stratégie nationale de recherche au printemps dernier et en préparant l'agenda stratégique de la recherche « France Europe 2020 » pour l'automne, le gouvernement a placé la recherche au centre de l'agenda politique de l'année 2013. Cette mobilisation s'inscrit en continuité d'Horizon 2020, huitième programme commun de recherche et de développement (PCRD) de l'UE pour 2014-2020 pour conforter la recherche européenne dans la compétition mondiale - et rationaliser son action, en regroupant ses outils et sa programmation (voir infra) .

La RpD fait-elle partie intégrante de la stratégie nationale de recherche ? Comment y est-elle définie et quelle place y a-t-elle en pratique ?

a) La mobilisation pour la « recherche d'excellence »

Avec la création d'alliances de recherche en 2009-2010, les grandes institutions publiques de recherche ont accepté de concevoir de manière coordonnée des programmes de recherche et de développement cohérents avec la stratégie nationale de la recherche.

Cinq alliances thématiques ont ainsi vu le jour :

- L'Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan), qui regroupe l'INSERM (qui en est l'actuel pilote), le CNRS, le CEA, l'INRA, l'INRIA, l'IRD, l'Institut Pasteur, la Conférence des présidents d'université (CPU) et CHU. Sans existence juridique, Aviesan n'en est pas moins très active puisqu'elle a créé en son sein dix Instituts thématiques multi-organismes (Itmo), qui sont autant de plateformes d'échanges et de réflexion thématiques - et qu'elle a également un « Groupe Aviesan Sud » (en 2010), pour pallier ce que les organismes ont perçu comme étant un défaut de stratégie et d'objectifs communs, scientifique comme géographique, de la recherche en partenariat avec les pays du Sud ;

- L'Alliance nationale de coordination de la recherche pour l'énergie (Ancre), créée en juillet 2009 par le CEA, le CNRS et l'Institut français du pétrole (IFP), rejoints par le Cirad, l'INRIA et l'INRA ;

- L'Alliance pour les sciences et technologies de l'information (Allistene), créée en décembre 2009 par le CEA, le CNRS, la CPU, l'INRIA, l'Institut Mines-Télécom et la Conférence des directeurs d'écoles et formations d'ingénieurs (CDEFI) ;

- L'Alliance pour l'environnement (Allenvi), créée en février 2010 par le CEA, le Cirad, le CNRS, la CPU, l'INRA, l'IRD, le Bureau de recherches géologiques et minières (BGRM), l'Institut de recherches en sciences et technologies pour l'environnement (Cemagref), l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer), le Laboratoire central des Ponts-et-Chaussées, Météo France et le Museum national d'histoire naturelle ;

- Enfin, l'Alliance nationale des humanités, sciences humaines et sciences sociales (Athena), créée en juin 2010 par la Conférence des grandes écoles, la CPU, le CNRS et l'Institut national des études démographiques (Ined).

Inspirée par le joint programming anglo-saxon (un seul conseil scientifique « large » examine tous les moyens mutualisés), cette mobilisation veut renforcer l'efficacité de la dépense publique (confiée à l'Agence nationale de la recherche), la coordination de la recherche publique, mais aussi une meilleure valorisation économique, en intensifiant les partenariats qui existent de longue date avec l'industrie.

Le fonctionnement d'Aviesan, tel que décrit par son président 44 ( * ) , est exemplaire de la souplesse et du fonctionnement par projet : l'alliance compte une quinzaine d'experts, choisis pour leurs compétences et qui peuvent mettre en place des groupes comme ils le souhaitent ; ces entités ne disposent ni de budgets, ni de structures précises, mais les programmes qu'elles décident ont un accès direct aux financements par projet de l'ANR, ou bien reposent sur les capacités d'action des organismes. Les membres de l'alliance sont également en lien direct avec le ministre de la recherche, qui les consulte régulièrement ; le groupe ainsi constitué est rapidement mobilisable et bien plus réactif en cas de crise, on l'a vu face à la grippe H1N1, où un plan d'action a été présenté dans les 24 heures, alors qu'il avait fallu des semaines, quelques années auparavant, face au virus chikungunya.

Ensuite, grâce aux alliances, les grands organismes de recherche « [parlent] désormais d'une seule voix à l'étranger et [ils sont] bien plus lisibles qu'auparavant, ce qui constitue un changement considérable par rapport à la politique précédente. ». Concrètement encore, l'alliance permet de focaliser les programmes sur des priorités communes, avec un effet de masse face à des concurrents comme le Wellcome Trust et le Medical Research Council (à l'exemple du laboratoire de l'Institut Pasteur au Cambodge, cité plus haut).

b) Quelle articulation avec la recherche pour le développement ?

Cette mobilisation légitime pour la recherche d'excellence, cependant, laisse-t-elle suffisamment de place à la recherche en partenariat avec les pays du Sud ? Comment l'articulation se fait-elle ?

Votre mission doit constater que les stratégies visant l'excellence ont « naturellement » tendance à écarter de leur champ d'intervention les pays les moins bien lotis en infrastructures de recherche.

La description du partenariat par le directeur général de l'Inserm traduit bien l'importance des prérequis du partenariat d'excellence et la pente naturelle qui en exclut les pays les moins avancés :

« Les choix [des partenariats et des objets d'étude] reposent sur l'excellence. L'Inserm développe des laboratoires internationaux associant des chercheurs de l'Institut et des chercheurs étrangers, qui ont la volonté de travailler ensemble sur une même thématique et qui sont complémentaires. Le laboratoire international est donc implanté à deux endroits différents. Nous payons les déplacements de nos chercheurs et l'autre laboratoire, paye les déplacements des siens. Ces laboratoires internationaux associés ne coûtent pas cher et sont situés aux États-Unis, au Canada, au Japon, en Corée, à Taïwan, en Inde, etc. Leur organisation repose sur une base égalitaire. Dans nos laboratoires en Inde, nous travaillons sur le diabète, les maladies cardiovasculaires, etc. Nous avons également des laboratoires en Amérique du Sud, au Mexique, au Brésil, nous avons ainsi noué beaucoup de liens avec les universités brésiliennes, établis sur l'excellence . » 45 ( * )

Dans cette perspective, « une recherche est bonne, ou bien elle n'est pas de la recherche » ; dès lors, toute autre considération que la constitution des meilleures équipes passera pour une contrainte inutilement pesante. Des responsables d'organismes de recherche reprochent ainsi aux diplomates de se mêler de recherche, soulignant les ambiguïtés de la diplomatie scientifique.

« Je déplore que la politique du ministère des affaires étrangères soit déconnectée de nos actions. Ce ministère a tendance à lancer ses propres projets et à organiser des réunions avec des chercheurs, sans que ces derniers soient évalués. Faire une mauvaise recherche dans un pays du Sud ne sert à rien, ni aux chercheurs du Nord, ni aux chercheurs et aux populations du Sud. Le problème, c'est d'arriver avec des projets qui ne relèvent pas vraiment de la recherche et de croire que les chercheurs du Sud y seront intéressés, alors que, dans chacun des pays où nous travaillons, des chercheurs excellent dans leurs domaines, même s'ils manquent parfois de formation et de financements, ce en quoi nous pouvons les aider. »

« L'Inserm n'a pas vocation à dire dans quels pays la France a intérêt à s'implanter, c'est le rôle de la diplomatie, du ministère des Affaires étrangères ; symétriquement, ce ministère ne devrait pas se mêler de recherche, ce n'est pas sa compétence. »

Ces propos, qui ont le mérite de la franchise et de la clarté, rendent compte que les difficultés d'articuler recherche d'excellence et renforcement des capacités relèvent aussi de la gouvernance de la RpD - et de son caractère plus ou moins prioritaire dans nos politiques publiques.

Parallèlement, la recherche pour le développement peine à trouver sa place dans notre action publique en faveur du développement.

2. Un manque de liens entre la RpD et les acteurs opérationnels de la politique française du développement

Votre mission souligne ce fait après bien d'autres : l'action extérieure de la France en matière de développement fait une place insuffisante à la recherche - au premier chef, l'AFD n'est pas assez connectée aux grands opérateurs de la recherche .

La directrice générale de l'Agence nationale de la recherche l'a reconnu devant votre mission : les liens de l'ANR avec l'AFD « sont quasiment inexistants » 46 ( * ) . Même chose au Cirad : « L'articulation avec l'AFD reste à penser (...) la programmation amont qui se fait entre l'AFD et les pays tiers partenaires pourrait mieux impliquer le Cirad. » 47 ( * ) .

Ce constat est troublant, parce qu'il témoigne d'un cloisonnement par circuits financiers tout à fait obsolète , que la stratégie nationale de la recherche et les réformes intervenues ces dernières années ont voulu dépasser. Devant votre mission, M. le Ministre Pascal Canfin a déploré que la recherche n'inspire pas davantage les politiques publiques, qu'elle ne se traduise pas suffisamment en actions. L'AFD détient, en tant que premier bailleur de fonds bilatéral, des moyens de valoriser la recherche bien supérieurs à ceux des organismes de recherche et a fortiori des postes diplomatiques. Cette position n'implique nullement de confier la compétence recherche à l'AFD, d'en faire dépendre tout ou partie du financement des projets - mais plutôt d'inclure l'Agence dans les comités d'orientation de la recherche à l'échelon national. Votre mission a pu constater, au Tchad par exemple, que des liens existent entre les opérateurs, que l'AFD est active et incontournable sur des pans entiers de la recherche pour le développement - en l'occurrence, sur le pastoralisme, mais également pour la diffusion de certains programmes (colloques).

3. L'action française en matière de recherche pour le développement, mal connue des institutions européennes

D'une manière analogue à ce que votre mission a pu constater à l'échelon national, la recherche que mène la France en partenariat avec les pays du Sud semble insuffisamment connectée à l'action menée par l'Union européenne en faveur du développement, alors même que l'UE est le premier bailleur mondial (devant les États-Unis) en matière d'aide publique au développement.

Les instituts de recherche pour le développement, comme tous les organismes français de recherche, considèrent surtout l'UE comme un guichet de financement . Les crédits communautaires consacrés à la recherche augmentent en effet de manière continue depuis trente ans, atteignant 52,7 milliards d'euros pour le 7ème Programme-cadre pour la recherche et le développement technologique (PCRDT) qui couvre les années 2007 à 2013. Prolongeant cette tendance, le prochain programme-cadre pour 2014-2020, dénommé « Horizon 2020 », devrait bénéficier d'environ 70 milliards d'euros , sous réserve que le Parlement européen approuve l'accord obtenu au Conseil européen de février 2013 sur le prochain cadre financier pluriannuel.

L'actuel programme-cadre compte quatre rubriques principales : le programme « Coopération » absorbe la majorité des crédits (32 milliards d'euros) et soutient les projets de recherche collaboratifs ; les trois autres programmes (« Idées », « Personnes » et « Capacités ») soutiennent respectivement l'excellence scientifique (7,5 milliards d'euros), la mobilité des chercheurs (actions Marie Curie bénéficiant de 4,75 milliards d'euros) et le soutien aux infrastructures de recherche (4,1 milliards d'euros). L'UE finance donc des projets de recherche, des bourses, des infrastructures de recherche... L'objectif premier de ces programmes est bien entendu la construction d'un espace européen de la recherche pour renforcer les capacités de recherche de l'Europe et lui permettre d'atteindre les masses critiques et de devenir un acteur clé de la recherche mondiale. Mais, parce que la recherche se fait précisément à l'échelle mondiale et que de nombreux défis sont planétaires (maladies émergentes, sécurité alimentaire, changement climatique...), l'UE n'ignore pas l'enjeu que constitue l'insertion des pays en développement dans cette recherche mondiale 48 ( * ) . Parmi les projets que l'UE finance, certains sont ainsi menés par des équipes mixtes UE/pays tiers : aujourd'hui, un cinquième des projets de recherche de l'UE intègre au moins un partenaire qui n'est pas originaire de l'UE. Et les bourses Marie Curie financent la mobilité et la formation de chercheurs issus de 80 pays différents.

Néanmoins, comme l'a souligné la cour des Comptes dans son rapport sur le financement public de la recherche, paru en juin 2013, les chercheurs français peinent à obtenir des financements de l'UE : si la France a contribué au 7 ème PCRDT à hauteur de 6 milliards d'euros entre 2007 et 2012, les chercheurs français n'ont obtenu que 3,42 milliards en retour sur la période 2007-2012. Même si les financements du PCRDT atteignent, pour les chercheurs français, un montant tout de même significatif (694 millions d'euros en 2011, à rapprocher des 728 millions d'euros de financements sur projets de l'Agence Nationale de la Recherche), la Cour des comptes reconnaît que le montage et la coordination des projets européens constituent une charge lourde . Or, les travaux de coordination des projets européens ne sont pas reconnus en France dans l'évaluation de l'activité des chercheurs comme le sont par exemple leurs publications.

L'analyse de la Cour des comptes n'est pas spécifiquement ciblée sur les instituts dédiés à la recherche pour le développement, mais ces considérations de lourdeur et de complexité de montage des dossiers européens ont été souvent relayées par les personnes auditionnées par votre mission.

L'IRD indique que sa participation au programme cadre européen va croissant et obéit à une double logique : d'une part, travailler avec les meilleures équipes européennes sur les questions de recherche pour le développement 49 ( * ) ; d'autre part, faciliter l'insertion de nos partenaires du Sud dans les projets européens pour contribuer à la visibilité de leurs travaux. Les chercheurs français ont donc un rôle charnière à jouer pour permettre aux projets de recherche partenariale avec le Sud de répondre aux appels à projet et de bénéficier ainsi des financements européens, l'UE finançant généralement 50 ( * ) les équipes non européennes indirectement , via les projets collaboratifs qu'elles mènent avec des chercheurs européens.

Malgré leur complexité, les financements compétitifs européens sont devenus stratégiques pour la dynamique des équipes de recherche . Lors de leur entrevue à Bruxelles, le Dr Fadila Boughanemi et le Dr Leonidas Karapiperis, respectivement Senior Policy Officer pour la coopération internationale et Conseiller « Relations avec les organisations internationales » à la Direction générale Recherche et innovation de la Commission européenne, ont fourni au président de votre mission et à votre rapporteure des chiffres qui confirment l'importance de ces financements pour nos partenaires du Sud : par le biais des partenariats internationaux du 7ème programme-cadre, les pays ACP reçoivent, au titre du 7 ème PCRDT, 123 millions d'euros et se trouvent ainsi le premier récipiendaire devant les autres groupes de pays (pays à haut revenu, Asie, Russie/Pays de l'Est et d'Asie centrale, Amérique Latine, Pays méditerranéens).

Parmi les actions menées au titre de la coopération en matière de recherche, certaines ont assurément un impact important au Sud : ainsi, le programme European & Developing Countries Clinical Trials Partnership (EDCTP) est un programme européen de collaboration sur les maladies infectieuses (paludisme, SIDA, tuberculose) avec l'Afrique , cofinancé par la Commission européenne et les États membres 51 ( * ) . Y participent 14 États membres de l'UE, la Suisse, la Norvège et 47 pays de l'Afrique Subsaharienne. L'UE a déjà consacré 200 millions d'euros à ce projet au titre du 7ème PCRDT et devrait encore accentuer sensiblement son effort dans Horizon 2020 52 ( * ) . La première initiative de financement conjoint de projets de recherche collaboratifs entre Etats membres de l'UE et pays africains a été décidée dans le cadre de la coopération internationale du 7 ème PCRDT : l'appel d'offres conjoint pour ce projet dénommé ERAfrica a été lancé en janvier 2013 avec un budget de 11 millions d'euros 53 ( * ) . Le coordinateur de ce projet est le représentant de l'IRD et du CNRS en Afrique du Sud.

Lors de leur déplacement à Bruxelles, le président de la mission et votre rapporteure ont ainsi pu apprécier la mobilisation de la DG Recherche et innovation de la Commission en direction du Sud . En revanche, il leur est apparu que cette mobilisation rencontrait peu d'écho à la DG en charge du développement et de la coopération . Toutefois, cette DG finance aussi des programmes de recherche au Sud . Ainsi, dans l'enveloppe de 22 milliards d'euros que le 10ème Fonds européen de développement (FED) alloue aux pays ACP pour 2005-2013, des financements vont au renforcement de capacités, essentiellement par la formation et la construction d'infrastructures de recherche. Il arrive aussi que la DG Recherche de la Commission et la DG Développement et coopération s'associent pour investir dans le développement des capacités de recherche : il en est ainsi dans le cadre du 8 ème partenariat mis en place en 2007 entre l'UE et l'Union africaine sur les questions scientifiques 54 ( * ) . Parallèlement et depuis 2007, il existe également un Partenariat avec l'Union africaine qui porte sur les infrastructures et comporte quatre volets - transports, eau, énergie et TIC -, auxquels il serait utile d'ajouter un cinquième volet sur les infrastructures de recherche .

La nécessité de telles actions a été soutenue dès 1982 par M. Edgar Pisani, alors commissaire européen chargé du développement, qui déclarait devant le Parlement européen : « Le développement, ce n'est pas simplement le transfert technologique et l'assistance technique ; c'est l'acquisition par les pays les plus pauvres de la capacité de développer des techniques adaptées à leurs propres besoins, de former des hommes capables de les gouverner ». Le « Memorandum Pisani » d'octobre 1982 insistait notamment sur le besoin d'une recherche partenariale pour le développement.

Reçus par M. Razaaly, membre du cabinet du commissaire européen Andris Piebalgs, en charge du développement, le président et votre rapporteure ont constaté qu'en tout cas, nos instituts publics de recherche pour le développement n'étaient pas très audibles en tant que tels auprès de la DG Développement et coopération , qui travaille essentiellement avec des plateformes représentant les multiples acteurs non étatiques. Aux yeux de l'UE 55 ( * ) , ces instituts de recherche font donc partie des « organisations de la société civile » (OSC) au même titre que les ONG ou les associations 56 ( * ) . Certains organismes ou experts semblent néanmoins bien introduits à Bruxelles, où ils sont parvenus à se forger une forme de notoriété : le cabinet du commissaire a ainsi spontanément cité l'Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), que dirige Mme Laurence Tubiana.

Les organismes de recherche français ont pourtant organisé leur représentation à Bruxelles : créé en 1991, le Club des organismes de recherche associés (CLORA) fédère aujourd'hui 36 membres, dont 11 qui possèdent des représentants à Bruxelles, parmi lesquels on compte le CNRS, l'INRA, l'INSERM, l'IRD, la CPU 57 ( * ) ... Le CLORA est chargé de quatre types de missions:

- mise en synergie des compétences et des moyens consacrés aux relations de ses membres avec les institutions de l'Union européenne actives dans les domaines de la recherche, la technologie, l'innovation et la formation ;

- veille stratégique sur les programmes et les procédures communautaires dans ces domaines, en collectant et en analysant les informations utiles ;

- diffusion d'informations, via des notes thématiques, une gazette bimensuelle et un site web ;

- actions d'intérêt commun : organisation de séminaires, d'ateliers et de réunions d'information périodiques sur les activités de la Commission européenne ; aide à la recherche de partenaires, en particulier grâce au réseau de ses homologues européens à Bruxelles, l' Informal Group of Liaison Offices (IGLO).

Malgré l'existence du CLORA, la recherche pour le développement est difficilement audible à Bruxelles. Selon l'analyse qu'en fait M. Prieur, président du CLORA, la vision française d'une construction commune de savoir avec le Sud est sans équivalent, les autres États membres raisonnant plutôt en termes de transfert de technologie .

En outre, les organismes français de recherche pour le développement n'ont pas une taille critique suffisante pour assurer leur visibilité à l'échelon européen.

La recherche française pour le développement se trouve de fait marginalisée au niveau européen, en raison de la dichotomie latente entre excellence scientifique et aide au développement, dichotomie d'autant plus difficile à résoudre que l'Union européenne manque de pilotage politique.

4. Des difficultés supplémentaires, faute d'une politique d'ensemble

Non seulement partagée entre le monde de la recherche et celui du développement, la recherche pour le développement se trouve freinée par d'autres politiques publiques - notamment en matière d'immigration ou de défense -, avec lesquelles elle n'est pas articulée, faute de vision d'ensemble.

a) La politique des visas, souvent perçue comme un frein à la mobilité des chercheurs et des étudiants

La politique de coopération avec les centres de recherche et les universités du Sud passe par une politique de partenariat in situ dans les pays partenaires mais également par la mobilité de chercheurs et d'étudiants doctorants entre la France et les pays du Sud.

Or, notre politique d'accueil des étudiants étrangers et des chercheurs a été entachée depuis plusieurs années d'incohérences, nuisibles à sa lisibilité par l'extérieur.

Malgré des évolutions plutôt favorables au développement des échanges intellectuels et notamment à l'augmentation du nombre d'étudiants étrangers accueillis, l'hésitation entre la volonté d'accueillir les meilleurs éléments et l'obsession du « risque migratoire » a conduit, lors du dernier quinquennat, à une réduction des possibilités d'échange avec la France en contradiction avec les objectifs de partenariats au développement affichés.

Si, chaque année, 290 000 étudiants étrangers étudient dans notre pays, nous avons perdu du terrain, passant de la troisième à la cinquième place mondiale pour l'attractivité de l'enseignement supérieur en raison d'une politique des visas dissuasive.

Cette politique mise en place à partir de 2002 s'est notamment traduite par la circulaire du 31 mai 2011 (dite circulaire « Guéant») qui a particulièrement touché les élèves chercheurs qui souhaitaient une première expérience professionnelle, détournant de nombreux étudiants brillants, notamment francophones, vers d'autres destinations.

Comme l'a constaté votre rapporteure au Tchad et au Cameroun, la France a, notamment avec l'Afrique francophone, une opportunité de former des générations d'élites francophiles qu'elle est en train de manquer en les invitant à aller ailleurs.

Car la tendance est au repli. A titre d'illustration, la proportion des étudiants africains qui font leurs études en France parmi l'ensemble des étudiants africains qui effectuent leurs études à l'étranger a diminué de 7 points en l'espace de 4 ans, chutant de 36 à 29%.

Sources : Campus France Unesco

Les causes de cette désaffection sont nombreuses : le coût des études en France, l'attrait de la langue anglaise, la faible compétitivité des universités françaises, mais la première est une politique des visas dissuasive.

Tous les interlocuteurs rencontrés lors des déplacements de votre mission l'ont dit : il faut s'armer de courage et de patience pour faire une demande de visa auprès d'une ambassade française .

Malgré la bonne volonté du personnel des consulats, souvent en sous-effectif, les demandes de visa sont vécues comme un parcours du combattant. La lenteur des démarches administratives, notamment à l'approche de la rentrée scolaire, complique l'installation des étudiants : il arrive que le premier rendez-vous pour une demande de visa arrive après le jour de la rentrée scolaire, si bien que les étudiants la manquent. Un visa accordé avec retard oblige les étudiants à rattraper les cours qu'ils n'ont pu suivre, tandis que les bourses sont rarement délivrées en temps voulu. Il devient donc difficile de trouver un logement, de pouvoir subvenir à ses besoins et de réussir son année universitaire. Le nombre de bourses lui-même a tendance à diminuer sous le coup des restrictions budgétaires.

L'avis négatif de Campus France , qui se prononce sur la pertinence du projet d'études à la vue du cursus envisagé et des études déjà effectuées, n'est jamais transmis à l'étudiant, qui ne constate un refus éventuel qu'au consulat, sans en connaître les motifs . Souvent, les candidats ont dû présenter au consulat un billet d'avion et réunir les sommes exigées pour obtenir le visa : non seulement leur projet tombe à l'eau, mais ils ont perdu de l'argent. L'articulation actuelle d'une double procédure, celle de Campus France et celle du Consulat, a sa logique, mais elle ne prend pas assez en compte les contraintes des demandeurs.

La complexité administrative se double d'un sous-effectif des consulats qui doivent, par ailleurs, faire face à une multiplication de la fraude documentaire. En effet, plus la législation est restrictive, plus l'imagination des fraudeurs se développe, plus la méfiance des services consulaires s'accroît, plus les exigences et les délais pour obtenir un visa augmentent.

Une fois en France, beaucoup d'étudiants étrangers disent avoir l'impression d'être considérés différemment des autres étudiants étrangers, notamment issus du programme ERASMUS : ils ressentent de la méfiance à leur égard et se sentent souvent perçus, non pas comme des dirigeants et des entrepreneurs en devenir, mais plutôt comme des migrants potentiels. Ce climat peu accueillant peut les conduire à aller se former ailleurs.

Cette réalité concerne les étudiants mais aussi les chercheurs . Les anecdotes sont nombreuses : des colloques associant chercheurs français et étrangers qui ne peuvent se monter ; des collaborateurs de laboratoires français au Sud qui ne peuvent pas honorer des rendez-vous à Paris ; des professeurs qui décommandent des conférences faute de visa dans les temps.

Aujourd'hui, la législation française impose à des chercheurs de haut niveau de renouveler, parfois tous les trois mois ou chaque année, des visas au prix d'une longue procédure , d'une journée d'attente à la préfecture, avec un résultat toujours incertain.

Actuellement, pour entrer sur le territoire français, les étudiants inscrits en doctorat et les scientifiques-chercheurs titulaires d'une convention d'accueil visée par le préfet doivent être bénéficiaires d'un visa de long séjour valant titre de séjour (VLS-TS) valable un an, portant la mention « étudiant » ou « scientifique chercheur » 58 ( * ) .

Les étudiants doctorants et les scientifiques chercheurs peuvent se voir délivrer à l'issue de leur VLS-TS ou de leur carte de séjour, pour ceux déjà présents sur le territoire français, une carte de séjour pluriannuelle (L. 313-4 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile). La durée de cette carte doit correspondre, pour les doctorants, à la durée prévisible du doctorat, dans la limite de quatre ans et, pour les scientifiques chercheurs, à la durée prévisible de leurs travaux prévue par la convention d'accueil. Cette possibilité a cependant été très peu utilisée puisque 3 000 ont été délivrées en 2011 pour 280 000 étudiants.

L'impact de toutes ces contraintes est énorme. Les chercheurs doivent en effet pouvoir se projeter dans l'avenir, à moyen ou long terme. Le fait, pour eux, de ne pas être assurés de leur avenir et de ne pas savoir si leur titre de séjour sera renouvelé les place dans une insécurité qui n'est guère propice à un travail de recherche nécessairement étalé dans le temps. Le renouvellement annuel de la carte angoisse aujourd'hui nombre d'étudiants et de chercheurs étrangers. De surcroît, cela leur donne l'impression de ne pas être estimés à leur juste valeur.

b) Les partenariats scientifiques entravés par la protection du patrimoine scientifique et technique de la nation

L'accueil des chercheurs et doctorants se heurte à un autre obstacle, qui lui est cette fois opposé au titre de la défense nationale.

La protection réglementaire de notre patrimoine scientifique et technique a pris de l'importance au lendemain de la seconde guerre mondiale. Aux termes de la loi, la science fait désormais partie des intérêts fondamentaux de la Nation.

Un équilibre délicat doit donc être trouvé entre les nécessités de la sécurité nationale et l'ouverture qu'implique le développement de collaborations scientifiques avec des pays partenaires . Il est certain que la mondialisation de la recherche expose les activités scientifiques de la France à une menace réelle et croissante. Selon M. Frédéric Guin, Secrétaire général du ministère de l'Éducation nationale et du MESR et Haut fonctionnaire de défense et de sécurité, on recense depuis quatre ans plus de 5000 cas avérés d'atteintes au patrimoine scientifique et technique , émanant de ressortissants français ou étrangers et de laboratoires publics ou privés. Lors de son audition, M. Guin n'a malheureusement pas pu donner à votre mission d'exemples précis de telles atteintes. Il a seulement évoqué des cas où des recherches susceptibles d'aboutir à une exploitation commerciale font l'objet de brevets déposés dans un pays d'où était originaire un doctorant qui travaillait dans le laboratoire français menant ces recherches, des cas de récupérations de données informatiques sur les postes des professeurs, pouvant émaner d'initiatives non pas individuelles mais étatiques. Il a estimé en tout cas que la menace n'était pas toujours évaluée à son juste niveau par les laboratoires de recherche.

Au terme d'un processus assez long, un nouveau dispositif de protection du potentiel scientifique et technique (PPST) a donc été récemment adopté : un décret a été pris en novembre 2011 59 ( * ) , suivi d'un arrêté du Premier Ministre le 3 juillet 2012, puis d'une circulaire en janvier 2013. Ces nouvelles règles modifient sensiblement l'état du droit dans le sens d'un renforcement des contrôles et des procédures, ce qui n'est pas sans incidence sur la possibilité de nouer des partenariats de recherche avec l'étranger .

Le texte détermine des secteurs scientifiques et techniques protégés et organise une délimitation de locaux et terrains sensibles au sein des unités de recherche. Chaque laboratoire (hormis en sciences humaines et sociales, non concernées) est évalué selon quatre types de risques touchant aux intérêts économiques, aux capacités de défense, à la prolifération des armes de destruction massive et au terrorisme.

Les modalités de protection sont de trois ordres :

- définition des secteurs protégés et des spécialités sensibles, avec référencement des unités de recherche concernées et de leur degré de sensibilité ;

- création de zones à régime restrictif, dont l'accès est protégé sous peine de sanctions pénales et doit être autorisé par le directeur d'établissement après avis favorable du ministre (par le biais de son représentant, le Haut fonctionnaire de défense et de sécurité -HFDS) ;

- contrôle des projets de coopération avec des pays ou laboratoires étrangers, soumis à une procédure d'avis préalable mais, cette fois, non contraignant du Haut fonctionnaire de défense et de sécurité.

Votre mission a pu constater que ces règles nouvelles et contraignantes sont mal comprises par le monde de la recherche alors même que c'est sur lui que repose leur application. Or le dispositif monte en puissance: le nombre de ZRR, dont les six premières ont été créées début mai 2013, devrait atteindre 200 à 300 d'ici fin 2014, en régime de croisière. M. Philippe GASNOT, Fonctionnaire de sécurité de défense du CNRS, a indiqué que 92 d'entre elles étaient appelées à voir le jour au sein du CNRS.

Lors de son audition par votre rapporteure, M. Claude Kirchner, Délégué général à la recherche et au transfert pour l'innovation d'INRIA, s'est montré particulièrement soucieux du fait que, au sein de ces ZRR, le HFDS donnera un avis contraignant sur toute demande d'accueil, y compris de chercheurs français et européens 60 ( * ) . Notant que, pour ce qui concerne l'INRIA, le taux de refus sur les visites était passé de 4,5 % en moyenne à 12 % entre 2010 et 2012 (et dépassait même 50 % pour les étudiants émanant de pays considérés comme sensibles), il a indiqué que l'INRIA n'avait pas suivi ces avis négatifs dans les deux tiers des cas et a jugé que rendre ces avis contraignants reviendrait pour la recherche française à « se tirer une balle dans le pied » en se privant de la collaboration des étudiants et chercheurs étrangers .

Malgré les efforts de pédagogie consentis autour de ces nouveaux dispositifs qui contribuent à sécuriser la propriété intellectuelle, plusieurs motifs d'inquiétude, voire de crispations, sont avancés par les chercheurs attachés à l'ouverture et l'accueil d'étudiants et de chercheurs étrangers:

- l'opacité de l'avis que rend le HFDS : cet avis, contraignant en ce qui concerne l'autorisation d'accès à une ZRR, n'a pas à être motivé (conformément à l'exigence du Conseil d'État, qui craignait le contournement des motifs de refus s'ils étaient publics). Ceci peut conduire à des incompréhensions, même si des explications orales sont toujours possibles;

- le caractère inadapté de l'interdiction physique de l'accès à des zones ou locaux, à l'heure où le numérique permet d'accéder à des informations mises en réseau, ignore les frontières physiques et se joue des panneaux d'interdiction;

- la possibilité de contournement des règles de PPST applicables sur le territoire français, dès lors que les unités mixtes internationales ne sont pas éligibles au régime restrictif des ZRR .

Votre mission considère qu'il convient d'accorder la plus grande attention aux risques qu'un verrouillage excessif de nos collaborations scientifiques peut représenter pour la dynamique de recherche partenariale avec les pays du Sud. Sur ce point également, la plus grande cohérence de l'action publique doit être recherchée et le dialogue interministériel doit être approfondi.

B. UNE ACTION EXTERIEURE FRANÇAISE MORCELÉE EN MATIERE DE RECHERCHE POUR LE DÉVELOPPEMENT, APRES DES RÉFORMES INACHEVÉES

Hors de France, la ligne de l'action publique de la France en matière de recherche pour le développement est également difficile à lire, tant ses acteurs apparaissent dispersés au Sud.

1. La recherche française pour le développement : une présence dispersée au Sud

La présence française hors de France au service du développement est multiple : le réseau diplomatique du ministère des Affaires étrangères et européennes (MAEE) cohabite en effet avec le réseau des agences françaises pour le développement (AFD) et avec le réseau de représentants des différents acteurs de la recherche pour le développement : IRD, Cirad, Pasteur, ANRS, CNRS, INSERM, et CPU . La recherche hors de France est également présente à travers les Unités Mixtes des Instituts Français de Recherche à l'Étranger (UMIFRE) , résultats d'un partenariat entre le CNRS et le MAEE.

La carte ci-jointe représente les zones d'intervention des acteurs de la recherche actifs au Sud, ainsi que celles de l'AFD. Elle permet de constater que la recherche française est présente dans la quasi-totalité du Sud , y compris en Amérique latine où l'AFD intervient, pour sa part, dans une zone plus réduite. Si l'on superpose les interventions de l'IRD et du Cirad, représentées par des hâchures, il apparaît que le nombre de pays du Sud où la France ne mène pas de recherche pour le développement se compte sur les doigts d'une main.

Pour mémoire et en complément de la recherche française présente au Sud, on peut rappeler l'existence du réseau des instituts français, destiné à promouvoir la culture française à l'étranger.

L'Institut français est l'opérateur de l'action culturelle extérieure de la France. Il a été créé par la loi du 27 juillet 2010 relative à l'action extérieure de l'état et par son décret d'application du 30 décembre 2010.

Placé sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères, il est chargé, dans le cadre de la politique et des orientations arrêtées par l'état, de porter une ambition renouvelée pour la diplomatie d'influence. Il doit contribuer au rayonnement de la France à l'étranger dans un dialogue renforcé avec les cultures étrangères et répondre à la demande de France dans une démarche d'écoute, de partenariat et d'ouverture. Présidé par Xavier Darcos, l'Institut français se substitue à l'association Culturesfrance sous la forme d'un EPIC (établissement public à caractère industriel et commercial).

Aux activités développées par Culturesfrance en matière d'échanges artistiques et d'accueil en France des cultures étrangères, s'ajoutent de nouvelles missions transférées par le ministère des Affaires étrangères comme la promotion de la langue française, des savoirs et des idées mais aussi la formation des agents du réseau culturel français. L'Institut français revendique la liberté d'expression et la diversité dans un contexte de mondialisation, tout en affirmant sa compétence et son expertise en matière de promotion de la culture française dans le monde. Il est un outil d'influence et de coopération, et un pôle d'expertise et de conseil.

En outre, l'Institut français est au coeur des enjeux actuels du numérique. Internet et les réseaux sociaux ayant bouleversé la diffusion de la culture, l'Institut français entend s'approprier ces technologies et en faire un vecteur de l'influence française.

En travaillant en étroite relation avec le réseau culturel français à l'étranger, constitué des instituts français et des alliances françaises, l'Institut français veille à répondre aux besoins exprimés par les postes diplomatiques, tout en favorisant les initiatives qui permettent une plus grande mutualisation des projets et des économies d'échelle. Localement, son action est mise en oeuvre sous l'autorité des Ambassadeurs.

Source : www.institutfrancais.com

Dans son récent examen par les pairs de la politique française de coopération au développement 61 ( * ) , le Comité d'aide au développement (CAD) de l'OCDE a représenté l'éclatement du dispositif français par le schéma suivant, l'illustrant par le cas particulier du Cameroun.

La présence durable sur le terrain de nos acteurs de recherche pour le développement constitue précisément leur valeur ajoutée sinon leur justification voire leur identité 62 ( * ) , pour ce qui est du Cirad et de l'IRD, opérateurs dédiés. Lors de son audition par votre mission, M. Michel Bouvet, président de l'AIRD, a estimé à 7 000 le nombre de scientifiques français présents dans les pays du Sud , à travers près de 90 représentations. Ainsi, les implantations de l'IRD dans les pays du Sud comptent 620 personnes (personnel expatrié, volontaires internationaux et recrutés locaux inclus), dans plus de 35 pays, pour les deux tiers en Afrique. Le Cirad est pour sa part représenté dans plus de 50 pays du Sud. Les 32 instituts associés dans le réseau international de l'Institut Pasteur sont eux aussi vus comme représentant la France à l'étranger, bien que l'Institut Pasteur ait un statut de fondation privée à but non lucratif. Lors de son audition, Mme Alice Dautry, alors directrice générale de l'Institut Pasteur, a exprimé la finalité de ce réseau international par une formule parlante : la stratégie de Pasteur dans les pays où il est présent, c'est de « faire partie des meubles ». La présence permet une connaissance réciproque sur laquelle se tissent des liens humains dans la durée et, finalement, une relation de confiance. Elle représente donc une force politique, mais aussi scientifique , permettant de maintenir dans la durée des relevés de données sur le terrain.

Sans remettre en cause la nécessité de cette présence et eu égard à son coût, il est permis de s'interroger sur la rationalité de ces implantations . La carte suivante illustre la multiplicité de ces implantations, souvent juxtaposées avec celles de l'AFD. Hérité de l'histoire, le réseau de nos implantations de recherche au Sud , qui a permis de tisser un maillage fin de relations partenariales avec de nombreux pays au Sud, ne correspond pas nécessairement aux besoins ou au potentiel respectif des pays du Sud en matière de recherche.

Même si le poids d'un pays en population n'est pas l'unique paramètre à considérer, votre mission se demande par exemple s'il est justifié qu'aucun organisme français de recherche pour le développement - l'Institut français de recherche présent à Ibadan ne relevant pas à proprement parler de cette catégorie - ne soit représenté au Nigeria, pays dont la population devrait équivaloir, d'ici 25 ans, à celles des États-Unis et du Canada cumulées 63 ( * ) : en effet, les besoins d'un tel pays en termes de renforcement des capacités de recherche sont assurément importants. Au Cameroun, pays mitoyen qui compte huit fois moins d'habitants que le Nigeria, sont en revanche présents l'IRD, le CIRAD, l'ANRS et l'Institut Pasteur, ce qui s'explique naturellement par des raisons historiques et linguistiques évidentes et par la qualité et le nombre des chercheurs camerounais, mais peut soulever des questions de redondance voire de concurrence entre instituts.

Comme le montre la carte ci-jointe , on compte jusqu'à sept représentations d'instituts français de recherche dans certains pays : il en est notamment ainsi au Vietnam, où, de surcroît, l'AFD dispose d'une agence à Hanoï. Il faut noter que chacun des organismes de recherche présents là-bas est impliqué dans le consortium d'établissements français qui développe l'université des sciences et technologies de Hanoï (USTH).

Comme le souligne la récente mission d'inspection sur l'IRD, il existe quelques mutualisations en personnel ou locaux : ainsi, le CNRS et l'IRD ont un représentant commun en Afrique du Sud et au Chili ; l'IRD et la CPU sont représentés par la même personne à Bruxelles ; le Cirad et l'IRD se partagent des locaux au Bénin, au Cameroun, au Vietnam et au Brésil.

Votre mission relève néanmoins qu'à sa connaissance, aucun de nos opérateurs de recherche ne partage ses locaux avec l'AFD , fer de lance de notre politique de développement dans 70 pays.

Elle observe aussi que, dans une dizaine de pays, l'on peut constater de très faibles effectifs de chercheurs . Ainsi, un seul chercheur de l'IRD se trouve à Haïti ou en Colombie : une présence si limitée est-elle de nature à peser sur le développement de ces pays ? Participe-t-elle au rayonnement de la France? Inversement, la présence de 21 chercheurs IRD au Bénin (pays de 10 millions d'habitants) est-elle justifiée ? Ce mode d'implantation dispersé éveille en tout cas le doute sur l'efficacité du dispositif.

EFFECTIFS AU SEIN DES REPRÉSENTATIONS DE L'IRD
DANS LES PAYS DU SUD

Continent

Région

Pays

Chercheurs,

ingénieurs,

techniciens

Recrutés

locaux

V.I.

Total

AFRIQUE

Afrique australe, de l'Est et Océan indien

Afrique
du Sud

Éthiopie

Kenya

Ouganda

Madagascar

Seychelles


11

1

7

2

6

3


1

0

2

0

10

0


1

0

1

0

0

0


13

1

10

2

16

3

Sous-total région

30

13

2

45

Afrique de l'Ouest et Afrique centrale

Bénin

Burkina Faso

Côte d'Ivoire

Cameroun

Gabon

Mali

Niger

Tchad

Sénégal

21


17


0

20

5

4

4

1

38

11


32


8

14

0

16

20

0

87

6


4


0

2

1

0

0

0

8

38


53


8

36

6

20

24

1

133

Sous-total région

110

188

21

319

Méditerranée

Égypte

Liban

Maroc

Tunisie

3

2

18

15

2

0

9

10

0

0

2

3

5

2

29

28

Sous-total région

38

21

5

64

Total continent

178

222

28

428

AMÉRIQUE

Amérique latine et Caraïbes

Bolivie

Brésil

Argentine

Chili

Équateur

Haïti

Mexique

Colombie

Pérou

13

14

2

2

4

1

5

1

25

11

4

0

4

2

0

6

0

6

3

0

0

0

0

0

0

0

5

27

18

2

6

6

1

11

1

36

Total continent

67

33

8

108

ASIE

Indonésie

Cambodge

Laos

Inde

Thaïlande

Vietnam

7

2

5

4

15

17

10

0

10

0

3

4

0

1

1

0

3

3

17

3

16

4

21

24

Total continent

50

27

8

85

PACIFIQUE

Vanuatu

2

0

0

2

Total continent

2

0

0

2

Source : données IRD

La présence de la France sur le terrain est assurément un atout pour notre pays, reconnu par nos partenaires du Sud, mais votre mission considère que la multiplicité des acteurs au service du développement est source d'un brouillage coûteux, à la fois en termes budgétaires et en termes de lisibilité de notre action pour nos partenaires du Sud.

2. L'Agence AIRD: chronique d'un échec annoncé

La France peine à sortir du morcellement de ses dispositifs de recherche, fruit de l'histoire. La création des alliances a tenté de dépasser ce morcellement au plan national, voire européen, mais, au Sud, les acteurs français de la recherche (organismes de recherche comme universités) apparaissent en concurrence les uns avec les autres .

Ce constat, partagé de longue date, a conduit le Comité interministériel (CICID) du 18 mai 2005 à décider la création d'une agence de programmation et de financement chargée de programmer des activités scientifiques au service du développement, contribuer à leur financement et fédérer les acteurs de la recherche pour le développement: Cirad, CNRS, CPU, INSERM, Institut Pasteur et IRD. Le décret n° 2010-594 du 3 juin 2010 a consacré la création de l'AIRD , sous l'égide de l'IRD, et l'a dotée d'un conseil d'orientation. Ce COrA est composé de deux collèges : un collège Sud, dans lequel siègent 13 personnalités scientifiques issues des pays du Sud ; un collège Nord, dans lequel siègent les six organismes fondateurs de l'Agence, les cinq Alliances de recherche, et les deux ministères de tutelle de l'AIRD (Enseignement supérieur et Recherche, Affaires étrangères). L'Agence française de développement (AFD) et l'Agence nationale de la recherche (ANR) sont invitées permanentes du COrA.

Plus de deux ans après son lancement effectif, l'AIRD ne semble pas en mesure de relever le défi assigné. Lors des assises de l'enseignement supérieur et de la recherche fin 2012, la communauté scientifique a encore déploré le morcellement du dispositif français de recherche pour le développement et regretté que l'AIRD n'ait pu répondre à ce besoin de coordination. Cette affirmation ne saurait mettre en cause la qualité des actions qu'elle a menées depuis sa création. L'AIRD a obtenu des résultats 64 ( * ) , notamment en matière de valorisation des recherches partenariales, mais , en matière de construction de programmes de recherche avec d'autres partenaires ou de renforcement des capacités, nombre de programmes et outils déjà existants sont simplement passés formellement de l'IRD à l'AIRD 65 ( * ) .

C'est que l'AIRD souffre de défauts de conception originels majeurs .

D'une part, son positionnement institutionnel n'est pas tenable : elle a été créée comme une direction interne à l'IRD, se trouvant ainsi dans la situation impossible de coordonner différents établissements dont celui qui l'inclut. L'intitulé même de l'agence « AIRD » entretient l'amalgame avec l'IRD. Une telle architecture nourrit naturellement les soupçons de conflit d'intérêts: l'IRD est en effet bénéficiaire potentiel des décisions de programmation ou de financement prises par l'AIRD. Malgré le soin pris par l'IRD à séparer ses responsabilités au titre de l'AIRD et son activité d'opérateur de recherche, une telle confusion freine nécessairement l'adhésion des autres acteurs de la recherche pour le développement aux projets de l'AIRD. La mission de programmation qu'a reçue l'AIRD dans le décret qui l'a fondée est de ce fait restée lettre morte : le Cirad, le CNRS, les universités ont continué à établir leur programmation de manière autonome, l'AIRD n'étant pas érigée en point de passage obligé de la recherche partenariale avec le Sud. La constitution parallèle d'Agreenium, fédérant sur une base thématique la recherche et la formation en agronomie, a élevé un « mur » (pour reprendre les mots de M. Laurent, président de l'IRD) entravant notamment le rapprochement entre le Cirad et l'IRD, pluridisciplinaire.

D'autre part, l'AIRD a été créée comme agence de moyens mais sans en être dotée : seuls 500.000 euros lui sont accordés chaque année depuis 2011 par le MESR pour lui permettre de lancer des programmes de recherche et susciter des cofinancements, même si l'agence a obtenu, en plus, des financements spécifiques pour des projets particuliers qu'elle porte. Les autres membres fondateurs refusant de contribuer au financement de l'AIRD pour les raisons déjà exposées, le reste des moyens de l'agence a été dégagé par l'IRD qui a consacré 6,3 millions d'euros de son propre budget à doter l'AIRD d'un fonds d'amorçage initial et lui a affecté des moyens humains et logistiques (par exemple pour la formation, la communication...). Finalement, comme l'a rappelé 66 ( * ) Didier Bogusz, directeur de Recherche à l'IRD et Secrétaire général du syndicat STREM/SGEN/CFDT, également élu au conseil d'administration de l'IRD, le relevé de conclusions à l'issue du CICD de 2005 67 ( * ) ne prévoit-il pas que « l'IRD évoluera vers un rôle d'agence de moyens », ce qui emporte sa disparition en tant qu'opérateur de recherche?

Parallèlement, le monde de la recherche s'est structuré autour d'alliances , dont l'IRD est membre d'ailleurs. Cela ravive le débat autour de l'existence d'une véritable spécificité de la recherche pour le développement. Lors de son audition par votre mission, Mme Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, a ainsi souhaité que : « dès lors que la France considère comme prioritaire l'aide au développement, la qualité de la recherche qui s'y attache se situe au meilleur niveau et soit en tout point comparable et intégrée à notre stratégie de recherche nationale. Cette intégration permet d'engager l'ensemble de la communauté scientifique dans cette orientation transversale . »

La recherche pour le développement se trouve ainsi en crise d'identité, sa spécificité n'étant pas assez reconnue et donc insuffisamment financée.

3. L'impasse actuelle et l'impossible statu quo

La création de l'AIRD au sein de l'IRD laisse la réforme au milieu du gué. Il est urgent de définir clairement les missions et les moyens que la France veut se donner pour promouvoir la recherche pour le développement. C'est ce qui a justifié la demande d'une inspection conjointe adressée par le ministre des affaires étrangères, celui chargé du développement et la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche aux deux inspections générales : celle des affaires étrangères et celle de l'administration de l'Éducation nationale et de la Recherche . Votre rapporteure a entendu deux des quatre inspecteurs qui ont mené à bien cette mission, chacun représentant l'une et l'autre inspection générale : ils ont assuré partager le même diagnostic sur la situation et s'entendre sur les préconisations en découlant.

En effet, le statu quo est impossible : le fait que les seuls moyens de l'AIRD viennent en déduction des ressources de l'IRD est source d'inquiétude légitime au sein de l'IRD, déjà déstabilisé par son déménagement à Marseille en 2008 qui a conduit à un renouvellement de plus des trois quarts du personnel de son siège.

Le parasitage, voire le « siphonage » 68 ( * ) , de l'IRD par l'AIRD fragilise un peu plus la situation financière de l'IRD : l'institut présente depuis trois ans un déficit qui s'élève pour 2012 à 13 millions d'euros, résultant à la fois d'une augmentation des charges, notamment en personnel, et d'une diminution des recettes ; son fonds de roulement en forte baisse ne représente que 18 jours de fonctionnement. Dans leur rapport, les inspecteurs précisent que cette dégradation des comptes tient en partie à des actions de fiabilisation des comptes qui pèsent aujourd'hui sur les soldes de gestion mais contribuent à mieux prévenir les risques à venir. Néanmoins, la situation financière impose à l'IRD de mieux maîtriser ses charges de fonctionnement et notamment ses charges de personnel . Même si l'analyse des inspecteurs démontre que la plus grande part de leur augmentation découle de décisions s'imposant à l'IRD, certains choix de l'institut peuvent être questionnés : le nombre et la durée des expatriations ainsi que l'évolution de la rémunération des expatriés focalisent l'attention. Notamment du fait de l'inflation au Sud, le coût total de l'indemnité d'expatriation, hors charges sociales, s'est en effet accru de 5,46 % en quatre ans ; si bien que, malgré l'économie intervenue en 2011 grâce à une réforme bienvenue, l'expatriation représente environ 16 % des charges de personnel de l'IRD. Elle est néanmoins un élément central de l'identité de l'IRD .

L'AIRD, pour sa part, ne dispose plus aujourd'hui d'aucune marge de manoeuvre pour financer de nouveaux programmes de recherche au Sud puisque, fin 2012, elle a pris 8,2 millions d'euros d'engagements pluriannuels au titre du cofinancement de programmes de recherche, soit plus que la dotation initiale de l'IRD augmentée des 1,5 millions d'euros versés par le MSR ces trois dernières années.

L'analyse comptable menée par les inspecteurs les conduit à poser un diagnostic qui ne peut rester sans écho : « la situation financière de l'IRD, son niveau de financement public, le montant de ressources propres et la structure de ses dépenses ne sont pas compatibles avec les objectifs de développement de l'IRD et de l'AIRD affichés ».

Les chercheurs en ont une conscience déjà aigüe. Lors de leur audition par votre mission, M. Michel Laurent, président de l`IRD, comme M. Michel Bouvet, Directeur général délégué de l'AIRD, se sont fait l'écho de la grande anxiété des personnels, en raison de l'incertitude qui entoure l'avenir de l'agence et de l'institut. Le départ de M. Bouvet de l'AIRD, intervenu fin septembre, ne contribue pas à apaiser le trouble. Votre mission appelle donc le Gouvernement à mettre, au plus vite, en cohérence les objectifs qu'il souhaite assigner à la recherche pour le développement et les moyens qu'il entend y consacrer.

Afin d'alimenter sa réflexion, votre mission a jugé nécessaire d'étudier sur le terrain plusieurs cas concrets de partenariats de recherche avec le Sud. Votre rapporteure souhaite présenter ici le fruit de ces déplacements avant d'avancer, au nom de la mission, plusieurs préconisations, dans le souci qui l'anime de mettre pleinement la recherche partenariale au service du développement.

CHAPITRE II : UNE EXPLORATION CONCRÈTE DES PARTENARIATS DE RECHERCHE  AVEC LE SUD - LA FRANCE AVEC L'INDE, LA FRANCE AVEC LE TCHAD

Lors de sa réunion de bureau du 13 juin 2013, la mission commune d'information a décidé d'explorer sur le terrain la gamme des partenariats de recherche que mène la France avec deux pays du Sud, l'un en Asie et l'autre en Afrique. Les impératifs budgétaires ont en effet empêché la mission de se rendre en Amérique, troisième continent partenaire, ce qui lui aurait permis de compléter son appréhension du Sud. En Asie et en Afrique, son choix s'est porté sur deux pays, l'Inde et le Tchad . Ils sont précisément aux deux pôles du parcours que suit tout pays du Sud dans le renforcement de ses capacités de recherche . Par leurs différences de superficie, de population (1,3 milliard d'habitants en Inde, 11 millions et demi au Tchad), de géographie, d'histoire et de développement (le PNB de l'Inde équivaut à celui de l'Afrique toute entière 69 ( * ) ), ces deux pays illustrent bien la diversité des Suds et la variété des relations que la France peut y entretenir sur le terrain de la recherche pour le développement.

I. L'INDE : UNE PALETTE CROISSANTE DE PARTENARIATS DE RECHERCHE AVEC LA FRANCE

C'est ainsi qu'après une rencontre préparatoire très instructive à Paris avec Son excellence M. Shri. Arun K. Singh, ambassadeur de l'Inde en France, une délégation, composée de trois sénatrices membres de la mission - Mmes Josette Durrieu, Sophie Primas et votre rapporteure -, s'est rendue en Inde du 14 au 20 juillet : à New Delhi d'abord, puis Bangalore et enfin Pondichéry. Elle a pu constater que, si l'Inde partage des traits communs avec d'autres pays qualifiés d'émergents, ses besoins en infrastructures (notamment de transports et d'énergie) restent gigantesques 70 ( * ) . L'urbanisation y est très rapide : selon l'ambassadeur d'Inde en France, 300 millions d'Indiens vivent en ville aujourd'hui, mais ils seront plus du double en 2020. Le ministre indien du développement urbain est d'ailleurs récemment venu en France rencontrer ses homologues.

Les nombreuses et fructueuses rencontres qu'a faites la délégation au cours de ce déplacement, grâce au concours particulièrement efficace du service scientifique de l'Ambassade de France en Inde et des consulats généraux de France à Bangalore et à Pondichéry, attestent du dynamisme remarquable de la recherche en Inde. Grâce à des partenariats de recherche aux formes très variées, la France y assure une présence croissante. La progression indienne en matière de recherche, voire son avance sur notre pays en certains domaines, rend possible l'établissement d'un partenariat respectueux, fondé sur la complémentarité entre la France et l'Inde . Mais l'établissement d'un tel partenariat ne se fait pas sans difficultés, du fait des différences entre ces deux pays. Si la complexité de l'Inde est stimulante pour notre pays, qui y met en place un dispositif d'importance croissante, votre mission a jugé ces diverses relations de recherche édifiantes pour étayer sa vision d'une politique de recherche véritablement partenariale avec le Sud.

A. L'INDE, UNE PUISSANCE SCIENTIFIQUE, MENANT UNE POLITIQUE PUBLIQUE DE LA RECHERCHE VOLONTARISTE

1. La recherche, un attribut de puissance pour l'Inde

Lors de son accession à l'indépendance, l'Inde était l'un des pays les plus pauvres du monde. La directrice de l'Agence française de développement à New Delhi, Mme Aude Flogny, a d'ailleurs rappelé à la délégation que l'Inde reste le premier pays récipiendaire de l'Aide publique au développement mondiale (dont elle reçoit 15 %, soit environ 10 milliards de dollars par an). Mais sa classe politique, riche de la tradition scientifique indienne, notamment en astronomie, est depuis longtemps convaincue de la nécessité de consentir des efforts en matière de recherche, surtout en sciences dures.

Héritière d'une gouvernance planificatrice, la politique scientifique de l'Inde est effectivement ambitieuse . Selon les informations fournies par le Dr Dominique Aymer de la Chevalerie, du Service pour la Science et la Technologie de l'Ambassade de France en Inde, le budget que ce grand pays consacre à la recherche publique a crû de 20 à 40 % par an ces dix dernières années et s'élève à 7 milliards d'euros (en 2012-2013), ce qui place l'Inde au 8 ème rang mondial en termes de budget pour la recherche . L'objectif que l'Inde s'est fixé dans son 12 ème plan quinquennal (2012-2017) est de doubler ce budget !

Le volume et la qualité des publications scientifiques indiennes augmentent rapidement, à un taux de 80% par an. On peut ainsi prévoir que l'Inde aura rattrapé la France sur ce terrain dans cinq ans.

Lors de la 100 ème session annuelle de l' Indian Science Congress , le Premier Ministre indien M. Manmohan Singh a affiché l'ambition de voir son pays classé dans les 5 premiers pays scientifiques au monde en 2020 ; elle est 9 ème aujourd'hui en nombre de publications (3,5 % des articles scientifiques publiés sont indiens, contre 4,2 % pour la France). Dans ce but, l'Inde entend augmenter le nombre de ses scientifiques, pour le porter de 154 000 en 2011 à 250 000 en 2017. A cet effet, elle met en oeuvre une politique d'encouragement au retour des cerveaux en Inde et de développement de l'enseignement supérieur. Elle vise aussi à encourager la participation du secteur privé dans le financement de la recherche pour que celle-ci, qui était seulement de 30 % en 2011, atteigne 50 % en 2017 (soit un taux voisin de celui de la France, qui approche 55 %). Les thématiques de recherches sont surtout axées sur les domaines de souveraineté (nucléaire, spatial) mais aussi sur des enjeux de développement économique et social (santé, alimentation, eau, énergie et environnement...).

S'agissant de l'enseignement supérieur, l'Inde compte 14,6 millions d'étudiants, et constitue ainsi la 3ème population étudiante mondiale . Les 550 universités et 30 000 colleges (dont 70 % d'établissements privés) ne suffisent pas à satisfaire la demande, malgré des investissements massifs (privés comme publics). De ce fait, l'accès à l'enseignement supérieur reste très inégalitaire (en fonction du sexe, de la caste, des revenus...). L'Inde détient toutefois une centaine d'établissements d'excellence ( Indian Institutes of Technology, National Institutes of Technology ...), où l'enseignement supérieur est associé à une recherche très performante. Elle compte en outre des instituts de recherche indépendants de très bon niveau, comme le Council on Energy, Environment and Water (CEEW), qui, créé en 2009, s'est déjà imposé dans le domaine de la recherche en sciences politiques par son approche intégrée et pluridisciplinaire des défis mondiaux actuels. La délégation a été particulièrement intéressée par les échanges qu'elle a pu avoir avec son directeur et fondateur, le Dr Arunabha Ghosh, lors du dîner qu'elle a partagé avec lui.

Les priorités thématiques des recherches privée et publique ne sont pas les mêmes : la recherche publique , compte tenu de son origine institutionnelle, est de nature plus fondamentale, la recherche privée étant plus tournée vers le développement (l'Inde accueillant depuis une quinzaine d'années un nombre croissant d'entreprises, dont 350 françaises). En 2009, on comptait en Inde 750 centres de R&D étrangers contre seulement 100 en 2003.

La dynamique de recherche indienne se ressent plus particulièrement à Bangalore, où s'est rendue la délégation. Alors qu'elle comptait 400 000 habitants il y a vingt ans, cette ville en compte aujourd'hui 9 millions. Bangalore, surnommée la Silicon Valley of India , est la capitale de l'Etat du Karnataka 71 ( * ) , lequel a créé en 1975 un Conseil pour la science et la technologie chargé de conseiller le gouvernement régional sur la politique en ce domaine. Ce Karnataka state Council for science and technology , dont la délégation a pu rencontrer plusieurs représentants, initie et promeut des programmes de sciences et technologie dans les universités et les instituts de recherche, à commencer par l'Indian Institute of Science (IISC), premier centre de recherche pluridisciplinaire 72 ( * ) en Inde au sein duquel il a son siège (complété par un réseau de 12 district committees dans tout le Karnataka). Le Karnataka state Council for science and technology facilite aussi les liens entre l'industrie, l'agriculture et la recherche et le montage de projets. Il a évoqué devant la délégation le premier programme international lancé par le Karnataka en recherche industrielle avec l'État d'Israël.

La dynamique insufflée par l'État fédéral se trouve donc ainsi relayée au niveau des États fédérés. Le succès du Karnataka state Council for science and technology a en effet conduit à la création d'équivalents dans nombre des 28 États que compte l'Inde. Ces différents organismes soutiennent des projets de recherche, souvent appliquée, et octroient des bourses, éventuellement sur fonds fédéraux, à travers toute l'Inde.

Du fait de son ambition 73 ( * ) en matière de recherche et d'innovation et de son potentiel scientifique, l'Inde sait se faire respecter et constitue un partenaire de choix pour la recherche française.

2. Une présence française encore discrète en Inde mais en pleine croissance

La France , qui souhaite participer au développement scientifique de l'Inde, est aujourd'hui le 5 ème partenaire scientifique de ce pays , après les États-Unis, l'Allemagne, le Royaume-Uni et le Japon. Elle a récemment entrepris de renforcer sa coopération : le nombre de copublications franco-indiennes a triplé en dix ans, alors que le nombre de publications indiennes doublait, ce qui atteste d'une coopération accrue. A l'occasion de la visite du Président de la République française en Inde en février 2013, la ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, Mme Geneviève Fioraso, a promu la conclusion de plusieurs accords dans le même but : 7 accords dans le domaine de la recherche et de l'innovation, 11 accords dans le domaine de l'enseignement supérieur. Ces 18 accords impliquent des organismes de recherche, des universités, des grandes écoles, des agences gouvernementales mais aussi des entreprises privées. La France est d'ailleurs particulièrement présente en Inde dans le domaine de la recherche privée 74 ( * ) .

LISTE DES 18 ACCORDS FRANCO-INDIENS DANS LE DOMAINE DE LA RECHERCHE ET DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR SIGNÉS EN FÉVRIER 2013

7 Accords dans le domaine de la recherche et de l'innovation :

- Déclaration d'intention pour une coopération à long terme dans le domaine de l'espace entre l'Indian Space Research Organisation (ISRO) et le Centre National d'Études Spatiales (CNES).

- Lettre d'intention pour la création d'un Laboratoire International Associé sur les maladies hépatiques rares entre l'Inserm et l'Institute for Liver and Biliary Science.

- Lettre d'intention pour des appels à projets et des bourses (habitats durables adaptés aux climats chauds et humides) entre le Cefipra et Saint-Gobain Research India.

- Accord-cadre entre Oseo et le Technology Development Board (TDB) pour financer des appels à projets dans le domaine de l'innovation entre des entreprises.

- Accord-cadre sur le financement de doctorants pour des travaux de R&D dans le domaine de l'énergie entre AREVA S.A. et l'Indian Institute of Technology (IIT) Bombay.

- Accord-cadre entre le CNRS et l'Indian Institute of Science (IISc) Bangalore pour développer des collaborations dans tous les domaines scientifiques.

11 Accords dans le domaine de l'enseignement supérieur :

- Lettre d'intention portant sur un partenariat renforcé pour l'enseignement supérieur, avec l'ambition d'accroître la mobilité des étudiants, des enseignants et des chercheurs, le développement de doubles diplômes, la coopération entre enseignants-chercheurs sur les contenus des cursus et les équivalences, signée par Mme Fioraso et son homologue chargé de l'enseignement supérieur, M. Raju.

- Accord de partenariat entre l'École Normale Supérieure de paris (ENS-Ulm) et le Chennai Mathematical Institute (CMI) pour des échanges d'étudiants et d'enseignants-chercheurs.

- Accord de partenariat entre l'École Normale Supérieure de paris (ENS-Ulm) et Delhi University pour des échanges d'étudiants et d'enseignants-chercheurs.

- Lettre d'intention entre Science Po et Delhi University pour des échanges d'étudiants et d'enseignants-chercheurs.

- Accord-cadre concernant un programme de bourses conjointes entre Michelin, l'École Centrale de Nantes et un consortium d'établissements indiens.

- Accord de partenariat Erasmus Mundus (projet « Heritage ») entre 8 établissements d'enseignement supérieur européens et 7 établissements d'enseignement supérieur indiens, coordonné par l'École Centrale de Nantes et l'Indian Institute of Technology (IIT) Madras.

- Lettre d'intention entre l'École Centrale de Nantes et l'Indian Institute of Technology (IIT) Kanpur en vue d'un accord de double diplôme de niveau master ou doctorat.

- Accord de coopération entre les établissements du groupe ParisTech et un consortium de 7 Indian Institutes of Technology (IIT) coordonnés par l'IIT Bombay, pour financer des mobilités d'étudiants et d'enseignants-chercheurs.

- Lettre d'intention concernant un programme de bourses et de tutorat liant HEC (École des Hautes Études Commerciales), l'Indian Institue of Management (IIM) Bangalore et la société ALTRAN.

- Accord de double-diplôme de niveau Master entre l'École des Mines de Nantes et University of Petroleum and Energy Studies (UPES) en physique nucléaire.

- Accord de double-diplôme de niveau Master entre l'École des Mines de Nantes et le Mody Institute of Technology (MITS) en physique nucléaire.

Historiquement, les partenariats de recherche franco-indiens ont d'abord porté sur le domaine spatial . Dès 1972, le Centre national d'Études spatiales (CNES) et son homologue indien, l' Indian Space Research Organization (ISRO), ont conclu un arrangement technique, qui a abouti au premier accord de coopération spatiale franco-indien, signé en 1977, suivi en 1978 d'un accord de coopération scientifique et technologique. Un partenariat stratégique bilatéral a été établi dès 1998 couvrant les domaines de la défense, du nucléaire et de l'espace, suivi en 2008 d'un accord cadre intergouvernemental spatial -pour mettre en oeuvre des programmes de recherche, instruments de mesure et satellites conjoints- et d'accords commerciaux. Deux satellites franco-indiens ont ainsi été lancés en 2011 et 2013.

A la faveur de la création en 1987 du Centre franco-indien pour la promotion de la recherche avancée (CEFIPRA), la coopération scientifique franco-indienne s'est progressivement étendue à d'autres domaines, particulièrement dans le secteur de la chimie et des matériaux qui a représenté le tiers des projets financés par le CEFIPRA sur la période 1989-2010. La collaboration en recherche s'est aussi beaucoup développée ces dernières années en matière de biologie et santé et dans le domaine de l'eau .

Quoique de manière moins rapide qu'en Chine, plusieurs coopérations pérennes ont vu le jour entre la France et l'Inde, sous forme de partenariats entre centres de recherches ou de laboratoires conjoints, voire d'unités mixtes internationales.

La France est devenue aujourd'hui le deuxième partenaire (derrière les États-Unis) de l'Indian Institute of Science (IISc) de Bangalore , comme l'a fait observer le Professeur Govindan Rangarajan, directeur des relations internationales à l'IISc et coordinateur indien de l'Unité Mixte Internationale en Mathématique appliquée du CNRS 75 ( * ) , qui a accueilli la délégation sur le campus de l'IISc. M. Rangarajan a expliqué qu'en général, les collaborations internationales n'étaient pas décidées par le management mais dépendaient directement des chercheurs et de leurs programmes scientifiques. Le CNRS et l'IISc, qui sont tous deux des instituts de recherche pluridisciplinaire de haut niveau 76 ( * ) , ont signé un accord-cadre en février 2013. Le CNRS vient d'ailleurs d'ouvrir un bureau à New Delhi début 2012. Il coordonne la première phase du projet européen  New Indigo, ERA-net 77 ( * ) mis en place avec l'Inde depuis 2009 et destiné à renforcer la coopération entre l'UE et l'Inde et à coordonner des programmes de recherche communs 78 ( * ) .

En matière universitaire, les collaborations franco-indiennes sont encore minces en volume mais en forte augmentation . En 2012, 2 600 indiens étudiaient en France (parmi les 250 000 étudiants indiens répartis à travers le monde et les 285 000 étudiants étrangers en France). Ce chiffre a doublé en cinq ans, accompagnant la croissance du nombre de cursus proposés par la France en anglais : la France est leur deuxième destination en Europe continentale, derrière l'Allemagne, comme l'a souligné M. Renaud Vely, Chargé de mission universitaire-CampusFrance. Ces étudiants indiens en France choisissent majoritairement deux domaines d'étude : l'ingénierie et le management. Toutefois, la France est au 15 ème rang des pays d'accueil des étudiants indiens . Le nombre d'étudiants français séjournant en Inde est, pour sa part, beaucoup plus réduit : il serait d'environ 1400 selon M. François Richier, Ambassadeur de France en Inde.

Une politique active est menée pour favoriser l'arrivée d'étudiants indiens en France. En effet, ces étudiants représentent une véritable valeur ajoutée pour l'économie française d'autant plus qu'ils sont, dans leur grande majorité, issus d'établissements de prestige. Campus France s'emploie à construire une image de la France comme destination sérieuse pour faire des études particulièrement pointues dans des domaines de niche : nucléaire, nanosciences, management du luxe... Cet effort est soutenu par le service pour la Science et la Technologie de l'Ambassade de France en Inde et porte sur deux volets : le soutien aux programmes de bourses (près de 300 bourses de stages et d'études - nombre en augmentation de 50 % depuis 2007 mais appelé à stagner pour sa part publique - ont été délivrées par l'Ambassade et ses partenaires privés) ; le soutien aux partenariats entre établissements indiens et français afin d'organiser la mobilité d'étudiants ou la reconnaissance des diplômes. 470 conventions ont ainsi été signées entre les deux pays (dont 30 doubles diplômes).

Enfin, l'implantation récente de l'Agence Française de Développement (AFD) en Inde atteste de la volonté commune aux deux pays de renforcer leur coopération dans le domaine de l'eau et de la lutte contre le changement climatique : l'AFD en Inde dispose d'un mandat d'abord centré sur la préservation des biens publics mondiaux et étendu ensuite à la promotion d'une croissance verte et solidaire. Dernier des bailleurs de fonds internationaux à s'installer en Inde, l'AFD s'emploie à gagner la confiance des Indiens et affiche aujourd'hui l'objectif d'offrir 300 à 350 millions d'euros de prêts 79 ( * ) , venant renforcer les engagements financiers pris par la France lors des grands rendez-vous internationaux relatifs à la biodiversité ou au climat. Aux côtés de l'AFD, sa filiale PROPARCO, dédiée au financement du secteur privé, est aussi active en Inde où elle a octroyé 313 millions d'euros de financements longs. Les grands domaines d'activités de l'AFD en Inde s'articulent autour des thématiques suivantes : efficacité énergétique, énergies renouvelables, eau, biodiversité, transports urbains et plus généralement infrastructures sobres en carbone. Comme l'a souligné Mme Aude Flogny, directrice de l'agence régionale 80 ( * ) de Delhi, il arrive que l'AFD travaille en coopération avec le système de recherche français sur les projets d'études nécessitant, par exemple, l'expertise du Cirad, comme pour la gestion durable de la forêt en Assam (État du Nord-Est de l'Inde). En outre, l'AFD a noué un partenariat avec un think tank indien, The Energy and Resources Institute (TERI), qui est un institut de recherche d'envergure mondiale (1 300 employés) sur les questions d'énergie et d'environnement.

La France tend donc à peser de manière croissante en Inde et a tissé dans ce pays une palette de partenariats de recherche qui illustre bien la diversité de l'action extérieure qu'elle mène en matière de recherche pour le développement.

B. UNE PALETTE DE PARTENARIATS DE RECHERCHE FACILITÉS PAR UN ORGANISME FRANCO-INDIEN PARITAIRE

La clef de voûte de la coopération entre la France et l'Inde en matière de recherche est assurément le Centre franco-indien pour la promotion de la recherche avancée (CEFIPRA) . La délégation a observé que cet organisme original et paritaire jouait un rôle décisif de facilitateur pour les partenariats de recherche entre les deux pays.

1. Le rôle catalyseur du CEFIPRA, organisme franco-indien paritaire

Créé en 1987, le CEFIPRA a pour objectif de promouvoir les coopérations franco-indiennes par le financement de projets de recherche, l'organisation de séminaires, l'appui aux instituts, les échanges d'étudiants et de chercheurs, les publications ... Société de droit indien basée à Delhi, le centre bénéficie d'un cofinancement paritaire du ministère français des affaires étrangères et du ministère indien de la science et de la technologie ( Department of Science and Technologies , DST). Ce centre dispose en 2013 d'un budget de 3,1 millions d'euros, soit 1,55 million à la charge de la partie française. Avec un taux de sélection d'environ 25 % et près de 23 projets 81 ( * ) en cours chaque année, le centre a soutenu plus de 450 projets conjoints de recherche depuis 25 ans . D'abord focalisé sur la recherche fondamentale, le centre s'est ouvert depuis une dizaine d'années à la recherche industrielle. Le Dr Debapriya Dutta, directeur du CEFIPRA, que la délégation a rencontré à New Delhi, a présenté notamment trois projets actuellement en développement et financés par le centre : en santé concernant le syndrome de Bloom, maladie auto-immune ; dans le domaine des énergies, pour la mise au point de panneaux solaires plus performants ; et en matière de télécommunications, avec un service de paiement bancaire accessible sur téléphone mobile. Ce sont ainsi 34 % du total des publications conjointes franco-indiennes qui émanent de projets soutenus par le CEFIPRA.

Disposant d'un fort effet de levier, le CEFIPRA s'ouvre désormais à de nouveaux bailleurs extérieurs (autres ministères, agence nationale de la recherche, organismes de recherche, entreprises) qui sont invités à y faire héberger administrativement leurs appels à projets et/ou structures conjointes de recherche franco-indienne, afin de bénéficier de l'abondement à parité du partenaire indien et d'un statut défiscalisé : l'ANR, l'INRA, l'INSERM, l'INRIA, la Fondation EADS et DCNS recherche coopèrent déjà avec le CEFIPRA pour le lancement de leurs nouveaux projets franco-indiens.

Le MAEE français et le DST indien encouragent de plus le CEFIPRA à renforcer son activité dans le domaine de l'innovation, l'Inde ayant dénommé 2010-2020 la « décennie de l'innovation », et à favoriser les rapprochements public-privé.

La délégation a relevé que le CEFIPRA jouait un rôle charnière : son champ d'activités est diversifié et il héberge des projets de recherche franco-indiens portés par des acteurs publics aussi bien que par des industriels. Il permet à la fois de donner une visibilité sous forme de « guichet unique », de coordonner la recherche partenariale franco-indienne et d'assurer le lien public-privé . En outre, le fonctionnement strictement paritaire du CEFIPRA assure une relation d'égal à égal entre les deux partenaires, qui garantit un dialogue respectueux.

Le succès du CEFIPRA est d'ailleurs reconnu par l'Union européenne, qui envisage d'établir en Inde une plateforme INDIA SI-House ( Joint House for science and innovation ) inspirée du CEFIPRA, pour coordonner les partenariats de recherche entre l'UE et l'Inde. Une étude de faisabilité financée par l'UE a été engagée en 2011 ; la France coordonne ce projet, qui lui offre l'opportunité de se positionner en leader de la coopération UE-Inde en ce domaine et d'étendre l'impact du CEFIPRA en élargissant son assise à six autres pays européens.

2. Des partenariats de recherche franco-indiens exemplaires...

Impressionnée par l'efficacité de l'outil précieux que constitue le CEFIPRA, la délégation a également pu appréhender en Inde divers types de partenariats de recherche, dont certains constituent l'archétype d'une relation équilibrée, institutionnalisée, pluridisciplinaire et finalisée.

a) Un partenariat de recherche stabilisé dans les LIA en sciences de l'eau et en neurosciences impliquant l'IRD et l'INSERM

Au titre des partenariats réussis, on peut citer la cellule franco-indienne de recherche en sciences de l'eau (CEFIRSE) qui associe l'IRD et l'IISc à Bangalore . La délégation a rencontré certains des six chercheurs français de l'IRD qui y sont affectés, ainsi que plusieurs de leurs partenaires indiens, dont le Professeur MS. Mohan Kumar, qui est également membre du Karnataka State Council for Science and technology . Mis en place en 2001 et labellisé « laboratoire mixte international (LMI) eau et environnement » par l'IRD 82 ( * ) en 2010, ce laboratoire travaille sur les spécificités de la ressource en eau sur le sous-continent indien : les pluies y sont distribuées de façon hétérogènes dans l'espace et dans le temps (forte mousson) et la capacité de stockage est faible du fait d'un socle fracturé (l'Inde est péninsulaire aux deux tiers). A ces contraintes physiques dues au climat et à la géologie, s'ajoute une pression anthropique en raison de l'urbanisation et de l'agriculture dont l'irrigation s'opère majoritairement par pompage des nappes. Il en résulte une pénurie d'eau sur laquelle travaillent les chercheurs de diverses disciplines : géochimie, agronomie, hydrologie, géophysique, géologie, pédologie, climatologie et télédétection... Le financement de ce LMI provient à 42 % du CEFIPRA ; il est complété côté indien par d'autres organismes (comme l'ISRO), ainsi que côté français (la participation récurrente annuelle de l'IRD ayant été ramenée de 60 à 40 000 euros entre 2011 et 2013).

Depuis dix ans, cette cellule a produit 43 publications , dans les meilleures revues internationales. Le partenariat est visiblement solide , favorisé par la présence sur le terrain des chercheurs de l'IRD, qui profite aussi aux étudiants, français comme indiens : ces chercheurs encadrent conjointement des thèses, enseignent dans de nouvelles filières... Ils contribuent donc à la formation par la recherche, d'autant plus facilement que la CEFIRSE est située sur le campus de l'IISc qui rassemble 3 600 étudiants. Grâce au réseau de l'IRD, ses chercheurs affectés en Inde à la CEFIRSE ont contribué à favoriser la coopération Sud-Sud avec d'autres pays d'Asie (comme la Thaïlande) ou des pays africains, par exemple avec le Bénin, où les modèles développés à la CEFIRSE ont pu être adaptés à la mousson africaine. En effet, la CEFIRSE, notamment son unité consacrée au continuum Continent-Océan-Atmosphère, a pu évaluer qu'une mousson déficitaire pouvait priver l'Inde de 3 % de son PIB : elle a donc mis au point des outils qui sont en cours d'implantation opérationnelle, afin de mieux anticiper la mousson.

Le partenariat sur lequel repose ce LMI devrait à l'avenir être étendu et ouvert à d'autres organismes français : l'INRA de Rennes, le CNRS (Institut national des sciences de l'univers) et l'Université Paul Sabatier de Toulouse.

Il est intéressant de noter aussi que, pour ses travaux en hydrologie spatiale, la CEFIRSE bénéficie de la coopération spatiale franco-indienne : en effet, elle exploite les données recueillies par le premier satellite franco-indien, Megha 83 ( * ) -Tropiques. Comme l'a expliqué à la délégation M. J. Srinivasan, directeur du Divecha Center for Climate Change établi au sein de l'IISc depuis 2009, les mesures effectuées par le satellite - cinq fois par jour, il mesure les radiations du soleil ainsi que l'humidité par carottage atmosphérique - permettent de mieux comprendre le cycle de l'eau et de prévoir les moussons. Ce satellite, dont la délégation a pu suivre le déplacement en direct 84 ( * ) , effectue ces observations aux tropiques. Du fait de l'inter-connectivité des cycles atmosphériques dans le monde entier, ces données satellitaires contribuent aussi aux prévisions météorologiques en Europe et à la compréhension du mécanisme de la mousson, que connaît aussi l'Afrique de l'Ouest.

Le LMI Eau et environnement (CEFIRSE) est par ailleurs impliqué dans un projet lancé en février 2013 avec le soutien du CEFIPRA et financé à parité par l'Inde et la France, aux côtés d'un institut de recherche indien en écologie, biodiversité, et développement durable : l'Ashoka Trust for Research in Ecology and the Environment (ATREE). Sont aussi parties prenantes l'INRA de Rennes et Toulouse et le CNRS. Ce projet d'adaptation de l'agriculture irriguée au changement climatique (AICHA) tire notamment profit de modèles utilisés en France pour des cultures tropicales comme le riz et le curcuma. Présenté à la délégation par l'un des chercheurs indiens du CEFIRSE, M. Sekhar Muddu, ce projet a frappé la délégation par son caractère interdisciplinaire tout à fait exemplaire : les recherches en agro-hydrologie nourries par les données satellitaires sont en effet complétées par un travail auprès des populations impliquant des chercheurs en sciences humaines (économie, politique et agronomie). Il s'agit de comprendre le comportement des agriculteurs qui exploitent pour l'irrigation les eaux souterraines dans le Sud de l'Inde, afin de le changer éventuellement et l'adapter aux évolutions climatiques et économiques. La mise à disposition gratuite de l'électricité au profit des agriculteurs a contribué à la Révolution verte en favorisant le pompage des eaux souterraines. A présent, le rationnement de l'électricité par le Gouvernement et la pénurie d'eau (nécessitant de pomper de plus en plus profondément) appellent à faire évoluer les pratiques agricoles vers une agriculture raisonnée.

L'excellence et la stabilité des collaborations franco-indiennes dans le domaine de l'eau, incluant celles de Bangalore qui ont été présentées à votre délégation mais aussi celles menées à Hyderabad 85 ( * ) , ont conduit à la récente inauguration d'un réseau franco-indien des acteurs de l'eau : lancé officiellement en février 2013, ce réseau a été initié par l'Ambassade de France en Inde et le National Institute of Advanced Studies (NIAS), institut pluridisciplinaire reconnu disposant de contacts dans l'ensemble de l'Inde. La délégation a été aimablement reçue à déjeuner par son directeur, M. Ramamurthy, qui fut par ailleurs directeur général du Department of Science and Technology (ministère indien des sciences et technologies) et qui a présenté plusieurs des chercheurs du NIAS à la délégation. Ce réseau franco-indien des acteurs de l'eau, dont la structure de gouvernance est très légère et flexible, doit permettre d'augmenter la visibilité des actions conjointes dans ce domaine et de catalyser de nouvelles collaborations en impliquant tous les acteurs (recherche, entreprises, collectivités territoriales, gouvernance...). La collaboration avec l'Inde dans le domaine de l'eau est aussi une priorité de l'UE.

Si la collaboration franco-indienne en matière de recherche sur l'eau est particulièrement remarquable, notamment par sa contribution à la résolution des problématiques spécifiques de l'Inde et par sa connexion avec les autorités politiques indiennes, la délégation a également été intéressée par un autre succès de la recherche franco-indienne : le laboratoire international associé (LIA) où collaborent l'Inserm et le centre de neurosciences de l'IISc et dont la délégation a rencontré la coordinatrice indienne. Mme Shyamala Mani a présenté les deux phases du LIA : après avoir mené à bien un premier projet conjoint né de leur intitative personnelle, elle et son alter ego français ont sollicité un financement du CEFIPRA pour lancer un deuxième projet plus institutionnalisé. Mme Mani a expliqué que le point fort de cette collaboration est la complémentarité entre les équipes indiennes et françaises : son équipe est spécialisée dans la recherche fondamentale sur le développement du cerveau de l'enfant in utero , et celle de son interlocuteur en France, le Dr Pierre Gressens, apporte une approche translationnelle et son expertise clinique à l'étude. Mme Mani a aussi ajouté que pour assurer la viabilité et la pérennité d'une collaboration, il était essentiel de faciliter au maximum la mobilité des chercheurs. A ce titre, elle a regretté que l'attribution de visas aux chercheurs ne soit pas automatique dès lors que le programme de recherche est financé par les gouvernements. Elle a enfin souligné l'importance de la recherche publique, qui garantissait aux chercheurs une forme d'indépendance intellectuelle.

Outre les laboratoires internationaux associés déjà présentés, les partenariats de recherche entre le France et l'Inde s'appuient aussi sur les instituts français de recherche en Inde, qui sont au nombre de 2 et appartiennent au réseau des 27 centres de recherche du MAEE dans le monde.

b) Les instituts français de recherche en Inde et leur collaboration avec des chercheurs indiens

Il s'agit du Centre de Sciences Humaines (CSH) à Delhi et de l'Institut Français de Pondichéry. Ces deux unités mixtes de recherche font partie de ce qu'on désigne depuis 2007 comme UMIFRE (unités mixtes- instituts français de recherche à l'étranger), établissements à autonomie financière qui sont sous la double tutelle du Ministère des Affaires étrangères et du CNRS.

L'Institut Français de Pondichéry (IFP) a été créé en 1955 par le traité de cession des territoires français en Inde. Son budget est composé de dotations de base, principalement du MAEE, et de ressources extérieurs (contrats, ANR...) : les programmes scientifiques sont majoritairement autofinancés, la dotation de base ne permettant plus de les soutenir. Le CNRS fournit des ressources immatérielles : bibliothèque électronique, effet de levier dans les appels d'offre... Le directeur de l'IFP, M. Pierre Grard, a accueilli la délégation avec une lettre tout juste reçue de la DG Développement et coopération de la Commission européenne et annonçant que l'Institut avait remporté un récent appel d'offres européen. Malgré ce succès, M. Grard a regretté l'absence d'une compétence mutualisée d'ingénierie de la recherche pour appuyer les UMIFRE dans la rédaction (souvent en anglais) des dossiers de réponse d'appels à projet, à l'heure où la recherche de fonds extérieurs devient de plus en plus compétitive.

L'IFP compte environ 80 personnes dont sept expatriés, six du MAEE et un du CNRS, dix chercheurs sur contrat local et deux post-doctorants affiliés. Son activité se concentre sur l'Asie du Sud et du Sud Est, avec trois axes de recherche : l'indologie, l'écologie et les sciences sociales. Ancré dans le 19 ème siècle par l'architecture de son bâtiment, l'Institut est parvenu à s'insérer aujourd'hui dans les réseaux internationaux de la recherche : sa production scientifique est abondante ; il a passé de nombreux accords de partenariats avec des organismes français (Cirad, IRD, INRA, universités...) et indiens (dont l'ISRO) ; il collabore avec des équipes européennes, mais aussi américaines et asiatiques ; il accueille aussi de nombreux doctorants ou chercheurs, pour des projets de recherche et des séjours d'étude. Grâce à un accord passé avec l'université de Pondichéry, l'IFP soutient des thèses indiennes.

Son département d'indologie étudie les langues indiennes, la littérature sanskrite et l'histoire des religions. La délégation a notamment été très impressionnée par la présentation de la collection de manuscrits sur feuilles de palme qui est conservée à l'IFP et qui concerne majoritairement le culte du dieu Shiva.

Son département d'écologie concentre ses recherches sur la biodiversité, et plus particulièrement sur le fonctionnement des écosystèmes fragiles. Le responsable de ce département, Dr Cédric Gaucherel, ancien chercheur à l'INRA, a ainsi présenté à la délégation ses travaux sur les Western Ghats , chaîne de montagne du Sud-Ouest de l'Inde dont la riche biodiversité est menacée par la déforestation qui a eu lieu entre 1977 et 1997 et par la prolifération des cultures de café. Les travaux de l'IFP , en partie financés par le FFEM, ont contribué à consacrer le rôle des forêts dans la conservation de la biodiversité et à infléchir la politique forestière de l'Inde . Le Dr Cédric Vega, qui dirige le Laboratoire d'Informatique Appliquée, structure transversale d'appui aux trois départements de recherche de l'IFP, a également présenté un projet, financé notamment par le CEFIPRA et portant sur l'évaluation de l'impact du changement climatique sur la biomasse des forêts. La mesure des paramètres forestiers s'appuie sur une nouvelle technique, l'altimétrie laser, qui permet d'accéder à la structure des forêts et des sols 86 ( * ) .

Le troisième département de l'IFP concerne les sciences sociales, et plus particulièrement les relations entre les sociétés humaines et leur environnement. Dr Brigitte Sebastia a ainsi présenté son travail sur le lien entre alimentation et santé. Elle a indiqué que 70 % des Indiens étaient anémiques et préconisé de revaloriser les légumineuses et les céréales les plus riches comme le millet ou le sorgho pour mieux équilibrer la nourriture, notamment celle des femmes enceintes.

Il apparaît ainsi que l'IFP mène non seulement des recherches sur l'histoire de l'Inde mais aussi des recherches ajustées aux enjeux contemporains de l'Inde , qui relèvent de la recherche pour le développement : gestion durable des forêts, alimentation et santé...

À Delhi , la délégation a visité le deuxième UMIFRE en Inde : le Centre de Sciences Humaines (CSH). Dr Basudeb Chaudhuri, directeur du CSH, a tout d'abord présenté le spectre d'activités de ce centre, créé en 1990 à la suite du déplacement de Kaboul à Delhi de la Délégation française archéologique consécutive à l'invasion soviétique de l'Afghanistan. D'abord axé sur l'histoire et sur la culture indo-persane, le centre s'est spécialisé depuis 1995 sur l'Asie du Sud moderne et sur les dynamiques de développement de l'Inde dans son contexte régional et mondial. Il développe quatre axes de recherche : relations internationales, politique et société, réformes économiques et développement durable, dynamiques urbaines... Son financement provient du CNRS, du MAEE et de ses fonds propres. Le CSH tire plus de la moitié de son budget des appels à projet (ANR, Ford Foundation , London School of Economics ...), ce qui présente l'avantage de lui laisser une grande liberté d'action, selon son directeur.

Grâce aux multiples collaborations entre partenaires indiens et français, le CSH contribue au renforcement des liens académiques entre les deux pays . Il participe aussi à la formation par la recherche en fournissant un support logistique et un suivi aux doctorants et étudiants.

Le centre promeut la recherche par ses publications 87 ( * ) mais aussi par son souci d'en diffuser les résultats au-delà du cercle académique : acteurs économiques et décideurs politiques.

Le CSH regroupe six expatriés, trois du MAEE et trois du CNRS, quatre chercheurs indiens et cinq doctorants affiliés, sans compter le personnel administratif et technique. Deux chercheurs du CSH ont présenté plus particulièrement leurs recherches à la délégation.

M. Eric Daudé travaille actuellement sur la modélisation des épidémies de dengue à Delhi . Il a indiqué que la dengue était responsable de 10.000 morts par an dans le monde et que 50 à 80 % des malades sont asymptomatiques et vecteurs de la maladie. Ce projet de recherche a bénéficié d'un financement ANR de 600.000 euros (partagé entre le CSH et l'Institut Pasteur), puis d'un financement européen au titre du 7ème PCRD, à hauteur de 6 millions d'euros, répartis entre 14 équipes de recherche. Il a été conçu dans une perspective interdisciplinaire, couvrant les facteurs biologiques, environnementaux et vectoriels de risques ainsi que leurs interactions. Les données de terrain obtenues avec la collaboration de la municipalité de Delhi sont intégrées dans un Système d'Information Géographique, SIG. Une étude comparative avec le Thaïlande et le Cambodge est également prévue. Les résultats de cette recherche sont destinés à valider théoriquement les modèles de recherche mais aussi à faire l'objet d'une restitution aux acteurs locaux. Il s'agit donc d'une recherche finalisée, qui entre de fait dans le champ large de la recherche pour le développement.

Un second chercheur, M. Roland Lardinois, a évoqué son travail sur les classes moyennes indiennes , appréhendées par le biais des ingénieurs en Inde, groupe social très reconnu mais peu étudié qui compte près de 400 000 membres. Ce chercheur a exposé aux sénatrices les difficultés de financement qu'avait rencontrées ce projet et fait valoir l'énergie que cette quête de financement exigeait de la part des chercheurs, dont ce n'est pas le coeur de métier.

3. De la recherche française fondamentale sur l'Inde classique... à la recherche action dans un village rural de l'Inde

Si la délégation a pu appréhender en Inde des partenariats emblématiques de la « recherche pour le développement », elle a également pu toucher du doigt les deux extrémités de ce segment de la recherche : la recherche fondamentale et la recherche-action.

Il existe en effet en Inde un outil français de recherche fondamentale, reconnu pour son expertise mais situé hors du champ du Ministère des affaires étrangères : l'Ecole Française d'Extrême-Orient. Cette dernière fait partie depuis 2011 du réseau des cinq écoles françaises à l'étranger, avec celles de Rome, d'Athènes, l'Institut français d'archéologie orientale du Caire, et la Casa de Velásquez à Madrid.

L'École française d'Extrême-Orient (EFEO) relève exclusivement du ministère français de l'Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR), dont la mission est l'étude des civilisations classiques de l'Asie, au travers des sciences humaines et sociales. Née à Hanoï en 1862, elle a été déplacée à Paris puis a développé des centres en Asie pour effectuer des recherches sur le terrain. En effet, son champ de recherches s'étend de l'Inde à la Chine et au Japon et comprend la plupart des sociétés qui furent indianisées ou sinisées au cours de l'histoire. Il mobilise plusieurs disciplines : l'archéologie, l'histoire, l'anthropologie, la philologie, et les sciences religieuses.

L'EFEO compte dix-sept centres et antennes, installés dans douze pays ; la délégation a pu visiter son site à Pondichéry, où elle a été chaleureusement accueillie par sa responsable, Mme Valérie Gillet. Certaines antennes de l'EFEO sont implantées au sein d'institutions scientifiques nationales de prestige, comme c'est le cas à Pune, à l'Ouest de l'Inde. A Pondichéry, l'EFEO compte 42 chercheurs permanents, donc quatre indiens. En outre, deux chercheurs indiens retraités contribuent à des projets, sous forme de prestations de service. Mme Gillet a indiqué que le nombre de chercheurs avait diminué de 30 à 40 % sur les dernières années, le budget stable de l'établissement ne permettant pas de suivre la hausse des salaires des chercheurs.

L'EFEO a également parmi ses caractéristiques de pouvoir accueillir, pour une ou plusieurs années, des chercheurs d'autres institutions françaises ou étrangères. Ces collègues peuvent accéder à ses riches ressources documentaires (la bibliothèque indologique de l'EFEO à Pondichéry compte plus de 11 000 titres et un fonds de manuscrits sur ôles 88 ( * ) de textes en sanskrit, en tamoul et en manipravalam 89 ( * ) ) et bénéficier de ses partenariats scientifiques locaux. L'EFEO se trouve ainsi placée au centre d'un important réseau de collaborations internationales entre spécialistes de l'Asie.

L'EFEO n'a donc pas diversifié ses domaines de recherche autant que l'IFP, avec lequel elle partageait originellement ses locaux puisque l'IFP a été créé en 1954 par le directeur de l'EFEO d'alors, M. Jean Filliozat. Sa vocation est moins de nouer des partenariats avec la recherche indienne au service des enjeux contemporains de l'Inde, que d'alimenter la recherche fondamentale sur l'Inde classique . L'EFEO n'échappe pas à la culture de projets qui s'impose dans le monde de la recherche, mais la brièveté des projets, souvent inférieurs à quatre ans, sied mal aux recherches de long terme et de qualité que mène l'école (quatre ans étant souvent le temps nécessaire au seul recueil des données sur le terrain).

Cette école ne relève que marginalement du champ d'investigation du présent rapport: elle n'a pas vocation à contribuer à la politique française d'aide au développement. D'ailleurs, son unique tutelle est le MESR et non le MAEE. Mais sa présentation permet de délimiter le champ d'analyse de votre mission en attestant de l'existence de partenariats également en recherche fondamentale.

A l'autre bout du spectre d'analyse de votre mission, la délégation a pu constater sur le terrain indien la mise en oeuvre très concrète d'une recherche finalisée, que l'on peut qualifier de « recherche - action » . Ce concept de « recherche-action » a notamment été défini en 1986, lors d'un colloque à l'Institut national de recherche pédagogique (INRP) à Paris : il « s'agit de recherches dans lesquelles il y a une action délibérée de transformation de la réalité ; recherches ayant un double objectif : transformer la réalité et produire des connaissances concernant ces transformations ».

La délégation a pu appréhender concrètement comment la recherche peut dynamiser le changement social, lors de son déplacement dans le village de Margankunte, au nord de Bangalore : cette visite sur le terrain lui a permis de voir de près comment était mis en oeuvre le programme TASK ( Territorial Approach and sustainable knowledge ) impliquant l'IRD, le CNRS et le Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE). Cette initiative internationale, lancée lors de Rio+20 au Pavillon France, est appuyée en Inde par une fondation indienne de recherche pour le développement, la BAIF.

Bharatiya Agro Industries Foundation (BAIF) de son nom originel, cette fondation a été renommée BAIF Development Research Foundation pour marquer la nécessité de mêler la recherche aux programmes de développement ; comme l'Inde semble en avoir acquis la conviction, la BAIF considère que « le développement sans recherche devient obsolète et la recherche sans le développement devient académique » 90 ( * ) . Lancée à Pune en 1967, la BAIF est maintenant active dans douze États de l'Inde, auprès de 60.000 villages et elle implique 3,5 millions de fermiers chaque année. Elle est partenaire de la Banque Nationale pour le Développement Rural (NABARD à Mumbai) en charge de la mission « Espaces ruraux et changement climatique » du gouvernement central indien.

Le président de cette fondation, M. Girish Sohani, a présenté à la délégation ce programme pluridisciplinaire et participatif qui mêle investissement et développement des zones rurales avec un fort appui scientifique pour augmenter l'adaptabilité des populations aux changements climatiques. L'expertise proposée dans le programme TASK porte à la fois sur des points techniques et sur des méthodes de consultation des populations concernées. La récupération des eaux de pluie constitue l'une des innovations en cours de diffusion : M. Sohani a fait visiter à la délégation les maisons de villageois qui avaient accepté d'installer une citerne pour recueillir l'eau de pluie, un filtre pour la purifier et une pompe pour la consommation courante. Dans une maison de ce village reculé de l'Inde, la délégation a pu voir une machine à laver le linge fonctionnant grâce à cette récupération des eaux de pluie. La rencontre que M. Sohani avait organisée entre la délégation et les femmes de la communauté villageoise a permis d'échanger sur les améliorations que cette innovation avait permises dans leur vie quotidienne. Le rôle du brahmane, religieux qui occupe une place centrale dans la communauté, a également été souligné dans la diffusion des innovations.

D'autres innovations ont été évoquées : l'amélioration des semences et des techniques d'irrigation, l'insémination artificielle du bétail (une simple moto permettant de transporter les paillettes de semence congelée dans des bonbonnes d'azote liquide)... Il s'agit ici de recherche appliquée directement sur le terrain. La BAIF entretient des coopérations bilatérales avec l'UE et plusieurs de ses États membres, dont la France : elle a signé une convention avec l'INRA en 2012 et collabore avec le Cirad. Elle a fait part de ses attentes de collaboration sur des techniques françaises de pointe afin de les appliquer aux agriculteurs indiens.

Ainsi, le déplacement en Inde de la mission a été des plus fructueux, en ce qu'il a permis de connaître toute la palette des partenariats de recherche auxquels la France peut participer avec un pays du Sud.

Sans occulter les difficultés que peuvent rencontrer ces partenariats franco-indiens, leur fonctionnement est globalement satisfaisant et plusieurs enseignements peuvent en être tirés pour orienter l'action extérieure de la France en matière de recherche pour le développement.

C. DES PARTENARIATS REMARQUABLES, AU-DELÀ DES DIFFICULTÉS

1. Des obstacles indéniables aux partenariats de recherche

Il faut convenir que, même si la délégation a surtout rencontré des partenariats de recherche qui fonctionnent apparemment bien entre la France et l'Inde, certaines difficultés compliquent la relation partenariale .

La question linguistique représente sans doute le premier obstacle. Le tropisme anglais de l'Inde est naturel au vu de son histoire, ce qui ne favorise pas spontanément les relations franco-indiennes. De surcroît, la langue anglaise n'est que l'une des nombreuses langues parlées en Inde. En effet, l'immensité et la diversité de l'Inde constituent un défi pour la recherche française. Rappelons que l'Inde, dont la superficie est cinq à six fois celle de la France est un État fédéral , composé de 28 États et 7 territoires qui connaissent chacun des situations diverses et contrastées. Surtout, si l'anglais et le hindi sont langues officielles, l'Inde compte dix-huit langues constitutionnelles 91 ( * ) . Ceci représente une difficulté certaine pour les Français, d'autant que, contrairement aux idées reçues, la majorité des Indiens ne parlent pas l'anglais. Il est vrai néanmoins que, dans le monde de la recherche, l'anglais est la langue de travail. De ce point de vue, et à l'inverse, la langue française représente elle aussi un frein aux mobilités d'étudiants indiens vers la France ; le récent développement de cursus en anglais sur notre sol 92 ( * ) atténue cette difficulté et l'article 2 de la loi 93 ( * ) du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche devrait y contribuer encore un peu plus.

L'organisation administrative des deux partenaires est également très différente . Pour l'Inde, comme l'a indiqué aux sénatrices M. François Richier, ambassadeur de France, c'est un défi de comprendre que la recherche française n'est pas concentrée dans les universités . L'existence du CNRS, avec ses 18 lauréats du prix Nobel et 11 de la médaille Fields, est méconnue. Le concept de « grande école » à la française est mal compris. Réciproquement, la complexité de l'administration indienne, sa structure fédérale, sa bureaucratie, peuvent entraver l'établissement de liens entre la France et l'Inde. A cet égard, il faut souligner le rôle décisif que jouent l'Ambassade, les consulats généraux de Bangalore, Bombay, Calcutta et Pondichéry, mais aussi les consuls honoraires, comme Mme Kausalaya Devi Jaganmohan à Chennai, qui a très aimablement reçu à déjeuner la délégation.

Enfin, la délégation a perçu le risque d'un décalage entre les thématiques de recherche françaises et indiennes . Le dynamisme de Bangalore sur les technologies de l'information et les biotechnologies concorde mal avec les champs de recherche des instituts français de recherche en Inde, qu'il s'agisse du CSH à Delhi, spécialisé en sciences humaines, ou de l'IFP à Pondichéry, plus porté sur l'indologie, l'écologie et les sciences sociales. Le décalage est encore plus patent avec l'EFEO à Pondichéry, qui mène une recherche fondamentale l'exposant plus encore au risque d'enfermement dans le mandarinat. Les implantations de recherche française publique en Inde effectuent un travail indispensable mais il est frappant qu'aucune d'elle ne rencontre les disciplines « montantes » de la recherche indienne, qui, en revanche, sont souvent au coeur de la recherche privée. Le développement des mobilités étudiantes permettraient sans doute de créer de nouveaux champs de recherche dans ces instituts publics français. C'est d'ailleurs le souhait qu'a exprimé le directeur de l'IFP.

On peut néanmoins observer que les recherches indienne et française se rencontrent sur les grandes thématiques du développement durable que soulèvent l'urbanisation à marche forcée et le changement climatique. Ces questions nouvelles offrent des perspectives de partenariat scientifique équilibré : c'est en effet en choisissant des thématiques de recherche répondant à ces nouveaux défis que la recherche pour le développement peut résoudre son paradoxe intrinsèque entre excellence et partenariat.

2. Mais des enseignements précieux en matière de valorisation de la recherche : l'innovation « frugale et intégrée »

Au-delà des difficultés inévitables, les partenariats de recherche noués entre la France et l'Inde sont apparus édifiants aux yeux de la délégation. Non seulement parce que, par leur diversité et leur histoire différente, ils apportent la preuve qu'il existe de nombreuses manières pour la France d'accompagner le Sud dans le domaine de la recherche, mais aussi parce que, au contact de la recherche indienne, la délégation a pu percevoir comment la France pouvait améliorer ses partenariats de recherche.

C'est essentiellement en matière de valorisation de la recherche que la France a à apprendre de l'Inde. Si la France produit d'abondantes innovations, l'Inde se distingue par sa capacité à traduire rapidement l'innovation en produits de haute qualité et à bas coût.

La visite du Bangalore Biocluster a été très éclairante de ce point de vue. Ce pôle de compétitivité ( cluster ) sur le thème des sciences du vivant regroupe le National Center for Biological Sciences (NCBS), institut créé en 1991 et considéré aujourd'hui comme le meilleur indien en sciences de la vie, l' Institute for Stem Cell Biology and Regenerative Medicine (InStem), spécialisé en recherche sur les cellules souches, et le Center for Cellular and Molecular Platforms (C-CAMP), qui joue le rôle d'incubateur et de plateforme technologique. Vert, aéré et disposant d'espaces de rencontre très conviviaux, ce pôle ( cluster) est conçu comme un campus multidisciplinaire, destiné à encourager les collaborations entre chercheurs, entrepreneurs, enseignants-chercheurs et gestionnaires.

Le Bangalore Biocluster a plusieurs collaborations en cours avec la France, notamment avec l'Ecole supérieure de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris (ESPCI Paristech), l'Institut Curie, l'Université de Nantes, l'Université Paris Descartes/Inserm, l'Institut de biologie du développement de Marseille Luminy, l'université Pierre et Marie Curie. Le NCBS, l'Institut Curie et le CNRS ont également signé un accord général de collaboration le 7 août 2012. Un LIA est en cours de préparation...

Toutefois, ce qui a particulièrement intéressé la délégation lors de sa visite, c'est l'entreprise C-CAMP qui fait le lien entre la recherche publique et les industries, particulièrement avec l'industrie pharmaceutique. Il est à noter que le PDG de l'entreprise C-CAMP, M. S. Ramaswamy, est aussi doyen de l'InStem.

De même, il est à noter qu'à l'IISc, un centre a été créé en 1991 pour promouvoir le transfert de technologies vers l'industrie et pour servir d'incubateur d'entreprises ; l'exemple de l'entreprise en bioinformatique Strand Life Sciences est un grand succès.

Ce talent de l'Inde pour développer l'innovation est particulièrement illustré par Mme Kiran Mazumdar-Shaw, présidente et fondatrice de la société Biocon , avec laquelle la délégation a eu la chance de pouvoir dîner chez le Consul général de Bangalore, M. Eric Lavertu, qui avait organisé la rencontre. Elle était accompagnée de son époux, qui est vice-président de Biocon. La délégation a été très impressionnée par le parcours de Mme Shaw, pionnière en son domaine : fille de brasseur, elle obtient un diplôme de brasseur en Australie, mais, de retour en Inde, cette jeune femme indienne ne parvient pas à entrer dans le monde fermé et masculin de la bière. Ayant rencontré un entrepreneur irlandais en biotechnologie qui avait une filiale en Australie, elle s'y associe et met ainsi à profit ses connaissances sur les levures et la fermentation pour commencer la production d'enzymes industrielles.

Fondée en 1978, Biocon est devenue la plus grande société biotechnologique indienne (340 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2012 et 7 000 employés), qui est aussi la cinquième mondiale. Elle s'apprête à produire la première insuline synthétique orale, qui est en phase d'essais cliniques. Ses filiales, Syngene et Clinigene, créés en 1994 et 2000, sont des centres multidisciplinaires de développement de médicaments où collaborent chercheurs, médecins et chimistes.

L'objectif de cette société est de fournir de l'innovation abordable ( affordable innovation ) en développant des thérapies à des prix accessibles pour des besoins médicaux non satisfaits : Mme Shaw entend réduire le coût des thérapies pour les maladies chroniques comme les diabètes, les maladies auto-immunes ou le cancer, en faisant levier de la compétitivité-coût de l'Inde et de ses talents scientifiques. Biocon a ainsi réduit le coût de l'insuline humaine en Inde de 60 %.

Ce concept d'innovation abordable ou « à bas coût » a particulièrement retenu l'attention de la délégation. L'Inde a en effet une conception de l'innovation adaptée aux défis qu'elle rencontre en tant que géant émergent de plus d'un milliard d'habitants. Le paradigme de l'innovation en Inde est aujourd'hui l'innovation frugale : son objet est de concevoir et fabriquer des produits à usage quotidien à bas coûts (téléphone, ordinateur, tablette, voiture ou frigidaire « Miticool » en argile fonctionnant sans électricité...). L'Inde rencontre ainsi un grand succès en matière de production de vaccins low cost : le Serum Institute of India produit par exemple des vaccins contre la méningite à faible coût unitaire (30 centimes d'euros), qui ont servi à la moitié des enfants vaccinés du monde. L'innovation frugale est même au programme de certaines universités indiennes. En complément, les Indiens promeuvent l'innovation intégrée, connue sous le nom de Jugaad (en hindi, solution improvisée avec peu de moyens) : l'innovation intégrée favorise le développement de solutions nées localement, par la diffusion des idées du monde rural . A titre illustratif, on peut ici évoquer la manière dont se diffuse l'usage des technologies dans le quotidien des Indiens : lors de son passage à Taramani (près de Chennai) à la Fondation MS. Swaminathan, qui est un centre indien privé de recherche sur l'agriculture durable et le développement rural créé en 1988 par le « père » de la révolution verte indienne, la délégation a appris que des applications mobiles ( Fisher friend mobile application ) étaient mises à disposition de pêcheurs indiens pour améliorer le produit de leur pêche en leur fournissant une meilleure connaissance des conditions météorologiques, de la localisation des bancs de poisson, des tendances du marché...

L'Ambassadeur d'Inde en France a lui aussi insisté sur cette spécificité indienne : faire de la recherche pour trouver des solutions low cost en matière de santé mais aussi dans d'autres secteurs industriels. Il a cité le cas de Cisco, qui lui avait indiqué pouvoir mener en Inde des recherches pour développer des routeurs pas cher, recherches que cette société ne pouvait mener aux États-Unis où la recherche se voit plutôt assigner comme objectif d'améliorer la qualité de l'expérience des internautes.

L'appétence de l'Inde pour l'innovation à bas coût est emblématique des attentes de nombreux pays du Sud : faire de la recherche un levier concret de développement. C'est une dimension que la France doit mieux prendre en compte dans son action extérieure en matière de recherche pour le développement : comment améliorer l'effet d'entraînement de la recherche sur le développement du pays partenaire ? Comment l'accompagner dans la valorisation des résultats de recherche ? Dans ses démarches partenariales, la France gagnerait donc à mieux organiser le lien entre recherche, innovation, économie et société , en encourageant l'entreprenariat au sein des instituts de recherche et en considérant la possibilité d'innovations frugales et intégrées 94 ( * ) .

De retour d'Inde, la délégation se réjouit que de nouvelles perspectives de partenariats de recherche franco-indiens se dessinent. La France sera l'hôte d'honneur du séminaire qui se tiendra à Delhi sur la coopération scientifique les 24 et 25 octobre prochain : ce Technology summit sera l'occasion de donner une visibilité accrue à nos organismes de recherche souhaitant développer leurs collaborations avec l'Inde. Par ailleurs, en réponse à l'invitation du Karnataka State Council for Science & Technology qui souhaiterait créer avec une région française un programme de partenariat de recherche similaire à celui lancé avec Israël, la sénatrice Mme Josette Durrieu a indiqué que la région Midi-Pyrénées pourrait être intéressée, surtout dans des domaines tels que la télémédecine. Enfin, les mobilités étudiantes entre la France et l'Inde devraient se développer à l'avenir, grâce à la création de nouveaux cursus en anglais sur le sol français et à la faveur de la lettre d'intention récemment cosignée par les ministres indien et français chargés de l'enseignement supérieur pour accroître cette mobilité.

II. LE TCHAD : UN PARTENARIAT DE RECHERCHE EN RECONSTRUCTION AVEC LA FRANCE, APRÈS UN ÉCHEC INSTRUCTIF

Quelles sont les actions conduites ou encouragées par la France en matière de recherche au Tchad ? Quels en sont les objectifs, les opérateurs, les modalités, l'évaluation, les résultats ? En quoi ces actions contribuent-elles au développement du Tchad ? Correspondent-elles à des enjeux partagés, à des besoins exprimés par les Tchadiens ? Sont-elles définies et gérées en partenariat, et comment ? Quelle place font-elles à la formation et au renforcement des capacités ? Les opérateurs de l'aide, plus généralement, s'appuient-ils sur les résultats de la recherche pour conduire leurs actions ?

C'est pour répondre à ces questions que deux membres de votre mission, Mme Kalliopi Ango Ela et M. Rachel Mazuir, se sont déplacés dans la capitale tchadienne - du 3 au 6 septembre 2013 -, avec le souhait d'entendre, en plus de la présentation qu'en font les autorités et les opérateurs français, le point de vue des partenaires tchadiens. Ce déplacement, que des raisons de sécurité ont obligé à cantonner dans le temps et l'espace, a été particulièrement fructueux : grâce à une préparation tout à fait exemplaire du poste diplomatique 95 ( * ) , la délégation a pu rencontrer une trentaine de chercheurs et de responsables tchadiens et français en deux jours ; le dialogue a été direct, authentique et passionnant - il a aiguisé le regard sur la relation partenariale et dégagé des enseignements précis sur la méthode de la recherche pour le développement.

Par commodité, ce rapport présente d'abord le fil de l'action, en la replaçant autant que possible dans son contexte, avant d'en présenter les enseignements pour votre mission, aussi bien que les questions pendantes et les pistes aperçues pour améliorer l'action.

A. LA RECHERCHE AU TCHAD : UNE POLITIQUE NATIONALE VOLONTARISTE ET DES INSTITUTIONS DE RECHERCHE EN DIFFICULTÉ

La France, ancienne puissance coloniale, a « porté » la recherche au Tchad pendant des décennies, encore bien après l'indépendance (1960), à travers des générations de coopérants qui dirigeaient puis conseillaient aussi les institutions nationales. Ces décennies ont, globalement, un résultat paradoxal, témoin d'un certain type de relations Nord/Sud : le Tchad a été le terrain de nombreuses recherches, sans disposer ni former de chercheurs tchadiens. Les conflits incessants et l'instabilité politique, qui ont perduré pendant des décennies, ont rendu impossible pour les autorités tchadiennes la construction d'infrastructures de recherche ; dans ces conditions, la recherche tchadienne est aujourd'hui en retard sur bien des pays environnants et les institutions tchadiennes de recherche sont faibles, au point de dépendre souvent des opérateurs « historiques » français.

Les autorités tchadiennes, cependant, et au premier chef le président Idriss Déby, initient une relance de la formation supérieure et de la recherche, avec l'annonce de moyens inédits et l'amorce de règles nouvelles pour conduire une politique nationale de recherche. Dans ces conditions, la coopération française, dont les moyens se raréfient, est en passe de redéfinir sa stratégie, en s'orientant davantage vers le renforcement des capacités : la période est donc apparue charnière à la délégation, justifiant une stratégie audacieuse de partenariat avec les chercheurs tchadiens.

1. Un pays pauvre en mutation accélérée

Le Tchad figure aux tout derniers rangs mondiaux pour la richesse mesurée en PIB 96 ( * ) ou en indice de développement humain (IDH), et aux tout premiers rangs pour la croissance démographique 97 ( * ) : le pays compte 11,5 millions d'habitants (2011), soit deux fois plus qu'en 1990 et, selon les prévisions, deux fois moins que dans vingt ans. Autre prévision saisissante : 4 millions de jeunes arriveront sur le marché du travail d'ici 2025, pour une population actuelle de 4,7 millions d'actifs .

L'économie affiche un taux de croissance important 98 ( * ) , mais la malnutrition s'étend : ce résultat décevant est partagé avec d'autres pays où une soudaine rente pétrolière a creusé le fossé entre la majorité de la population, qui subit le renchérissement de la vie, et une minorité, qui bénéficie de cette rente pétrolière peu redistribuée. Ceci d'autant que le pays a connu jusqu'en 2008 quatre décennies de conflits quasiment continus, qui ont structuré la société politique tchadienne et la réalité des institutions du pays.

L'arrivée du pétrole, il y a dix ans, a bouleversé les données économiques du pays : alors que les Tchadiens vivent pour les trois quarts en milieu rural, et que traditionnellement l'élevage y était, de très loin, la principale activité du pays, le pétrole représente aujourd'hui 40 % du PIB - le double de l'élevage et de l'agriculture - et 60 % des ressources de l'État. Cette manne pétrolière a eu d'importantes conséquences économiques, sociales et politiques dont la délégation s'est fait l'écho - et parfois le témoin, s'agissant par exemple des grands chantiers engagés dans la capitale.

Ces facteurs se cumulent, pour accélérer le changement de la société tchadienne. Les études disponibles sur le Tchad indiquent un hiatus dans le développement urbain, entre la capitale N'Djamena, qui attirerait le principal des investissements, et les autres villes tchadiennes - Abéché, Sarh, Moundou -, qui en manqueraient ; l'exode rural s'accroîtrait ; une nouvelle société urbaine s'étendrait, dans un pays très largement rural et encore très traditionnel ; ces nouveaux flux recomposeraient les échanges sociaux, de même que les relations interconfessionnelles, dans un pays où les différenciations entre grandes régions et religions se recoupent partiellement.

Le Tchad est en phase de changement rapide, les défis sont immenses pour que les millions de Tchadiens qui vont naître dans les années à venir disposent du minimum que la majorité d'aujourd'hui peine à se procurer - voilà un constat largement partagé par les personnes rencontrées. Cependant, la délégation a été frappée par le fait que, comme l'a dit lors de son audition l'un des meilleurs connaisseurs français de la société tchadienne, « on en sait beaucoup moins sur le Tchad que dans les années 1970 99 ( * ) ». C'est que la société tchadienne change, mais aussi que les recherches universitaires sur le Tchad contemporain sont trop rares 100 ( * ) .

2. Des institutions nationales de recherche en difficulté

La situation de la recherche - et de l'éducation scolaire - au Tchad n'est pas bonne : le niveau est considéré comme très faible, les équipements sont vétustes et, d'un avis largement partagé, l'Université comme les instituts techniques n'ont quasiment aucune capacité de conduire des recherches sans coopération internationale (dont le Nord n'a pas l'exclusivité).

La scolarisation est encore faible : la moitié des enfants sont scolarisés en primaire, moins d'un sur huit pour le secondaire (une fille sur vingt) et le taux de scolarisation atteint à peine 7 % dans le supérieur (une fille sur cinquante). Le pays compte 17 500 étudiants dans le public et près de 7 000 dans le privé, et l'on estime que 10 000 Tchadiens étudient à l'étranger, principalement au Cameroun, mais aussi dans les pays francophones d'Afrique de l'Ouest ou dans les pays arabophones proches (Soudan, Egypte).

Les enseignants du supérieur sont peu nombreux et peu qualifiés : 1 170 enseignants, dont 350 docteurs parmi lesquels à peine 60 auraient la qualification du Conseil africain et malgache pour l'enseignement supérieur (CAMES). Pour comparer les systèmes français et tchadien d'enseignement supérieur, il importe toutefois de tenir compte de la réforme des titres universitaires intervenue en France en 1984 : au Tchad, le titre de maîtres assistants existe encore, alors qu'en France, ces enseignants ont été intégrés au corps des maîtres de conférence. Aujourd'hui, l'université tchadienne ne disposerait que de quatre professeurs et de six maîtres de conférences habilités à diriger des recherches, « dont plusieurs résident à l'étranger » 101 ( * ) . Le déficit en enseignants de rang magistral compromet l'adoption des normes LMD.

La recherche tchadienne est regroupée dans les institutions suivantes :

• les six universités du pays et les instituts qui leur sont rattachés : alors que le pays ne comptait qu'une université - celle de N'Djamena - jusqu'en 2001, cinq autres ont vu le jour, sans disposer toujours des moyens d'assurer un enseignement continu 102 ( * ) ; en fait, sauf quelques cas individuels, l'Université ne ferait quasiment aucune recherche et ne compte aucune école doctorale : la plupart des enseignants sont de niveau master et n'ont pas d'activité de recherche ; en revanche, des instituts universitaires scientifiques et techniques, qui dispensent également de l'enseignement jusqu'au niveau master, développent de la recherche en coopération avec des universités et instituts européens (voir infra) ;

• l'Institut de recherche pour l'élevage et le développement (IRED). Créé par les Français en 1952 103 ( * ) , le laboratoire de « Farcha » a été « pendant près de trente ans un fleuron de la recherche vétérinaire en Afrique » 104 ( * ) , un point de passage obligé de l'école vétérinaire française où ont été découverts, fabriqués et exportés vers le reste de la région, quelque 25 vaccins - dont celui, en particulier, qui a éradiqué la peste bovine qui décimait les troupeaux encore dans les années 1960. Longtemps dirigé et animé par des chercheurs français - à « la grande époque » évoquée par nos interlocuteurs, le laboratoire aurait compté jusqu'à 25 chercheurs expatriés -, « Farcha » a été rétrocédé aux Tchadiens en 1985. Encore actif dans les années 1990, il a ensuite, selon nos interlocuteurs, connu un long et inexorable déclin, jusqu'à être dans l'incapacité d'assurer ses missions - qui sont très larges, de la recherche et la veille sanitaire sur le cheptel, à la production de vaccins, en passant par la formation, la production d'expertise, ou encore la planification stratégique de l'élevage. Nommé à l'été 2012, le nouveau directeur général, M. Idriss Oumar Alfarouk, a dressé un bilan accablant des problèmes de l'IRED : problèmes financiers (subvention insuffisante et irrégulière, endettement), faible niveau de formation d'une grande partie du personnel, aggravé par une démotivation apparente, obsolescence et indigence de la plupart des équipements scientifiques, techniques (production de vaccins) ou logistiques (pas de véhicules), vétusté de la quasi-totalité des infrastructures, qui ne répondent plus aux normes scientifiques actuelles, déficit chronique en moyens modernes de communications ou d'échange (Internet, documentation), obsolescence du cadre juridique : en bref, un laboratoire de recherche qui n'en a plus que le nom 105 ( * ) , quasiment dépourvu de chercheurs, mais où les places sont chères, du simple fait qu'elles donnent droit à des indemnités (lesquelles sont parfaitement déconnectées de toute activité de recherche proprement dite) ;

• l'Institut tchadien de recherche agronomique pour le développement (ITRAD), créé en 1998 et placé sous la tutelle du ministère de l'Agriculture et de l'irrigation, a lui aussi une compétence très large, couvrant l'ensemble de la production végétale, halieutique et forestière, ainsi que de l'agroalimentaire au sens large, ceci de la recherche à l'accompagnement des politiques publiques. Dans les faits, son activité se limite quasiment, pour autant que la délégation en a eu l'écho 106 ( * ) , à la production de semences vivrières, pour les rendre accessibles aux producteurs. Les documents accessibles témoignent d'une très faible activité de recherche et d'un certain échec des deux Plans à Moyen Terme de la Recherche Agricole (PMTRA I pour la période 2003-2007 et II pour 2008-2014) ;

• le Centre national d'appui à la recherche (CNAR), créé en 1991 à partir des installations de l'Office de la recherche scientifique et technique outre-mer (ORSTOM) et rattaché au ministère de l'enseignement supérieur, le CNAR collecte la documentation scientifique et technique sur le Tchad (fonction de « dépôt légal ») et il a pour mission de soutenir matériellement des recherches, de faire se rencontrer les réseaux de chercheurs (colloques, publications), aussi bien que de connecter ces réseaux avec les milieux économiques et politiques. En fait, son activité a longtemps consisté à soutenir la Mission paléoanthropologique franco-tchadienne et à développer une station de traitement d'image satellitaire. Son effectif actuel de 9 chercheurs, cependant, est très insuffisant pour couvrir son champ de compétences et l'état actuel du CNAR est comparé à celui de l'IRED.

Dans l'ensemble de l'enseignement supérieur tchadien, la pédagogie utilisée aussi bien que les méthodes d'évaluation sont jugées obsolètes, les bibliothèques manquent - c'est un euphémisme : le pays ne compterait qu'une seule bibliothèque universitaire opérationnelle -, de même que le matériel informatique et les connexions internet.

Dans ces conditions, les trois organismes de recherche nationaux précités regroupent une cinquantaine de chercheurs, mais très peu ont une activité effective ; ainsi, entre 2004 et 2009, ces chercheurs ont publié seulement 77 articles, quand leurs homologues camerounais en présentaient 2 992, les Congolais 507, et les Centrafricains 127. Toutefois, cette comparaison entre pays de la région n'a pas beaucoup de sens (sauf peut-être pour le Centrafrique), du fait qu'elle ne prend pas en compte l'effet de taille, qui résulte du nombre supérieur de chercheurs dans ces pays par rapport au Tchad.

La permanence de conflits intérieurs pendant près de quatre décennies, est certainement la cause majeure de cet état de la recherche au Tchad. Et la stabilité qui prévaut depuis 2008 est un cadre favorable pour « la renaissance » de la recherche tchadienne, voulue par le pouvoir tchadien.

3. La renaissance de la recherche du Tchad, une réelle volonté politique tchadienne

La délégation a constaté une inflexion importante et très récente dans la politique tchadienne vis-à-vis de la recherche.

Conformément à l'engagement du président tchadien Idriss Déby de donner la priorité à l'enseignement supérieur, le Gouvernement a lancé, au titre de la formation, un vaste programme de renforcement des capacités des enseignants-chercheurs et des chercheurs. Des moyens importants ont été annoncés, dans le cadre d'un fonds formation triennal de 4 milliards de francs CFA (6 millions d'euros 107 ( * ) ), avec un objectif chiffré - faire que 400 enseignants chercheurs passent leur thèse de doctorat ou une habilitation à diriger des recherches (HDR).

Le ministère tchadien de la recherche et de l'enseignement supérieur commence à structurer une politique nationale de la recherche. Votre mission salue l'ambition et la clarté du plan en cours d'élaboration au sein de la direction du ministère. Le constat a été fait du manque d'évaluation stratégique et de planification de la recherche, autant que des relations trop individuelles entre les organismes de recherche du Nord et les chercheurs tchadiens. En conséquence, le ministère entend énoncer les priorités nationales de la recherche, au moyen d'Assises nationales - qui pourraient se tenir l'an prochain - et négocier avec les organismes extérieurs de recherche - par exemple l'IRD - une convention cadre, qui vaudrait pour l'ensemble des travaux entrepris sur le territoire tchadien.

Votre mission a ainsi compris le message : pour améliorer la recherche tchadienne, il faut que les Tchadiens définissent leurs priorités, mais il faut aussi que leurs partenaires, au premier chef les Français, jouent la carte du renforcement institutionnel tchadien, car la recherche tchadienne ne saurait se structurer par le seul face-à-face entre les organismes étrangers et des chercheurs tchadiens isolés. L'Université tchadienne parvient, difficilement, à porter des jeunes tchadiens jusqu'au niveau licence et quelques masters ; l'objectif est désormais qu'elle ouvre des écoles doctorales : cela ne peut pas se faire sans une aide extérieure, mais le message est bien que cet objectif peut suffire, quasiment, s'agissant de la coopération en matière de recherche.

Sans attendre cette redéfinition des relations contractuelles avec les opérateurs « historiques » de la recherche au Tchad, français dans la plupart des cas, le ministère a entrepris de réorganiser son système de bourses universitaires, pour l'arrimer davantage à des critères scientifiques, voire aux priorités qui seraient d'ores et déjà définies. L'an passé, le ministère a ainsi mis en place une Commission nationale chargée de l'attribution des bourses d'études et d'équipements des laboratoires de recherche sur le fonds formation des formateurs (CONFOFOR), qui centralise désormais l'attribution des bourses et des aides aux équipements.

Les principaux opérateurs de la recherche tchadienne sont engagés dans des programmes de refondation. Ainsi le CNAR entreprend-t-il une réforme en profondeur, pour élargir le champ de son intervention (il engloberait désormais tous les secteurs relatifs au développement, et changerait d'intitulé en conséquence, pour Centre national de recherche pour le développement, CNRD), et construire de nouveaux bâtiments sur son site au coeur de N'Djamena (ce nouveau campus jouerait le rôle d'une véritable plateforme scientifique, hébergeant des laboratoires et accueillant des chercheurs tchadiens comme internationaux). A l'IRED, le projet vise à rétablir des capacités de diagnostic, de production de vaccins et de recherche sur la santé animale : votre mission salue, ici encore, l'ambition de la nouvelle direction, qui, au-delà de moyens financiers d'ores et déjà annoncés mais pas encore effectifs, aura besoin d'un soutien politique constant, que le partenariat français ne peut qu'encourager.

B. L'ACTION DE LA FRANCE POUR SOUTENIR LA RECHERCHE AU TCHAD

Les instituts créés pendant la période coloniale ayant été maintenus après l'indépendance, l'appui de la France à la recherche tchadienne a longtemps consisté à fournir des coopérants sur les postes d'encadrement et de recherche de ces instituts, lesquels se consacraient principalement à l'agriculture (principalement le coton) et à l'élevage ; s'y ajoutait la mission paléoanthropologique franco-tchadienne, qui a découvert Toumaï , le plus ancien hominidé connu. L'Université de N'Djamena - la seule du pays jusqu'en 2001 - ne conduisant aucune recherche. Les instituts spécialisés étant aux mains des Français, il n'est pas exagéré de dire que, jusque dans les années 1990, la recherche au Tchad était une recherche sur le Tchad, conçue et conduite par des Français, et plus précisément - hors paléontologie - par les organismes dédiés que sont le CIRAD et l'IRD.

Formellement, la « cession » des instituts spécialisés aux autorités tchadiennes a mis fin au monopole français 108 ( * ) ; dans les faits cependant, ce sont bien des coopérants français qui ont continué à « faire tourner » les instituts et c'est leur retrait, concomitant aux troubles sécuritaires dans le pays, qui a laissé ces instituts en « déshérence » : les interlocuteurs tchadiens de la délégation ont largement reconnu les lacunes dans la gestion et la coupure de ces instituts avec la recherche en général, expliquant ainsi leur « décrochage » et leur état actuel.

Depuis quelques années, notre pays a donc dû redéfinir son intervention en faveur de la recherche au Tchad : au lieu de coopérants qui administraient directement la recherche conduite au Tchad, l'heure était au partenariat... avec des institutions de recherche qui n'avaient de tchadiennes que le nom, et des Tchadiens qui étaient apparemment peu préparés à leurs nouvelles fonctions - et accaparés par d'autres priorités dans un pays en proie à des conflits permanents.

Dans le délai imparti, votre mission ne saurait retracer l'histoire complexe et mouvementée de cette « transition » ; cependant, le contraste est tel entre les actions conduites dans la dernière décennie, et celles qui sont initiées actuellement, qu'on peut véritablement parler d'une « refondation » en cours - et tout à fait souhaitable - de l'action extérieure de la France au Tchad en matière de recherche pour le développement.

1. Un échec édifiant : le projet d'appui à la recherche scientifique et technique au Tchad (ARS2T), 2005-2011

Une remarque préalable : outre qu'il engage les seuls membres de votre mission qui se sont déplacés au Tchad, le propos de ces paragraphes ne porte aucun jugement sur la qualité des personnes concernées ; la délégation est arrivée après l'action, ses sources d'information sont nécessairement incomplètes et, dans le délai imparti, il n'a pas été possible de conduire une enquête circonstanciée ; cependant, les avis recueillis ont suffisamment convergé et la séquence paraît suffisamment exemplaire, pour l'intégrer à l'analyse utile aux enseignements pour l'avenir.

Élaboré par le poste diplomatique en 2004 et engagé fin 2005, le projet d'appui à la recherche scientifique et technique au Tchad (ARS2T) avait pour objectif d'améliorer la qualité des travaux de recherche scientifique dans les domaines de l'agriculture, de l'élevage et des ressources naturelles, en aidant les autorités tchadiennes à structurer un système national de la recherche agricole (SNRA). Prévu pour durer quatre ans, il a été prolongé jusqu'à la fin 2011, ce qui en fait le principal programme de soutien à la recherche conduit par la France au Tchad pendant sept ans. Sur le plan de la méthode, il s'agissait de réunir les institutions tchadiennes de recherche (en dotant le SNRA d'une Assemblée générale et d'un Conseil scientifique) pour qu'elles définissent les besoins de formation des chercheurs tchadiens et qu'elles arrêtent en conséquence un programme de formation diplômante, soutenu financièrement par la coopération française. Rien de très nouveau, puisque cette méthode avait été appliquée avec succès dans d'autres pays.

Le déroulement du projet atteste de ses difficultés de mise en oeuvre :

- le démarrage est particulièrement lent : initié en 2004, le programme ne commence qu'en septembre 2005, avec la première réunion du comité de pilotage, qui est suivie - rapidement - par des achats de matériels (véhicules, ordinateurs) ; cependant, il faut attendre plus d'un an encore pour que se tienne la première Assemblée générale du SNRA (décembre 2006), laquelle, outre sa fonction constituante, arrête un plan de formation diplômante en même temps qu'elle valide une étude sur les besoins en formation des chercheurs tchadiens, étude réalisée par un bureau d'études français (l'Institut de recherches et d'applications des méthodes de développement, IRAM). Cette lenteur et cette adoption « en paquet » d'un plan défini à l'extérieur, laisse penser que la démarche était peu appropriée par les partenaires tchadiens : tout se passe comme si la coopération française « portait » seule le projet, avec un aval bien distant de la partie tchadienne ;

- l'année 2007 est présentée comme « le pic » du projet : le plan de formation est lancé et deux ateliers sont organisés dans l'année (avril et novembre) avec le bureau puis le conseil scientifique du SNRA ;

- cet élan est stoppé en février 2008 par le conflit militaire, qui s'accompagne d'un pillage des bureaux, des ordinateurs et des archives du projet, ainsi que du vol d'un véhicule ; l'activité continue cependant : les subventions aux formations diplômantes sont versées conformément aux prévisions et un atelier en octobre 2008 examine, sans l'adopter cependant, une proposition de programmation commune de la recherche ;

- l'année 2009 est marquée par deux événements qui paraissent, a posteriori, largement contradictoires : l'évaluation à mi-parcours, positive et optimiste, appelle à la poursuite du projet 109 ( * ) ; un blocage se fait jour entre le ministère et les deux principaux instituts de la recherche tchadienne que sont l'ITRAD et le LRVZ (aujourd'hui IRED), qui refusent manifestement de jouer le jeu du SNRA et d'entrer dans la programmation commune (l'ITRAD interdit même à ses chercheurs de participer aux ateliers du SNRA) 110 ( * ) ;

- dès lors, en 2010 et 2011, l'action se limite au financement de formations, avec des à-coups liés à des restrictions budgétaires - et avec si peu de portée qu'il n'en n'est quasiment pas fait mention dans les documents disponibles.

Le bilan réalisé cette année par le Poste diplomatique, quelles que soient les précautions de langage, est tout à fait édifiant 111 ( * ) :

- sur le volet « appui institutionnel » (273 000 euros), la mise en place d'une coordination nationale, éphémère, n'a rien produit, en particulier pas le document stratégique espéré ; le SNRA a fait long feu et le système paraît plus éclaté qu'en 2005, comptant désormais douze organismes, au lieu des cinq initiaux ; enfin - et surtout ? - le niveau de recrutement ne s'est pas élevé, les critères relationnels continuant de l'emporter sur les critères professionnels et les meilleurs éléments continuant de déserter la recherche pour des postes dans les ministères ;

- le volet « renforcement des capacités » (800 000 euros) est décevant lui aussi : sur les 22 projets de recherche « fédérateurs » identifiés en 2009 pour être susceptibles de faire travailler ensemble des chercheurs tchadiens venus d'institutions différentes, seulement deux ont été initiés et « un seul a abouti à des résultats sans grande portée scientifique ou opératoire » ; ensuite, si le programme a aidé des chercheurs individuellement - 17 thèses ont été menées à bien grâce à des bourses doctorales -, ces réussites individuelles ne se sont pas inscrites dans un programme d'ensemble et elles n'ont eu, d'après nos informations, aucun effet d'entraînement collectif (ces projets n'ont pas été cités une seule fois lors des auditions conduites par la délégation).

- le volet « valorisation et capitalisation des produits de la recherche » (71 000 euros) n'a donné lieu à aucune publication et le projet d'un observatoire est resté lettre morte ;

- le volet « gestion du projet » (98 000 euros) a financé le poste d'attaché technique, sans quasiment aucune autre démarche (en particulier, pas d'évaluation ni de démarche entreprise auprès des bailleurs de fonds pour pérenniser l'action).

En fait, le bilan dressé dès 2009, à mi-parcours de la durée initialement prévue, laissait largement présager l'échec du programme ; mais il semble que le manque d'alternative, aussi bien que l'optimisme d'après conflit armé, l'aient emporté pour décider les responsables français à maintenir, puis à prolonger ce programme pourtant si loin d'atteindre ses objectifs.

Dans le bilan dressé cette année, quatre causes majeures de l'échec sont identifiées :

- le refus des instituts tchadiens de travailler ensemble, ce qui est un indicateur de la faible importance de la recherche dans l'agenda politique du pays ;

- le fait que « les projets de recherche transversaux, dit fédérateurs, ont été élaborés à la va-vite dans la perspective de toucher des indemnités », les instituts n'ayant, au-delà, aucune intention d'honorer leurs engagements ;

- « l'erreur majeure » que représente l'idée de constituer un SNRA dans un pays comptant, en réalité, à peine une vingtaine de chercheurs actifs ;

- enfin, « on ne transforme pas des cadres de plus de 35 ans, qui n'ont jamais cherché, en chercheurs, même à grand renfort de stages, surtout s'ils restent maintenus dans un contexte inchangé » et où le statut de chercheur est choisi seulement pour les indemnités auxquelles il donne droit.

2. Le redéploiement actuel du soutien à la recherche, vers le renforcement effectif des capacités tchadiennes et la connaissance du Tchad contemporain
a) Une inflexion de la stratégie d'intervention

La France a récemment infléchi sa stratégie de soutien à la recherche, en tenant compte de l'échec de son principal programme des années 2000, et en s'adaptant à de nouvelles contraintes intérieures - budgétaires, d'abord, mais tenant également au « recentrage » de certains grands opérateurs traditionnels comme le CIRAD et l'IRD.

Les organismes français de recherche n'entretiennent plus d'expatriés sur place, mais envoient des chercheurs pour des missions de courte ou longue durée. Le CIRAD est exemplaire à ce titre : après avoir très longtemps détaché des assistants techniques auprès de l'IRED et de l'ITRAD, qui étaient ses bases de recherche appliquées au Tchad, le CIRAD n'entretient plus de relations contractuelles avec ces instituts. Les « ciradiens » présents sur place sont recrutés par projet, par exemple dans le cadre de l'expertise collégiale sur le Lac Tchad, sans que l'organisme soit lié au ministère tchadien de la recherche, ni à l'Université tchadienne. Il en va de même pour l'IRD : l'engagement croissant de chercheurs dans le cadre de contrats, remplace la présence continue d'expatriés pendant des décennies.

L'Université française, ensuite, renforce sa coopération directe avec l'Université tchadienne. L'Institut national des sciences appliquées (INSA) de Lyon ainsi que l'Université de Saint-Etienne maintiennent une coopération effective avec deux instituts universitaires et l'Université de N'Djamena depuis longtemps. Initialement focalisée sur la mise en oeuvre de licences professionnelles et la formation en France des enseignants-chercheurs et de cadres techniques, cette coopération s'est étendue à la mise en place de masters avec le projet d'une école doctorale, qui serait la première du Tchad. Une dizaine d'enseignants français séjournent chaque année au Tchad dans ce cadre. A cette coopération ancienne et en progrès, s'ajoutent de nouveaux venus : le département d'anthropologie du développement de l'université d'Aix-Marseille, qui a créé un master ad hoc pour ses recherches au Tchad, ou encore le département d'archéologie de l'université de Toulouse le Mirail qui, pour son nouveau master international, va réaliser au Tchad des chantiers écoles en échange de formations en France pour des étudiants tchadiens.

Autre inflexion notable : le Poste diplomatique, en finançant des « permanents », se place en position d'orchestrer l'action extérieure de la France dans le domaine de la recherche pour le développement. De fait, outre un poste d'attaché qui se consacre à l'enseignement supérieur, le Poste finance deux emplois de conseillers (l'un au Ministère tchadien de la recherche, l'autre à l'IRED) et un volontaire international (auprès de l'Université et du CNAR) : ces trois emplois spécialisés représentent 40 % des dépenses que le poste consacre à l'enseignement supérieur et à la recherche, derrière le financement de bourses (50 %).

Enfin, des thèmes de recherche sur le Tchad contemporain sont désormais considérés comme prioritaires, pour combler les lacunes en la matière. Cette réorientation concerne les bourses délivrées par la coopération, le volet « soutien à la recherche » des financements gérés par le Poste diplomatique, mais également l'action de l'Agence française de développement. En effet, alors que l'AFD reste le principal bailleur de fonds bilatéral, son chapitre « Consolider les bases du développement » comprend une référence plus explicite à la prise en compte de la recherche. Cependant, pour autant que la délégation a pu l'établir, l'Agence ne fait guère plus que contribuer financièrement à des études et à des colloques sur des sujets où elle intervient (assainissement, eau, infrastructures urbaines, éducation, pastoralisme), sans coordination visible avec le Poste diplomatique ni les instituts de recherche français et tchadiens.

b) Les orientations actuelles
(1) Accompagner la mise en place du système LMD

L'Institut universitaire d'Abéché, l'Institut polytechnique de Mongo, l'université d'Ati et la Faculté des sciences exactes et appliquées de l'université de N'Djamena ayant décidé de mettre en place le système LMD, les outils de la coopération française visent à « former des cadres techniques pour les secteurs de l'énergie, de l'eau et de l'agroalimentaire ».

Deux masters d'ingénierie ont été mis en place en partenariat avec l'INSA de Lyon, l'université de Saint-Etienne et le concours financier de l'entreprise pétrolière Esso.

Quatre autres masters sont mis en place à la rentrée 2013-2014 : Anthropologie, Environnement et Développement, avec comme partenaire l'université d'Aix-Marseille, Hydrogéologie et Système d'Information Géographique, soutenu par la coopération suisse (université de Neuchâtel) et l'IRD, Aménagement du territoire et développement local (divers intervenants), Productions animales (recherche de partenaires en cours).

(2) Financer et accompagner une recherche-formation sur « les grands écosystèmes lacustres tchadiens »

Pour trois ans à compter de janvier 2014, le ministère des affaires étrangères engage 500 000 euros pour une recherche sur les cinq grands écosystèmes lacustres tchadiens 112 ( * ) (projet GELT), avec l'objectif de former des cadres « capables d'enquêter et de saisir globalement dans sa complexité une situation locale, d'en rendre compte, et ainsi de renforcer les capacités des organismes nationaux de recherche et de développement ».

Le motif de cette recherche-formation est double : trouver des voies acceptables pour intensifier l'agriculture tchadienne, face aux défis démographiques et à l'évolution rapide des paysages lacustres (rétrécissement de la surface des lacs, le plus emblématique étant la réduction de 80 % de la surface du lac Tchad en quatre décennies) ; dans le même temps, renforcer les capacités des chercheurs tchadiens, collectivement, en insérant le programme dans celui de laboratoires universitaires tchadiens et en y accueillant des doctorants et des enseignants chercheurs tchadiens.

Le projet se justifie sur le plan scientifique : les écosystèmes lacustres sont des milieux à haut potentiel productif et d'une grande diversité biologique encore mal inventoriée. La recherche peut aider à « dessiner un cadre clair et acceptable pour le développement endogène de pratiques productives qui ne mettent pas en péril le fonctionnement des environnements lacustres ». Ceci, alors que ces paysages évoluent très vite au Tchad, changeant la donne foncière et créant des conflits d'usage. L'objet de recherche, à vocation pluridisciplinaire, correspond bien à une demande des Tchadiens : ils ont placé le développement des productions rurales au rang de priorité nationale.

Le montage prévisionnel illustre un mode de partenariat encore inédit au Tchad :

- l'essentiel du financement (425 K€, soit 85 %) va aux recherches via un appel à projets visant des équipes mixtes franco-tchadiennes ; ces recherches « abondent » les nouveaux masters précités, pour les étudiants (recherche de terrain), les jeunes chercheurs (préparation de thèse de doctorat) aussi bien que pour leurs enseignants (possibilité de passer la qualification CAMES) ; un financement complémentaire (25 K€) va à la création d'un site web de publication et d'évaluation de la recherche, logé sur le site du ministère de l'enseignement supérieur; enfin, une enveloppe de 50K€ va à la gestion et à l'animation du projet (création d'un comité scientifique, d'un comité de pilotage), sans compter la participation de l'assistant technique actuellement placé auprès du ministre tchadien de la recherche et du volontaire international affecté à l'université de N'Djamena.

- les rôles sont explicités entre les institutions de recherche tchadiennes et françaises. Les enseignants chercheurs des cinq universités tchadiennes partenaires des nouveaux masters « conduiront les équipes de recherche, participeront à l'encadrement des étudiants et poursuivront des recherches en rapport avec leur spécialité pour [préparer leur] qualification par le CAMES ; les étudiants de ces masters participeront aux recherches de terrain ; des chercheurs de l'Institut de recherche sur l'élevage pour le développement (IRED) pourront s'intégrer dans les équipes de recherche ; enfin, le Centre national d'appui à la recherche (CNAR) apportera un appui logistique. » Côté français, des chercheurs de l'IRD (deux participeront aux enseignement du futur master) « apporteront une dimension globale aux différents travaux », « pour orienter la collecte des données et construire une synthèse finale sous la forme d'une modélisation de ce qui se joue sur ces sites lacustres » ; le Cirad associera au programme un chercheur qu'il envoie régulièrement au Tchad (et qui est consultant de référence auprès de l'AFD) ; l'Université d'Aix-Marseille assurera un appui méthodologique pour les enquêtes de terrain, fera participer des enseignants chercheurs du master Anthropologie-Environnement-Développement et pourra organiser des binômes entre étudiants français et tchadiens ; enfin, trois autres universités (Paris 1, Lyon 2 et Toulouse 2) participeraient ponctuellement.

(3) Utiliser les bourses et un programme de recherche sur l'économie lacustre pour renforcer les capacités des chercheurs tchadiens

Avec le projet « GELT », des étudiants tchadiens se verront participer à des recherches (trois mois lors du quatrième semestre du master) et certains d'entre eux se verront proposer d'effectuer un master complet en France ; à leur retour ils seraient recrutés à l'université sur les profils de postes manquants puis, une année plus tard, ils s'engageraient dans la préparation d'un doctorat avec l'appui de la France.

(4) Relancer les études socio-anthropologiques sur la société tchadienne

Le poste diplomatique a suscité et pris en charge la mission préliminaire d'un professeur français à l'Université d'Aix-Marseille impliqué de longue date dans la recherche au Centrafrique, qui a accepté ensuite d'inclure le Tchad dans ses terrains de recherche (et de participer à la mise en place du master Anthropologie-Environnement-Développement à l'Université de N'Djamena à la rentrée 2013) ; le poste diplomatique a soutenu également la mission d'un anthropologue au CNRS, pour évaluer la possibilité de conduire des recherches en milieu urbain.

(5) Financer l'expertise collégiale sur le lac Tchad

Lors du Forum mondial du développement durable (FMDD) pour la sauvegarde du Lac Tchad (N'Djamena, octobre 2010), la France a annoncé qu'elle contribuerait, avec d'autres partenaires, aux réflexions de la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT) sur la gestion de ce lac qui a perdu 80% de sa surface en quatre décennies. Alors que la surface des eaux a largement évolué dans l'histoire et que le lac a déjà connu des périodes où il était plus petit qu'aujourd'hui (il aurait même disparu complètement à certaines époques), la rétractation actuelle nourrit des peurs et des prophéties qui rendent plus difficile sa gestion déjà compliquée par les conflits d'usage. Dans ces conditions, l'idée est « d'éclairer » les acteurs politiques membres de la CBLT, de leur fournir des diagnostics incontestables au plan écologique et environnemental, pour les aider à retenir les propositions les plus utiles et réalistes.

En mars 2012, une convention est signée entre l'AFD, chargée de la mise en oeuvre des financements du fonds français pour l'environnement mondial (FFEM) et la CBLT, d'un montant de 800 000 euros, dont le premier - et principal - volet consiste, via une « expertise collégiale », à établir une synthèse des connaissances et à définir les contraintes de gestion ainsi que les indicateurs de suivi (les deux autres volets consistant à compléter le modèle hydraulique et à accompagner la CBLT pour la mise en place d'une « charte de l'eau »). Un collège des experts de douze membres, paritaire Nord-Sud et pluridisciplinaire, est constitué et installé par l'IRD ; le comité de pilotage de neuf membres est constitué sous la responsabilité de la CBLT : il se réunit à l'issue de chaque réunion plénière des experts.

A ce jour, le comité d'experts a tenu trois réunions plénières et la réunion publique de restitution de l'expertise collégiale doit se tenir à N'Djamena en octobre prochain.

EXTRAIT DU DERNIER TEXTE DISPONIBLE (AOÛT 2013) SUR L'AVANCÉE DES TRAVAUX

Les principales conclusions auxquelles sont parvenus les experts sont :

- si les principales réalités du Lac sont relativement bien connues, il convient d'en offrir une mise en perspective permettant d'effectuer des choix éclairés de politiques publiques; et la variable importante qu'est l'évolution climatique demeure peu connue ;

- la situation actuelle est plutôt favorable aux sociétés riveraines, mais la démographie soulève des défis majeurs ;

- le Lac ne résoudra pas tous les problèmes du bassin tchadien, mais il peut y jouer un rôle important, et mérite à ce titre d'être considéré comme un laboratoire des politiques de développement ;

- la dynamique institutionnelle actuelle autour du Lac peut être améliorée en rendant les discours plus positifs et en mobilisant plus de bailleurs et de partenaires techniques ;

Les principales orientations stratégiques qui figureront dans le document final et qui ont fait l'objet d'un échange avec les dirigeants de la CBLT sont les suivantes :

- réaliser une évaluation environnementale stratégique orientée sur la réponse aux défis (alimentation, emploi), à partir de la gestion de l'eau;

- mieux intégrer les populations et leurs activités économiques dans l'action de la CBLT ;

- réaliser un Plan de développement spécifique au Lac (PDL) : construire une vision du développement du Lac et coordonner sa mise en oeuvre ;

- renforcer la collaboration avec les institutions régionales (la Communauté des Etats d'Afrique de l'Ouest, Cedeao, la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale, Cemac) et leurs institutions spécialisées (en particulier la Communaute Economique du Betail de la Viande et des Ressources Halieutiques, Cebevirha) ;

- en matière de sécurité, la CBLT doit se positionner sur la gestion de l'information sur les ressources naturelles et la prévention des conflits qui y sont liés ;

- soutenir en priorité l'agriculture familiale, la multifonctionnalité et la pluriactivité, vu la valeur stratégique du Lac (Sociétés d'aménagement locale et régionale, emploi), les savoirs faire et les potentialités ;

- accompagner la clarification des règles d'accès au foncier selon les principes d'une gouvernance démocratique (logique de citoyenneté locale à promouvoir comme critère d'accès aux ressources);

- changer de communication sur le Lac (vis-à-vis des bailleurs, médias, grand public) : au lieu du discours de crise (disparition, dégradation), présenter le Lac comme un potentiel pour relever les défis, un pôle d'émergence rurale à accompagner, un laboratoire de la coopération régionale et internationale

C. UNE REDÉFINITION BIENVENUE DU SOUTIEN FRANÇAIS, ENFIN AU SERVICE DU RENFORCEMENT DES CAPACITÉS TCHADIENNES ?

L'étude documentaire et les auditions réalisées par la délégation, si elles ne permettent pas d'évaluer chacune des actions soutenues par la France, lui ont cependant donné une idée claire de leur articulation avec la demande de la partie tchadienne. L'exemple tchadien livre en conséquence des enseignements et suggère des pistes pour renforcer l'efficacité de l'action extérieure de la France dans le domaine de la recherche pour le développement.

1. Une inflexion forte et bienvenue du soutien français, vers un partenariat plus équitable

La délégation se félicite d'avoir rencontré, au poste diplomatique de N'Djamena, des interlocuteurs français tout à fait conscients du « tournant » opéré par les Tchadiens en matière de recherche et de la « fenêtre d'opportunité » ouverte récemment pour renforcer les capacités de recherche tchadiennes.

La succession entre les deux principaux programmes français de soutien à la recherche au Tchad est à cet égard édifiante. Le programme 2004-2010 a échoué, faute d'avoir répondu à une demande authentique des partenaires tchadiens. Cet échec a eu au moins le mérite de conduire la partie française à négocier davantage en amont le nouveau programme consacré aux grands ensembles lacustres tchadiens (GELT). La délégation a pu vérifier auprès de ses interlocuteurs tchadiens que ce programme avait été effectivement coproduit avec les autorités nationales : sa rédaction même a fait l'objet d'une négociation, et il a été tenu compte de demandes très claires pour intégrer davantage d'étudiants tchadiens et insérer ce programme de recherche dans la stratégie nationale de renforcement des capacités.

Le projet GELT est bien mieux construit que son prédécesseur, pour les raisons suivantes, explicitées par le Poste diplomatique :

- il part de l'existant et se raccorde au seul centre national d'appui à la recherche (CNAR), plutôt qu'imaginer une nouvelle structure pour fédérer les institutions actuelles ;

- il mise sur une nouvelle génération de chercheurs et de cadres du développement, en impliquant les enseignant-chercheurs et les plus jeunes docteurs, plutôt que les chercheurs « institutionnels » qui ont prouvé leur faible motivation ;

- il confie l'outil de gestion de recherche (site web) au seul CNAR, qui est équipé et dont la vocation est précisément l'animation de la recherche tchadienne.

Cette inflexion tangible de la méthode, cependant, est fragile. En effet, outre la forte rotation chez les partenaires tchadiens 113 ( * ) , cette inflexion est menacée par la difficulté croissante de mobiliser des moyens pour la recherche côté français, aussi bien que par une pente naturelle conduisant les organismes français à vouloir capter la majeure partie de ces moyens. A cette aune, il ne faudrait pas que les instituts dédiés « remplacent » les universités françaises, mais bien qu'ils les suppléent - le partage des tâches n'étant pas toujours aisé à faire, alors qu'il est porteur de sens : l'autonomisation des universités du Sud passe par une coopération directe avec les universités françaises, plutôt que par l'intervention systématique des instituts dédiés en lieu et place des universités.

Dans ces conditions, et pour autant que la délégation ait pu en juger dans le cadre de son déplacement, ce projet GELT mérite une grande attention et un traitement prioritaire : il en va du renouvellement de la méthode d'action de la France au Tchad en matière de recherche pour le développement.

Notre pays a une position unique au Tchad parmi les pays du Nord, liée à l'usage du français et à notre rôle séculaire dans le pays, qui, s'agissant de la recherche, a perduré bien au-delà de l'indépendance ; mais la décennie passée montre combien, malgré de bonnes intentions, il est facile de passer à côté de la cible : même un programme bien défini « sur le papier », comme l'était le projet ARS2T 114 ( * ) , peut aboutir à des résultats inverses à ceux que l'on recherche - par exemple à conforter la captation d'indemnités pour la recherche, sans incidence aucune sur la recherche effective.

La condition évidente, mais qui n'a pas semblé toujours facile à tenir par la « diplomatie scientifique », c'est l'adhésion effective de la partie tchadienne aux projets de recherche : ils doivent à tout le moins servir les intérêts du pays tels que les autorités nationales perçoivent ces intérêts. Faute de quoi, la participation sera, au mieux formelle, au pire déviante, pour un résultat toujours décevant, qu'il n'est jamais facile d'avouer - le défaut d'évaluation du programme ARS2T est en lui-même édifiant - et qui peut laisser des traces durables sur la relation partenariale.

A cette aune, votre mission ne peut taire sa circonspection envers le déroulement de l'expertise collégiale sur l'avenir du Lac Tchad. Le caractère international de la démarche est bien sûr important, sa dimension politique est déterminante - sachant que les avancées politiques empruntent des voies souvent inattendues. Cependant, et pour autant que l'on puisse s'en faire une idée avec les documents écrits à ce jour, le « document stratégique » promis pour cet automne sera-t-il autre chose qu'une série de généralités déjà bien connues avant l'expertise ? C'est l'impression qui domine à la lecture du dernier document disponible (voir supra) : le texte se fait précis seulement pour suggérer de nouveaux diagnostics, appeler à de nouvelles évaluations et expertises, ou encore à « changer la communication sur le lac », autant de tâches dont les premiers exécutants pourraient fort bien être les experts internationaux eux-mêmes. De plus, des difficultés d'ordre politique pourraient apparaître prochainement, liées à ce que certains États auraient comme seul objectif dans cette démarche d'expertise, que l'accès à une cartographie détaillée du terrain - c'est ce qu'en ont dit certaines personnalités auditionnées, sans que votre mission puisse, on le comprend, confirmer ces dires. Dans ces conditions, les moyens consacrés à l'expertise collégiale ne seraient-ils pas plus utiles au renforcement du programme des bourses d'études pour les étudiants tchadiens, au renforcement des capacités ?

2. Des pistes pour renforcer la pertinence de l'action française en matière de recherche pour le développement

L'exemple tchadien montre combien il est impérieux, quoique difficile, de prendre en compte avec justesse et précision la demande formulée par le partenaire en matière de recherche pour le développement : la difficulté tient pour beaucoup aux retards des Tchadiens en matière de recherche, qui rendent plus expédient le recours à l'expertise rarement tchadienne ; mais il n'en reste pas moins indispensable de partir de la demande telle qu'elle est formulée par le partenaire, car c'est bien au pays « en développement » à définir sa voie de développement - ou bien l'aide au développement, a fortiori la recherche pour le développement, risque fort de passer à côté de la cible et d'entretenir des comportements ou des habitudes qui n'ont que peu à voir avec la recherche et le développement.

C'est donc le message qu'a retenu la délégation de son déplacement au Tchad : lorsque les institutions de recherche manquent chez le partenaire, il faut d'abord l'aider à en constituer, c'est une condition indispensable au développement du pays ; et cette priorité devrait servir de mètre-étalon, tant pour l'affectation des moyens que pour l'évaluation des résultats, ce qui n'interdit en rien aux partenaires du Nord que nous sommes de proposer aux pays du Sud, des recherches dont l'initiative nous appartient.

- Entendre la demande pour le renforcement des capacités. La première demande des chercheurs tchadiens - sinon la seule ? - est bien le renforcement des capacités de l'université tchadienne (pour s'en tenir au domaine de la recherche). La délégation a été frappée par la constance et par la force de cette demande.

Les responsables tchadiens que nous avons rencontrés, aussi bien que les chercheurs, sont parfaitement au fait des retards de l'université tchadienne au regard des standards internationaux. C'est le sens de l'inflexion forte donnée à la politique de la recherche et de la formation, avec le plan triennal de 4 milliards de francs CFA, l'objectif d'un doublement du corps enseignant d'ici 2016 et le programme d'élévation du niveau des enseignants actuels, coordonné par le CNAR. C'est également dans ce sens qu'il faut comprendre les efforts de la récente direction de la recherche au ministère tchadien de l'enseignement supérieur, pour définir une stratégie nationale de recherche et coordonner sur cette base l'ensemble des actions de recherche conduites sur le territoire national.

Un point important doit être précisé : certains de nos interlocuteurs tchadiens ont témoigné de ce que les institutions françaises de recherche - IRD, CIRAD, Universités - avaient pu conserver des habitudes anciennes d'une intervention directe, sans concertation avec les autorités tchadiennes de recherche, mais aussi que les recrutements de chercheurs tchadiens se feraient essentiellement sur des fonctions subalternes, alors que, même s'ils sont peu nombreux, des chercheurs tchadiens pourraient prétendre à mieux. Quelle que soit la réalité de ces assertions, que votre mission ne saurait établir, il est certain qu'elles portent préjudice au partenariat et que l'heure est bien à la recherche « avec le Sud », en l'occurrence avec les institutions de recherche du Tchad.

- Définir, avec les autorités tchadiennes, des règles pour renforcer les capacités . La délégation a trouvé au Tchad confirmation de ce qu'il vaut bien mieux, pour renforcer les capacités, coopérer avec les institutions de recherche du pays concerné, plutôt qu'avec des chercheurs pris isolément. Ce fait bien connu des spécialistes de l'éducation, n'est pas assez reconnu à une échelle plus large : trop souvent, la coopération est évaluée au nombre d'étudiants aidés ou au nombre de chercheurs associés aux projets conduits par des organismes extérieurs au pays, sans analyse sur le devenir des individus concernés (qui, bien souvent, sortent du système d'enseignement national, voire du pays) ni sur l'impact sur les institutions du pays (impact souvent insignifiant, les individus n'étant pas en capacité de changer leur institution). La coopération interinstitutionnelle, cependant, peut elle aussi pêcher par formalisme : on ne compte plus les accords interuniversitaires qui ne sont, dans les faits, que des coquilles vides et qui ne servent qu'à l'accueil d'étudiants... pris isolément. Les documents-cadres en cours d'élaboration au Tchad entre le CNAR et les grands organismes de recherche (IRD, Universités) sont d'une autre nature : ils définissent des règles d'autorisation et de saisine, en plaçant la partie tchadienne dans sa position réelle de décideur légitime des projets qui se déroulent sur le territoire national.

- Intégrer davantage d'étudiants et d'enseignants tchadiens aux programmes de recherche conduits au Tchad. La notion d'équipe mixte, qui prévaut dans le projet « GELT », paraît suffisamment acquise pour devenir une condition de toute recherche soutenue par les pouvoirs publics français. Votre mission n'insistera jamais assez sur le fait que l'intégration des étudiants et chercheurs tchadiens ne peut s'apprécier que très concrètement, dans la mise en oeuvre même des programmes de recherche. La simple citation du nom d'un chercheur dans une publication ne suffit pas, non plus que le recours à des équipes d'étudiants pour administrer les enquêtes de terrain : ce qui compte d'abord, c'est la formation des chercheurs du pays hôte, ce qui implique un suivi dans le temps - c'est le rôle des écoles doctorales. A cette aune, le programme GELT paraît bien mieux à même de renforcer les capacités tchadiennes, que la démarche d'expertise collective - qui, pour avoir fait quelques places à des chercheurs tchadiens, semble trop peu connectée à l'université tchadienne pour y laisser des traces.

- Renforcer le programme des bourses en les insérant systématiquement dans le programme de renforcement des capacités. Le nombre de bourses du Gouvernement français est en diminution, comme en atteste le tableau suivant 115 ( * ) :

Diplôme préparé

2011

2012

2013

Total

CAMES

1

1

Concours Agrégation

1

1

ENA

4

2

2

8

DES, DU, DIU spécialité médicale

5

3

5

13

DIP psychopathologie

1

1

Diplôme d'ingénieur statisticien

5

4

1

10

Diplôme d'inspecteur des douanes

2

1

1

4

Diplôme d'inspecteur des finances publiques

3

2

2

7

Doctorat

16

18

16

50

HDR

1

1

2

Licence

1

1

Master 1

2

4

2

8

Master 2

20

11

9

40

Total

57

47

42

146

En deux ans, le nombre total de bourses a reculé du quart et, si les bourses pour études doctorales sont stables - un effet de leur caractère pluriannuel ? -, celui des bourses pour masters recule de moitié.

Nos partenaires tchadiens ont unanimement regretté la diminution du nombre de bourses ouvertes aux étudiants et chercheurs tchadiens, soulignant que cette restriction arrivait à un moment où les besoins étaient plus forts et mieux organisés. Cette demande ne surprendra pas, mais elle mérite toute notre attention : car avec une quinzaine de bourses annuelles, la France ne joue pas le rôle qui pourrait être le sien - et qu'on espère d'elle - dans la région. Il y aurait une centaine de candidats par an, dont les dossiers qui parviennent au CNAR seraient « intéressants », selon le responsable de ce Centre ; or, les critères devenant plus sévères à mesure que le nombre de bourse diminue et que les universités françaises se font plus exigeantes, les étudiants et les chercheurs recalés se tournent plus souvent vers d'autres pays, en particulier les pays arabophones (Soudan, Egypte), au détriment de la francophonie qui recule rapidement dans le pays.

*

* *

À l'issue de ces déplacements en Inde et au Tchad, votre mission ne peut être tentée d'établir un comparatif entre ces deux pays du point de vue de leur partenariat de recherche avec la France. Leurs situations sont en effet aux antipodes l'une de l'autre, chacun se situant à une extrémité de la gamme de relations que la France a nouées au Sud sur le terrain de la recherche : le Tchad, qui a tout à construire, se concentre surtout sur la recherche finalisée en commun avec la France ; l'Inde, pour sa part, a déjà remonté la chaîne jusqu'à la recherche fondamentale et se trouve de fait en mesure d'établir avec la France une relation complémentaire, d'égal à égal.

Votre mission en conclut que la difficulté que rencontre la France à nouer un partenariat de recherche équilibré avec un pays du Sud apparaît inversement proportionnelle au degré de puissance de ce pays en matière de recherche. Il y a donc lieu de différencier l'action de coopération et de partenariats scientifiques en fonction du niveau de développement atteint par chaque pays du Sud.

CHAPITRE III : METTRE PLEINEMENT LA RECHERCHE PARTENARIALE AU SERVICE DU DÉVELOPPEMENT

Éclairée par les auditions qu'elle a menées à Paris ainsi que par les rencontres de chercheurs nationaux dans les pays qu'elle a visités, votre mission estime nécessaire de proposer des voies d'amélioration pour que la recherche que mène la France en partenariat avec les pays du Sud contribue de manière plus effective à leur développement.

Ces propositions s'inscrivent dans la réflexion en cours, à l'échelle nationale et mondiale. Au niveau mondial, une large concertation est engagée en vue de l'élaboration des nouveaux Objectifs de développement durable qui sont prévus pour succéder après 2015 aux Objectifs du millénaire pour le développement. En France, le Premier ministre a réuni, le 31 juillet 2013, le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID), en présence de 15 ministres concourant à la politique française de développement. Cette réunion du CICID, qui n'avait pas eu lieu depuis quatre ans, témoigne de la volonté du Gouvernement de donner de nouvelles orientations à la politique de développement de notre pays. Les décisions prises visent à rénover cette politique autour de quatre axes : d'une part, nos priorités géographiques et sectorielles ont été redéfinies et l'attribution des aides se fondera dorénavant sur des partenariats différenciés ; d'autre part, le Gouvernement entend renforcer la cohérence de la politique de développement avec les autres politiques publiques - notamment en ce qui concerne la promotion de l'égalité entre les hommes et les femmes et la responsabilité sociale et environnementale -, assurer une plus grande coordination de l'ensemble des acteurs du développement et améliorer l'efficacité, la redevabilité et la transparence de notre politique de développement.

Le relevé de décisions publié à la suite du CICID 116 ( * ) affirme la contribution éminente que la recherche apporte à notre dispositif d'aide au développement. Il appelle toutefois à améliorer la cohérence, la visibilité et l'accessibilité du dispositif français de recherche pour le développement.

C'est dans la même perspective que s'inscrivent les propositions de votre rapporteure destinées à faire de la recherche en partenariat un véritable levier de développement. A ses yeux, le premier impératif lui semble être d'ordre interne : l'action publique de la France doit gagner en cohérence dans l'optique de favoriser le développement du Sud par la recherche. Il convient ensuite de trouver les moyens d'améliorer nos partenariats de recherche avec le Sud, pour les rendre plus équilibrés et plus efficaces. Enfin, sur cette base renouvelée, la France pourrait mieux faire connaître son offre de recherche partenariale, à l'égard du Sud et auprès de ses partenaires bailleurs.

I. AMELIORER LA COHÉRENCE DE L'ACTION PUBLIQUE FRANÇAISE AU SERVICE DU DÉVELOPPEMENT PAR LA RECHERCHE

La première urgence consiste à revoir la place que la France veut donner, en interne, à sa recherche pour le développement. De ce point de vue, votre mission préconise de conforter la mission des opérateurs de recherche pour le développement et, dès lors, de rendre plus cohérentes nos politiques publiques.

A. CONFORTER LA MISSION DES OPÉRATEURS DE RECHERCHE POUR LE DÉVELOPPEMENT

Convaincue de la nécessité pour le Sud de se forger des capacités de recherche autonome pour assurer durablement son développement, votre mission estime que doit être reconnu le rôle que jouent nos opérateurs de recherche dédiés à cet égard.

1. Clarifier leur stratégie scientifique grâce à un comité de pilotage interministériel en liaison avec l'AFD

L'existence des institutions françaises dédiées à la recherche pour le développement, l'IRD et le Cirad, ne se justifie qu'à partir du moment où la spécificité de cette recherche est reconnue. Si elle ne l'était pas, pourquoi ne pas fusionner le Cirad et l'INRA ou l'IRD et le CNRS ?

La mission d'inspection concernant l'IRD a rendu son rapport en juin 2013 à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, au ministre des affaires étrangères et au ministre délégué chargé du développement. En prenant connaissance de ce rapport, votre rapporteure a pu constater le bilan globalement positif que l'ensemble des postes diplomatiques français dressaient des activités de l'IRD hors de France . Dans l'ensemble des pays concernés, l'IRD est reconnu, à la fois pour sa qualité scientifique pluridisciplinaire et pour sa présence sur le terrain dans la durée. Cette présence au Sud permet à l'IRD d'honorer sa mission, dont les principes fondateurs sont repris dans le contrat d'objectifs 2011-2015 : « promotion de la recherche au Sud, avec le Sud, pour le Sud » et assurent l'articulation entre les trois piliers de la connaissance - formation, recherche et innovation - au service du partenaire.

Même si cette appréciation globale, exprimée via notre réseau diplomatique, ne permet pas de mesurer la qualité de la relation partenariale nouée avec chaque pays du Sud, elle confirme que l'appareil français de coopération scientifique constitue un atout pour la France et répond à une attente des pays du Sud.

Votre mission souhaite faire mieux reconnaître à Paris cette appréciation positive, et, plus globalement, l'importance de la mission des opérateurs français de recherche pour le développement. Ceci implique de consolider l'identité de ces opérateurs et, dans ce but, de clarifier leur stratégie d'établissement respective.

Placés sous la tutelle conjointe des ministères de la recherche et des affaires étrangères, le Cirad, et plus encore l'IRD, sont partagés entre leur politique de site et leurs priorités scientifiques : comment éviter que la stratégie scientifique de l'établissement ne soit que l'agrégation des stratégies de chaque unité ? Comment raccorder les initiatives individuelles des chercheurs à des lignes communes à l'établissement entier ?

La confirmation du rôle des opérateurs de recherche dédiés passe donc par l'élaboration d'un schéma stratégique scientifique. Dans son rapport d'évaluation sur l'IRD en 2010, l'AERES pointait déjà « une insuffisance en matière de pilotage de la politique scientifique » : en réponse, l'IRD a adapté sa gouvernance, créé une direction générale à la science, déployé des programmes pilotes régionaux (PPR) pour mieux connecter ses domaines de recherche aux intérêts de développement des pays d'une région du Sud. Néanmoins, comme le souligne la mission d'inspection de l'IRD, les outils de pilotage global restent insuffisants : la politique « d'UMRisation » a accru la crédibilité scientifique de l'IRD et l'a rapproché des autres intituts de recherche mais elle fait courir le risque d'une dilution des moyens dédiés à la recherche partenariale avec le Sud dans des ensembles plus vastes ; en outre, au sein de l'IRD, l'approche par thématiques scientifiques est portée par la direction générale à la science, qui regroupe trois départements scientifiques de taille hétérogène 117 ( * ) , tandis que l'approche géographique est placée sous la responsabilité d'une mission générale pour la stratégie et le partenariat (MG2P), créée en 2010 et directement raccordée au président qui se trouve ainsi seul responsable de la cohérence d'ensemble.

Il convient en effet d'articuler la vision géographique et la vision scientifique/thématique de l'action des opérateurs de recherche partenariale : si la stratégie scientifique incline naturellement à renforcer les domaines d'excellence de l'IRD, la démarche partenariale appelle à explorer des thématiques co-construites avec les pays du Sud et pouvant être nouvelles. Notre politique étrangère a, en outre, ses impératifs en termes de zones d'action prioritaire ; elle a également intérêt à arrimer les thématiques de recherche de nos instituts de recherche pour le développement à l'agenda international pour étayer les positions françaises, par exemple au G20. Comment répartir l'effort au mieux, notamment au sein de l'IRD et du Cirad, pour faire concorder partenariat, géostratégie et excellence scientifique ? Comment maintenir dans la durée (par l'expatriation ou les missions de longue durée) la présence de chercheurs français dans les pays du Sud, tout en assurant une forme de réactivité aux besoins du Sud ?

C'est l'objet de la double tutelle des opérateurs que de résoudre ces dilemmes et d'assurer la cohérence globale.

Les deux ministères doivent pour cela trouver les moyens de mieux se coordonner. Le CICID, qui se réunit de manière irrégulière 118 ( * ) , ne paraît pas l'enceinte adaptée pour un dialogue soutenu et spécifique sur les opérateurs dédiés à la recherche pour le développement : c'est pourquoi votre mission propose de créer un comité de coordination ad hoc , réunissant de manière régulière 119 ( * ) le ministère des affaires étrangères et celui de l'enseignement supérieur et de la recherche pour un pilotage plus serré des opérateurs .

Votre mission propose d'adjoindre à ce comité de coordination, à titre d'observateur, l'Agence française de développement qui est aux avant-postes de notre politique de coopération et dont les opérationnels sont bien placés pour faire remonter les questions de recherche les plus adaptées aux pays où se déploie l'action de l'AFD. Comme le disait à votre mission M. Alain Henry, directeur de son département recherche : « l'AFD a un rôle stratégique vis-à-vis de la recherche : notre rôle, c'est de poser aux chercheurs les bonnes questions - et il n'y a pas de bonnes recherches sans bonnes questions . »

Il n'est pas sûr que le rapprochement physique de l'IRD et de l'AFD au sein d'une cité de la coopération internationale et du développement, projetée à Marseille, suffise à faciliter le dialogue entre l'AFD et la recherche pour le développement.

L'AFD, en la personne de son directeur de la stratégie, est présente au sein du conseil d'administration de l'IRD ; de même, son contrat d'objectifs et de moyens lui recommande de se rapprocher des établissements dédiés à la recherche pour le développement : « L'activité de production intellectuelle de l'AFD se fera en synergie la plus forte possible avec les autres acteurs français de la recherche sur le développement (IRD, Cirad) dans le but de mutualiser et de maîtriser les moyens consacrés à ces activités, conformément aux conclusions du comité de suivi de la RGPP. » Le contrat prévoit même à cette fin qu'un comité de coordination se réunisse au moins une fois par an en présence des membres du co-secrétariat du CICID pour débattre des grandes orientations du plan de recherche de l'Agence, et d'une programmation pluriannuelle indicative, incluant d'éventuels programmes conjoints d'études.

En parallèle de ses activités opérationnelles, l'AFD développe effectivement une activité de production de connaissances et de conseil ; son département recherche a un rôle d'animation et de production de recherches qu'il soumet à divers centres de recherche : lors de son audition par votre mission, M. Alain Henry, qui dirige ce département recherche de l'AFD, a indiqué que l'AFD sollicitait pour des travaux d'études et de recherches l'IRD, le Cirad mais aussi le Centre d'études et de recherches sur le développement international (CERDI), l'Institut français des relations internationales (IFRI), des universités internationales (britanniques, hollandaises, américaines et égyptienne), des centres de recherches du Sud, comme le Forum euro-méditerranéen des instituts en sciences économiques (FEMISE) ou, au Niger, le Laboratoire d'études et de recherches sur les dynamiques sociales et le développement local (LASDEL), l'Académie des sciences sociales au Vietnam...

De l'avis général des personnes que votre mission a entendues, la collaboration entre les instituts français de recherche pour le développement et l'AFD est insuffisante ; et votre mission n'a entendu parler d'aucune réunion du comité de coordination prévu par le contrat d'objectifs et de moyens, et encore moins de programmation conjointe de recherche entre l'AFD, l'IRD et le Cirad.

Dans les pays du Sud qui ne font pas partie des 17 pays pauvres prioritaires et qui, comme le Cameroun, ont atteint le point d'achèvement de l'initiative Pays pauvres très endettés (PPTE) 120 ( * ) , ce sont les contrats de désendettement et de développement (C2D) , permettant au pays bénéficiaire d'utiliser les sommes libérées suite à l'annulation de la dette pour financer des projets de développement, qui constituent, de facto , la stratégie française de coopération au développement de ces pays : il est regrettable que ces documents négociés par l'AFD coexistent avec d'autres documents stratégiques émanant des autres institutions du dispositif français, et notamment des instituts français de recherche, sans qu'aucun lien ne soit établi entre eux.

De même , votre mission déplore que, lors de l'élaboration du document cadre de partenariat (DCP) , qui fixe les priorités de l'action française de coopération mais n'est plus obligatoire 121 ( * ) que dans chacun des 17 pays pauvres prioritaires, le MAEE n'implique pas suffisamment les institutions de recherche pour le développement. C'est d'autant plus regrettable que l'élaboration de ce DCP obéit à un processus partenarial pour prendre en compte les réalités du pays partenaire et aligner le DCP sur la stratégie nationale de ce pays, processus susceptible de mieux ajuster l'offre française de partenariats de recherche aux besoins du pays considéré.

Il convient donc d'organiser le dialogue entre l'AFD et les opérateurs dédiés à la recherche en partenariat pour envisager une programmation commune en amont avec les pays du Sud, améliorer ainsi l'efficacité des stratégies de développement et faciliter l'élaboration d'une réponse française commune aux appels d'offres internationaux. Comment comprendre que le projet de la Banque Mondiale de créer des centres d'excellence en Afrique ne trouve pas de réponse française ? Mme Marion Guillou, présidente d'Agreenium, a effectivement indiqué à votre mission que l'AFD, vers laquelle s'est tournée la Banque Mondiale, a décliné cette offre qui dépassait sa fonction de bailleur de fonds. Votre mission ne peut que regretter que, du fait d'un défaut de dialogue entre acteurs français du développement, ces nouveaux centres d'excellence en Afrique partent vers d'autres universités africaines que nos partenaires alors que, comme le faisait observer Mme Guillou, « 85 % des francophones du monde seront africains en 2050 et tout le système d'enseignement-recherche africain est à rétablir ».

Pour intégrer effectivement la dimension recherche dans notre politique de coopération, votre mission propose donc d'inviter l'AFD comme observateur au comité de pilotage ministériel de la recherche pour le développement. Symétriquement, elle préconise de prévoir une présence de l'IRD au conseil d'administration de l'AFD . Ce conseil comprend 17 membres : outre les 12 membres représentants l'État, le Parlement et le personnel de l'agence, siègent à ce conseil cinq personnalités qualifiées : quatre en raison de leur connaissance des problèmes économiques et financiers, et une en raison de sa connaissance de l'écologie et du développement durable. Y adjoindre une sixième personnalité susceptible d'apporter sa connaissance de la recherche pour le développement pourrait être fructueux pour amener l'AFD à mieux tenir compte de cette dimension dans les contrats partenariaux qu'elle négocie au nom de la France avec les pays du Sud.

Il est temps de sortir du « Yalta » opéré entre le MAE et l'AFD, confiant les actions de recherche au MAEE et les tenant de ce fait trop souvent à l'écart de la politique de coopération bilatérale que mène la France au Sud . L'OCDE en suggère d'ailleurs la nécessité : dans son examen consacré à la France en 2013, le Comité d'aide au développement (CAD) de l'OCDE pointe l'absence de stratégie de la France en matière de renforcement des capacités, alors que notre pays finance de nombreux acteurs et actions en ce domaine. Évoquant le projet cadre d'intervention transversale de l'AFD en matière de renforcement des capacités qui sera présenté prochainement au conseil d'administration de l'agence , le CAD de l'OCDE propose d'élargir cette initiative aux autres acteurs de la coopération française : les opérateurs de la recherche pour le développement doivent y tenir leur juste place.

Votre rapporteure soutient donc la nécessité de clarifier la stratégie scientifique des opérateurs de recherche pour le développement et d'organiser leur connexion à l'AFD, acteur-pivot de la politique française de développement.

2. Confier à l'ANR la programmation et le financement direct de la recherche avec le Sud

Le rapprochement entre les opérateurs de recherche pour le développement et la convergence de leur programmation n'ont pu être réalisés par l'agence inter-établissements, pour les raisons déjà exposées plus haut. Puisqu'il est établi que la situation actuelle de l'AIRD n'est pas tenable, il convient d'en tirer les conclusions.

Votre mission estime en effet que le projet de transformer l'IRD en agence de financement dédiée à la recherche pour le développement a fait long feu. Elle plaide au contraire pour une reconnaissance de l'IRD comme opérateur de recherche efficace et utile. Elle juge en outre que, du fait du contexte budgétaire français mais aussi de l'éclaircissement en cours du paysage national de la recherche, le moment n'est pas propice pour créer une nouvelle entité qui serait dédiée au financement de la recherche pour le développement. Elle observe aussi que, de toute façon, une telle entité n'aurait pas le monopole du financement de la recherche avec le Sud, puisqu'en 2012, l'ANRS, agence autonome au sein de l'INSERM, a consacré 13,5 millions d'euros, soit le tiers de son budget à la recherche au Sud, essentiellement sur le sida et les hépatites virales.

Considérant la montée en puissance de l'ANR et la crédibilité qu'elle a acquise dans sa fonction de financement de la recherche, votre mission propose de lui confier la fonction de programmation et de financement de la recherche au Sud . La recherche pour le développement se trouverait ainsi raccordée à la stratégie nationale de la recherche.

L'AGENCE NATIONALE DE LA RECHERCHE

Créée en 2005, sous la forme d'un groupement d'intérêt public (GIP), l'Agence nationale de la recherche (ANR) est devenue un établissement public administratif au 1er janvier 2007, selon les dispositions de la loi de programme pour la recherche.

Elle a pour principales missions de financer et de promouvoir le développement des recherches fondamentales, appliquées et finalisées, l'innovation et le transfert technologique, ainsi que le partenariat entre le secteur public et le secteur privé. Son principal mode d'action est le lancement d'appels à projets auprès des équipes de recherche et la sélection des lauréats sur la base de critères d'excellence scientifique.

Source : Le financement public de la recherche, un enjeu national , rapport de la Cour des comptes, juin 2013 .

L'ANR n'est aujourd'hui pas étrangère à cette activité : Mme Pascale Briand, directrice générale, a indiqué à votre mission que l'agence avait soutenu financièrement, sur la période 2005-2011, 70 projets associant des équipes des pays du Sud, ce qui représente environ 5 % des projets internationaux de l'ANR pour un montant de 28 millions d'euros 122 ( * ) .

Pour ces interventions en matière de collaborations internationales, l'ANR travaille à la construction des appels à projets avec ses homologues étrangères, chacune de ces agences finançant les équipes de recherche de son pays. L'AIRD procède différemment : elle délègue la gestion d'une partie de ses programmes à des équipes à l'étranger. Les deux agences ont déjà été amenées à travailler ensemble, notamment lorsqu'il n'existe pas d'agence de financement à l'étranger. L'ANR finance les équipes françaises et l'AIRD celles du Sud (grâce à son réseau de régies locales) pour les projets partenariaux sélectionnés. Mme Briand indique que ce sont plus de 110 équipes africaines qui ont été ainsi partenaires de projets soutenus par l'ANR, sur la période 2005-2011.

L'ANR, déjà familière du financement de la recherche partenariale avec les Sud, présente aussi l'avantage de travailler avec des institutions du Sud (les agences de recherche, quand elles existent) qui sont à même d'engager leur pays : dans ces conditions, la programmation de la recherche avec le Sud par l'ANR serait plus efficace que celle menée par l'AIRD, où le Sud est aussi représenté (au Conseil d'orientation) mais par des personnalités qui ne sont pas habilitées à engager leur pays.

Pour que l'ANR puisse assumer cette fonction, le cadre juridique de son activité devra être adapté pour l'autoriser à financer directement les équipes de recherche des pays du Sud collaborant avec des équipes Nord sur les projets de recherche sélectionnés. Il conviendra aussi d'organiser la participation des institutions de recherche pour le développement et de l'AFD à la mission de programmation de la recherche en partenariat avec le Sud pour assurer une cohérence d'ensemble. À cet effet, une formation « Sud » du conseil d'administration de l'ANR incluant des représentants de l'AFD et des établissements de recherche pour le développement pourrait s'envisager.

Outre cet aménagement des règles applicables à l'ANR, la solution préconisée implique de dédier une ligne de crédits de l'ANR adaptée au financement de ces projets avec le Sud (qui se déploient sur une durée longue pouvant atteindre dix ans 123 ( * ) et se caractérisent par leur caractère interdisciplinaire) et d'y consacrer une dotation assez conséquente pour faire effet de levier et attirer des financements extérieurs : sans une telle sanctuarisation, les moyens qui manquaient à l'AIRD manqueront aussi à l'ANR, qui s'évertue déjà à préserver sa dotation budgétaire. Selon le rapport d'inspection sur l'IRD, une dotation de 10 millions d'euros suffirait à donner un élan aux projets de recherche partenariale avec le Sud; ce montant, supérieur aux engagements actuels de l'AIRD, reste très modeste par rapport aux montants de l'APD, et notamment quand on le compare par exemple à la seule contribution française au fonds mondial de lutte contre le sida (360 millions d'euros en 2013). Une ponction de 10 millions sur cette contribution française ne représenterait qu'une diminution de 2,77 % de cette contribution, alors même que la France demeure le premier donateur européen du Fonds mondial et le deuxième sur le plan international : le cumul des sommes versées par la France à ce fonds depuis sa création en 2002 atteint ainsi 2,6 milliards d'euros.

On peut aussi observer que l'AFD dispose d'un budget de 5 millions d'euros pour commander des travaux de recherche : lors de son audition par votre mission, M. Alain Henry, directeur du département recherche de l'AFD, a jugé maigre cette enveloppe. Elle représenterait pourtant la moitié du montant susceptible de donner un nouvel élan à la recherche en partenariat avec le Sud.

Parallèlement à cette réforme de l'ANR pour permettre le financement direct des centres de recherche du Sud partenaires des équipes françaises, votre mission insiste sur la nécessité de réintégrer dans l'IRD les personnels transférés à l'AIRD ainsi que la dotation initiale qu'il avait consentie à l'agence par ponction sur son propre budget, afin de lui rendre les moyens d'action dont il disposait avant la création de l'AIRD .

3. Adapter les critères d'évaluation scientifique de la recherche partenariale avec le Sud pour valoriser sa contribution au développement

La recherche pour le développement est reconnue comme une recherche de qualité à l'aune des standards internationaux. Mais cela dit-il quelque chose de son impact sur le développement du Sud ? L'évaluation scientifique des organismes de recherche valorise-t-elle leur contribution effective au développement ?

Outre les évaluations internes qu'ils organisent, les établissements dédiés à cette recherche sont fréquemment évalués par de multiples institutions. Leurs dispositifs et projets font l'objet d'évaluations croisées de la part des bailleurs de fonds ou des pays partenaires.

Surtout, comme tout organisme de recherche, les deux opérateurs dédiés à la recherche pour le développement, le Cirad et l'IRD, ainsi que leurs unités de recherche font en France l'objet d'une évaluation par l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES) 124 ( * ) , autorité administrative indépendante créée en 2007. De ce point de vue, la recherche de l'IRD est très bien évaluée : plus de 85 % de ses unités de recherche ont reçu une note A ou A+ de l'AERES.

Comme l'a expliqué à votre mission M. Didier Houssin, président de l'AERES, l'Agence tient compte autant que possible des spécificités engendrées par le mandat des instituts dédiés à la recherche pour le développement, mais il lui est difficile d'évaluer l'impact de la recherche sur le développement du Sud. Le nouveau référentiel d'évaluation qu'utilise l'AERES depuis mai 2012 comprend six critères dont deux peuvent concerner plus spécifiquement le groupe des organismes de recherche finalisée (EREFIN) 125 ( * ) : le critère 3, qui porte sur la qualité des interactions avec l'environnement social, économique et culturel, et tente de mesurer en quoi la recherche contribue au processus d'innovation; et le critère 5 qui analyse l'implication de l'entité évaluée dans la formation par la recherche en master et doctorat. Les autres critères d'évaluation sur lesquels s'appuie le travail d'expertise de l'AERES sont la production et la qualité scientifiques, le rayonnement et l'attractivité académiques, l'organisation et la vie de l'entité, la stratégie et le projet à cinq ans.

Néanmoins, les critères internationaux de la bonne recherche (tels le nombre de publications dans des revues scientifiques à comité de lecture) restent prégnants et incitent les chercheurs à privilégier la recherche fondamentale plutôt que la recherche finalisée . Le président de l'AERES a cité l'exemple d'une recherche confiée à l'INRA pour déterminer quelle culture pourrait être retenue aux Antilles pour limiter l'impact sanitaire du chlordécone : il a observé qu'il s'agissait d'une question très importante pour le lieu considéré, mais que la recherche destinée à y répondre n'était pas de celles que mettent en avant les meilleures revues scientifiques.

L'IRD dispose déjà de ses propres indicateurs relatifs au développement autonome de la recherche au Sud : nombre de copublications, de docteurs formés... Le Document de politique transversale 2013 retient lui aussi l'indicateur de la part des copublications pour mesurer les résultats de la recherche pour le développement. Mais le Comité d'aide au développement (CAD) de l'OCDE souligne, dans son récent examen de la politique française de coopération au développement 126 ( * ) , que cet indicateur ne permet pas de rendre pleinement compte de l'impact des programmes sur la capacité scientifique et le développement des pays du Sud. L'IRD reconnaît lui-même que la mesure précise de l'impact de la recherche pour le développement reste difficile à terme puisque de multiples influences, dont l'instabilité économique ou politique, affectent le monde de la recherche dans les pays du Sud.

Votre mission estime donc nécessaire de reconsidérer les critères d'évaluation de la recherche pour le développement pour mieux prendre compte ses spécificités et son impact réel sur le développement, qui constitue sa finalité ultime . Si l'on s'accorde à reconnaître que l'objectif de la recherche pour le développement est de valoriser le renforcement des capacités au Sud, il importerait de mesurer ce « capacity building » par des indicateurs plus adaptés : l'insertion des docteurs originaires des pays du Sud dans les réseaux internationaux de recherche, la qualité des relations entre les organismes de recherche présents au Sud et les milieux socio-économiques, les activités de formation mais plus encore de renforcement institutionnel du partenaire par structuration de son appareil d'enseignement supérieur et de recherche, la valorisation de la recherche grâce à son appropriation par les décideurs publics ou par les acteurs économiques ou sociaux, la part de brevets déposés en copropriété avec le partenaire...

Si l'observation de tels indicateurs permettrait de progresser dans la mesure de l'impact de la recherche pour le développement, votre mission est bien consciente du fait qu'il restera toujours difficile de quantifier les résultats de recherche qui ont eu un impact direct sur les politiques publiques d'un pays ou sur des procédés technologiques utiles au Sud, tant le processus de décision ou d'innovation dans tout pays est complexe et rarement linéaire.

Surtout, elle juge que cette évaluation scientifique au Nord doit se doubler d'une évaluation des projets de recherche menés au Sud par les populations qui en sont les destinataires. Ce point, qui participe de l'amélioration de la mise en oeuvre effective de nos partenariats de recherche avec les pays du Sud, sera développé plus loin.

4. Engager une concertation entre partenaires sociaux afin de favoriser la mobilité des chercheurs français vers le Sud

Dès lors que l'on reconnaît la présence durable au Sud des opérateurs de recherche pour le développement comme essentielle à leur mission, il convient de trouver les moyens de favoriser la mobilité des chercheurs français vers le Sud.

Aujourd'hui, les agents de l'IRD ou du Cirad qui sont dans les pays du Sud relèvent soit du régime de l'expatriation, défini par un décret de 1967 127 ( * ) , soit de celui des missions de longue durée (limitées à quelques mois). Dans le contexte budgétaire actuel, de nombreuses voix s'élèvent pour dénoncer le coût de l'expatriation pour les finances publiques 128 ( * ) , mais aussi son manque de flexibilité, ce qui peut entraîner un décalage avec les besoins effectifs du pays hôte. Les missions de longue durée, plus courtes que les expatriations et inadaptées pour des projets de recherche nécessitant plusieurs années, ne peuvent s'y substituer, d'autant qu'elles soulèvent des difficultés pour la vie privée des agents, lesquels ne peuvent installer leur famille avec eux pour quelques mois dans le pays partenaire.

Le rapport des inspecteurs sur l'IRD indique que, sur les 2 176 agents que compte l'IRD, près de 40 % d'entre eux sont expatriés « pour des durées de deux à quatre ans afin de mener leurs travaux de recherche et contribuer au renforcement des compétences des pays d'accueil ». Le même rapport précise plus loin que « les durées d'expatriation varient en moyenne entre quatre et cinq ans, mais peuvent aller jusqu'à neuf ans. »

Les antennes de l'IRD hors de France reposent donc sur un nombre important de chercheurs expatriés, souvent pour une durée assez longue. Votre mission ne méconnaît pas l'atout que représente la présence sur le terrain dans la durée, spécialement dans le domaine de la recherche où les projets nécessitent du temps ; c'est précisément pour cela qu'elle se soucie de la faciliter et d'en assurer la soutenabilité financière.

Les inspecteurs de l'IRD suggèrent de limiter effectivement la durée des expatriations à quatre ans, de réduire le nombre d'expatriés, ou de faire évoluer leurs modalités de rémunération.

Votre mission suggère d'aller au-delà de ce raisonnement strictement quantitatif et d'élargir le débat : elle propose d'engager une concertation entre les partenaires sociaux autour de la création d'un nouveau statut de chercheur au Sud, entre les missions de longue durée et l'expatriation classique . Ce statut pourrait être proposé aux chercheurs, en fonction des besoins et des projets de partenariat. Il faciliterait les allers-retours de chercheurs entre la France et le Sud et leur donnerait l'occasion de se confronter régulièrement avec la communauté scientifique ; il contribuerait aussi, en favorisant la mobilité, à une plus grande diversité des chercheurs français au Sud, et notamment à une présence accrue au Sud de jeunes chercheurs et de chercheuses.

Si les organismes de recherche pour le développement peuvent s'appuyer sur une stratégie clarifiée, développer leurs synergies avec l'AFD, trouver un financement auprès de l'ANR et pérenniser leur présence au Sud, leur mission sera confortée.

Il convient, en conséquence, d'assurer la cohérence des politiques publiques, celles menées par les acteurs du développement comme celles qui interfèrent à la marge avec la recherche pour le développement.

B. RENDRE PLUS COHÉRENTES NOS POLITIQUES PUBLIQUES EN CONSÉQUENCE

1. Renforcer le dialogue entre acteurs du développement: le futur Conseil national du développement et de la solidarité internationale (CNDSI)

Si une meilleure connexion entre les ministères de tutelle, l'AFD et les opérateurs de recherche devrait permettre de donner à la dimension partenariale la place qui lui revient dans la politique de coopération, il importe de faire partager cette inflexion à l'ensemble du Gouvernement et de la société civile.

Conformément à la volonté du Président de la République d'ouvrir la politique de développement à la société civile, le Gouvernement, lors du CICID du 31 juillet 2013, a décidé la création du Conseil National du Développement et de la Solidarité Internationale (CNDSI). Ce conseil est chargé de maintenir de manière souple une concertation régulière entre l'État, les élus et l'ensemble des parties prenantes du développement, notamment les ONG. Ce lieu de dialogue politique, que votre mission conçoit comme un instrument de veille (pour le présent) et une boîte à idées (pour l'avenir), doit permettre de débattre des orientations de la politique française de développement et d'assurer la cohérence des politiques publiques en matière de développement.

Selon les informations recueillies par votre rapporteure, le CNDSI pourrait être composé d'une cinquantaine de membres répartis entre huit collèges représentant les grandes familles d'acteurs impliqués dans la politique française de développement : l'administration (dans une composition interministérielle 129 ( * ) ), les ONG, les acteurs économiques, les partenaires sociaux, les collectivités internationales, les parlementaires mais aussi la recherche. Le huitième collège (International) serait composé d'un membre de chacun des sept autres.

Le CNDSI sera présidé par le Ministre en charge du développement, ce qui permettra d'assurer la prise en compte de ses travaux dans l'action gouvernementale. Ce n'était pas le cas dans l'ancienne enceinte de consultation de la société civile, le Haut Conseil de la Coopération Internationale (HCCI) créé en 1999 et dissous en 2008, victime de sa structure trop rigide et trop lourde 130 ( * ) et de son fonctionnement coûteux. Économe en moyens, le CNDSI verra son secrétariat assuré par la Direction générale de la mondialisation du MAEE, en lien étroit avec le co-secrétariat du CICID, qui constitue l'ossature ministérielle du CNDSI.

La création du CNDSI s'accompagne de la suppression du Conseil stratégique pour la coopération non gouvernementale.

Votre mission se félicite de la prochaine constitution de ce Conseil, tant elle juge importants le dialogue et la concertation dans l'élaboration et la mise en oeuvre de la politique de développement . Elle insiste sur la nécessité d'y donner un écho réel aux enjeux de la recherche pour le développement. Plutôt que d'alourdir la composition du CNDSI à cette fin, elle propose de veiller à réunir régulièrement le groupe thématique qui sera consacré à la recherche : cette concertation sur le thème de la recherche permettra notamment d'orienter et de mieux coordonner la projection au Sud des cinq alliances nationales de recherche thématiques 131 ( * ) . M. André Syrota, président d'Aviesan, a en effet insisté auprès de votre mission sur la nécessité de connecter la politique du ministère des affaires étrangères et les projets des alliances.

Une bonne circulation verticale devra ensuite garantir que les débats au sein du CNDSI seront effectivement alimentés par les remontées provenant de cet espace de concertation thématique consacré à la recherche.

2. Faciliter la mobilité des chercheurs par une adaptation de la politique des visas

La mobilité des chercheurs et étudiants conditionne la vitalité des partenariats de recherche. Les difficultés mises au jour dans l'octroi des visas doivent donc amener à réfléchir aux conditions d'une meilleure offre de visas pour les étudiants et chercheurs étrangers.

Le nouveau gouvernement a compris la nécessité de restaurer la confiance en abrogeant la circulaire Guéant qui avait suscité de nombreuses difficultés pour les étudiants et les chercheurs. Parce que les étudiants et les chercheurs étrangers sont une richesse et une opportunité, les mobilités créent des partenariats utiles au développement de nos partenaires comme de nos échanges extérieurs.

De nombreux efforts restent à faire pour simplifier la chaîne d'accueil et encourager la dématérialisation et la simplification des procédures d'inscription et de délivrance des visas et, en particulier, des titres de séjour valables pour toute la scolarité.

Lors du récent débat sur le projet de loi relatif à l'enseignement supérieur et à la recherche, le Sénat , à l'initiative du rapporteur de sa commission de la culture, de l'éducation et de la communication, a adopté une série de dispositions reprenant la proposition de loi relative à l'attractivité universitaire, déposée en février 2013 , et modifiant le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour faciliter l'accueil des étudiants étrangers et l'insertion professionnelle des étrangers diplômés par notre système d'enseignement supérieur.

Les modifications apportées au code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) visaient à favoriser les conditions d'exercice des premières années d'expérience professionnelle - expérience qualifiante - pour les étrangers tout juste diplômés d'un établissement d'enseignement supérieur français, mais aussi à sécuriser la situation des étudiants étrangers en France et limiter les démarches administratives, souvent vexatoires, qui les épuisent et les précarisent tout en encombrant inutilement les services préfectoraux.

Ainsi, l'étudiant étranger qui aurait accompli une année d'études en France obtiendrait un titre de séjour pluriannuel : d'une durée de trois ans s'il prépare un diplôme équivalent à la licence ; de deux ans pour le master ; d'une durée de quatre ans pour un diplôme de doctorat. Cette disposition était jusqu'ici à la discrétion des services préfectoraux ; elle deviendrait de plein droit.

Pour prévenir la fuite des cerveaux, le Sénat avait prévu un droit illimité au séjour en France pour tout diplômé d'un doctorat obtenu en France auquel la carte « Compétences et talents » serait délivrée sur demande. Cette disposition permettrait de favoriser les échanges entre les pays d'origine et la France et de développer une coopération économique continue, enrichissante, sans pillage des cerveaux des pays du Sud.

Adopté contre l'avis du Gouvernement, ce dispositif a été remplacé en commission mixte paritaire par un dispositif transitoire plus restrictif qui poursuit les mêmes objectifs : maintien de l'ouverture du marché du travail par la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour, suppression des entraves à l'accès du marché du travail, doublement de la durée de l'autorisation provisoire de séjour. Ce texte a été définitivement adopté dans la loi relative à l'enseignement supérieur et à la recherche n° 2013-660 du 22 juillet 2013.

Le Gouvernement a en effet souhaité traiter cette question dans le cadre plus général d'un projet de loi sur l'immigration : « un projet de loi spécifique visant à renforcer l'attractivité de notre pays et à permettre au ministère de l'intérieur de proposer des visas pluriannuels, calqués sur la durée des études et intégrant, comme pour les bourses, une année supplémentaire » selon les termes de Mme Fioraso, ministre de la recherche.

« Nous mettrons également en place un statut spécifique pour les personnes qui ont obtenu leur doctorat en France. Nous songeons à un droit de visite permanent. En effet, qu'ils choisissent de retourner dans leur pays d'origine ou de mener une carrière internationale, ces experts garderont toute leur vie un lien très étroit avec la France et seront ses meilleurs ambassadeurs. », a-t-elle indiqué lors du débat.

Votre mission ne peut que se féliciter de ces initiatives et espère vivement que le projet de loi viendra bientôt remettre en cohérence notre politique des visas avec notre politique en matière de recherche partenariale en reprenant l'essentiel des dispositions adoptées au Sénat en mai dernier .

Elle relève aussi avec satisfaction que l'Union européenne pourrait contribuer à faciliter la mobilité des étudiants et chercheurs : la Commission européenne a en effet proposé en mars 2013 une directive 132 ( * ) destinée à harmoniser et simplifier les conditions d'entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers à des fins de recherche ou d'études. Ce texte, auquel votre mission est naturellement favorable, est en cours de négociation entre le Parlement européen et le Conseil.

3. Responsabiliser les chercheurs dans la mise en application de la PPST pour concilier impératifs de sécurité et recherche partenariale

Il importe de regagner la confiance du monde de la recherche, inquiet des nouvelles règles de protection du potentiel scientifique et technique de la nation, sans quoi le nouveau dispositif sera inappliqué ou contourné et perdra sa crédibilité.

Un premier élément de confiance tient à la rapidité de la réponse du haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS) aux demandes d'avis qui lui sont adressées. Certes, tout avis sur une demande d'autorisation d'accès aux zones à régime restrictif (ZRR), qui est contraignant, sera rendu sous deux mois, l'avis étant réputé favorable passé ce délai. Mais ce délai est bien long : selon M. Gasnot, fonctionnaire de sécurité de défense du CNRS, ce délai n'est que d'un mois en Allemagne. Il risque d'entraver le recrutement par la France des meilleurs scientifiques en provenance du monde entier, alors même que le bassin de recrutement de chercheurs français s'amenuise. De même, le délai de trois mois prévu pour rendre un avis sur tout projet de coopération scientifique internationale risque d'entamer la compétitivité de nos équipes scientifiques lors des appels à projets. Un effort important doit donc être consenti pour raccourcir ces délais et ne pas pénaliser la recherche française en partenariat .

Une deuxième voie de progrès consisterait à prévoir la mise en place d'une instance d'appel que les laboratoires pourraient saisir quand un refus (non motivé) leur est opposé.

Un troisième impératif est de progresser vers une harmonisation européenne des règles en matière de protection du potentiel scientifique et technique : il est incompréhensible que des chercheurs étrangers que le HFDS refuse d'accueillir dans des laboratoires français soient reçus sans difficultés par nos voisins européens.

Il est certain que toute coopération scientifique entraîne des risques de fuite d'informations. Les chercheurs n'ignorent pas ces risques; surtout, ils estiment que la prise de risques mesurés est plus profitable à terme qu'une application trop stricte de la PPST qui entraverait excessivement les partenariats de recherche et priverait finalement la recherche française du bénéfice qu'elle tire de ses collaborations avec l'étranger. M. Claude Kirchner, Délégué général à la recherche et au transfert pour l'innovation d'INRIA, a ainsi fait observer à votre rapporteure que plus de la moitié des étudiants effectuant leur thèse à l'INRIA sont étrangers et que se couper de leurs compétences serait très préjudiciable à l'établissement et incohérent avec sa politique scientifique. Il a souligné l'importance des relations qui se nouaient lors de l'accueil d'étudiants étrangers, évoquant l'exemple du Chili avec lequel l'INRIA a développé une forte collaboration (du big data jusqu'à l'astronomie), facilitée par la tradition de formation en France des scientifiques chiliens.

Pour parvenir à trouver le bon réglage, votre mission préconise enfin de miser sur le dialogue au sein de chaque unité de recherche, entre le fonctionnaire responsable de défense et de sécurité, la hiérarchie du laboratoire et les chercheurs qui travaillent dans l'unité. Pour concilier impératifs de sécurité et recherche partenariale, il convient d'adopter une approche pragmatique pour ne pas nuire à l'attractivité de notre pays et au dynamisme de nos partenariats de recherche . À cet égard, votre mission soutient la demande qu'ont adressée les présidents d'INRIA, du CNRS, de l'INRA, de l'INSERM et du CEA à la Ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, Mme Fioraso: mettre en place un groupe de travail réunissant le HFDS et les personnes en charge de ces questions dans ces établissements de recherche . En effet, ce n'est que dans un climat de confiance que les chercheurs pourront se responsabiliser et internaliser progressivement la PPST au stade même du montage de projets.

Au-delà de ce réaménagement interne de l'ensemble de notre action publique, et une fois confortée la mission des opérateurs de recherche pour le développement, votre mission considère nécessaire de trouver les moyens d'améliorer nos partenariats de recherche avec le Sud, pour les rendre plus équilibrés et plus efficaces.

II. AMÉLIORER NOS PARTENARIATS DE RECHERCHE AVEC LES SUDS

La mise en oeuvre des partenariats de recherche entre la France et les pays du Sud est délicate et leur impact est incertain. Pour assainir nos partenariats de recherche, votre mission juge primordial de mieux accompagner les pays du Sud à chaque étape de la recherche ; elle préconise aussi de favoriser l'effet d'entraînement que la recherche partenariale peut avoir sur le développement économique du pays partenaire.

A. AUTONOMISER LES PAYS DU SUD A CHAQUE ETAPE DE LA RECHERCHE

Le partenariat de recherche avec les pays du Sud doit se dérouler dans le respect mutuel, à toutes les phases du processus : depuis la définition des objets de recherche jusqu'à l'évaluation du projet de recherche, en passant par le montage du projet et sa mise en oeuvre.

1. Mieux répondre aux besoins du Sud dans la définition des objets de recherche et les formations proposées

La définition des objets de recherche doit être véritablement partagée entre les deux pays partenaires.

Lors de son audition, le directeur général de l'AIRD a présenté les attentes exprimées par le collège Sud du COrA à l'égard de l'IRD. Parmi celles-ci, on peut noter la demande des pays du Sud de développer en commun avec nos opérateurs des recherches répondant aux besoins de ces pays. Les inspecteurs de l'IRD ont confirmé à votre rapporteure que c'était également ce qui ressortait de la consultation des postes diplomatiques à laquelle ils avaient procédé: les postes de la France au Sud ont exprimé des réserves à l'égard des propositions de recherche partenariale que faisait l'IRD, propositions qui allaient dans le sens de ce que l'IRD sait déjà bien faire (surtout les sciences humaines) au lieu de rencontrer les besoins exprimés par les pays.

De façon plus explicite, M. Philippe Marchesin, maître de conférences à l'Université Paris 1, s'est aussi interrogé, lors de son audition, sur la nature des priorités françaises de recherche : soutien à l'exportation de la marque France ou aide au développement ?

Votre mission estime que toutes les nouvelles thématiques offrent des perspectives de partenariats à armes égales entre chercheurs du Nord et du Sud et sont donc particulièrement prometteuses pour l'équilibre des relations . Elles permettent de résoudre la tension entre excellence et partenariat : les institutions de recherche pour le développement doivent donc être encouragées à explorer de nouveaux champs de recherche.

Au-delà de la question du choix des thématiques de recherche, il convient aussi de prendre en compte deux grands types de besoins qui émergent des pays du Sud: d'une part, la recherche technologique, comme l'a confirmé la directrice générale de l'ANR; d'autre part, la valorisation de la recherche c'est à dire le transfert de ses résultats dans la sphère économique, l'aide à la création d'entreprise...

Il importe donc d'adapter nos opérateurs de recherche pour le développement à ces besoins, auxquels leur organisation actuelle ne leur permet pas de répondre. « L'UMRisation » accélérée de l'IRD ces dernières années, si elle a conforté sa qualité scientifique, a déplacé le centre de gravité de l'institut vers la recherche fondamentale ; or l'IRD ne peut se réduire à être le CNRS du Sud : il est attendu au Sud non pas pour faire de la coopération scientifique comme peut le faire le CNRS mais pour mettre en place des partenariats de recherche dans de nouveaux domaines, spécifiquement orientés vers le développement .

Cette adaptation concerne surtout l'IRD, dont l'objet est beaucoup plus large que le Cirad, qui est intégré dans un continuum, du plus fondamental au plus appliqué, dans un seul domaine, l'agronomie, où les besoins de recherche sont encore prégnants pour longtemps.

Pour s'assurer de l'implication nationale des pays du Sud et donc de la concordance entre leurs besoins et les projets de recherche en partenariat, il peut être utile d'évoquer la méthode retenue par le FFEM pour concevoir ses projets pilotes dans cette optique : comme l'a indiqué le secrétaire général du FFEM, M. Duporge, le cofinancement du FFEM ne peut excéder 30 % de ces projets et leur maîtrise d'ouvrage est confiée au Sud, qui lance les appels d'offres et sélectionne les prestataires.

Plus grande est la place laissée par le partenaire Nord à l'implication du partenaire Sud, plus grande sera l'adaptation à ses besoins.

2. Accompagner le montage des projets en partenariat : vers une ingénierie mutualisée

Après la définition de l'objet du projet de recherche, vient le temps du montage de ce projet pour solliciter des financements : il faut aussi accompagner les partenariats à ce stade.

Dès lors qu'elle serait habilitée à financer directement des équipes du Sud participant aux projets de recherche partenariale qu'elle aura retenus, l 'ANR pourrait offrir un accompagnement au montage de ce type de projets. Les chercheurs français ont déjà signalé la lourde implication que nécessite la préparation de dossiers pour l'octroi de crédits nationaux mais aussi européens. Il va sans dire que cette lourdeur est encore plus difficile à surmonter pour des équipes du Sud, peu familières des arcanes de la bureaucratie française et européenne. Plusieurs recourent déjà aux services de cabinets privés, notamment à Bruxelles, pour des prestations d'ingénierie de projets. Il faut donc, pour reprendre les mots de M. Bernard Cerquiglini, recteur de l'Agence universitaire de la francophonie, « aider les chercheurs à parler l'eurocrate ».

Lors de son audition par votre mission, Mme Pascale Briand a exprimé ses réserves d'ordre général sur une implication de l'ANR dans l'accompagnement au montage de projets : elle a fait valoir qu'accompagner les équipes de recherche dans ce travail d'ingénierie représenterait pour l'agence une charge de travail trop lourde. Elle a aussi souligné le risque d'injustice que la fourniture de ce service à certaines équipes mais non à d'autres pouvait engendrer. Elle est néanmoins convenue qu'un tel accompagnement pourrait faire sens avec les équipes originaires des pays du Sud : « Un accompagnement serait peut-être pertinent dans les collaborations avec les pays du Sud. Nous ne sommes pas calibrés pour ce faire. »

Si, comme le demande votre mission, l'ANR est correctement dotée pour assurer une nouvelle mission de financement des équipes du Sud, il conviendrait aussi d'y inclure les moyens humains et financiers nécessaires à l'ANR pour fournir cet accompagnement qui seul peut rendre le nouveau dispositif de financement opérationnel .

À l'échelon européen, la Commission européenne, en tant que financeur, a développé un service communautaire d'information sur la recherche et le développement : CORDIS . Un site internet dédié diffuse ainsi des informations sur tous les projets de recherche financés par l'UE et leurs résultats. Surtout, on y trouve un guide pratique pour accéder au financement européen 133 ( * ) . Ce guide ne remplace pas une prestation personnalisée d'accompagnement au montage de projets européens. Cet accompagnement personnalisé ressort des Points de contact nationaux, structures nationales destinées à fournir un soutien de terrain et dans la langue du déposant pour solliciter les fonds européens dédiés à la recherche . La France compte plusieurs points de contact nationaux, la plupart étant siutés au sein d'universités ou d'organismes de recherche, dont plusieurs à l'IRD, et le ministère de la recherche en assure la coordination nationale. En outre , la direction générale (DG) chargée du développement de la Commission européenne octroie des fonds destinés au renforcement des capacités scientifiques du Sud qui peuvent notamment contribuer à faciliter le montage de projet , en finançant la formation de personnes du pays bénéficiaire aux subtilités du programme cadre de recherche, de manière à sensibiliser la communauté scientifique du pays ainsi que les étudiants/doctorants aux possibilités qui leur sont offertes par le programme-cadre européen 134 ( * ) . Enfin, selon les informations recueillies par votre rapporteure, la DG Recherche et innovation organise des formations pour les Points de contact nationaux situés dans les pays du Sud 135 ( * ) et finance leur mise en réseau pour faciliter la coopération transnationale en ce domaine 136 ( * ) .

Votre mission estime que cette assistance au montage de projets européens doit être valorisée et encourage une meilleure publicité des points de contact nationaux, notamment par le biais de notre réseau diplomatique ou des agences françaises de développement présentes dans les pays du Sud qui sont dépourvus de tels points de contact et qui auraient besoin de l'accompagnement des points de contact situés en France pour solliciter des crédits européens.

3. Mener la recherche dans une relation d'égal à égal

Dans la mise en oeuvre proprement dite des partenariats de recherche, votre mission défend une véritable parité Nord/Sud pour assurer une relation d'égal à égal .

Le fonctionnement de l'ANRS apparaît exemplaire à cet égard : son directeur, M. Delfraissy, a expliqué que, dans la dizaine de sites où l'ANRS demeure au Sud, un responsable Nord et un responsable Sud étaient toujours associés et placés au même niveau.

De même, votre mission juge très éclairante la manière paritaire dont fonctionne le Centre de Recherches Médicales et Sanitaires (CERMES) du Niger, qui appartient au réseau international des Instituts Pasteur : la directrice générale du CERMES, Mme Odile Ouwe Missi Oukem, a indiqué qu'il y avait désormais un équilibre entre le nombre de chefs d'unité expatriés (chercheurs Nord) et de chefs d'unité nationaux (chercheurs Sud). Elle a estimé fructueux de mettre ainsi les chercheurs Sud en face de leurs responsabilités, ce qui les incitait à montrer qu'on avait eu raison de leur faire confiance. Elle a recommandé de s'inspirer en ce domaine des Anglo-Saxons qui, en fonction de la compétence de chacun, n'hésitent pas à ouvrir aux nationaux les postes d'expatriés vacants et à proposer à des Anglo-Saxons des postes habituellement occupés par les nationaux (avec un contrat local).

L'équilibre de la relation de partenariat tient aux deux parties. Comme Mme Ouwe Missi Oukem l'a fait valoir, le Sud doit aussi progresser dans ce souci et voir, au-delà du financement qu'apporte le Nord, la qualité du partenariat proposé . Elle a évoqué les résistances qu'elle avait pu rencontrer à cet égard lorsqu'elle avait tenu, lors d'une négociation de partenariat avec le Royaume-Uni, à préserver la propriété du laboratoire nigérien sur les échantillons de recherche.

L'équilibre de la relation partenariale est souvent plus aisé dans les projets engagés au titre de la coopération décentralisée : sans biais d'influence, ces projets sont naturellement plus vertueux. Ils offrent des exemples de bonnes pratiques , qui devraient être mieux valorisées. C'est notamment le cas du programme de recherche et de formation que le Conseil régional du Nord-Pas de Calais soutient depuis vingt ans au Sénégal pour lutter contre la bilharziose , maladie apparue après la construction d'un barrage sur le fleuve Sénégal pour l'irrigation des cultures. M. André Syrota, président-directeur général de l'INSERM, a lui-même fait valoir ce projet devant votre mission.

4. Associer les pays du Sud à l'évaluation des projets de recherche menés en partenariat

L'évaluation des projets de recherche doit aussi faire partie de la relation partenariale : elle ne peut ignorer les populations cibles du projet, à qui la recherche est destinée.

Les opérateurs français de recherche pour le développement font l'objet d'une évaluation sous l'angle scientifique depuis Paris : votre mission l'a déjà évoqué pour proposer d'en adapter les critères afin de valoriser leur contribution au développement réciproque.

En revanche, les projets de recherche menés en partenariat ne sont pas évalués au Sud. Les pays du Sud ne sont-ils pas les mieux placés pour juger de l'impact sur leur développement des partenariats de recherche qu'ils mènent avec la France ?

D'une manière générale, la Déclaration de Paris sur l'efficacité de l'aide en 2005 a relancé les politiques d'évaluation et conduit les administrations à définir des programmes encourageant « la culture de l'évaluation et du résultat » dans les politiques publiques d'aide au développement. L'an passé, la Cour des comptes a souligné les difficultés théoriques et pratiques d'évaluer l'aide au développement, mais aussi « la dispersion » de notre dispositif d'évaluation 137 ( * ) et « la modestie » de notre effort, malgré le volontarisme affiché 138 ( * ) .

Au-delà de cet appel bienvenu à évaluer davantage et de façon enfin coordonnée, votre mission tient à souligner un point de méthode essentiel : dès lors qu'on évalue un partenariat de recherche, il est indispensable que les partenaires soient placés en position symétrique dans l'exercice d'évaluation, quelle que soit l'asymétrie de leurs compétences scientifiques. Car la perspective de l'évaluation, ici, est autant politique que scientifique : la référence du jugement de valeur prononcé par l'évaluation est « le développement » visé par la société où l'action se déroule, le « souhaitable », un domaine où les représentations culturelles sont éminentes.

L'évaluation conjointe de l'impact sur le développement d'une recherche partenariale doit se faire en référence aux matrices existantes d'évaluation comme celle déjà utilisée par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD). A ce titre, la question de la place faite aux femmes devrait faire partie du champ de l'évaluation, puisque la promotion de l'égalité et de l'autonomisation des femmes est le troisième des huit Objectifs du millénaire pour le développement. La prise en compte de cet objectif transversal est précisément au coeur de la nouvelle stratégie « Genre et développement » (2013-2017) adoptée par le Gouvernement lors du CICID du 31 juillet 2013 139 ( * ) .

Les opérateurs dédiés - le Cirad et l'IRD - ont très bien intégré l'impératif d'une évaluation conjointe dans leur « doctrine », en soulignant combien l'évaluation de la recherche pour le développement était d'abord celle du partenariat lui-même 140 ( * ) . Ils ont bien identifié des objets et des critères pour cette évaluation, en particulier la réciprocité, qui suppose une définition claire et préalable des objectifs et des responsabilités de chacun, et qui passe par le partage du projet, de sa définition à ses résultats. Or votre mission constate que l'exercice d'évaluation est très loin d'être partagé avec les partenaires du Sud . Une réserve de principe est souvent avancée : les pays du Sud n'auraient pas assez de capacités scientifiques et universitaires pour conduire des évaluations. Cet argument ne tient pas assez compte non seulement des capacités existantes au Sud, mais surtout de la dimension politique de l'évaluation de la recherche pour le développement, qui ouvre un espace de dialogue - et d'apprentissage mutuel - sur la définition de l'action.

Dans cette perspective, l'expérience de l'ANRS est instructive : son directeur a expliqué à votre mission comment, en trente ans, la toute-puissance médicale avait dû céder du terrain face aux milieux associatifs, qui se sont imposés par leur connaissance du sida quand la recherche n'avançait pas. Au Nord comme au Sud, les malades sont ainsi très présents dans la vie de l'ANRS, qu'il s'agisse de son conseil d'administration, de son conseil scientifique, de ses différentes instances de décision... Sans nier le fait que le sujet de recherche soit particulièrement propice à une présence sociétale au sein de l'organisme de recherche, le directeur de l'ANRS a estimé souhaitable d'élargir la place réservée aux points de vue des bénéficiaires de la recherche dans d'autres domaines.

Cette perspective s'entend peut-être plus facilement pour les questions relatives à la santé, mais votre mission considère qu'elle a aussi toute sa pertinence dans les autres champs de recherche pour le développement.

Une évaluation au Sud de l'impact de ces recherches sur les pays en développement reste donc à inventer.

L'AFD a pris des initiatives importantes dans cette direction, en systématisant les retours d'expérience, ou encore en organisant des ateliers « Regards croisés sur l'efficacité de l'aide », confiés à des intervenants extérieurs (du Groupe de recherche et d'échanges technologiques, le GRET). L'Agence a également mis en place un comité des évaluations, ouvert aux deux autres administrations qui évaluent des actions en faveur du développement. Et c'est à ces différents niveaux que votre mission croit nécessaire d'associer des représentants des pays du Sud , afin de connaître le jugement qu'ils portent sur l'impact mais aussi sur le déroulement du projet, depuis le choix du sujet jusqu'à sa valorisation éventuelle.

En complément de l'amélioration du caractère partenarial de la relation de recherche entre la France et les pays du Sud, il convient de favoriser l'impact concret de cette recherche, c'est-à-dire son effet d'entraînement sur le développement économique du Sud.

B. FAVORISER L'EFFET D'ENTRAÎNEMENT DE LA RECHERCHE MENÉE EN PARTENARIAT SUR LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

Mettre pleinement la recherche pour le développement au service du développement des pays du Sud, c'est améliorer l'efficacité de nos partenariats, notamment en termes économiques.

1. Renforcer les capacités au Sud par la recherche et la formation

Pour que la recherche en partenariat avec le Sud ait un effet d'entraînement sur le développement national, elle ne doit pas se résumer à une aventure individuelle entre chercheurs.

Naturellement, la plupart des projets de recherche Nord/Sud naissent de rencontres et d'opportunités. Cette démarche bottom up est fréquente dans le monde de la recherche. Comme l'a bien résumé M. Michel Wieviorka, administrateur de la Maison des sciences de l'homme, lors de son audition par votre rapporteure, « la recherche aime la vérité et la liberté ».

Mais la liberté des chercheurs de partager un projet doit, pour porter un fruit en termes de développement, prendre appui sur des structures pour s'inscrire dans une stratégie: au-delà des chercheurs, ce sont les laboratoires qui doivent s'associer. Cette institutionnalisation des partenariats encourage leur pérennisation. De ce point de vue, l'expérience acquise par l'IRD dans la construction des UMR en France peut servir à mettre en place des UMI et des LMI supplémentaires dans le cadre des partenariats avec le Sud: votre mission encourage l'IRD à accentuer le processus « d'UMRisation » internationale (que l'on pourrait qualifier d'» UMIsation ») pour mieux inscrire ses partenariats de recherche dans le contexte scientifique et institutionnel national du pays partenaire.

Pour que la recherche en partenariat contribue réellement au renforcement des capacités du pays partenaire du Sud, elle doit en outre s'accompagner d'enseignement et de formation (formation par la recherche mais aussi formations techniques), afin non seulement de produire de la connaissance mais aussi de la diffuser. C'est ce choix d'une offre intégrée qui sera payant à moyen terme. Comme votre rapporteure l'a constaté en Inde, il est fréquent que les partenaires du Sud expriment le besoin d'un accès unique aux établissements d'enseignement supérieur et de recherche français. Agreenium l'a bien compris et propose en matière agronomique un continuum entre universités et centres de recherche : cet établissement public de coopération scientifique a pu de ce fait dialoguer avec le Brésil, qui a lancé un programme « Sciences sans frontière » offrant aux étudiants brésiliens 100 000 bourses de doctorat sur les quatre prochaines années. Agreenium a ainsi présenté au Brésil l'ensemble des capacités d'accueil des laboratoires des membres d'Agreenium et lui a exposé les différents thèmes de recherche possibles, ce qui n'aurait pu être réalisé individuellement par chacun de ces membres. Les autres acteurs français de la recherche au Sud, s'ils fournissent souvent des prestations de cotutelle de thèses, sont rarement leaders de projets de partenariats universitaires sur la recherche pour le développement, sauf peut-être en Amérique latine, par exemple au Chili, où les universités approfondissent leurs partenariats avec des universités françaises.

Votre mission encourage donc la promotion d'offres françaises combinées de recherche et d'enseignement IRD-CNRS-universités sur le modèle d'Agreenium (CIRAD-INRA- universités). Dans ce cadre qui appelle naturellement des mobilités de chercheurs et d'étudiants, il convient de veiller à ne pas nourrir la fuite des cerveaux. La création de codiplômes peut y contribuer: pour reprendre l'exemple cité devant votre mission par M. Jean-Pierre Finance, président de la CPU, un master conjoint aux universités de Dakar et de Toulouse se ferait alors pour moitié en France, pour moitié au Sénégal et il faudrait revenir au pays pour avoir son diplôme, selon un système d'acquisition cumulée de crédits (pour chaque composante d'un programme d'études) qui fonctionne déjà au sein de l'UE 141 ( * ) . Des financements européens pourront financer ces mobilités et partenariats au niveau masters et doctorats (au titre du nouveau programme « Erasmus plus » 2014-2020 142 ( * ) qui intègre les actions jusque-là supportées par le programme « Erasmus mundus »).

Pour contribuer au retour au pays des personnes formées en France ou par la France, il importe de créer les conditions de leur retour, mais aussi d'éviter leur fuite interne notamment vers des fonctions politiques ou d'expertise: selon la plupart des acteurs auditionnés, les chercheurs doivent pouvoir trouver de bonnes conditions de travail au Sud susceptibles de leur assurer, sinon une bonne rémunération, au moins une motivation par un cadre et des conditions de travail satisfaisants. Mme Ouwe Missi Oukem, lorsqu'elle était administrateur adjoint du Centre International de Référence Chantal Biya (CIRCB) au Cameroun, a jugé nécessaire d'assurer des salaires décents, imaginant qu'ils pourraient être complétés par une partie additionnelle transitoire appelée à être ensuite remplacée par des financements nouveaux que le chercheur devrait décrocher. Au-delà de la question des rémunérations, Mme Dautry, entendue par votre mission quand elle était directrice générale de l'Institut Pasteur, estime qu'une certaine autonomie pour mener des projets de moyen terme avec une petite équipe peut attirer ou retenir dans son pays un chercheur, et l'effet boule de neige qui en résulte permet de construire progressivement une masse critique et donc une capacité de recherche au Sud.

Le renforcement des capacités passe enfin par la construction d'infrastructures de recherche , notamment informatiques (c'est la demande actuelle du Mali), chez nos partenaires pour favoriser le retour des chercheurs. Là encore, l'AFD peut jouer un rôle important en accompagnant, par le financement d'infrastructures en « dur » et par la construction de plateaux techniques performants, l'institutionnalisation des partenariats de recherche.

C'est par cette somme d'actions que les partenariats de recherche avec la France peuvent renforcer réellement les capacités d'un pays du Sud en matière d'enseignement supérieur et de recherche.

La prise de conscience du rôle de la recherche dans le développement est récente, tant l'accent était auparavant mis sur l'enseignement élémentaire. Elle n'est pas encore bien installée dans les opinions gouvernementales, et encore moins au niveau des opinions publiques. La directrice générale du Centre de Recherches Médicales et Sanitaires (CERMES) à Niamey, Mme Odile Ouwe Missi Oukem, a indiqué à votre mission que, concernant par exemple le Niger, c'était une prise en compte assez récente puisque son Plan de développement sanitaire (PDS) 2011-2015 143 ( * ) n'est que le deuxième qui mentionne la recherche comme l'un des huit axes stratégiques pour rendre effectif le droit à la santé consacré dans la Constitution du pays.

Les partenariats de recherche sont donc progressivement reconnus comme un levier essentiel de renforcement des capacités et donc de développement.

2. Encourager la connexion entre nos opérateurs de recherche et les autorités publiques du pays partenaire pour la diffusion des résultats

Pour que la recherche pour le développement puisse avoir un plus grand effet d'entraînement sur le développement des pays du Sud, il importe aussi de mieux la connecter aux décisions politiques prises dans ces pays.

Les établissements français de recherche pour le développement doivent encourager leurs équipes travaillant en partenariat avec le Sud à effectuer une restitution des résultats de recherche aux populations concernées (citoyens, politiques, experts...). Il s'agit ainsi d'alimenter, voire d'élever le débat public dans la perspective possible de l'élaboration d'une décision politique , mais non pas de dicter la décision.

De tels infléchissements des politiques nationales au Sud suite à des projets de recherche menés en partenariat ont déjà pu être observés.

Lors de son audition, la Ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, Mme Geneviève Fioraso, a cité l'exemple de la collaboration des unités de l'IRD avec l'IMARPE (Institut de la mer au Pérou) engagée depuis plus de 10 ans : cette collaboration a permis au gouvernement péruvien de mettre en place une gestion de la pêche côtière qui tient compte des réserves et de l'impact des variations climatiques périodiques qui affectent le pays.

Elle a également évoqué un programme appelé SARI qui a amené à l'élaboration d'un système aquacole au Sénégal permettant d'utiliser les sous-produits des matières premières agricoles pour élever une variété de tilapia.

De même, lors de son autidion par votre mission, M. Raguin, Directeur du groupement d'intérêt public Esther, a souligné l'exemplarité du programme de recherche mené au Sénégal, en partenariat avec l'Agence nationale de recherche sur le sida (ANRS), en matière de lutte contre la toxicomanie : sur la base d'un diagnostic de terrain rendu possible par les résultats de la recherche fondamentale en épidémiologie, le GIP Esther a bâti un dispositif opérationnel et contribué à la rédaction du premier programme sénégalais de lutte contre la toxicomanie.

Ce souci d'appropriation des résultats de la recherche par les pays du Sud est au fondement de la démarche du Fonds français pour l'environnement (FFEM). Comme l'a expliqué en ces mots son secrétaire général, M. François-Xavier Duporge, le FFEM privilégie le financement de recherches apportant des solutions plutôt que celles produisant des connaissances : il s'agit de « ne pas payer le médecin légiste à analyser de quoi le patient est en train de mourir ».

Non seulement la recherche pour le développement doit avoir le souci de proposer des solutions, mais elle doit veiller à leur adaptation au contexte national de leur possible implantation. M. Duporge a notamment évoqué le débat méthodologique auquel avaient donné lieu les propositions novatrices qu'avait faites l'IRD dans le cadre d'un programme de protection des récifs coraliens dans le Pacifique Sud 144 ( * ) : le FFEM avait jugé que ces propositions, reposant en partie sur la pose de caméras immergées, n'étaient pas accessibles aux pays concernés, ce qui, rapporte M. Duporge, avait provoqué une vive réaction de l'IRD qui se sentait empêché de faire de la « vraie recherche ».

Il a aussi déploré que certaines recherches proposent des solutions trop complexes à mettre en oeuvre : dans le cadre du programme « Modélisation et scénarios de la biodiversité » dans les pays du Sud, que le FFEM soutient aux côtés de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB), les propositions reçues des chercheurs à l'usage des gestionnaires de parcs naturels ne donnaient pas d'éléments de coûts ou de complexité en vue de leur application au Sud et se trouvaient de fait déconnectées des politiques envisageables par les pays du Sud.

Votre mission soutient donc une vision de la recherche pour le développement exigeante mais connectée aux réalités du terrain , sans quoi sa pertinence dans le débat public et la probabilité que ses résultats puissent être pris en compte par les décideurs publics seront bien faibles.

Elle encourage par ailleurs les représentants au Sud des établissements français de recherche pour le développement à développer leurs contacts avec la société civile et la sphère publique du pays partenaire , afin de pouvoir donner de l'écho aux résultats de leurs recherches et de mobiliser les populations autour des restitutions préconisées par votre mission.

Pour ce faire, les établissements de recherche pour le développement pourraient trouver un relais utile dans les ONG présentes au Sud . Comme l'a fait observer à votre mission Mme Bénédicte Hermelin, directrice du GRET, la spécificité des ONG par rapport aux instituts de recherche, c'est précisément l'intermédiation sociale : les ONG peuvent aider à faire le lien entre populations et chercheurs.

Tous les vecteurs de connexion aux populations et aux autorités nationales au Sud doivent être mobilisés pour donner un écho plus grand à la recherche menée en partenariat avec la France.

3. Promouvoir la valorisation économique des résultats de la recherche au profit du développement du Sud

Les pays du Sud expriment naturellement le besoin de « transformer » les résultats des recherches, c'est-à-dire de leur donner des effets économiques. Comme l'a résumé le président de l'IRD, M. Michel Laurent, lors de son audition, quand nos opérateurs de recherche pensent « Recherche pour le développement », le Sud pense « Recherche et développement » : il a besoin d'un retour sur investissement de son effort de recherche.

À cet égard, votre mission relève le succès rencontré par le programme d'accompagnement à la création d'entreprises innovantes en Méditerranée (PACEIM) que propose l'AIRD et auquel le MAEE apporte un financement de 2 millions d'euros sur trois ans. Ce programme finance des bourses de deux ans destinées à favoriser la création d'entreprise dans le pays d'origine de l'étudiant. Le président de l'IRD a indiqué à votre mission que 100 étudiants étaient ainsi devenus créateurs d'entreprise dans les pays du Maghreb et au Liban. Ce programme, aidé à ses débuts par l'UE et désormais porté par la France, doit absolument être poursuivi ; des partenariats de financement doivent être envisagés, par exemple avec Bpifrance qui succède à Oseo depuis juillet dernier dans la mission de soutien à l'innovation et à la croissance des PME. D'autres programmes du type PACEIM rencontreraient assurément les besoins d'autres partenaires du Sud au-delà de la Méditerranée.

De même, il conviendrait de multiplier les incubateurs d'entreprise. Trois sont actuellement soutenus par l'AIRD. Un incubateur public a ainsi été créé avec six universités publiques sénégalaises afin de donner les moyens à des porteurs de projets d'entreprise de les concrétiser. Cette pratique doit être encouragée ; votre rapporteure a pu constater le savoir-faire indien en la matière puisque, tant l' Indian Insitute of Science que le National Center for Biological Sciences abritent en leur sein des incubateurs au plus près des laboratoires de recherche.

Lors de son audition par votre mission, Mme Alice Dautry, alors directrice générale de l'Institut Pasteur, a fait part de la très grande appétence du Sud pour les incubateurs d'entreprises à partir des découvertes faits dans les instituts : elle a indiqué que cette appétence se ressentait à travers tout le réseau international de l'Institut, aussi bien à Shanghai qu'à Montevideo ou Tunis. Elle a d'ailleurs évoqué l'exemple de la start-up créée en Inde par une femme qui, travaillant sur la fermentation, a eu l'idée d'utiliser des levures pour fabriquer des produits biologiques pour la santé ; votre rapporteure a, depuis, eu la chance de rencontrer cette femme, Mme Shaw, à Bangalore 145 ( * ) . L'Institut Pasteur se voit donc sollicité de par le monde par de nombreux entrepreneurs, pour son expérience en matière de création d'entreprises et de brevets.

La création récente du Consortium de valorisation thématique (CVT) « Valorisation Sud » participe de cette volonté de valoriser les résultats de la recherche avec le Sud : ce consortium, le seul à ne pas être thématique mais transversal, bénéficie d'un financement de 9 millions d'euros sur la période 2012-2020 dans le cadre des «Investissements d'avenir» 146 ( * ) . Il vise à dynamiser le transfert des technologies et savoir-faire issus de l'ensemble des laboratoires de recherche français, présentant un intérêt socio-économique pour les pays en développement.

Dans le cadre de l'AIRD, le Cirad, l'Institut Pasteur, l'Institut de recherche pour le développement (IRD) se sont ainsi associés à quatre universités d'outre-mer 147 ( * ) pour constituer ce consortium. Il s'agit essentiellement de protéger les inventions en constituant un portefeuille de brevets, de logiciels et de certificats d'obtention végétale (COV), générateur de revenus pour la commercialisation de ces technologies avec le Sud et au Sud. Le CVT « Valorisation Sud » a vocation à contribuer à la croissance économique de la France et de ses territoires d'outre-mer en adressant de nouveaux marchés, mais, en même temps à favoriser le développement des pays du Sud . Il leur offre en effet des opportunités et des services « à la carte » : aide à la gestion de la propriété intellectuelle ; constitution d'un portefeuille de brevets avec mandat de valorisation ; marketing et promotion des technologies ; maturation pré-industrielle, gestion de projets, contrats de licence ; conseil pour la création d'entreprises innovantes...

M. Michel Laurent, président de l'IRD, a précisé à votre mission que, dans la cadre de ce CVT, près de 20% des brevets pris par l' IRD étaient en copropriété avec le Sud. Il a indiqué que l'objectif de l'IRD était de porter cette part à 50 %.

Votre mission considère qu'en effet, la relation doit être partenariale jusqu'au bout de la chaîne, donc jusqu'au dépôt de brevets.

Dans cet esprit, votre mission préconise de renforcer le soutien à toute nouvelle opportunité de valorisation de la recherche française en faveur du développement des pays du Sud.

Se fondant sur une pleine mise au service du développement de ses partenariats de recherche, la France pourrait mieux faire connaître son offre partenariale, à l'égard des pays du Sud comme auprès de ses partenaires bailleurs .

III. FAIRE CONNAÎTRE LE SAVOIR-FAIRE FRANÇAIS EN MATIÈRE DE RECHERCHE POUR LE DÉVELOPPEMENT

Convaincue du bénéfice réciproque qui peut résulter de la recherche en partenariat avec le Sud, votre mission souhaite que la France diffuse cette démarche partenariale hors de ses frontières.

A cet égard, le premier impératif consiste à améliorer la visibilité et la lisibilité de cette offre partenariale française au Sud.

A. PRÉSENTER UNE OFFRE SCIENTIFIQUE PARTENARIALE PLUS LISIBLE POUR LE SUD

La lisibilité de l'offre partenariale de recherche de la France est menacée par la dispersion des acteurs français et par la concurrence d'autres acteurs. Votre mission propose d'y remédier par un rapprochement des acteurs de la recherche française au Sud et par une visibilité en ligne améliorée.

1. Constituer une sixième alliance de recherche transversale en direction du Sud

Les cinq alliances nationales de recherche s'organisent de plus en plus pour mieux se projeter au Sud , même si elles ne sont pas toutes parvenues au même degré de maturité en ce domaine ni au même type d'organisation. L'alliance la plus structurée à l'international est la plus ancienne, Aviesan, qui a constitué un groupe Aviesan Sud, en plus des groupes Aviesan Europe et Aviesan International; au sein de ces groupes, se noue un dialogue sur la cartographie des activités de chacun et s'échangent des informations sur les activités institutionnelles de chaque organisme de recherche. La deuxième alliance qui s'organise progressivement pour la coopération internationale est Allenvi. Enfin, dans le domaine des sciences humaines et sociales, Athena a entrepris de rassembler toutes les activités internationales de ses membres.

Ces activités au Sud de chaque alliance gagneraient à être mises en réseau , sur un mode très souple. C'est précisément le mode de fonctionnement des alliances, qui sont dépourvues de tout statut juridique et de tout budget : c'est pourquoi votre mission invite à la création d'une sixième alliance de recherche, non pas thématique, mais transversale, en direction du Sud . Cette plateforme d'échanges réunirait les partenaires publics (les établissements publics à caractère scientifique et technologique comme l'IRD, l'INSERM ou le CNRS, les établissements publics à caractère industriel et commercial comme le Cirad, l'institut Pasteur, les universités...) et privés concernés par le Sud. Une telle alliance, qui constituerait une forme de vitrine commune, pourrait jouer un rôle important pour articuler les contributions de chacun aux défis scientifiques du développement et pour harmoniser la démarche de recherche en partenariat avec le Sud. L'existence d'une alliance Sud faciliterait les échanges thématiques en amont entre ses différents membres et contribuerait à faire émerger des priorités appelées à devenir des objectifs communs. Les partenaires Sud pourraient participer aux différents comités thématiques de cette nouvelle alliance. Comme les autres alliances, cette alliance aurait pour mission de travailler en étroite synergie avec les grands financeurs nationaux (ANR, ANRS, AFD), européens et internationaux pour orienter les choix de programmation et les appels à projets. Elle devra enfin se coordonner avec le CNDSI afin d'éviter des distorsions entre priorités thématiques et géographiques.

Sur le terrain, l'alliance Sud pourrait utiliser comme têtes de pont les opérateurs dédiés à la recherche pour le développement qui sont bien connus des partenaires du Sud et sont les mieux placés pour nouer des partenariats . Lors de son audition par votre mission, Mme Minh-Hà Pham-Delègue, Directrice Europe de la recherche et coopération internationale du CNRS, est convenue qu'il n'était pas possible d'imposer à nos partenaires de traiter avec les cinq alliances thématiques de recherche et qu'il importait donc de travailler avec les « champions » connus sur le terrain. Le dialogue en amont au sein de cette sixième alliance pourrait précisément permettre d'identifier un chef de file local parmi les opérateurs présents sur place. Une alliance de recherche « Sud » contribuerait ainsi à la nécessaire rationalisation de la présence au Sud des opérateurs français de la recherche pour le développement.

2. Rationaliser le réseau Sud des établissements français de recherche

Effectivement, le déploiement international de nos acteurs de la recherche pour le développement est difficilement lisible pour nos partenaires du Sud.

Conformément à la mission qui lui avait été assignée, l'AIRD a entrepris de rationaliser le réseau des représentations à l'étranger de ses membres fondateurs. Cette rationalisation, effectuée sur une base volontaire, n'a visiblement pas été poussée assez loin : seules deux implantations de l'IRD et du CNRS 148 ( * ) sont mutualisées. M. Jean-Pierre Finance, délégué permanent de la Conférence des présidents d'université (CPU), a également indiqué à votre mission que des rapprochements étaient à l'oeuvre et, notamment, que l'implantation de l'IRD à Hanoï inclurait la représentation de la CPU dans ce pays.

La mission d'inspection sur l'IRD a elle-même suggéré une mutualisation des fonctions support 149 ( * ) entre les représentations dans un même pays des opérateurs du développement . Les coûts de fonctionnement en seraient réduits, puisque les frais d'immobilier ou de recrutement local seraient partagés. Cette mutualisation renforcée pourrait s'envisager aussi bien entre instituts de recherche qu'avec les postes diplomatiques et même avec les agences de l'AFD , ce qui permettrait d'avoir une plus grande cohérence dans l'action française au service du développement, d'améliorer sa visibilité sur le terrain et finalement son efficacité auprès des interlocuteurs locaux comme des partenaires internationaux.

Une deuxième piste pour rationaliser le réseau consiste à le penser en termes d'action régionale plutôt que strictement nationale . L'AERES, dans son rapport d'évaluation de l'IRD daté de 2010, relevait que l'expérience des représentations les plus efficaces montrait la pertinence d'une action au niveau régional plutôt que national : la régionalisation permettrait d'agréger les demandes émanant de la part de plusieurs pays partenaires. Au plan institutionnel, elle encouragerait aussi un décloisonnement entre les opérateurs français de recherche pour s'entendre avec les pays d'une région donnée sur des projets communs. Même si elle n'ignore pas la difficulté que peut représenter la fermeture d'une représentation dans un pays, que ce soit pour l'organisme concerné, pour le pays hôte ou même pour la diplomatie française, votre mission préconise de resserrer le réseau des opérateurs de recherche pour le développement autour de représentants régionaux, responsables d'une agence .

Votre mission encourage donc un dialogue approfondi entre opérateurs de recherche, au sein de la sixième alliance, pour identifier les moyens de rendre plus lisible l'offre française en matière de partenariats de recherche au Sud. Outre la mutualisation du réseau à l'étranger, les opérateurs de la recherche pour le développement pourraient aussi s'entendre, par voie d'accords bilatéraux, pour se répartir des prestations de service comme la gestion de bourses de thèse, mettre en commun des moyens dédiés à l'information et à la culture scientifique ou développer ensemble des activités de transfert et de valorisation.

3. Encourager la constitution d'organes paritaires du type du CEFIPRA indien, dans les pays partenaires de taille déjà critique

Il est souvent difficile pour un pays du Sud d'avoir une vision d'ensemble des diverses dynamiques de recherche qui émergent en son sein, aussi bien dans la sphère publique que privée, et qui sont susceptibles de déboucher sur des partenariats avec la France.

A l'occasion du déplacement en Inde de trois de ses membres, votre mission a pu apprécier le rôle catalyseur du Centre franco-indien pour la promotion de la recherche avancée (CEFIPRA), qui améliore la lisibilité du partenariat de recherche établi entre la France et l'Inde.

Le modèle du CEFIPRA est unique. Financé à parité par le ministère indien de la Recherche (DST) et le ministère français des Affaires étrangères et européennes (MAEE), le CEFIPRA repose aussi sur une gouvernance partagée entre la France et l'Inde : son conseil d'administration est co-présidé par un représentant du DST et un représentant du MAEE. Il représente donc à ce jour le mode le plus institutionnalisé de coopération bilatérale en matière de recherche.

Dans les autres pays du Sud, la promotion des partenariats de recherche avec la France s'appuie sur un éventail d'instruments financés sur fonds publics, allant de l'incitatif au plus structuré : programmes de mobilité croisée de chercheurs gérés par le MAEE, fonds de financement de projets scientifiques conjoints via l'ANR, laboratoires internationaux (mis en place par les organismes de recherche CNRS, IRD, Inserm, etc.), centres de recherche établis à l'étranger (Réseau des Instituts Pasteur, Instituts français de recherche à l'étranger, EFEO etc.), partenariats Hubert Curien, etc. Ces diverses formes de partenariat s'appuient sur des conventions de coopération. A ces dispositifs d'ajoutent des coopérations de recherche impliquant des acteurs privés. Cette mosaïque de partenariats, qui existe aussi en Inde 150 ( * ) , trouve avec un organisme paritaire du type du CEFIPRA un support visible, reconnu par les deux partenaires et susceptible d'héberger des projets publics et privés.

Or, d'après les informations recueillies par votre rapporteure auprès du MAEE, un tel organisme n'existe qu'en Inde. Bien que n'étant pas équivalent au CEFIPRA, on peut néanmoins citer un autre modèle de recherche partenariale qui concerne l'Afrique du Sud : le F'SATI ( French South African Institute of Technology ) est un institut universitaire formant les jeunes ingénieurs et finançant des programmes doctoraux dans le domaine spatial (ingénierie satellitaire). Il dispose d'un board où siègent Français et Sud-Africains et ses financements sont à 20 % français et 80 % sud-africains. La France soutient le F'SATI depuis sa création, avec les financements du MAEE, de la CCIP et de l'Université Paris-Est Créteil (qui a apporté son soutien suite au retrait du MESR en 2010). Des entreprises françaises 151 ( * ) financent 5 à 8 % du budget et siègent aussi au conseil d'administration du F'SATI.

Cet organe se distingue du CEFIPRA en ce qu'il n'est pas absolument paritaire et qu'il ne couvre pas tous les secteurs de la recherche : en effet, le modèle du F'SATI est en cours de duplication en Afrique du Sud où un « F'SAGRI » devrait voir le jour prochainement dans le domaine de l'agriculture et de l'agronomie.

Votre mission soutient donc l'intérêt de créer des organismes de coopération scientifique paritaires, sur le modèle du CEFIPRA, avec les pays du Sud dont la taille critique rend possible une implication d'égal à égal dans un tel organisme . Dans de tels pays, par exemple le Brésil ou le Nigéria, un organisme de ce type accroîtrait la lisibilité du partenariat de recherche avec la France et servirait de porte d'entrée à la collaboration scientifique avec la France.

4. Recenser et valoriser les projets de recherche partenariale sur les sites internet du ministère des affaires étrangères et des ambassades

Une manière de rendre plus visible la démarche française en matière de partenariats de recherche avec les pays du Sud consiste à mieux la valoriser en ligne.

Aujourd'hui, le ministère des affaires étrangères consacre une page de son site internet à la recherche pour le développement, dans sa rubrique dédiée à la diplomatie scientifique de la France 152 ( * ) . Mais cette page ne répertorie pas, pays par pays, les projets de recherche partenariale menés avec la France.

Pour qu'une telle information soit accessible, il conviendrait que le service de coopération et d'action culturelle de chacune de nos ambassades au Sud collecte les informations relatives aux divers projets de recherche menés avec la France dans ce pays ; l'agrégation de ces informations à l'échelle d'un pays et sa publication sur le site internet de chaque ambassade serait particulièrement intéressante, en ce qu'elle révèlerait les possibles doublons ou au contraire les éventuelles lacunes des partenariats de recherche impliquant la France et ce pays. Elle mettrait aussi au jour la présence de chercheurs français isolés dans certains pays.

Sur le fondement de la base de données ainsi constituée, un accès centralisé depuis le site du ministère des affaires étrangères ( www.diplomatie.gouv.fr ) à ces informations par pays offrirait en outre une vision d'ensemble et un panorama complet des recherches menées par la France en partenariat avec les pays du Sud.

5. Développer l'offre française de cours en ligne

De toute évidence, le numérique est aujourd'hui un outil essentiel du développement. Il devient également un support indispensable à la recherche. Il révolutionne à présent l'enseignement supérieur, et la présence de notre pays en ligne en ce domaine est un enjeu important pour la lisibilité et le développement de nos partenariats scientifiques avec les pays du Sud.

Les cours en ligne se multiplient; ces cours ouverts et massifs, désignés sous l'acronyme MOOCs ( massive open online courses ) , sont nés il y a quelques années aux États-Unis. Ces cours en ligne sont non seulement gratuits et accessibles à distance, mais ils peuvent déboucher sur une certification . Ces cours, auquel sont associés un accompagnement pédagogique et la possibilité d'interagir avec les enseignants et les autres participants, permettent de former des étudiants de tous les continents.

Ainsi, dix-huit mois après son lancement à l'initiative de Stanford University, Coursera regroupe près de 60 établissements d'enseignement supérieur et propose plus de 300 cours auxquels se sont connectés près de 3 millions de personnes. En France, seule l'école Polytechnique a récemment rejoint Coursera.

D'autres initiatives de MOOCs se multiplient et gagnent la France: deux écoles d'ingénieurs, Centrale Nantes et Télécom Bretagne, ont ainsi lancé, à la rentrée 2012, le premier MOOC exclusivement francophone. Centrale Lille a emboîté le pas début 2013. Quelques universités développent aussi des cours en ligne.

L'enjeu des MOOC est considérable pour les établissements d'enseignement supérieur français, qui peuvent ainsi acquérir une visibilité internationale et attirer les meilleurs étudiants étrangers . Les expériences américaines montrent en effet que participer à un MOOC peut inciter un étudiant à demander une bourse pour venir aux États-Unis l'année suivante. Inversement, une université peut repérer un jeune à haut potentiel grâce à son investissement lors d'un MOOC.

Lors de son audition par votre mission, M. Bernard Cerquiglini, recteur de l'Agence universitaire de la francophonie (AUF), a souligné le rôle clef que peut jouer le numérique pour rendre accessible au Sud l'enseignement supérieur et promouvoir en même temps la francophonie. Association d'universités fondée en 1961 à Montréal, l'AUF elle-même a très tôt contribué à la création de campus numériques, dont elle estime aujourd'hui le nombre autour de 45. M. Cerquiglini a évoqué le premier campus numérique fondé dès 1961 à Dakar et à Madagascar, avec l'installation de Minitels, puis l'installation d'Internet dès 1991. L'AUF dispose aujourd'hui d'une soixantaine de lieux sécurisés et équipés pour la formation à distance. M. Cerquiglini a fait part de l'attente importante exprimée à cet égard par les 610 présidents ou recteurs d'université réunis à la dernière assemblée générale de l'AUF. Il a jugé que le monde des cours à distance était très ouvert et devait être exploré, notamment pour la préparation de masters internationaux.

Votre mission considère en effet essentiel qu'une offre abondante de cours en ligne en français vienne contrebalancer l'offre anglo-saxonne, d'autant que le suivi des cours peut déboucher sur une mobilité physique de l'étudiant pour l'obtention du doctorat . Ceci présenterait aussi l'avantage d'associer la langue française à des valeurs de solidarité.

Dans cette perspective, votre mission estime nécessaire d'inviter les établissements français à produire leurs propres ressources en ligne , afin de prendre leur place et de défendre la francophonie dans le mouvement de globalisation de l'enseignement supérieur qu'accélère la révolution numérique. La loi n°2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l'ESR , dont l'article 29 153 ( * ) rend obligatoire la mise à disposition de certains enseignements supérieurs sous forme numérique , devrait amorcer cette mobilisation des chercheurs de langue française au profit du développement de tous. Le lancement, le 2 octobre 2013, de la plateforme France Université Numérique (FUN), avec le support de l'INRIA, facilitera le déploiement de ces nouveaux services, dont les étudiants du Sud pourront bénéficier.

En complément de ces actions destinées à rendre plus lisible pour le Sud l'offre partenariale française en matière de recherche et d'enseignement supérieur, votre mission considère que la France devrait formaliser cette démarche partenariale pour mieux la diffuser auprès des autres bailleurs de fonds de l'aide publique au développement.

B. FORMALISER LA DÉMARCHE PARTENARIALE EN MATIÈRE DE RECHERCHE POUR MIEUX LA DIFFUSER

Le projet de loi d'orientation et de programmation sur le développement, que le Gouvernement devrait adopter avant la fin de l'année, offrira l'occasion de formaliser la démarche partenariale, pour mieux la faire valoir ensuite aux plans européen et international.

1. Consacrer cette démarche dans le projet de loi annoncé et la « labelliser » par une charte

En opérant leur « tournant stratégique » pour la recherche en partenariat, l'IRD et le Cirad ont identifié les critères du partenariat, ses contours et son contenu, ainsi que les pistes de son évaluation 154 ( * ) . Reste que ces éléments de méthode sont confinés aux contrats d'objectifs entre l'État et les organismes dédiés : ils n'ont pas été repris à un niveau suffisamment élevé de nos politiques publiques. Le temps est donc venu, dans le prolongement du dernier CICID, d'appliquer les méthodes de recherche en partenariat à l'ensemble des activités de recherche impliquant des pays que nous avons identifiés comme « du Sud » (et qu'on pourrait, par commodité administrative, faire coïncider avec ceux de la zone de solidarité prioritaire).

La prochaine loi d'orientation et de programmation pourrait utilement consacrer les grands éléments de cette méthode et aussi prévoir une charte , portée par les ministères de la recherche et des affaires étrangères, qui serait à prendre en compte dans toute recherche au Sud. Elle orienterait aussi l'action des conseillers scientifiques des ambassades de France dans les pays du Sud qui ont la responsabilité de coordonner la présence scientifique française dans ces pays.

La loi de programmation pourrait ainsi énoncer les grands objectifs suivants de la RpD :

- le fait que la production de connaissances scientifiques est un facteur essentiel de développement, de même que l'accès aux résultats de la recherche ;

- l'inscription de la RpD au sein de l'aide publique au développement (conformément au Cicid de 2009) ;

- une définition de la RpD comme étant une recherche conçue et conduite en partenariat qui, chaque fois que nécessaire, conforte les capacités institutionnelles des partenaires.

Dans le prolongement de ces principes, la loi de programmation pourrait donc prévoir la négociation et la signature d'une charte de la RpD entre les grands organismes de recherche engagés au Sud, qui énoncerait une série d'objectifs et d'engagements pour les recherches impliquant un pays du Sud (ou de la zone de solidarité prioritaire).

Cette charte pourrait en particulier rappeler les principes, objectifs et engagements suivants :

- que les programmes de recherche de la RpD doivent être coproduits avec les pays du Sud, dès leur conception, que la validation de ces programmes soit effective et qu'ils s'articulent avec les institutions de recherche et de formation des pays du Sud. L'objectif est ici d'éviter que les programmes ne soient conçus qu'au Nord, avec une validation formelle du Sud ;

- que ces programmes doivent être conduits par des équipes mixtes qui recrutent des chercheurs du Sud au plus haut niveau possible, intégrer systématiquement un volet de formation et de renforcement des capacités, et qu'ils doivent prévoir dès leur lancement une procédure d'évaluation conjointe, selon des critères énoncés en début puis en cours de recherche ;

- que les organismes de recherche signataires de la charte s'engagent à rapprocher leur « action Sud » et à mutualiser leurs moyens autant que possible, en particulier pour accompagner les pays du Sud dans l'expression de leurs besoins scientifiques et dans le renforcement de leurs capacités ;

- que la recherche en partenariat est ouverte à toute contribution et demande de participation émanant de la société civile et des collectivités locales, ce qui passe par une publicité tout au long de la recherche.

Votre mission se félicite que le Gouvernement ait déjà annoncé lors du CICID du 31 juillet 2013 l'élaboration d'une telle charte et propose de consacrer son existence dans la prochaine loi d'orientation et de programmation .

2. Porter la démarche au niveau européen comme un atout de la politique française de développement, susceptible de donner du sens aux financements européens

Si la démarche française de recherche partenariale est mieux identifiée, elle peut rencontrer un écho plus grand auprès des institutions européennes. Et ce, d'autant que l'UE souhaite améliorer l'impact de son aide publique au développement pour mieux contribuer à la réalisation, originellement fixée à 2015, des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) adoptés en 2000 155 ( * ) . Dans cette perspective, le Conseil de l'UE a adopté en mai 2012 le Programme pour le changement que lui a soumis la Commission européenne ; ce programme insiste sur la nécessité de différencier les partenariats en fonction des pays et de progresser vers une meilleure coordination des stratégies européennes. La programmation conjointe UE-Etats membres constitue donc un chantier pour les années à venir. Elle répond à une double nécessité : politique d'abord, pour rendre plus cohérentes les actions des États membres et de l'UE et améliorer ainsi la visibilité de l'aide de l'UE ; financière ensuite, afin d'optimiser les ressources européennes en évitant la fragmentation ou la redondance de l'aide.

Parallèlement, l'Europe de la recherche se structure progressivement. En 2009, sous présidence française, un Forum stratégique pour la coopération internationale en matière de recherche , le SFIC 156 ( * ) , a été créé pour aligner les moyens des États membres et de l'UE et tenter d'avoir une parole européenne à l'égard des pays tiers . Au sein de ce forum qui ne s'intéresse pas encore aux pays en développement, la France gagnerait à faire évoluer le paradigme en amenant l'UE à considérer les pays du Sud comme de véritables partenaires . Dans sa communication 157 ( * ) de septembre 2012 sur la coopération UE/ pays tiers en matière de recherche, la Commission européenne ouvre déjà la voie vers cette évolution : « le financement de la recherche (...) contribuera aux objectifs des politiques de développement de l'Union, par exemple par les activités suivantes: prospective et recherche socioéconomique visant à recenser des défis spécifiques; recherche et innovation de pointe visant à mettre au point des solutions applicables localement (...) ».

Dans ces changements en cours, la recherche en partenariat avec le Sud a toute sa place : elle peut en effet contribuer non seulement à renforcer les capacités scientifiques du Sud et à les intégrer dans les réseaux de recherche mondiale, mais aussi à renforcer la visibilité et l'efficacité de l'aide européenne au développement, qui sont précisément les objectifs du Programme européen pour le changement. Dès lors qu'il s'oblige à une relation équilibrée avec nos partenaires du Sud, l'outil diplomatique que constituent nos instituts de recherche pour le développement est en capacité de favoriser l'adaptation de l'aide européenne au contexte national du pays récipiendaire et donc son efficacité.

En effet, seule l'approche bilatérale permet d'adapter l'aide au développement à l'articulation entre économie et société qui est propre à chaque pays partenaire. Il est intéressant à cet égard de relever qu'en complément de sa contribution au fonds multilatéral pour l'environnement mondial, la France a créé un instrument bilatéral pour sa mise en oeuvre, le fonds français pour l'environnement (FFEM), afin de mieux répondre aux besoins exprimés par les pays du Sud qui sont prioritairement destinataires de la coopération française.

Son outil dédié à la recherche au service du développement est une spécificité française que d'autres États nous envient , comme l'a dit à votre mission M. Jean-Pierre Finance, délégué permanent de la Conférence des présidents d'université qu'il représente à Bruxelles : l'UE peut tirer bénéfice d'une meilleure synergie entre sa politique de la recherche et sa politique de développement si elle consent à s'appuyer sur cet outil français et, réciproquement, nos instituts de recherche peuvent conforter leur mission en misant sur l'Europe pour étendre leur envergure et leur visibilité .

Pour que ce jeu doublement bénéfique s'opère, il convient d'entrer dans une démarche plus active auprès des institutions européennes : d'abord, pour tenter de sortir de la logique en silos qui prévaut souvent au sein de la Commission européenne, la France pourrait inviter les commissaires au développement et à la recherche à développer la synergie entre leurs actions ; ensuite, pour permettre un dialogue entre le monde de la recherche et celui du développement au sein du Conseil, notre pays pourrait proposer que se tiennent des réunions communes du Conseil « Compétitivité », réunissant les ministres européens de la recherche, et du Conseil « Affaires étrangères » réunissant les ministres européens en charge du développement, réunions qui permettraient de valoriser le savoir-faire français en matière de recherche partenariale et la nécessité pour les organismes européens de travailler ensemble dans cette perspective ; enfin, les instituts français de recherche pour le développement doivent se mobiliser pour faire du CLORA non seulement un outil de veille mais un lieu d'expression de la sixième alliance « Sud » à créer . Lors de son audition par votre mission, M. François Houllier, président de l'INRA et d'Allenvi, a précisément appelé de ses voeux une évolution du CLORA, afin qu'il alimente un flux aller-retour entre Bruxelles et ses membres ; il a observé notamment la puissance de feu que représentait le représentant du CNRS à Bruxelles puisqu'il est membre des cinq alliances de recherche. Le CLORA deviendrait alors un véritable instrument de lobbying, en évitant de se trouver dilué parmi les multiples acteurs non étatiques qui gravitent autour des institutions européennes. La France, parce qu'elle porte la recherche pour le développement, est en capacité de prendre une position de leader en ce domaine à l'échelon européen.

Ce leadership français sur la recherche au service du développement est déjà en voie de se constituer sur les questions agricoles . Comme l'a souligné devant votre mission Mme Marion Guillou, présidente d'Agreenium, la voix française porte de plus en plus sur ces sujets au niveau européen et international. Ainsi, dans les travaux du G8 et du G20, Mme Guillou représente la France dans les réunions d'Agricultural Chief Scientists . Et, à l'échelon européen, elle préside une initiative qui rassemble 21 pays sur les thèmes de l'agriculture, de la sécurité alimentaire et du changement climatique 158 ( * ) , sujets qu'il n'est pas possible de traiter à l'échelle nationale pour être entendus. La France héberge aussi à Montpellier le siège du CGIAR 159 ( * ) , consortium international de recherche en agronomie avec lequel les établissements français de recherche et d'enseignement supérieur agricoles ont signé en mars 2013 des accords de partenariat.

Il est vrai que les instituts français de recherche se distinguent particulièrement dans les agrosciences au niveau mondial : Mme Guillou a indiqué que, dans les classements internationaux, l'INRA se situait en deuxième position (derrière son homologue américain) en publications scientifiques, donc en production de découvertes dans le monde. L'enseignement supérieur français en ce domaine est de bon niveau, avec un réseau d'écoles d'agronomie, d'écoles vétérinaires et d'universités présentant des compétences en biologie, écologie... Malgré tout, la présence française s'est affaiblie au niveau international ces vingt dernières années, par rapport aux États-Unis, à la Chine, au Brésil et aux Pays-Bas, qui possèdent un grand centre de formation dans le domaine des agrosciences ; c'est pour enrayer cet affaiblissement qu'a été créé Agreenium, opérateur qui n'est pas chargé d'effectuer de la recherche, mais qui est disponible pour réaliser des prestations composites. Lorsque l'on s'adresse à Agreenium, on s'adresse désormais à l'ensemble du dispositif français en agrosciences puisque 80 % du dispositif d'enseignement d'agrosciences français a rejoint Agreenium. Mme Guillou indique qu'Agreenium est en contact avec le Forum for Agricultural Research in Africa (FARA) qui possède des besoins importants de reconstitution de capacités et que les demandes d'aide d'accompagnement ou de coopération qui lui sont adressées se multiplient.

Votre mission estime donc nécessaire de promouvoir un mouvement analogue dans tous les domaines de la recherche pour le développement, en adoptant auprès des institutions et de nos partenaires européens une démarche unie, appuyée à la fois sur l'opérateur de développement qu'est l'AFD et sur les capacités associées en recherche, formation et enseignement qu'offrent nos instituts de recherche dédiés . Porter la démarche partenariale au niveau européen permettrait de donner plus de sens aux financements européens.

3. Miser sur la coopération triangulaire en capitalisant sur notre compétence partenariale avec le Sud

La diffusion de la démarche partenariale « à la française » doit aussi d'envisager auprès des bailleurs non européens de l'aide publique au développement, et plus spécialement auprès des nouveaux donateurs que sont les pays émergents.

Malgré la grande diversité de leur situation, les pays du Sud peuvent présenter des similarités, que ce soit en termes climatiques, géographiques, sanitaires, scientifiques ou techniques... Certaines questions de recherche peuvent donc intéresser plusieurs d'entre eux.

Plusieurs exemples de cette coopération Sud-Sud en matière de recherche ont été rapportés à votre mission.

Ainsi, Mme Catherine Ferrant, déléguée générale de la Fondation Total, a évoqué un programme de recherche que finance cette fondation au Cambodge, concernant le suivi thérapeutique des enfants et des jeunes qui sont porteurs du VIH et de la tuberculose : une expertise africaine a été utilisée sur ce sujet, car la thématique de l'observance des médicaments chez les adolescents est mieux connue en Afrique qu'en Asie.

De même, en Inde, la délégation a appris que certains chercheurs de de l'IRD, affectés en Inde à la CEFIRSE, s'étaient rapprochés de collègues chercheurs en Afrique, notamment au Bénin, pour adapter les modèles développés à la CEFIRSE à la mousson africaine.

Le Cirad est aussi impliqué dans des projets de coopération triangulaire : ainsi, il coopère avec les Brésiliens sur les questions génétiques pour le bénéfice des pays africains. Alors que les Brésiliens envisageaient un transfert technologique vers l'Afrique par l'entremise du réseau du Cirad, ce dernier a préféré se faire courtier d'une ingénierie institutionnelle pour un partenariat scientifique fondé sur une coopération équilibrée. Le poids des pays émergents dans l'économie mondiale, dans les stocks alimentaires et dans la diffusion des pandémies planétaires, va croissant. Leurs communautés scientifiques sont celles de demain et il importe donc de lier aussi des partenariats avec ces pays, qui investissent massivement en Afrique, dans notre zone d'action prioritaire.

Votre mission considère en effet que le savoir-faire français en matière de partenariat de recherche devrait être ainsi mis au service des coopérations Sud-Sud, au service du bien commun .

CONCLUSION

Au terme de son travail, votre mission est convaincue que la recherche en partenariat est un élément fondamental et non pas accessoire de la politique française d'aide au développement: elle souhaite donc conforter la place des opérateurs dédiés à cette recherche et leur propose de s'allier aux autres établissements de recherche et universités tournés vers le Sud pour constituer une sixième alliance de recherche, consacrée aux partenariats avec le Sud et transversale aux cinq alliances thématiques de recherche. Leur connexion à l'opérateur-pivot que constitue l'Agence française de développement sera la garantie d'une meilleure adéquation des recherches menées aux besoins du terrain. Votre mission juge aussi nécessaire de doter l'Agence nationale de la recherche des moyens de financer cette recherche, y compris de financer directement les équipes du Sud qui y participent. Sur le fondement de cette architecture clarifiée, c'est l'ensemble de l'action publique de la France qui doit être mise en cohérence pour faciliter les partenariats de recherche au Sud.

Avec ses partenaires du Sud, la France doit assainir ses relations en s'inspirant des bonnes pratiques que votre mission a pu analyser sur le terrain: définition conjointe des objets de recherche pour répondre véritablement aux besoins du Sud, accompagnement dans l'ingénierie des projets en partenariat, mise en oeuvre du projet de recherche dans un respect réciproque, évaluation du projet en commun par les deux partenaires. Ce n'est qu'en se conformant à ces exigences que la recherche en partenariat pourra avoir un effet d'entraînement sur le développement, c'est-à-dire renforcer les capacités des pays du Sud, déboucher sur des décisions politiques éclairées et trouver une valorisation économique.

Sans doute est-il difficile pour la France d'établir de telles relations partenariales fondées sur la complémentarité. Sans doute doit-elle se surveiller pour veiller à l'enrichissement mutuel des deux partenaires de recherche. C'est une démarche qui profitera cependant à chacune des parties : la recherche pour le développement se doit d'abord d'être une aide au développement du Sud. C'est par voie de conséquence et à plus long terme, qu'elle servira également l'influence française au Sud, comme elle installera en retour l'influence du Sud au Nord. En accompagnant les pays qui en ont le plus besoin, la France se projette avec le Sud dans l'avenir et y construit son influence dans le temps long.

C'est finalement par la qualité de la relation qu'elle tisse dans la durée et sur le terrain avec chaque pays du Sud, que la France peut se démarquer, dans un contexte d'aide au développement très concurrentiel.

2015 s'annonce comme une année charnière : à cette échéance, il est prévu de finaliser les objectifs pour le développement durable ; Paris accueillera également la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques ; l'Union européenne pourrait enfin retenir la proposition de la Commission européenne de déclarer cette année 2015, année européenne du développement.

Dans cette perspective, la France doit assumer sa mission universelle et, à tous les échelons, promouvoir une conception vertueuse du développement grâce à des partenariats de recherche respectueux des acteurs et pays du Sud. Au plan national, la loi d'orientation et de programmation pour le développement qui sera débattue en 2014 offrira l'opportunité de fonder notre politique de développement sur une démarche réellement partenariale.

LISTE DES PRINCIPALES PROPOSITIONS

I - AMELIORER LA COHÉRENCE DE L'ACTION PUBLIQUE FRANÇAISE AU SERVICE DU DÉVELOPPEMENT PAR LA RECHERCHE

A. Conforter la mission des opérateurs de recherche pour le développement :

- créer un comité de coordination ad hoc , réunissant de manière régulière le ministère des affaires étrangères et celui de l'enseignement supérieur et de la recherche pour un pilotage plus serré des opérateurs, et y adjoindre l'Agence française de développement, à titre d'observateur ;

- confier à l'Agence Nationale de la Recherche (ANR) la fonction de programmation et de financement de la recherche au Sud, ce qui implique de l'autoriser à financer directement les équipes de recherche des pays du Sud collaborant avec des équipes Nord, d'organiser la participation des institutions de recherche pour le développement et de l'AFD à la mission de programmation de la recherche en partenariat avec le Sud (par exemple grâce à la création d'une formation « Sud » du conseil d'administration de l'ANR incluant des représentants de l'AFD et des établissements de recherche pour le développement), et de dédier une ligne de crédits de l'ANR adaptée au financement de ces projets avec le Sud ;

- réintégrer dans l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD) les personnels transférés à l'Agence Inter-établissements de Recherche pour le Développement (AIRD) ainsi que la dotation initiale qu'il avait consentie à l'agence par ponction sur son propre budget, afin de lui rendre les moyens d'action dont il disposait avant la création de l'AIRD en 2010 ;

- reconsidérer les critères d'évaluation de la recherche pour le développement pour mieux prendre compte ses spécificités et son impact réel sur le développement, qui constitue sa finalité ultime : évaluer l'insertion des docteurs originaires des pays du Sud dans les réseaux internationaux de recherche, la qualité des relations entre les organismes de recherche présents au Sud et les milieux socio-économiques, les activités de formation mais plus encore de renforcement institutionnel du partenaire par structuration de son appareil d'enseignement supérieur et de recherche, la valorisation de la recherche grâce à son utilisation par les décideurs publics ou par les acteurs économiques ou sociaux, la part de brevets déposés en copropriété avec le partenaire... ;

- engager une concertation entre les partenaires sociaux autour de la création d'un nouveau statut de chercheur au Sud, entre les missions de longue durée et l'expatriation classique limitée dans le temps.

B. Rendre plus cohérentes nos politiques publiques en conséquence :

- renforcer le dialogue entre acteurs du développement, grâce au futur Conseil national du développement et de la solidarité internationale (CNDSI), et veiller à en réunir régulièrement le groupe thématique consacré à la recherche ;

- veiller à mettre en cohérence notre politique des visas avec notre politique en matière de recherche partenariale, en reprenant dans le futur projet de loi sur l'immigration les dispositions adoptées au Sénat en mai 2013 destinées à favoriser les mobilités entre la France et le Sud des étudiants et chercheurs (ex : visas pluriannuels, droit de visite permanent en France pour les personnes ayant obtenu leur doctorat en France...) ;

- mettre en place un groupe de travail réunissant le haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS) et les chercheurs pour restaurer le dialogue sur les moyens de protéger le patrimoine scientifique et technique de la nation dans les établissements de recherche : tenter de raccourcir le délai de réponse du HFDS à une demande d'autorisation d'accès aux zones à régime restrictif (ZRR) ou de projet de coopération scientifique internationale, envisager la mise en place d'une instance d'appel que les laboratoires pourraient saisir quand un refus (non motivé) leur est opposé, progresser vers une harmonisation européenne des règles en matière de protection du potentiel scientifique et technique.

II. AMÉLIORER NOS PARTENARIATS DE RECHERCHE AVEC LES SUDS

A. Autonomiser les pays du Sud à chaque étape de la recherche :

- mieux répondre aux besoins du Sud dans la définition des objets de recherche et les formations proposées ;

- faciliter le montage de projets en partenariat, en impliquant l'ANR dans cette tâche et en encourageant une meilleure publicité, notamment dans les pays du Sud, des points de contact nationaux mis en place par l'UE pour fournir un soutien de terrain (et dans la langue du déposant) aux chercheurs sollicitant des fonds européens ;

- mener le projet de recherche dans le respect d'une véritable parité Nord/Sud pour assurer une relation d'égal à égal ;

- associer les représentants du Sud à l'évaluation conjointe de l'impact sur le développement d'une recherche partenariale.

B. Favoriser l'effet d'entraînement de la recherche menée en partenariat sur le développement économique :

- renforcer les capacités au Sud par la recherche et la formation en pérennisant les partenariats de recherche d'institution à institution, en proposant une offre intégrée de recherche-enseignement-formation et en créant sur place les conditions favorables au retour des chercheurs du Sud formés en France ;

- encourager les établissements français de recherche pour le développement à restituer les résultats de leurs recherches devant la société civile et à développer leurs contacts avec la sphère publique du pays partenaire afin de nourrir le débat public en amont de la décision politique, en s'appuyant sur le relais que constituent les ONG;

- promouvoir la valorisation économique des résultats de la recherche au profit du développement du Sud, par le soutien à la création d'entreprise et le dépôt de brevets  en copropriété.

III. FAIRE CONNAÎTRE LE SAVOIR-FAIRE FRANÇAIS EN MATIÈRE DE RECHERCHE POUR LE DÉVELOPPEMENT

A. Présenter une offre scientifique partenariale plus lisible pour le Sud :

- constituer une sixième alliance de recherche transversale en direction du Sud ;

- rationaliser le réseau au Sud des établissements français de recherche, en mutualisant au moins les fonctions support et en privilégiant une approche régionale ;

- encourager la constitution d'organes paritaires du type du Centre franco-indien pour la promotion de la recherche avancée (CEFIPRA), dans les pays partenaires de taille déjà critique, pour donner aux partenariats un support visible et susceptible d'héberger des projets publics et privés ;

- recenser et valoriser les projets de recherche partenariale sur les sites internet des ambassades et sur celui du ministère des affaires étrangères ;

- développer l'offre française de cours en ligne, d'autant que le suivi des cours peut déboucher sur une mobilité physique de l'étudiant pour l'obtention d'un doctorat.

B. Formaliser la démarche partenariale en matière de recherche pour mieux la diffuser :

- consacrer cette démarche dans le projet de loi annoncé d'orientation et de programmation du développement et la « labelliser » par une charte ;

- porter la démarche au niveau européen comme un atout de la politique française de développement : la France pourrait inviter les commissaires au développement et à la recherche à développer la synergie entre leurs actions, proposer que se tiennent des réunions communes du Conseil « Compétitivité » et du Conseil « Affaires étrangères » et inviter ses instituts de recherche pour le développement à se mobiliser pour valoriser à Bruxelles la sixième alliance « Sud » à créer ;

- miser sur la coopération triangulaire en capitalisant sur notre compétence partenariale avec le Sud.

COMPTE-RENDU DE LA RÉUNION D'ÉCHANGE DE VUES SUR LE RAPPORT

(Mardi 8 octobre 2013)

M. Henri de Raincourt, président . - La coopération au développement constitue avec sa diplomatie et sa politique de défense un des piliers de la politique étrangère de la France. Elle est un élément essentiel du dialogue Nord-Sud, qui est devenu avec la fin de la guerre froide un enjeu central de la géopolitique mondiale.

La France est d'autant plus légitime à peser dans ce dialogue Nord-Sud, que le niveau de son aide publique au développement - 10 milliards d'euros en 2012 - la place au quatrième rang au sein des membres du Comité d'aide au développement de l'OCDE. Sa politique de coopération est destinée, avec celle des autres États donateurs, à concourir aux Objectifs du millénaire pour le développement. Ces OMD ont été définis dans le cadre de l'ONU pour lutter collectivement contre la pauvreté et les inégalités ; ils ont vocation à être intégrés ou articulés après 2015 dans le cadre plus large des Objectifs pour le développement durable (ODD), lesquels font actuellement l'objet d'une large consultation en vue de leur définition en 2015. Si ces objectifs constituent un point de ralliement des politiques de coopération, ils n'empêchent pas une concurrence entre grandes nations pour favoriser leur influence au Sud : concurrence des puissances occidentales entre elles, mais aussi et de plus en plus, des pays membres de l'OCDE avec les pays émergents, qui ont parfois une longue tradition de coopération, comme la Chine ou la Turquie, mais dont les modalités d'intervention diffèrent, notamment en matière d'exigence démocratique et de responsabilité sociale et environnementale.

En prenant l'initiative de cette mission sur l'action extérieure de la France en matière de recherche pour le développement, le groupe écologiste a proposé d'appréhender notre politique de coopération par le prisme de la recherche menée en partenariat avec les pays du Sud. C'est une approche inédite dont je me félicite : je peux témoigner qu'il n'est pas commun de s'intéresser à Paris à la dimension scientifique de notre diplomatie. Pourtant, il est vrai que, vu du Sud, la recherche menée avec la France ou les masters créés dans les universités sont des aspects très visibles de notre présence.

La démarche de la mission est originale, elle est aussi difficile, car cette pratique partenariale, en rupture avec une conception réduisant le Sud à un terrain de recherche, est en construction. Ce mouvement vers la recherche partenariale pour le développement se nourrit de la globalisation des questions de recherche, qu'il s'agisse de santé, d'environnement ou de changement climatique. Il participe aussi de la montée en puissance de l'exigence de responsabilité sociale et environnementale (RSE) que le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) du 31 juillet dernier commande d'intégrer pleinement dans notre politique de développement. Il s'agit donc de faire évoluer notre politique de coopération en adoptant une démarche véritablement partenariale avec les pays du Sud.

Notre mission a procédé à une trentaine d'auditions ; cela lui a permis d'entendre les plus grands acteurs de la recherche pour le développement - organismes de recherche, universités, collectivités locales, ONG, associations...- pour se pencher sur leur pilotage, leur financement et leur évaluation. Cela nous a aussi permis de situer leur action dans le cadre plus large de notre action publique d'aide au développement, appréhendée à travers l'Agence française de développement et l'OCDE. Pour compléter cette approche institutionnelle, Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure, a souhaité procéder à une douzaine d'auditions, notamment de chercheurs du Nord comme du Sud, afin de saisir la réalité concrète de la mise en oeuvre des partenariats de recherche. Il était convenu que ces auditions qu'elle menait seule ne fassent pas l'objet d'un compte-rendu public, pour que les personnes rencontrées se sentent libres de leur parole. J'ai crû comprendre que ces auditions avaient, de fait, offert un complément d'éclairage très précieux.

Trois déplacements à l'étranger sont venus enrichir l'analyse de la mission : le premier, à Bruxelles, nous a permis d'appréhender la dimension européenne du sujet. Les deux suivants, en Inde et au Tchad, ont eu pour objet d'explorer deux cas extrêmes et instructifs de partenariat de recherche avec la France, ces deux pays se situant chacun très différemment sur l'échelle de la puissance en ce domaine.

Après ces quelques mots de contexte, je laisse la parole à Mme la rapporteure, en la remerciant de sa constante implication dans ce travail approfondi, tout comme je remercie le secrétariat de la mission : ça aura été un bonheur de travailler ensemble !

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Je vous remercie, Monsieur le président, j'ai apprécié nos échanges et nos convergences de vues, lesquelles ont été très fréquentes, quelles que soient les différences de nos expériences : pour moi aussi, c'était un plaisir et, j'ose le dire, un honneur de travailler avec vous !

Cette mission commune d'information, demandée par le groupe écologiste sur son droit de tirage part du constat de la nécessité de mener une réflexion approfondie sur l'action de la France en matière de recherche pour le développement, dans une optique de rééquilibrage des rapports Nord/Sud. Les acteurs du Sud sont-ils réellement bénéficiaires de la recherche pour le développement ? La recherche pour le développement les autonomise-t-elle réellement ?

La déclaration de Paris sur l'efficacité de l'aide au développement, en 2005, a constitué un tournant dans les relations Nord/ Sud ; elle a suscité l'apparition d'un nouveau paradigme : la recherche ne peut plus être considérée comme le simple lieu d'un transfert du Nord vers le Sud, mais comme un véritable levier de développement. Je parle ici d'un développement réciproque puisque, face aux grands défis mondiaux, la recherche est le meilleur investissement pour le développement durable au Nord comme au Sud.

Je précise que nous avons retenu comme définition du Sud l'ensemble des pays en développement majoritairement situés au Sud (par rapport à ceux du Nord, dits « riches »), des Pays les Moins Avancés (PMA, selon la nomenclature de l'OCDE) aux pays émergents (Brésil, Inde ou Afrique du Sud).

Cette recherche pour le développement passe par un nouveau mode de partenariat, dans la lignée du huitième objectif du Millénaire pour le développement (OMD), et par de nouvelles méthodes:

- l'objet de la recherche pour le développement doit être défini conjointement par le Nord et Sud et cette recherche doit être mise en oeuvre de façon réellement partenariale, dans le souci de bénéfices mutuels ;

- cette recherche doit répondre à des questions concrètes posées par les acteurs et sociétés du Sud, ses réponses doivent être opérationnelles et directement utiles à leurs destinataires ;

- elle doit être pluridisciplinaire, parce que le développement résulte de nombreux facteurs qui interagissent ;

- elle doit comporter un volet de formation et de renforcement des capacités ( capacity building ), avec comme perspective l'autonomie du Sud.

La question qui préside à la création cette mission commune d'information est la suivante : la « recherche en partenariat » menée par la France est-elle avant tout un outil d'aide au développement des pays du Sud, ou bien un outil d'influence pour la France, un instrument au service de sa puissance « douce » ( soft power ) ? Comment rendre plus équitable la relation entre la France et les pays du Sud et la fonder sur des complémentarités entre les partenaires ?

Cette mission s'est constituée au lendemain des Assises du développement et de la solidarité internationale, engagées par le ministre chargé du développement, M. Pascal Canfin, et des Assises de la recherche et de l'enseignement supérieur, engagées par la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, Mme Geneviève Fioraso, qui ont depuis mené à la loi sur l'enseignement supérieur et la recherche du 22 juillet dernier. La recherche pour le développement se situe à l'intersection de ces dynamiques : le moment est donc particulièrement bienvenu pour interroger son identité, sa justification et son impact effectif sur le développement du Sud.

Après plusieurs mois de travail, déjà évoqués par le président, j'ai travaillé à l'élaboration d'un rapport qui vous sera soumis la semaine prochaine et dont je vais vous présenter les grandes lignes.

Il s'organise en trois parties : la première vise à montrer que la recherche pour le développement est un atout que la France pourrait mieux valoriser. La deuxième présente les enseignements tirés de deux cas significatifs de partenariats de recherche que la France a établis : avec l'Inde et avec le Tchad. La troisième avance des préconisations permettant de mettre davantage la recherche partenariale au service du développement.

La première partie avance que la recherche pour le développement est un atout que la France pourrait optimiser. J'y présente l'effort important que notre pays y consacre, sans occulter l'enjeu d'influence sous-jacent.

La France dispose d'une gamme complète d'acteurs et d'outils : notre pays se distingue par ses organismes de recherche dédiés à cette matière - l'Institut de recherche pour le développement (IRD) et le Centre de coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement (Cirad) - qui se caractérisent par leur présence hors de France dans la durée ; mais la contribution d'autres acteurs importants est mise en valeur : d'autres établissements de recherche se mobilisent aussi pour le Sud (l'Institut Pasteur, l'ANRS, le CNRS...), mais aussi des universités, des collectivités locales, des ONG, des fondations... Les mobilités étudiantes sont aussi présentées comme un outil au service de la recherche pour le développement.

Ensuite, je présente l'effort budgétaire que cela représente pour notre pays : 360 millions d'euros, ce n'est pas négligeable. Cela représente un peu moins de 4 % de l'aide au développement française, mais près de 12 % si on y ajoute les frais d'écolage qui correspondent à la prise en charge des étudiants issus des pays en développement. Cet effort budgétaire est donc soutenu, mais la complexité et la dispersion des lignes budgétaires de la coopération ne permettent pas de le mettre en valeur.

Enfin, je présente cet effort en matière de recherche pour le développement comme une pièce maîtresse de notre diplomatie scientifique, dans un contexte de concurrence incontestable, du Nord comme du Sud, y compris parmi les États ayant des liens historiques avec la France.

L'importance de ces efforts ne signifie pas pour autant qu'ils produisent les résultats escomptés. En fait, la recherche pour le développement est tiraillée entre les exigences de la recherche et la démarche de développement : comment faire de la recherche d'excellence tout en aidant les pays les plus en difficulté à y accéder ? De plus, la recherche pour le développement souffre d'une mise en oeuvre délicate, qui ne bénéficie pas toujours aux pays du Sud. Les thématiques de recherche ne sont pas systématiquement élaborées conjointement avec le Sud : les chercheurs du Sud que j'ai entendus nous ont confirmé que les recherches n'étaient pas toujours articulées aux besoins des pays du Sud. Les partenariats sont trop souvent inégaux et pas assez tournés vers le renforcement des capacités. Enfin, la recherche est trop souvent confondue avec l'expertise, qui n'a pas les mêmes exigences scientifiques et ne renforce pas les capacités du Sud.

Si la qualité de la relation partenariale qui la fonde n'est pas toujours satisfaisante, la recherche pour le développement souffre aussi d'un défaut de reconnaissance au sein de l'action publique française.

Cela tient à son positionnement hybride au sein de notre action publique : la recherche pour le développement se situe entre la recherche scientifique, qui s'organise autour d'une stratégie nationale et de cinq alliances thématiques, et le développement, qui est surtout opéré par l'Agence française de développement (AFD), peu connectée à nos opérateurs de recherche. Il en est d'ailleurs de même à Bruxelles, comme nous avons pu le constater, Monsieur le Président. Mal reconnue, la recherche pour le développement se trouve aussi freinée par des politiques publiques qui lui sont mal adaptées : la politique des visas qui entrave la circulation des étudiants et des chercheurs, et celle de la défense qui s'inquiète des menaces au patrimoine scientifique et technique de la nation.

En outre, nos opérateurs de recherche se présentent au Sud en ordre dispersé : la création de l'Agence inter-établissements de recherche pour le développement (AIRD) a tenté d'y remédier en 2010. J'analyse son échec, dû à un défaut de conception et à un manque de moyens. Mais j'en conclus qu'il est impossible de s'en satisfaire : non seulement l'offre scientifique française au Sud ne sera pas optimale dans ces conditions, mais l'IRD est menacé dans son existence.

Notre rapport devrait donc appeler le Gouvernement à mettre, au plus vite, en cohérence les objectifs qu'il souhaite assigner à la recherche pour le développement et les moyens qu'il entend y consacrer.

Afin d'alimenter notre réflexion, plusieurs cas concrets de partenariats de recherche avec le Sud ont été étudiés par la mission. La deuxième partie du rapport présente les résultats de ses déplacements en Inde et au Tchad.

Il m'apparaît utile que le rapport justifie le choix de ces deux pays : ils sont aux deux pôles du parcours que suit tout pays du Sud dans le renforcement de ses capacités de recherche. Par leurs différences de populations et de superficies (1,3 milliard d'habitants en Inde, 11 millions et demi au Tchad), de géographie, d'histoire et de développement (le PNB de l'Inde équivaut à celui de l'Afrique entière), ces deux pays illustrent bien la diversité des « Suds » et la variété des relations que la France peut entretenir au Sud sur le terrain de la recherche pour le développement.

L'Inde, tout d'abord : par le biais d'une large gamme de partenariats de recherche aux profils très variés, la France y assure une présence croissante. La progression indienne en matière de recherche, voire son avance sur notre pays en certains domaines, rend possible l'établissement d'un partenariat respectueux des deux parties, fondé sur la complémentarité entre la France et l'Inde. Le rapport n'ignore pas que l'établissement d'un tel partenariat rencontre tout de même des difficultés, en raison des différences entre ces deux pays. Néanmoins, la configuration institutionnelle de l'Inde est stimulante pour la France, qui y déploie un dispositif d'importance croissante présenté dans le rapport.

L'accent est notamment mis sur le rôle catalyseur du Centre franco-indien pour la promotion de la recherche avancée, le CEFIPRA : organisme original, financé à parité par la France et l'Inde. Il joue un rôle décisif de promoteur et de facilitateur pour les partenariats de recherche entre les deux pays, qu'ils soient publics ou privés. Sont aussi présentés plusieurs partenariats de recherche franco-indiens, dont certains constituent l'archétype d'une relation équilibrée, institutionnalisée, pluridisciplinaire et finalisée : je songe notamment à ceux que nous avons vus à Bangalore, le laboratoire international associé (LIA) en sciences de l'eau (qui implique l'IRD) et celui en neurosciences (qui implique l'INSERM). J'évoquerai les collaborations nouées avec les chercheurs indiens par deux Unités Mixtes des Instituts Français de Recherche à l'Etranger (UMIFRE), mixtes car résultant d'une alliance entre le CNRS et le ministère des affaires étrangères : l'Institut français de Pondichéry et le Centre de Sciences humaines à Delhi... Enfin, nous proposons d'évoquer les autres types de recherche vus en Inde et qui sont très différents : la recherche fondamentale sur l'Inde classique à l'Ecole française d'Extrême-Orient de Pondichéry, et, à l'autre bout de la chaîne de la recherche pour le développement, la recherche-action dans un village rural de l'Inde.

Au-delà des difficultés qui compliquent l'établissement de ces partenariats, je propose de souligner l'enrichissement mutuel qui en résulte : c'est essentiellement en matière de valorisation de la recherche que la France a à apprendre de son partenaire indien. Si la France produit d'abondantes innovations, l'Inde se distingue, pour sa part, par sa capacité à traduire rapidement l'innovation en produits de haute qualité et à bas coût, ce que les Indiens appellent « l'innovation frugale ». A ce titre, nous avons rencontré un acteur clé qui illustre cette ambition : Mme Mazumdar-Shaw, présidente et fondatrice de Biocon, cinquième société mondiale de biotechnologie.

Le cas du Tchad est complètement différent. Les institutions nationales de recherche souffrent de réelles difficultés et elles dépendent largement de l'aide extérieure. Toutefois, les autorités actuelles affirment une démarche volontariste en la matière. Le rapport présente l'action de la France pour soutenir la recherche au Tchad : il tire les enseignements de l'échec qu'a constitué le projet d'appui à la recherche tchadienne, conçu pour la période 2005-2011 d'une manière très discutable. A la lumière de cet échec, je présente la façon dont la stratégie française s'est infléchie, et comment elle se redéploye à présent vers le renforcement effectif des capacités tchadiennes et vers la connaissance du Tchad contemporain : le nouveau projet part de l'existant au lieu d'inventer de nouvelles structures, il mise sur une nouvelle génération de chercheurs plus motivés, il mobilise le Centre national d'appui à la recherche. J'en déduis des pistes susceptibles de renforcer encore le caractère équitable du partenariat franco-tchadien.

Riche de ces analyses faites à Paris et sur le terrain, je propose donc en troisième partie des voies pour mettre pleinement la recherche partenariale au service du développement social et économique du Sud.

Nous sommes actuellement en pleine concertation sur les futurs objectifs du développement durable qui succèderont en 2015 aux objectifs du millénaire. En France, le CICID de juillet dernier n'est que le prélude à une prochaine loi d'orientation et de programmation pour le développement que le Gouvernement annonce pour 2014 : le contexte me paraît propice pour avancer nos propositions.

La première urgence consiste à revoir la place que la France veut donner, en interne, à sa recherche pour le développement. De ce point de vue, je préconise de conforter la mission des opérateurs de recherche pour le développement et, dès lors, de rendre plus cohérentes nos politiques publiques.

Conforter la mission des opérateurs de recherche pour le développement, cela signifie :

- clarifier la stratégie scientifique de l'IRD et du CIRAD grâce à un comité de pilotage interministériel et une connexion avec l'AFD ;

- confier à l'Agence nationale de la recherche (ANR) la programmation de la recherche avec le Sud et le financement direct de nos partenaires de recherche Sud ; cela implique de supprimer l'agence AIRD et de réintégrer à l'institut IRD les personnels et les moyens qu'il avait mobilisés pour l'AIRD ;

- adapter les critères d'évaluation scientifique de la recherche partenariale avec le Sud pour valoriser réellement la contribution du Nord au développement du Sud, en matière de formation, de valorisation, de structuration de l'appareil de recherche du partenaire...

- engager la concertation entre les partenaires sociaux autour de la création d'un nouveau statut pour pérenniser la présence des chercheurs français au Sud, entre missions de longue durée et expatriation classique, tout en veillant à sa soutenabilité financière.

Dès lors que l'on admet la nécessité de miser sur la recherche pour le développement, il faut ordonner autour de cela nos politiques publiques :

- en renforçant le dialogue entre tous les acteurs du développement : c'est l'objet du futur Conseil national du développement et de la solidarité internationale (CNDSI);

- en adaptant notre politique de mobilité des chercheurs, avec, par exemple, un droit de visite permanent pour les étrangers devenus docteurs en France ... ;

- en sensibilisant encore davantage les chercheurs sur la protection du patrimoine scientifique et technique de la nation, au lieu d'entraver le dynamisme des partenariats de recherche.

Au-delà de ce réaménagement interne, il nous faut trouver les moyens d'améliorer nos partenariats de recherche avec le Sud, pour les rendre plus équilibrés et plus efficaces.

De ce point de vue, l'impératif est de mieux accompagner les pays du Sud à chaque étape de la recherche, c'est-à-dire :

- mieux répondre à leurs besoins, dans la définition des objets de recherche, mais aussi dans les formations que nous leur proposons ;

- les accompagner dans le montage des projets, notamment en mobilisant mieux les fonds européens de développement pour faciliter l'accès des équipes du Sud aux fonds de l'union Européenne destinés à la recherche ;

- mener la recherche dans une relation d'égal à égal, y compris en matière de propriété intellectuelle des échantillons ou des résultats ;

- associer le Sud à l'évaluation des projets de recherche menés avec la France : il s'agit de consulter les personnes à qui la recherche est destinée, en s'inspirant des nouvelles méthodes que l'AFD entend suivre pour évaluer ses propres projets. Cette évaluation doit aussi permettre d'aborder les questions de genre et de mesurer la place faite aux femmes dans le développement.

Une deuxième attente forte des pays du Sud, c'est de favoriser l'effet d'entraînement de la recherche partenariale sur le développement économique : cela passe par un vrai renforcement des capacités scientifiques et institutionnelles de ces pays, grâce à la recherche mais aussi à la formation ; cela commande d'encourager la connexion entre nos opérateurs de recherche et les autorités publiques du pays partenaire ; enfin, cela impose de promouvoir la valorisation économique des résultats de la recherche, par le soutien aux incubateurs d'entreprise, la valorisation des brevets...

Enfin, sur cette base renouvelée, la France pourrait mieux faire connaître son offre de recherche partenariale, à l'égard du Sud et auprès de ses partenaires bailleurs.

A cette fin, nous devons rendre notre offre partenariale plus lisible pour le Sud. J'envisage pour cela la création d'une sixième alliance de recherche, transversale aux cinq autres et tournée vers le Sud : cette enceinte permettrait de donner un visage uni à notre recherche au Sud mais aussi de rationaliser le réseau au Sud de nos organismes de recherche, par exemple en mutualisant leurs implantations. L'on pourrait aussi encourager la constitution d'organes paritaires comme le CEFIPRA dans les pays partenaires de taille déjà critique. Je proposerai en outre que, via le site diplomatie.gouv.fr, les ambassades répertorient les projets de recherche impliquant la France hors de ses frontières. Enfin, je suggère que la France investisse le monde des cours en ligne pour proposer une offre française dans ce nouveau champ de formation, aujourd'hui très anglo-saxon.

Nous devons aussi penser à diffuser hors de France notre démarche de recherche partenariale. Le préalable me semble être de consacrer cette démarche dans le projet de loi qui s'annonce et de la labelliser par une charte. Nous pourrons ensuite porter la démarche au niveau européen, inviter les commissaires au développement et à la recherche à développer la synergie entre leurs actions et initier des réunions communes des conseils des ministres européens de la recherche (Conseil « Compétitivité ») et du développement (Conseil « Affaires étrangères »). Enfin, je propose de capitaliser sur notre compétence partenariale avec le Sud pour la mettre au service de l'amélioration des coopérations Sud-Sud.

Ce rapport m'amènera à conclure que, malgré les difficultés que nous avons à établir des relations partenariales fondées sur la complémentarité, cela profiterait à chacune des parties : la recherche pour le développement doit d'abord être une aide au développement du Sud, mais, par voie de conséquence et à plus long terme, elle installera également notre influence au Sud, comme elle servira en retour l'influence du Sud au Nord. C'est finalement par la qualité de la relation qu'elle tisse dans la durée et sur le terrain avec chaque pays du Sud, que la France peut se démarquer, dans un contexte d'aide au développement très concurrentiel.

M. Henri de Raincourt, président. - Merci pour cette présentation, qui montre combien la recherche pour le développement, loin d'être une action charitable ou compassionnelle, est d'intérêt mutuel, qu'il s'agit bien d'encourager les complémentarités entre le Nord et le Sud. Mais place au débat !

Mme Claudine Lepage . - Je vous félicite, Madame la rapporteure, pour la clarté de votre propos. Lorsque vous évoquez les cours en ligne, pensez-vous à l'offre de l'Agence universitaire de la francophonie, déjà active en ce domaine ?

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure . - Tout à fait, le directeur de l'AUF est venu nous présenter son action en la matière, et je pense également à Campus France : des initiatives ont été prises, nous devons les conforter et aller plus loin, car l'anglais prend toujours plus d'avance.

Mme Josette Durrieu. - J'ai beaucoup apprécié notre déplacement en Inde, la richesse et la diversité des expériences que nous y avons eues : quel contraste entre l'avancée de la Fondation Tata, qui exploite même des données satellitaires, et la pompe à eau inaugurée dans une commune rurale ! Quel terrain de coopération offre ce grand pays qu'est l'Inde, que de complémentarités avec notre propre pays ! Comme élue locale, je pense toujours à la traduction des idées en projets et j'avoue avoir été tout de suite en phase avec nos interlocuteurs : des entreprises de la région Midi-Pyrénées, en pointe pour l'imagerie spatiale, vont travailler avec les Indiens sur l'e-sécurité, en particulier pour aider au sauvetage d'alpinistes perdus dans l'Himalaya, ou encore sur des programmes d'e-santé, c'est tout à fait passionnant. L'entreprise Biocon que vous avez citée et qui emploie plus de 7500 salariés, travaille sur des programmes qui nous intéressent directement, par exemple en matière de recherche pour le traitement du diabète.

Cependant, une fois les projets repérés - et il y en a, nous les voyons ! -, deux questions se posent aux responsables : quelle organisation, dès lors que la coopération décentralisée est nécessairement limitée - notre ambassadeur en Inde nous a orientés vers les pôles de compétitivité, mais est-ce la seule ou la meilleure réponse ? Ensuite, quels financements - en particulier, comment mobiliser ceux qui relèvent du commerce extérieur, dont la ministre Nicole Bricq a la responsabilité ?

Le Sud fourmille de projets, d'initiatives, notre intérêt est bien d'y participer, de nous développer avec le Sud. Regardez comment les choses se passent en Afrique avec le numérique : les Africains entrent de plain-pied dans l'ère numérique, cela nous oblige à revoir nos réponses et nos propositions de service, par exemple en matière d'enseignement.

M. Henri de Raincourt, président . - Nous aurons déjà atteint un résultat si notre mission ouvre sur la réalisation de projets : ce serait même le meilleur compliment et le plus grand encouragement que nous pourrions recevoir...

Mme Corinne Bouchoux . - Je suis enchantée par la richesse de ce rapport, sur un sujet qui n'a pas été traité par la Haute Assemblée.

Je crois qu'il ne faut pas opposer la coopération décentralisée, qui est souvent ancienne, directement liée à des initiatives citoyennes, et les pôles de compétitivité - mais plutôt les articuler. Le domaine du développement, qui concerne au moins une cinquantaine de thématiques, est particulièrement complexe à appréhender, c'est une contrainte. Il faut compter également avec une dimension éthique affirmée ces dernières années, avec la recherche d'un équilibre et à tout le moins le respect de l'autre dans les relations : l'accompagnement méthodologique prend toute son importance et, même si l'action est réduite, on demande qu'elle soit vertueuse. Dans ces conditions, les retours d'expérience auxquels ce rapport donnera écho sont très utiles, pour comprendre les actions et leurs résultats, y compris en cas d'échec.

M. Henri de Raincourt, président . - Des échecs il y en a eu, quelles qu'aient été les qualités et les intentions des personnes - et il y en aura encore : c'est bien pourquoi l'évaluation a toute son importance, elle doit être à la base de la conduite des politiques publiques et, s'agissant des politiques du développement, l'évaluation contribuera certainement à en changer l'image.

Mme Marie-Annick Duchêne . - Le respect de l'autre est indispensable, je l'ai vu et bien compris lorsque j'habitais au Tchad - et je me félicite qu'à notre échelle, au sein de cette mission, nous ayons parfaitement respecté les positions des uns et des autres, c'était particulièrement nécessaire sur un tel sujet.

M. Henri de Raincourt, président. - Le respect des autres, comme de soi-même, c'est élémentaire et c'est la base du progrès !

M. Jacques Legendre . - L'AUF et le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche font part de leur mobilisation sur les moyens mis à disposition pour les cours en ligne : comment mieux utiliser ces moyens au profit du Sud ?

M. Henri de Raincourt, président . - Lors de son audition par la mission, Geneviève Fioraso s'est montrée particulièrement dynamique et volontaire sur la recherche pour le développement, elle cherche à améliorer les liens entre les ministères pour plus d'efficacité au service du développement ; cela passe par davantage de cohérence et de mutualisation. C'est à ce prix qu'on donnera un nouvel élan à la recherche pour le développement.

*

* *

Réunie à nouveau le mercredi 16 octobre 2013, la mission commune d'information sur l'action extérieure de la France en matière de recherche pour le développement a adopté à l'unanimité le rapport présenté par Mme Kalliopi Ango Ela.

LISTE DES DÉPLACEMENTS

I. Bruxelles : vendredi 23 juin 2013

a) Composition de la délégation

- Mme Kalliopi Ango Ela, sénatrice représentant les Français établis hors de France, rapporteure de la MCI ;

- M. Henri de Raincourt, sénateur de l'Yonne, président de la MCI.

b) Programme

10h00 Entretien avec M. Razaaly , membre du cabinet du commissaire Piebalgs.

11h30 Entretien avec Mme Fadila Boughanemi et M. Leonidas Karapiperis , direction D Coopération internationale à la DG Recherche et innovation de la Commission européenne.

13h00 Déjeuner de travail avec M. Laurent Gallissot , conseiller pour la coopération au développement à la représentation permanente française auprès de l'Union européenne.

15h00 Entretien avec M. Prieur , président du Club des organismes de recherche associés (Clora), en présence des représentants du CNRS, M. Gunther Hahne , et du CNES , Mme Catherine Ivanonv Trotignon .

II. INDE, du 14 au 20 juillet 2013

a) Composition de la délégation

- Mme Kalliopi Ango Ela, sénatrice représentant les Français établis hors de France, rapporteure de la MCI ;

- Mme Josette Durrieu, sénatrice des Hautes-Pyrénées, membre de la MCI ;

- Mme Sophie Primas, sénatrice des Yvelines, membre de la MCI.

b) Programme

Lundi 15 juillet 2013 - Dehli

9h00 Petit-déjeuner de travail : Les sciences en Inde, Dr Dominique Aymer de la Chevalerie , du Service pour la Science et la Technologie de l'Ambassade.

9h45 Présentation du Service pour la Science et la technologie, et du CNRS par Dr Dominique Aymer de la Chevalerie , directeur du bureau du CNRS en Inde ;

Présentation du Cefipra, et d'un projet en recherche pour le développement par Dr Debapriya Dutta, directeur du Cefipra.

11h30 Présentation de l'AFD et ses actions en Inde par Mme Aude Flogny , Directrice, et M. Xavier Echasseriau , chef de projet

13h00 Déjeuner d'accueil offert par l' Ambassadeur de France en Inde, M. François Richier.

15h00 Présentation du Centre de sciences humaines (CSH) par Dr Basudeb Chaudhuri , présentation des projets pertinents pour la mission.

17h00 Présentation de la coopération universitaire avec M. Renaud Vely , Chargé de mission universitaire-CampusFrance et Mlle Sapna Sachdeva , Conseillère Campus France à Delhi et visite de l'antenne Campus France de Delhi

19h30 Dîner de rencontre avec des acteurs indiens : Dr Arunabha Ghosh , CEO du Council for Energy, Environment and Water , CEEW et Mme Monika Arora , Directeur Promotion de la santé et maîtrise du tabac à la Public Health Foundation of India.

Mardi 16 juillet 2013 - Bangalore

19h00 Réunion de cadrage sur les Sciences au Karnataka avec le Consul Général M. Eric Lavertu , l'Attachée pour la Science Mme Jenifer Clark et Mme Radikha Viswanathan , Coordinatrice scientifique.

20h00 Dîner restreint chez le Consul Général M. Eric Lavertu en présence de l'Attachée pour la Science Mme Jenifer Clark et Kiram Mazumdar-Shaw, fondatrice et PDG de l'entreprise de biotechnologie Biocon.

Mercredi 17 juillet 2013 - Bangalore

8h30 Petit-déjeuner à l'hôtel : Rencontre avec M. Shrinivas Badiger de Ashoka Trust for Research in Ecology and the Environment , ATREE, et M. le professeur Sekhar Muddu, de l'IISc pour présenter le projet AICHA financé par le Cefipra et lancé en février 2013, impliquant le LMI Eau et environnement, l'ATREE, ainsi que l'INRA de Rennes et Toulouse et le CNRS.

10h00 Visite de laboratoires franco-indiens à l'Indian Institute of Sciences (IISc) :

- Rencontre avec M. Govindan Rangarajan , directeur des relations internationales à l'IISc et coordinateur indien de l'Unité Mixte Internationale en Mathématique appliquée du CNRS

- Laboratoire Mixte International « Eau et Environnement » de l'IRD : rencontre séparées entre chercheurs français ( M. Jean-Louis Duprey, M. Fabien Durand ) et chercheurs indiens ( M. MS Mohan Kumar, M. S. Muddu ).

- Discussion sur les recherches utilisant les données du satellite franco-indien Megha-Tropiques - avec M. J. Srinivasan (directeur du Divecha Center for Climate Change)

- Laboratoire International Associé en Neurosciences de l'Inserm : rencontre avec la coordinatrice indienne, Mme Shyamala Mani .

- Rencontre avec M. MS Mohan Kumar et M. Swamy du Karnataka State Council for Science and Technology (KSCST)

13h30 Déjeuner au NIAS (institut de recherche interdisciplinaire et think tank ) en présence du directeur M. Ramamurthy (ancien DG du Department of Science and Technology du ministère indien des sciences et technologies, spécialisé en physique nucléaire), M. B.V. Sreekantan , professeur et ancien directeur du Tata Institute of Fundamental Research , spécialisé en physique, M. Narendar Pani, professeur spécialisé en économie et résolution des conflits, Mme Anitha Kurup, professeur spécialisé en éducation , et de M. Arun Viswanathan , professeur adjoint spécialisé en sécurité et stratégie internationale.

15h00 Transfert à Bagepalli (Margankunte)

16h30 Visite sur le terrain et présentation du projet TASK, Territorial Approach & Sustainable Knowledge impliquant la BAIF, Development Research Foundation, l'IRD et le PNUE, par M. Girish G. Sohani, président de la fondation.

20h00 Réception avec la communauté française de Bangalore au Consulat Général

Jeudi 18 juillet 2013 - Bangalore-Pondichéry

10h00 Visite du Bangalore Biocluster : National Center for Biological Sciences (NCBS), Institute for Stem Cell Biology and Regenerative Medicine (InStem), et Center for Cellular and Molecular Platforms (C-CAMP). Présentation par M. S. Ramaswamy , Dean InStem et CEO C-CAMP

15h00 Présentation de l'Institut Français de Pondichéry, IFP, par le directeur, Pierre Grard et plusieurs chercheurs

17h00 Présentation de l'Ecole Française d'Extrême-Orient par la directrice Valérie Gillet.

19h30 Dîner chez le directeur de l'IFP, M. Pierre Grard en présence de M. Pierre Fournier , Consul Général de Pondichéry, de Mme Hélène Charpin , Consul-adjoint, et de Mme Valérie Gillet .

Vendredi 19 juillet 2013 - Bangalore-Pondichéry

12h30 Déjeuner avec Mme Kausalaya Devi Jaganmohan , Consule Honoraire à Chennai.

14h00 Visite Fondation MS Swaminathan  à Taramani, Center for Research on Sustainable Agriculture and Rural Development .

III. TCHAD, les 4 et 5 septembre 2013

a) Composition de la délégation

- Mme Kalliopi Ango Ela, sénatrice représentant les Français établis hors de France, rapporteure de la MCI ;

- M. Rachel Mazuir, sénateur de l'Ain, membre de la MCI.

b) Programme

Mercredi 4 septembre

07h00 Petit déjeuner à la Résidence en présence de l'Ambassadrice de France au Tchad, Mme Evelyne Decorps , et de la Conseillère de coopération et d'action culturelle (COCAC), Mme Françoise Gianvitti

08h00 Entretien avec le Dr. Ali Haggar , Recteur de l'université de Ndjamena

09h30 Entretien avec Dr. Moussa Isseni , Directeur de la recherche au Ministère de l'Enseignement supérieur

11h00 Entretien avec Dr. Salomon Namkosserena , Directeur du Pôle de recherche agronomique pour les savanes d'Afrique centrale (PRASAC)

12h00 Entretien avec Pr. Idriss Oumar Al Farouk , Directeur de l'institut de recherche sur l'élevage pour le développement (IRED)

13h00 Entretien avec Ahmed Sedick , hydrologue à la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT)

14h Entretien avec MM. Patrice Grimaud (CIRAD), Oumarou Malam Issa (IRD), Cyrus Nersy (AT-IRED), André Kervella (AT-MESR)

16h 30 Entretien avec M. Olivier Cador , Directeur adjoint de l'Agence française du développement (AFD)

19h Cocktail dînatoire à la Résidence de France en présence de la communauté française

Jeudi 5 septembre

08h00 Entretien avec le Dr. Mahmoud Youssouf , Directeur du Centre National d'Appui à la Recherche

09h30 Entretien avec le Pr. Hassan Taïsso Mackaye et le Dr Andossa Likus , équipe de paléontologie

11h00 Entretien avec Dr. Adoum Goudja , Ministre de l'Enseignement supérieur

13h00 - Déjeuner avec MM. Hassan Taïsso Mackaye , paléontologue, ancien ministre de la recherche, Mahmoud Youssouf , Directeur du Centre National d'Appui à la Recherche, Andossa Likus , paléontologue, Idriss Oumar Al Farouk , Directeur de l'institut de recherche sur l'élevage pour le développement (IRED), Moussa Isseni , Directeur de la recherche au Ministère de l'Enseignement supérieur, Ahmed Sedick , hydrologue à la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT) Salomon Namkosserena , Directeur du PRASAC, Khalil Alio , professeur des Universités

17h  - Séance de travail avec le Dr. Patrice Grimaud , Représentant régional du CIRAD (en poste à Yaoundé)

18h - Séance de travail avec le Pr. Oumarou Malam Issa , Représentant de l'IRD (en poste à Niamey)

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA MISSION ET PAR LA RAPPORTEURE

A. Auditions de la mission commune d'information

Mardi 21 mai 2013

- Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) : M. Michel Eddi , président directeur général, accompagné de M. Patrick Caron , directeur général délégué à la recherche et à la stratégie ;

- Institut Pasteur : Mme Alice Dautry , directrice générale, accompagnée de M. Charles Dauvergne , attaché de direction ;

- Agence nationale de la recherche (ANR) : Mme Pascale Briand , directrice générale.

Mercredi 22 mai 2013

- Agence nationale de recherches sur le SIDA et les hépatites virales (ANRS) : M. Jean-François Delfraissy , directeur, accompagné de Mme Bernadette Murgue , directrice-adjointe de l'Institut de microbiologie et des maladies infectieuses (IMMI), et de Mme Marie-Christine Simon , responsable du service « Information scientifique et communication » de l'ANRS ;

- Fondation pour les Études et Recherches sur le Développement International (FERDI) : M. Patrick Guillaumont , président ;

- Centre d'Études et de Recherches sur le Développement International (CERDI) : Mme Sylviane Guillaumont-Jeanneney , professeur émérite au CERDI - Université d'Auvergne.

Mardi 28 mai 2013

- Institut de recherche pour le développement (IRD) : M. Michel Laurent , président - directeur général, accompagné de M. Jean Vacher , directeur général délégué adjoint à la science à l'IRD.

Mercredi 29 mai 2013

- Agence Inter-établissements de Recherche pour le Développement (AIRD) : M. Michel Bouvet , directeur général délégué.

Mardi 4 juin 2013

- Conférence des présidents d'université (CPU) : M. Jean-Pierre Finance , délégué permanent.

Mercredi 5 juin 2013

- Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI) : Mme Laurence Tubiana , directrice ;

- Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) : M. Erik Solheim , président du Comité d'aide au développement de l'OCDE, accompagné de Mme Chantal Verger , de la direction de la coopération pour le développement de l'OCDE.

Mardi 11 juin 2013

- Agence française de développement (AFD) : M. Alain Henry , directeur du département « Recherche », accompagné de Mme Véronique Sauvat , chef de la division « Recherche » de l'AFD, et de M. Hervé Gallèpe , en charge des relations de l'AFD avec les parlementaires ;

- Centre national de la recherche scientifique (CNRS) : Mme Minh-Hà Pham-Delègue , directrice Europe de la recherche et coopération internationale, accompagnée de Mme Marie-Hélène Beauvais , directrice déléguée à la Communication du CNRS et responsable du pôle « Affaires publiques ».

Mercredi 12 juin 2013

- Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (AVIESAN) : M. André Syrota , président - directeur général de l'INSERM et président d'AVIESAN, accompagné de M. Arnaud Benedetti , directeur du département « Information scientifique et Communication » de l'INSERM.

Mardi 18 juin 2013

-Ministère de l'Éducation nationale et ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche (MESR) : M. Frédéric Guin , secrétaire général, haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS), accompagné de M. Frédéric Morinière , adjoint HFDS pour le MESR.

Mercredi 19 juin 2013

- Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES) : M. Didier Houssin , président ;

- Centre national de la recherche scientifique (CNRS) : M. Philippe Gasnot , fonctionnaire de sécurité de défense du CNRS.

Mardi 25 juin 2013

- Institut de Recherche pour le Développement (IRD) : M. Sylvain Robert , chercheur, responsable des expertises collégiales à l'IRD, accompagné de M. Jacques Lemoalle , président du collège des experts, directeur de recherche IRD émérite, hydrobiologiste, et de M. Géraud Magrin , vice-président, chercheur au Cirad, géographe.

Mercredi 26 juin 2013

- Mme Geneviève Fioraso , Ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche ;

- Agence universitaire de la francophonie (AUF) : M. Bernard Cerquiglini , recteur, accompagné de M. Émile Tanawa , vice-recteur, et de Mme Aïcha Moutaoukil , responsable des relations avec les institutions de la Francophonie.

Mardi 2 juillet 2013

- M. Pascal Canfin , Ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé du développement ;

- Sidaction : Mme Paola de Carli , directrice des programmes scientifiques et médicaux.

Mercredi 3 juillet 2013

- Agreenium : Mme Marion Guillou , présidente, accompagnée de M. Christian Hoste , directeur des relations internationales.

Mercredi 10 juillet 2013

- Fondation TOTAL : Mme Catherine Ferrant , déléguée générale, accompagnée de M. François Tribot Laspière , adjoint au directeur Affaires publiques France et ONG ;

- GRET (Groupe de Recherches et d'Échanges Technologiques) : Mme Bénédicte Hermelin , directrice ;

- GIP Esther (Ensemble pour une Solidarité Thérapeutique Hospitalière En Réseau) : M. Gilles Raguin , directeur ;

- Institut national de la recherche agronomique (INRA) et Alliance nationale de recherche pour l'environnement (ALLENVI) : M. François Houllier , président de l'INRA et d'ALLENVI, accompagné de Mme Françoise Vedèle , conseillère scientifique auprès du président de l'INRA, et de M. Antoine Momot , chef du cabinet du Président de l'INRA.

Mardi 23 juillet 2013

- Cités et Gouvernements Locaux Unis d'Afrique (CGLUA) : M. Jean-Pierre Elong M'Bassi , secrétaire général, accompagné de M. François Paul Yatta , coordinateur du programme de développement économique local au sein de l'équipe de CGLU-A.

B. Auditions de Mme la Rapporteure

Mercredi 26 juin 2013

- Mme Loan Forgeron , inspectrice des Affaires étrangères, et M. Pascal Aimé , inspecteur de l'Éducation nationale.

Lundi 1 er juillet 2013

- M. Didier Bogusz , directeur de recherche, secrétaire général STREM/SGEN/CFDT, élu CA IRD, accompagné de Mme Nolwen Henaff , chercheuse, économiste, élue CA IRD, de M. Christian Valentin , chercheur, pédologue, ancien élu CA IRD, et de M. Patrice Cayré , chercheur, océanographe, ancien directeur du département de recherche sur les ressources vivantes de l'IRD ;

- M. Jean-Luc Clément , conseiller pour la recherche à la Direction des Relations Européennes et Internationales et de la Coopération (DREIC) du ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche ;

- M. Philippe Marchesin , maître de conférences au Centre d'étude des mondes africains (CEMAF) de l'Université Paris 1.

Mercredi 3 juillet 2013

- M. Pascal Le Deunff , sous-directeur de la recherche et des échanges scientifiques à la direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats du ministère des Affaires étrangères.

Mardi 9 juillet 2013

- M. Jean-Pierre Olivier de Sardan , chercheur au laboratoire d'études et de recherches sur les dynamiques sociales et le développement local (LASDEL) du Niger ;

- M. François-Xavier Duporge , secrétaire général du Fonds Français pour l'Environnement Mondial (FFEM).

Jeudi 11 juillet 2013

- Mme Odile Ouwe Missi Oukem , directrice générale du Centre de recherches médicales et sanitaires (CERMES) du Niger ;

- M. Guillaume Grosso , directeur de ONE France, accompagné de Mme Friederike Roeder , responsable plaidoyer.

Mercredi 24 juillet 2013

- M. Olivier Iyébi-Mandjek , chercheur en retraite de la recherche publique camerounaise, professeur associé à l'université Paris I et habilité à diriger des recherches.

Mardi 17 septembre 2013

- M. Michel Wieviorka , administrateur de la fondation « Maison des Sciences de l'Homme » ;

- M. Claude Kirchner , délégué général à la recherche et au transfert pour l'innovation à l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA).

Votre rapporteure tient également à remercier M. Sinnou David, directeur des relations internationales à l'Institut national des sciences mathématiques et de leurs interactions (INSMI) du CNRS, pour avoir facilité des contacts utiles à la mission.


* 1 Liste des pays pauvres prioritaires dans lesquels la France concentrera dorénavant la moitié des subventions de l'Etat : Bénin - Burkina Faso - Burundi - Djibouti - Comores - Ghana - Guinée - Madagascar - Mali - Mauritanie - Niger - République centrafricaine - République démocratique du Congo - Tchad - Togo - Sénégal.

* 2 L'outre-mer français est donc exclu du champ de ce rapport, consacré à l'action extérieure de la France.

* 3 « Mettre en place un partenariat mondial pour le développement ».

* 4 Dans son contrat d'objectifs 2011-2015.

* 5 Les comptes-rendus de ces auditions sont accessibles en ligne, sur la page : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/mci-action-exterieure.html

* 6 Institué par le décret n°98-995 du 5 novembre 1998, l'IRD succède à l'Orstom, qui avait lui-même succédé (en 1954) à l'Office de la recherche scientifique outre-mer lequel avait (en 1944) remplacé l'Office de la recherche scientifique coloniale (Orsom), créé en 1943.

* 7 Six priorités : politiques publiques de lutte contre la pauvreté et pour le développement ; migrations internationales et développement ; maladies infectieuses émergentes ; eau et accès à l'eau ; changements climatiques et aléas naturels ; ressources naturelles et gestion des écosystèmes.

* 8 Voir « L'IRD demain. Contrat d'objectifs Etat-IRD 2011-2015 », signé le 16 avril...2012.

* 9 A la suite d'une « commande » du CICID de 2005 pour redéfinir sa stratégie au Sud et d'un audit externe en 2006, l'IRD a produit plusieurs documents stratégiques importants dont le contrat d'objectifs 2011-2015 est l'héritier : un « Plan d'action relatif à la politique scientifique de l'IRD » (octobre 2006), un schéma stratégique 2010-2015, devenu Plan stratégique « L'IRD demain », qui a donné son nom au contrat d'objectifs.

* 10 Les dynamiques environnementales, les ressources et les sociétés en Amazonie (Amaz) ; les patrimoines, les ressources et la gouvernance en Afrique orientale, australe et dans l'Océan indien (Parego) ; les politiques publiques, les sociétés et la mondialisation en Afrique subsaharienne (Polmaf) ; les risques, les vulnérabilités et leurs impacts dans les Andes (Rivia) ; enfin, les sols, eaux et zones côtières et sociétés face aux risques en Asie du Sud et du Sud-Est (Seltar).

* 11 Le contrat d'objectifs cite l'énergie en Nouvelle-Calédonie, la biodiversité et le développement productif de l'Amazonie bolivienne, ou encore la bioénergie au Gabon. Pour un exemple précis, voir infra, l'expertise collégiale en cours sur l'avenir du Lac Tchad (chapitre II).

* 12 Selon les catégories du Web of Science, qui font autorité en la matière, chiffres 2011.

* 13 Le budget civil de recherche et de développement (BCRD) regroupe les contributions au financement de la recherche civile des différents ministères concernés et il est géré par le ministère de la recherche et de l'enseignement supérieur.

* 14 « Vision stratégique 2012-2022. Faire de la recherche un véritable outil de développement », Cirad, 2011.

* 15 En Afrique : Egypte, Côte d'Ivoire, Sénégal, Burkina Faso, Cameroun ; en Asie du Sud-Est : Vietnam et Cambodge ; en Amérique latine : Brésil.

* 16 Voir audition de M. Jean-Paul Finance, président de la conférence des présidents d'université (4 juin 2013). M. Finance, cependant, constate que son organisation n'est pas équipée pour mesurer la portée de cette « projection à l'international » et souligne la forte dimension « personnelle » des initiatives.

* 17 Ainsi, la ville de Belfort et celle de Boumerdès en Algérie organisent depuis 2006 des formations conjointes entre leurs universités et des participations communes à des congrès de recherche. Le conseil général de l'Hérault est engagé depuis quinze ans dans des échanges scientifiques avec la quatrième région du Chili pour développer des savoirs-faire communs dans le domaine de l'agronomie des zones arides. Le conseil général de Lorraine finance des mobilités et des projets de recherche (depuis 2002) partagés par les universités de Metz et de Fès au Maroc, l'une sur les Marocains migrant vers la France, l'autre sur la mise en oeuvre d'un système d'informations sur les potentialités en eau du fleuve Sebou. Le conseil général des Alpes-Maritimes, avec le soutien du MAEE, coopère depuis 2007 avec l'Ethiopie pour y développer des formations et des recherches sur le patrimoine préhistorique du pays. Le conseil général d'Indre et Loire partage avec Hanoï (Vietnam) un projet de création d'un Institut de recherche en formation en électroradiologie et en télémédecine.

* 18 Audition de M. Jean-Pierre Elong M'Bassi, Secrétaire général de Cités et gouvernements locaux unis d'Afrique (CGLU), 23 juillet 2013.

* 19 Audition de Mme Paola de Carli, directrice des programmes scientifiques et médicaux de Sidaction, 2 juillet 2013. Sidaction mobilise 3 millions d'euros annuels pour la recherche, dont 10% environ vont dans les pays du Sud. A partir de 2013, son appel d'offres annuel s'ouvre à des demandes directes d'équipes originaires de pays du Sud.

* 20 Audition de Mme Bénédicte Hermelin, directrice du GRET, 10 juillet 2013.

* 21 Audition de Mme Catherine Ferrant, directrice de la Fondation Total, 10 juillet 2013.

* 22 Audition de Mme Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, 26 juin 2013.

* 23 La gestion en est confiée à Campus France.

* 24 In Politique I , Paris, Fayard, 1977, p.84 sq.

* 25 Cité par P. Favier, M. Martin- Roland, dans La décennie Mitterrand 1. Les ruptures , Paris, Seuil, 1990, p. 339.

* 26 Une diplomatie scientifique pour la France , Ministère des affaires étrangères, janvier 2013.

* 27 En tant que productrices de biens, mais également de plus en plus organisatrices et régulatrices du marché, aux côtés mais aussi contre les États et leurs organisations interétatiques.

* 28 Témoin de cette prise de conscience, le récent rapport du Ministère des Affaires étrangères « Une diplomatie scientifique pour la France » (février 2013).

* 29 Entre 2002 et 2008, la part de la Chine dans les publications scientifiques mondiales a doublé, passant de 5,2% à 10,6% (la Chine est désormais au troisième rang mondial pour les dépenses de recherche, derrière les Etats Unis et le Japon). Dans le même temps, celles de la France passait de 6,4% à 5,8%.

* 30 M. Michel Wieviorka l'a confirmé à votre rapporteure lors de son audition le 17 septembre 2013.

* 31 Voir en particulier : Serge Michel et Michel Beuret, La Chinafrique : Pékin à la conquête du continent noir , Grasset, 2008.

* 32 Jean-Michel Sévérino et Olivier Ray, Le Temps de l'Afrique , Odile Jacob, 2010.

* 33 Audition de M. Michel Eddi, 21 mai 2013.

* 34 Entretien M. Jacques Lemoalle, 25 juin 2013.

* 35 Entretien M. M'Bassy, 23 juillet 2013.

* 36 Audition de Mme Pascale Briand, 21 mai 2013.

* 37 Voir en particulier la critique de l'aide au développement dans son ensemble faite par l'économiste zambienne Dambisa Moyo, dans L'aide fatale - Les ravages d'une aide inutile et de nouvelles solutions pour l'Afrique , 2009.

* 38 Audition de M. Michel Eddi, 21 mai 2013.

* 39 « Promouvoir la recherche face à la consultance. Autour de l'expérience du Lasdel (Niger-Bénin) », Cahiers d'études africaines, LI (2-3), 202-203, 2011, pp. 511-528.

* 40 Anthropologue français et nigérien, professeur à l'Ecole des hautes études en sciences sociales et ancien directeur de recherches au CNRS, M. Olivier de Sardan réside au Niger où il conduit des recherches depuis les années 1960 et où il a cofondé avec M. Mahaman Tidjani Alou le Laboratoire d'études et de recherches sur les dynamiques sociales et le développement local (LASDEL).

* 41 Le Groupe d'intérêt public Ensemble pour une solidarité thérapeutique hospitalière en réseau (GIP Esther) a été créé en 2002 par Bernard Kouchner pour promouvoir une prise en charge de qualité pour les personnes vivant avec le VIH/sida et combattre les inégalités d'accès aux soins dans les pays en développement. Esther est aujourd'hui présent dans 17 pays (Bénin, Burkina Faso, Burundi, Cambodge, Cameroun, Centrafrique, Côte d'Ivoire, Gabon, Ghana, Laos, Mali, Maroc, Niger, Sénégal, Tchad, Togo, Vietnam).

* 42 Déconstruisant « le mythe de l'aide », D. Moyo estime que non seulement « l'aide ne marche pas » (malgré les milliards investis en Afrique depuis des décennies, l'économie y est en régression, la misère progresse), mais qu'elle est même « l'assassin silencieux de la croissance », qu'elle est le facteur principal de la stagnation économique en Afrique, par comparaison avec des pays d'Asie qui, avec bien moins d'aide, ont « décollé ».

* 43 Le LASDEL en est un exemple : créé à Niamey en 2001 sous statut nigérien, avec un conseil de direction formé par l'association de chercheurs africains à l'origine du projet, les Universités du Niger et du Bénin, le CNRS, l'EHESS, l'IRD et l'IUED (Genève) jusqu'en 2006 (et un conseil scientifique international depuis lors), ce laboratoire coopératif compte 24 chercheurs (dont 16 ont un doctorat) sur deux sites (Niamey et Cotonou) ; sa constitution fait suite à de longues relations de travail sur des terrains africains et, si son programme de recherche intéresse éminemment les responsables d'institutions (analyse de la délivrance des services et biens publics ou collectifs en Afrique), le laboratoire produit des recherches à partir d'analyses qualitatives de terrain et continue de se démarquer des méthodes de la consultance et des bureaux d'études avec lesquels il ne veut pas être confondu.

* 44 Audition de M. André Syrota, 12 juin 2013.

* 45 Audition de M. André Syrota, 12 juin 2013.

* 46 Audition de Mme Pascale Briand, 21 mai 2013.

* 47 Audition de M. Michel Eddi, 21 mai 2013.

* 48 Depuis 1986, les traités font explicitement de la coopération avec les pays tiers une activité clé de la politique de l'Union en matière de recherche.

* 49 A ce titre, l'IRD a conclu des accords avec d'autres organismes de recherche et contribue au Groupement d'intérêt économique européen de la recherche agricole pour le développement (ECART).

* 50 Il existe également des instruments qui permettent de financer uniquement les pays tiers: c'est le cas par exemple des projets BILATs, dont le but est d'aider à la mise en oeuvre des accords de coopération bilatéraux en sciences et techniques avec les pays tiers, lesquels projets sont naturellement gérés par ces pays.

* 51 Au titre de l'article 185 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) qui permet à l'Union européenne de participer, dans la mise en oeuvre du programme cadre, à des programmes de recherche et de développement entrepris par plusieurs États membres et en accord avec eux.

* 52 Budget prévu de 1 milliard d'euros, et extension du programme à d'autres sujets de recherche ( Poverty Related Neglected Diseases ).

* 53 Il concerne trois thématiques : énergies renouvelables, interfaces entre défis et nouvelles idées.

* 54 Dans le cadre de la mise en oeuvre de ce 8 ème partenariat, existe une synergie entre l'initiative pour les bourses de recherche africaines, financée par le Fonds européen de développement (FED), et l'appel d'offres « Gestion de l'eau et sécurité alimentaire en Afrique », financé sur le 7 ème PCRD.

* 55 Cf. la communication de la Commission européenne de septembre 2012 : « Les racines de la démocratie et du développement durable: l'engagement de l'Europe avec la société civile dans le domaine des relations extérieures », COM (2012)492.

* 56 Ainsi, la plateforme CONCORD est la Confédération européenne des ONG d'urgence et de développement. Ses 18 réseaux d'ONG internationales et 27 associations nationales et un membre associé représentent 1800 ONG européennes auprès de l'Union européenne.

* 57 Les autres membres représentés à Bruxelles sont : le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEAEA), le CNES, l'IFREMER, l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA), l'Office National d'Etudes et de Recherche Aérospatiales (ONERA). Le CIRAD et l'Institut Pasteur font partie du deuxième cercle des membres du CLORA, ceux qui n'ont pas de représentants à Bruxelles mais qui bénéficient de ses services.

* 58 Les Algériens, exclusivement régis par l'accord franco-algérien, doivent solliciter un visa de long séjour portant la mention "étudiant" ou "scientifique" leur permettant de solliciter un certificat de résidence portant la mention correspondante.

* 59 Décret n° 2011-1425 du 2 novembre 2011 portant application de l'article 413-7 du code pénal et relatif à la protection du potentiel scientifique et technique de la nation.

* 60 L'autorisation d'accès à une zone à régime restrictif pour les activités liées à un stage, la préparation d'un doctorat ou les activités liées à la recherche scientifique et à la formation est en effet prévue pour être délivrée, après avis ministériel favorable, par le chef de service, d'établissement ou d'entreprise.

* 61 Examen par les pairs de l'OCDE sur la coopération au développement, France 2013 , publié en juin 2013 par le Comité d'aide au développement de l'OCDE.

* 62 Ceci est moins vrai pour un acteur comme la CPU, mais celle-ci justifie la nécessité d'avoir des représentants à l'étranger par la fréquence de ses échanges avec le MAEE sur les centres pour les études en France (CEF), la sélection des bourses, les postes à l'étranger..., dans un contexte de rotation rapide des attachés de coopération scientifique.

* 63 Selon les informations recueillies auprès de M. François Lucas, Directeur de l'immigration au Ministère de l'intérieur.

* 64 Ainsi, elle contribue au plan d'enseignement numérique à distance pour Haïti (à hauteur de 100 000 euros en 2012) et au programme Guyamazon de coopération universitaire et scientifique entre la région Guyane et les États amazoniens du Nord Brésil (à hauteur de 300 000 euros sur trois ans).

* 65 C'est ce qu'établit le rapport d'inspection sur l'IRD évoqué infra (voir point suivant).

* 66 Lors de son audition par votre rapporteure.

* 67 http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/aide-au-developpement-et/dispositifs-et-enjeux-de-l-aide-au/institutions-francaises/le-dispositif-institutionnel/article/cicid-mai-2005

* 68 Pour reprendre le mot de M. Christian Valentin, chercheur, pédologue, ancien élu au conseil d'administration de l'IRD, qui accompagnait M. Didier Bogusz, directeur de recherche à l'IRD et Secrétaire général du syndicat STREM/SGEN/CFDT et élu au conseil d'administration de l'IRD, lors de son audition par votre rapporteure.

* 69 Même si l'Inde devrait devenir d'ici une vingtaine d'années l'une des quatre premières économies mondiales, une large partie de sa population vit encore sous le seuil de pauvreté (un Indien sur trois vit toujours avec moins de 1 dollar par jour et 3 sur 4 avec moins de 2 dollars par jour) : la richesse, certes en croissance, est mal distribuée.

* 70 Le gouvernement indien a adopté un programme d'investissements ambitieux, de l'ordre de 1000 milliards de dollars pour la période 2012-2017.

* 71 9 ème État de l'Inde par sa population (61 millions d'habitants).

* 72 Biologie, chimie, physique, mathématiques, sciences de la terre et de l'environnement, ingénierie. Conçu dès 1896 par l'industriel J. Tata et établi en 1909 sous forme de trust impliquant les gouvernements de l'Inde et du Royaume-Uni, l'institut a eu pour premier directeur indien C.V. Raman, prix Nobel en 1930 pour ses travaux sur la diffraction de la lumière.

* 73 L'Inde participe aux très grandes infrastructures de recherche internationales CERN et ITER et planifie la construction de ses propres équipements scientifiques (synchrotron, télescopes, observatoire de neutrinos).

* 74 Ainsi, L'Oréal développe, dans ses deux centres de recherche indiens, des produits adaptés aux particularités dermatologiques et capillaires des différents Etats indiens ; Lafarge développe des matériaux d'isolation adaptés aux besoins de l'Inde du fait de ses caractéristiques sociales et climatiques...

* 75 Cette UMI est née en janvier 2013. C'est la première UMI du CNRS en Inde ; elle implique aussi l'Ecole Normale supérieure de Paris, l'Ecole Polytechnique, l'INRIA, l'Université Nice-Sophia Antipolis et l'Université Paul Sabatier Toulouse 3.

* 76 L'IISc offrant de plus des formations aux niveaux Master et PhD.

* 77 Les ERA NET (pour European Research Area Network) sont des instruments européens de coordination de programmes de recherche nationaux et régionaux. Les ERA NET financent principalement l'échange d'informations, la préparation d'activités conjointes et la réalisation d'activités de recherche transnationales conjointes (lancement d'appels à propositions conjoints).

* 78 Pour sa deuxième phase, la conduite du projet ira à l'Allemagne.

* 79 En 2012, l'AFD a engagé 233 millions d'euros de prêts en Inde.

* 80 L'agence couvre aussi le Sri Lanka, les Maldives et le Bangladesh.

* 81 Montant moyen de 190.000 euros par projet pour 3 ans.

* 82 Qui compte 24 LMI dont 3 en Asie (en Thaïlande et au Vietnam, outre celui en Inde).

* 83 Megha signifie nuage pour les Indiens.

* 84 Sa vitesse proche de 7 km/seconde lui permet de faire le tour du globe en une centaine de minutes !

* 85 A Hyderabad, le centre franco-indien de recherche sur les eaux souterraines est une collaboration entre le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et le National Geophysical Research Institute .

* 86 Ce qui a pu aussi nourrir les recherches en archéologie menées par l'Ecole française d'Extrême-Orient.

* 87 Il a déjà produit 18 ouvrages, 59 contributions à des ouvrages et 37 articles dans des revues à comité de lecture.

* 88 Nom des feuilles du palmier talipât sur lesquelles figurent des écrits indiens.

* 89 Langue médiévale importante du sud de l'Inde, amalgame de sanskrit et de tamoul.

* 90 Cf. plaquette de présentation de la BAIF.

* 91 Assami, bengali, gujerati, hindi, kannada, cachemiri, konkani, malayalam, manipuri, marathi, nepali, oriya, penjabi, sanskrit, sindhi, tamoul, telugu, ourdou.

* 92 Il en existe plus de 700 aujourd'hui.

* 93 Loi n° 2013-660.

* 94 Le club R&D, créé par l'Ambassade de France pour réunir les entreprises françaises intéressées par la R&D et l'innovation en Inde, contribue à diffuser la vision indienne de l'innovation dans les entreprises françaises.

* 95 En soient chaleureusement remerciés Son Excellence Evelyne Decorps, Ambassadrice, ainsi que M. Nicolas Groper, Premier Conseiller, Mme Françoise Gianviti, Conseillère de Coopération et d'Action Culturelle et M. Olivier D'Hont, Attaché de coopération.

* 96 PIB de 9,6 milliards de dollars (2011), dont 40% en produits pétroliers, 25% en élevage et agriculture, 12% en commerce et 2% en produits manufacturés.

* 97 La fécondité moyenne dépasse 7 enfants par femme et le taux de croissance démographique s'établit à 3,2%.

* 98 Autour de 4% annuels en 2011-2012, après des taux de 6 à 8% dans les années 2005-2009.

* 99 Entretien Jacques Lemoalle.

* 100 Ce constat est aussi celui du Colloque national « N'Djamena : penser la ville-capitale de demain », organisé en février 2013 avec le soutien de l'Agence française du développement et de l'Union européenne. Ce colloque, du reste, représente une tentative très intéressante - et à suivre - pour produire une connaissance partagée sur les changements de la capitale tchadienne et amorcer une planification du développement aujourd'hui très segmenté de N'Djamena.

* 101 Source diplomatique.

* 102 Ce qui conduit nombre d'étudiants inscrits dans des universités de province, à suivre en fait les cours dans celle de N'Djamena.

* 103 Sous le nom de Laboratoire de recherche vétérinaire et zootechnique (LRVZ).

* 104 Sauf mention expresse, les citations de cette partie proviennent de notes administratives internes au Poste diplomatique.

* 105 Le laboratoire produit encore trois vaccins, dans des conditions insatisfaisantes selon les témoignages recueillis par la délégation.

* 106 Le responsable de l'ITRAD n'étant pas disponible lors du déplacement de la délégation, les maigres informations recueillies résultent principalement des documents disponibles sur internet, notamment les rapports d'activités de l'Institut. Par exemple :

http://www.coraf.org/Rapport_Annuel/content/annual_report/fr/4_tchad_3.html

* 107 Ces chiffres doivent être rapportés aux salaires et au revenu disponible des Tchadiens. D'après ce qui a été communiqué à la délégation, un enseignant à l'Université émargerait à 200 000 francs CFA (305 euros), un professeur à 500 000 CFA (762 euros) et un recteur à 800 000 (1220 euros) par mois.

* 108 Le Laboratoire de recherche vétérinaire et zootechnique (LRVZ, devenu l'Institut de recherche en élevage pour le développement, IRED) a été cédé au Tchad en 1985 (qui l'a placé sous la tutelle du ministère de l'élevage) ; l'Office de la recherche scientifique et technique outre-mer (ORSTOM) (devenu Institut de recherche pour le développement, IRD) a cédé son centre de N'Djamena en 1988 au Centre national [tchadien] d'appui à la recherche (CNAR), placé sous la tutelle du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche scientifique et de la formation ; enfin les équipements et les fermes de production agronomiques, gérés par l'Institut de recherche sur le coton et le textile (IRCT) depuis l'époque coloniale, ont été cédés en 1998, pour donner naissance à l'Institut tchadien de recherche agronomique pour le développement (ITRAD), placé sous la tutelle du ministère de l'agriculture.

* 109 Cette revue à mi-parcours a été réalisée du 23 mars au 6 avril 2009, soit 45 mois après le début du projet et 31 mois avant la fin du projet (avec prolongation). Elle a été conduite par M. André Martin, vétérinaire, qui a travaillé pour le CIRAD et pour le MAEE. Il a été en poste au Tchad à plusieurs reprises et avait été impliqué dans la conception du projet ARS2T.

* 110 Il n'a pas été possible à la délégation de savoir véritablement pourquoi.

* 111 Nous reprenons ici une note interne du Poste diplomatique : « Bilan évaluatif du projet d'appui à la recherche scientifique et technique au Tchad, ARS2T, juin 2013 ».

* 112 Lacs Tchad, Fitri, Léré, Iro et lacs de la région d'Ounianga.

* 113 Le projet ARS2T a subi une forte rotation des responsables : il a connu quatre ministres et trois secrétaires généraux du ministère (remaniements ministériels le 05 août 2005, le 15 février 2006, en janvier 2009 et en septembre 2011), deux Conseillers de coopération et d'action culturelle (changement en septembre 2008), quatre attachés de coopération (changements en septembre 2008, septembre 2010 et septembre 2011), deux chefs de projets (changement en juillet 2010). Il y a eu également deux changements à la direction de l'ITRAD (janvier puis octobre 2006) et un changement à la direction du LRVZ en avril 2006.

* 114 Projet d'appui à la recherche scientifique et technique au Tchad, voir plus haut.

* 115 Ne sont pas comptabilisés ici les soutiens que le poste diplomatique délivre à des étudiants et à des fonctionnaires tchadiens pour des séjours en France ou dans les pays de l'Afrique de l'Ouest, pour suivre des formations ; d'après les chiffres communiqués à la mission, quelque 200 Tchadiens en bénéficieraient chaque année.

* 116 Cf. décision n° 7.

* 117 Le département « Environnement et ressources » abrite 61 % du nombre d'unités de recherche, le restant se partageant entre les départements « Sociétés » et « Santé », de taille beaucoup plus réduite.

* 118 Sa dernière réunion, le 31 juillet 2013, est intervenue 4 ans après la précédente (en 2009).

* 119 Sur un rythme annuel ou biannuel.

* 120 Fondée à la fin des années 1990 sur une action coordonnée de la communauté internationale pour réduire le poids de la dette extérieure à un niveau soutenable.

* 121 Depuis 2011.

* 122 30 % d'entre eux concernent le domaine de l'environnement, autant celui des sciences sociales, 4 % la santé et 1% la physique.

* 123 Alors que le financement sur projet intervient généralement sur trois ou quatre ans seulement.

* 124 La loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche substitue le Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES) à l'AERES, à compter de la date de publication du décret en Conseil d'État prévu à l'article L. 114-3-6 du code de la recherche.

* 125 Qui inclut notamment l'IRD... mais aussi le CEA.

* 126 Examen par les pairs de l'OCDE sur la coopération au développement, France 2013 , publié en juin 2013 par le Comité d'aide au développement de l'OCDE.

* 127 Décret n° 67-290 du 28 mars 1967 fixant les modalités de calcul des émoluments des personnels de l'Etat et des établissements publics de l'Etat à caractère administratif en service à l'étranger, modifié plusieurs fois depuis.

* 128 Selon le rapport d'inspection, l'indemnité d'expatriation représente 26,6 millions d'euros en 2012 pour l'IRD.

* 129 Le MAEE, le MINEF, l'AFD seraient membres de droit, et les autres ministères conviés en tant que de besoin en fonction notamment de l'ordre du jour des réunions.

* 130 Le HCCI fonctionnait avec des sous-commissions et groupes de travail, alors que le CNDSI pourra renvoyer aux espaces de concertation thématiques déjà existants le traitement de sujets spécifiques.

* 131 M. Delfraissy, président de l'ANRS, a déploré devant votre mission le défaut de coordination ministérielle et de pilotage politique qui laissait les agences de recherche définir seules leurs priorités, notamment au Sud.

* 132 Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux conditions d'entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers à des fins de recherche, d'études, d'échange d'élèves, de formation rémunérée et non rémunérée, de volontariat et de travail au pair, 25 mars 2013, COM(2013) 151 final.

* 133 http://cordis.europa.eu/eu-funding-guide/home_fr.html

* 134 Selon les informations fournies par la Commission européenne à votre rapporteure, l'Egypte a bénéficié de deux programmes de ce type, le premier de 11 millions d'euros (MEUR) et le deuxième de 20 MEUR, la Tunisie a bénéficié d'un programme de 12 MEUR, la Jordanie de 5 MEUR ...

* 135 La liste des points de contact nationaux est accessible sur la page suivante : http://ec.europa.eu/research/participants/portal/page/nationalcontactpoint

* 136 Cf. le projet INCONTACT : http://ec.europa.eu/research/iscp/index.cfm?lg=en&pg=incontact

* 137 L'évaluation de l'aide est pour l'essentiel sous la responsabilité de trois entités sans lien organique : le pôle de l'évaluation de la direction générale de la mondialisation du ministère chargé des affaires étrangères, l'unité d'évaluation des activités de développement de la direction générale du Trésor et la division de l'évaluation et de la capitalisation de l'Agence française de développement.

* 138 La politique française d'aide au développement , Cour des comptes, juin 2012.

* 139 Cf. décision n° 5 du CICID.

* 140 Voir, en particulier, « Le partenariat au Cirad », Conseil scientifique du Cirad, juin 2011.

* 141 Système European Credit Transfer and Accumulation System .

* 142 Erasmus+ (2014-2020) est le nouveau programme-cadre de 16 milliards d'euros pour l'éducation, la formation, la jeunesse et le sport. Le nouveau programme est composé de trois piliers principaux: l'éducation et la formation, la jeunesse et le sport. Sur l'enveloppe totale, 77,5% seront alloués au secteur de l'éducation et de la formation. La base légale du programme Erasmus + n'a pas encore été formellement adoptée par le législateur européen.

* 143 http://www.unfpa.org/sowmy/resources/docs/library/R343_2011_Niger_PDS_15_FINAL_ADOPTE.pdf

* 144 Programme CRISP (Coral Reef InitiativeS for the Pacific).

* 145 Cf. supra.

* 146 La convention de financement de ce CVT a été signée avec l'Agence nationale de la recherche (ANR) le 17 décembre 2012.

* 147 La Réunion, Antilles-Guyane, Nouvelle-Calédonie et Polynésie française.

* 148 Cf. supra.

* 149 Recouvrant les compétences qui fournissent des services aux fonctions métier sans être en lien direct avec le coeur de métier.

* 150 Cf. supra.

* 151 Schneider Electric, ESKOM, ALCATEL et TELCOM.

* 152 http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/diplomatie-scientifique/recherche-pour-le-developpement/

* 153 Qui insère à cet effet un nouvel article L. 611-8 dans le code de l'éducation, ainsi rédigé : « Les établissements d'enseignement supérieur rendent disponibles, pour les formations dont les méthodes pédagogiques le permettent, leurs enseignements sous forme numérique, dans des conditions déterminées par leur conseil académique ou par l'organe en tenant lieu et conformes aux dispositions du code de la propriété intellectuelle. Cette mise à disposition ne peut se substituer aux enseignements dispensés en présence des étudiants sans justification pédagogique (...). »

* 154 Voir chapitre 1.

* 155 A l'occasion de la 55 ème session de l'Assemblée générale des Nations Unies.

* 156 Composé de deux représentants par Etat membre et de la Commission.

* 157 Communication de la Commission européenne : « Renforcement et ciblage de la coopération internationale de l'Union européenne dans la recherche et l'innovation: une approche stratégique », COM 2012(497).

* 158 L'Initiative de programmation conjointe sur l'agriculture, la sécurité alimentaire et le changement climatique (FACCE-JPI) a été lancée par le Conseil européen en octobre 2010. Menée par l'INRA et BBSRC, institut de recherche britannique en biosciences, elle vise à augmenter les capacités de la recherche européenne face aux enjeux de production alimentaire, mais également de fourrage et d'engrais, de fibres et de biocarburants pour une population croissante et dans le contexte du changement climatique. En rapprochant les programmes de recherche nationaux, FACCE-JPI tend à éliminer les doublons, pallier les manques, et créer des synergies et une masse critique à l'échelle européenne dans ces domaines afin d'améliorer l'efficacité des financements.

* 159 Consultative Group on International Agricultural Research . Le consortium du CGIAR organise le programme commun de quinze centres de recherche essentiellement situés dans les pays du Sud et financés par la Banque Mondiale, l'Union Européenne et d'autres organisations à hauteur d'environ 900 millions de dollars.

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