D. INSTAURER UN « FATCA » EUROPÉEN

La généralisation, à l'échelle européenne, d'un dispositif analogue au « FATCA » américain (cf. supra ), c'est-à-dire l'obligation pour les banques ou les États de procéder à un échange automatique et exhaustif d'informations fiscales sous peine d'une retenue à la source de leurs flux financiers, doit être la prochaine étape - et peut-être l'étape majeure - dans la lutte contre la fraude fiscale internationale. Combinées, les initiatives européenne et américaine porteraient un coup puissant au secret bancaire en ce qui concerne leurs ressortissants.

L'administration fiscale, bien entendu, aurait tout à gagner à l'adoption d'un tel dispositif. Bruno Bézard l'a dit clairement lors de son audition : « nous plaidons fortement, sur la scène européenne, en faveur d'un FATCA européen, généralisant l'échange automatique d'informations, qui éviterait bien des pertes de temps ! ». De fait, l'efficacité du travail de la DGFiP s'en trouverait considérablement accrue. À ce jour, en effet, « le bilan des échanges d'informations est vraiment très contrasté » pour les 4 500 demandes envoyées par la DGFiP depuis 2010, en dépit d'une amélioration récente (cf. supra ) : « nous avons d'immenses difficultés avec certains pays, qui ne répondent pas, ou qui le font dans un délai extrêmement long, et pour dire dans la plupart des cas que nos demandes ne sont pas pertinentes, faute d'une documentation suffisante, ou parce que l'adresse ne correspond pas exactement... il y a tout un tas de prétextes utilisés pour ne pas nous répondre ».

Auteur d'une étude sur l'accumulation de richesse dissimulée dans les paradis fiscaux, l'universitaire Gabriel Zucman y voit aussi l'occasion de franchir un pas décisif : « Que faudrait-il faire ? Il est important de comprendre que ce problème a une solution simple qui s'appelle l'échange automatique d'informations bancaires. L'échange automatique d'information fonctionne déjà à l'intérieur des grands pays. Etendu aux paradis fiscaux, il mettrait un terme à la fraude puisque les montants apparaîtraient directement dans les feuilles d'impôts pré-remplies ». Certes, il ne s'agit pas d'une solution miracle : les montages très complexes des « grands » fraudeurs, qui partagent leurs méthodes avec la criminalité organisée, continueront à échapper aux États. Mais la généralisation de la norme « FATCA » pourrait bien sonner le glas de la fraude « courante », celle des petits et moyens évadés.

Même certaines banques déclarent attendre des conséquences positives de la généralisation de l'échange automatique d'informations. Ainsi, le représentant d'une grande banque française a fait remarquer à la commission d'enquête que « l'échange automatique éviterait la situation actuelle qui s'avère délicate : on semble attendre des banques qu'elles exercent une mission de puissance publique en régularisant ce qui doit l'être. En réalité, les décideurs publics doivent jouer leur rôle et les acteurs commerciaux le leur » - de fait, les intermédiaires ses sont assez peu distingués par leur zèle à encourager le civisme fiscal de leurs clients... L'un de ses collègues, tout en précisant que le dispositif unilatéral initié par les États-Unis « est assez brutal », reconnaît lui aussi que « l 'échange automatique [...] faciliterait le métier de la banque privée. Nous pourrions ainsi vérifier la conformité des clients potentiels de façon plus simple ». Il conclut : « nous nous réjouissons de l'introduction de ce sujet dans le débat public ».

L'instauration d'un « FATCA européen » ne doit pas se limiter à la généralisation d'une clause d'échange automatique par la révision des directives européennes sur l'épargne de 2003 et sur la coopération administrative de 2011 (cf. supra ), ni même à son extension à quelques États tiers via la clause de la nation la plus favorisée. En rester là reviendrait à limiter le dispositif à quelques États - qui ne sont pas et ne seront plus au coeur de l'évasion fiscale - et à le laisser à la merci de la bonne volonté de nos partenaires. La commission d'enquête propose d'aller plus loin, et d'imiter le dispositif FATCA en ce qu'il a d'extraterritorial et d'unilatéral : la communication des informations bancaires doit s'étendre à toutes les banques du monde ayant une présence en Europe , sous peine d'une retenue à la source de leur bénéfice.

Dans le cas où un accord à l'échelle de l'Union européenne n'émergerait pas rapidement, la commission d'enquête propose de recourir au mécanisme de coopération renforcée , qui permet d'obtenir des résultats plus rapides et plus probants, avec un nombre plus restreint d'États membres 44 ( * ) . La force de FATCA repose en effet sur la « masse critique » des États-Unis : aucune grande banque ne peut se permettre de se voir fermer l'accès au marché américain. L'alliance de trois ou quatre « grands » États membres pourrait permettre d'atteindre cette même masse critique, et créer ainsi un effet d'entraînement. L'instauration d'un tel dispositif n'est pas - et n'a jamais été - une question de faisabilité technique : c'est une question de volonté politique .

En attendant, il importe de veiller à ne pas désarmer les dispositifs d'adaptation de la législation fiscale aux réalités de l'offshore fiscal.

L'un des outils primordiaux de la lutte contre l'évasion fiscale internationale a été le durcissement des régimes fiscaux applicables aux activités réalisées offshore. Or, la portée de ces dispositifs est conditionnée à la cohérence entre les obstacles effectivement rencontrés pour apprécier les activités des entreprises et des personnes physiques dans les différents pays et la consistance de la liste de ces pays.

La politique de la liste française est atteinte des mêmes tendances à sa désactivation que celles observables à l'échelon international.

Sans doute doit-on relever que la dernière liste publiée en septembre 2013 est augmentée de deux pays.

Mais, avec 10 pays portés sur la liste des ETNC, on est très loin d'épouser les contours de l'offshore.

La France devrait porter une proposition visant à donner tous leurs prolongements aux travaux du Forum fiscal. Il s'agirait d'obtenir l'engagement que les partenaires prennent toutes des mesures internes adaptées pour prévenir les opportunités d'évasion fiscale offertes par les pays non admis à passer en Phase 2 d'examen du Forum.

Par ailleurs, une période de probation devrait être prévue avant que les partenaires ne retirent les pas nouvellement coopératifs des listes fondant leur législation interne de lutte contre les paradis fiscaux et réglementaires.

Enfin, et surtout l'engagement de lier l'inscription sur la liste française avec les engagements pris en matière d'échanges automatiques d'informations devra être pleinement tenu.

Proposition n  18 : instituer au niveau européen une obligation d'échange automatique analogue au dispositif « FATCA » américain, le cas échéant par la voie d'une coopération renforcée.

Proposition n° 19 : veiller à ne pas désarmer les régimes de durcissement de la législation fiscale prévus pour appréhender les activités réalisés dans les États et territoires non coopératifs.

Proposition n° 20 : exiger la constitution d'un registre international des trusts.

Proposition n° 21 : étendre l'obligation de déclaration des comptes bancaires aux entreprises au minimum lorsque ces comptes sont tenus dans des Etats non coopératifs.


* 44 Prévue par l'article 20 du Traité sur l'Union européenne (TUE), la coopération renforcée est ouverte à un minimum de neuf États membres de l'Union européenne, dès lors que « les objectifs recherchés par cette coopération ne peuvent être atteints dans un délai raisonnable par l'Union dans son ensemble ». Au-delà même de la coopération renforcée, un dispositif élaboré sur une base intergouvernementale classique est tout aussi envisageable, y compris avec des pays non membres de l'UE tels que le Mexique.

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