B. UNE CELLULE QUI DEMEURE TROP SOUVENT IMPUISSANTE

Vos rapporteurs spéciaux expriment toutefois deux réserves quant à l'action de Cyberdouane en matière de fraude sur Internet.

D'une part, la priorité de Cyberdouane semble être de manière presque exclusive la lutte contre les trafics de marchandises prohibées, et non pas vers la lutte contre les sites offrant des marchandises légales, mais échappant à l'impôt (cf. infra ).

D'autre part, la cellule Cyberdouane est impuissante dès lors que le site Internet est hébergé à l'étranger . Comme l'expliquent les services de la DGDDI, « l'action de notre administration est impossible dès que le site est hébergé à l'étranger , que le nom de domaine est également géré par un bureau d'enregistrement domicilié à l'étranger et qu'aucun lien ne peut être établi, au cours des investigations menées, avec une personne morale ou physique située sur le territoire national 54 ( * ) ». Compte tenu de la facilité, pour un site indélicat, d'être hébergé à l'étranger les services de la DGDDI - et l'administration française en général - sont presque réduits à l'impuissance . Il en va de même pour l'exercice du droit de communication à l'égard des hébergeurs, services financiers etc. : si les tiers français y sont soumis, ceux qui ont leur siège à l'étranger ne sont nullement dans l'obligation de donner suite.

Dans ces conditions, la possibilité de conclure une enquête dépend bien souvent autant de la compétence des services de la DGDDI que de la naïveté des quelques rares vendeurs qui auraient eu la légèreté de faire héberger leur site ou leur compte bancaire en France, ou d'utiliser la même adresse IP sur un site légal et un site illégal...

Certes, une commission rogatoire dans le cadre de l'assistance judiciaire internationale est toujours concevable - mais les multiples pays interrogés (car le pays du donneur d'ordre n'est souvent pas celui de l'hébergeur ni celui du teneur de compte) auront-ils les moyens et la volonté de répondre dans les délais ?

Les « coups d'achat », instrument juridique novateur à disposition notamment des agents de Cyberdouane, connaissent aussi des limites.

C. LES « COUPS D'ACHAT » : UNE POSSIBILITÉ PROMETTEUSE MAIS ENCORE SOUS-EXPLOITÉE

Introduits par la loi du 14 mars 2011 55 ( * ) à l'article 67 bis -I du code des douanes, les « coups d'achat » permettent aux agents des douanes de procéder à l'achat de marchandises illicites, notamment sur Internet , afin « d' identifier l'expéditeur (...), de mettre en cause les personnes physiques résidentes éventuellement liées au trafic, et d' intercepter les colis portant la même référence grâce à une alerte dans les centres de tri postaux 56 ( * ) ». Soumises à l'autorisation du procureur de la République, ces opérations peuvent être réalisées au moyen de pseudonymes, préservant l'anonymat des douaniers.

Article 67 bis -I du code des douanes

Version en vigueur au 1 er janvier 2013

Sans préjudice des dispositions de l'article 67 bis , et aux seules fins de constater l'infraction d'importation, d'exportation ou de détention de produits stupéfiants , d'en identifier les auteurs et complices et d'effectuer les saisies prévues par le présent code, les agents des douanes habilités par le ministre chargé des douanes dans les conditions fixées par décret peuvent, sur l'ensemble du territoire national, avec l'autorisation du procureur de la République et sans être pénalement responsables de ces actes :

1° Acquérir des produits stupéfiants ;

2° En vue de l'acquisition des produits stupéfiants, mettre à la disposition des personnes se livrant à ces infractions des moyens de caractère juridique ou financier ainsi que des moyens de transport, de dépôt, d'hébergement, de conservation et de télécommunication ;

3° Lorsque l'infraction est commise en ayant recours à un moyen de communication électronique, faire usage d'une identité d'emprunt en vue de l'acquisition des produits stupéfiants (...).

(...)

L'exonération de responsabilité prévue au premier alinéa du présent article est également applicable, pour les actes commis à seule fin de procéder à l'opération d'acquisition des produits stupéfiants, aux personnes requises par les agents des douanes pour permettre la réalisation de cette opération.

A peine de nullité, l'autorisation du procureur de la République , qui peut être donnée par tout moyen, est mentionnée ou versée au dossier de la procédure et les actes autorisés ne peuvent constituer une incitation à commettre une infraction.

(...)

Le présent article est applicable aux fins de constatation de l'infraction d'importation, d'exportation ou de détention illicite de tabac manufacturé et de marchandises présentées sous une marque contrefaisante (...).

Les coups d'achat représentent une possibilité très prometteuse pour la lutte contre la fraude sur Internet - un jugement que partagent la DGDDI et vos rapporteurs spéciaux. De bons résultats sont attendus en matière de lutte contre le trafic de tabac. Le parquet ne s'est pas opposé, à ce jour, à la mise en oeuvre des procédures. Comme l'expliquent les services de Cyberdouane, « la procédure des coups d'achat ouvre de nouveaux horizons en matière de lutte contre la fraude, en permettant par exemple de lutter contre le développement des trafics opérés via les réseaux sociaux 57 ( * ) ». Le dispositif « permettra non seulement d'évaluer les flux financiers, mais également de mesurer plus précisément l'ampleur de la fraude, via la possibilité de correspondre avec les vendeurs ».

Cependant, le dispositif des coups d'achats souffre de faiblesses importantes qui limitent à ce jour son utilisation, et donc ses résultats .

Tout d'abord, l'article 67 bis -I du code des douanes empêchait, dans sa rédaction initiale, le recours à une société de domiciliation pourtant nécessaire à l'anonymat du compte bancaire et de la transaction. La nouvelle rédaction de l'article 58 ( * ) , en vigueur depuis le 1 er janvier 2013, permet désormais d'avoir recours à ces services, sans que les tiers qui les proposent voient leur responsabilité engagée. La question de la responsabilité des banques, notamment au regard de leurs obligations de signalement à Tracfin, reste néanmoins en suspens - mais vos rapporteurs spéciaux s'étonnent qu'il soit si compliqué de sécuriser juridiquement un cas aussi simple.

Mais surtout, le dispositif porte à ce jour sur un nombre restreint et limitatif de marchandises - stupéfiants, tabacs, contrefaçons . Vos rapporteurs spéciaux estiment qu'il s'agit là d'un frein majeur à l'efficacité du dispositif, auquel il convient de remédier (cf. infra ).


* 54 Source : réponse de la DGDDI au questionnaire de vos rapporteurs spéciaux.

* 55 Article 108 de la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (dite loi LOPPSI).

* 56 Source : réponse de la DGDDI au questionnaire de vos rapporteurs spéciaux.

* 57 Source : réponse de la DGDDI au questionnaire de vos rapporteurs spéciaux.

* 58 Article 13 de la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page