V. LE MAGHREB EN QUÊTE DE STABILITÉ

Le processus démocratique suit des chemins très différents selon les États, il connaît et connaîtra nécessairement des avancées et des ruptures . Il est donc nécessaire de prendre quelques distances de l'actualité du moment pour apprécier les trajectoires suivies.

• En Tunisie, la transparence du débat facilite l'observation. La phase de blocage qui perdure suscite nombre d'inquiétudes.

• En Libye, la trajectoire est plus inquiétante dans la mesure où la faiblesse même de l'Etat rend difficile la mise en oeuvre d'institutions démocratiques. Cette situation peut dégénérer et constitue d'ores et déjà un facteur de risque pour toute la région.

• En Algérie, la stabilité apparente du régime peut rassurer, mais elle repose sur des fondements dont la solidité pourrait être mise à l'épreuve. Le peu de transparence dans les processus de décision comme dans les tendances sous-jacentes qui modèlent l'opinion publique ne donnent guère d'assurance.

• Au Maroc, le cheminement suivi avec une ouverture démocratique progressive et un effort de développement économique ambitieux est rassurant. Cependant, il repose sur des équilibres complexes au sein de la société marocaine que la légitimité royale permet de maintenir jusqu'à présent.

• En Mauritanie, les perspectives électorales peuvent être une occasion de retour progressif vers la démocratie, mais le pays reste profondément divisé.

Nombre d'experts prolongeant le concept de « vagues démocratiques » développé par Samuel Hutington estiment que les révolutions arabes constituent après celles des années 1970-1980 qui a touché l'Espagne, le Portugal et la Grèce, puis celles des années quatre-vingt-dix avec l'Europe centrale et orientale, une nouvelle vague de démocratie, le peuple se saisissant du pouvoir politique. Ce faisant la transformation des mouvements arabes doit être examinée avec prudence. La démocratisation du monde arabe ne se fera probablement pas par un alignement pur et simple sur les démocraties occidentales. Le contexte culturel et historique affirme sa spécificité.

De plus, contrairement aux précédentes vagues démocratiques en Europe, il manque le puissant moteur de convergence que représentait la perspective d'intégration à l'Union européenne. Ces Etats manquent d'un grand dessein pour fédérer les énergies et converger vers l'avenir.

Le processus de transition est d'abord un apprentissage du débat démocratique. Il sera long et sûrement chaotique, mais il ne pourra pas occulter la réalité de ces sociétés et à terme le besoin d'une gouvernance apaisée.

Il est aussi pour une partie des dirigeants un apprentissage de la gouvernance d'un Etat et des affaires du monde. Passer de l'opposition, de la prison ou de l'exil au gouvernement n'est pas un exercice simple. Il est rendu encore plus compliqué lorsque les lois d'immunisation ou d'exclusion des anciens dirigeants et de leurs collaborateurs écartent des responsabilités ou de l'administration un grand nombre de cadres expérimentés. L'intégration des partis islamistes, et leur capacité à faire des compromis dans l'exercice du pouvoir, sans se laisser dépasser ou influencer par des mouvements plus radicaux, constitue l'un des enjeux majeurs des transitions démocratiques au Maghreb.

Les dirigeants des différents pays, et la grande majorité des habitants, en sont conscients. Mais ils divergent sur la méthode et le rythme . Restent des facteurs de déstabilisation à ne pas ignorer :

• facteurs conjoncturels comme la montée de courants identitaires ou djihadistes qui peuvent au moyen du terrorisme fragiliser le processus ou conduire à sa dérive.

• facteurs structurels comme l'ajustement de la croissance économique, insuffisante pour intégrer dans l'emploi les classes d'âges nombreuses en âge de travailler qui chaque année se présentent sur le marché du travail, à la croissance démographique.

Au-delà de tout progrès dans le processus de transition démocratique, cette donnée structurelle met sous tension sociale le développement économique et politique du Maghreb, sauf à relancer fortement une croissance inclusive, créatrice d'emplois en nombre.

Tout se tient. Pas de stabilité politique sans progrès social, de progrès social sans développement économique, de développement économique sans sécurité ni stabilité politique.

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