C. L'INTÉGRATION : UNE OBLIGATION

Chacun considère la fermeture des frontières, notamment celles entre l'Algérie et le Maroc 273 ( * ), et la faible intégration des économies comme une absurdité économique. On estime à deux points de croissance par an le coût du « non-Maghreb ».

Selon une note d'information de la BAfD 274 ( * ) , « les pays du Maghreb n'ont pas tiré pleinement parti des liens existant entre eux en tant que marchés et sources d'approvisionnement et n'ont donc pas réalisé les gains potentiels en termes de croissance économique et d'emploi » . L'impasse actuelle entrave fortement la mise en oeuvre de l'Union du Maghreb arabe (UMA). Le coût de la « non intégration » dépasse les 2% de croissance du PIB chaque année selon l'économiste marocain Fouad Abdelmoummi.

Alors que les économies sont complémentaires , chaque pays s'épuise à acheter à des fournisseurs éloignés. Certains investisseurs étrangers pour lesquels les perspectives de distribution sur un marché de 80 à 100 millions de consommateurs ont un sens, renoncent faute d'obtenir l'assurance que le produit fabriqué dans un pays pourra sans encombre être vendu dans les pays voisins...

Pourtant, cette situation demeure, sous-tendue et entretenue par ce différend du Sahara occidental. Elle est alimentée par des considérations de politique intérieure et des sursauts nationalistes. Il semble cependant que les opinions publiques évoluent et ont un désir réel de « Grand Maghreb arabe ».

La constitution d'un espace économique élargi, par l'ouverture des frontières, et la relance de l'Union du Maghreb arabe passent par la dissociation de la question du Sahara occidental de celle du Maghreb. Il serait d'ailleurs probablement plus facile d'intégrer un Sahara plus autonome dans un Maghreb plus uni.

Cependant, la réaffirmation par l'Algérie de la résolution de la question du Sahara occidental comme une des trois conditions pour l'ouverture de sa frontière avec le Maroc occulte une telle perspective au moins jusqu'aux prochaines élections en Algérie en 2014.

Outre les griefs portant sur le Sahara occidental, l'Algérie s'inquiète du développement du trafic de drogue à partir du Maroc, pays limitrophe et producteur .

Des saisies importantes sont réalisées chaque année, la presse algérienne s'en fait régulièrement l'écho. Le Maroc indique pour sa part que les trafics sur cette frontière sont multiples et que certains produits proviennent de l'Algérie voisine en contrebande : on pense naturellement aux carburants dont les prix sont plus bas en Algérie, mais aussi à certaines substances illicites comme les psychotropes. Bref chacun se rejette la responsabilité en ce domaine, alors que seule une coopération entre les deux Etats et entre leurs forces de sécurité serait en mesure de mettre fin à ces trafics ou d'en réduire significativement l'ampleur. C'est une question de volonté de part et d'autre.

1. Des perspectives d'avenir sacrifiées
a) Des frontières fermées et des échanges faibles

Le Maghreb est l'une des régions dans lesquelles le commerce entre pays voisins est le plus faible . La place des pays du Maghreb est faible dans les échanges internationaux (0,8% en 2011 contre 0,7% en 2003). En outre, es économies des pays d'Afrique du Nord sont encore largement tournées vers l'extérieur. Les pays commercent peu entre eux et investissent peu dans leurs économies respectives. Il n'existe pas aujourd'hui un marché commun, ce qui freine leur développement.

Si on observe un infléchissement positif du commerce interne à la zone, les échanges restent très limités au pays immédiatement limitrophes.

Tableau n° 79 : Part des exportations vers les autres pays du Maghreb

Part des exportations vers les autres pays du Maghreb

Part des exportations 2003

Part des exportations 2011

Algérie

1,0%

1,9%

Libye

7,4%

8,6%

Maroc

2,1%

3,8%

Tunisie

5,4%

6,4%

Dans le détail, la relation de voisinage est prédominante :

Algérie : 70% des exportations vers les pays du Maghreb est destiné à la Tunisie (80% en 2003), 30% au Maroc (20% en 2003)

Libye : 90% vers la Tunisie

Maroc : 75% vers l'Algérie, 22% vers la Tunisie, 3% vers la Libye

Tunisie : 70% vers l'Algérie (30% en 2003) et 20% vers la Libye (60% en 2003) : effet de la crise libyenne, 10% vers le Maroc

Mauritanie : en dehors du Maroc, l'économie mauritanienne est plutôt tournée vers ses voisins du sud (Sénégal, Côte d'Ivoire...).

S'agissant du tourisme , la Tunisie est une destination importante pour les Libyens (1,8 million d'entrées en 2012) et pour les Algériens (900 000 entrées). On compte également plus de 500 000 touristes tunisiens en Algérie et 90 000 touristes algériens au Maroc.

b) Les avantages d'une union économique

L'émergence d'une union économique à l'échelle du Maghreb permettant la libre circulation favoriserait la création d'emplois et la croissance dans la région. De même la compétitivité et le poids des pays du Maghreb sur le plan international seraient renforcés, comme l'ont montré des alliances régionales créées dans les autres parties du monde (MERCOSUR, ASEAN, Union européenne, ALENA, ...).

La coopération régionale confèrerait à ces pays non seulement un poids plus important dans les négociations commerciales et politiques avec les partenaires internationaux, mais aussi plus de possibilités en termes de développement global des économies.

Une étude 275 ( * ) a estimé d'abord que la libéralisation complète du commerce entre les pays du Maghreb pourrait entraîner un gain en termes de courants d'échanges régionaux de plus de 1 milliard de dollars qu'ensuite un accord de libre-échange entre soit l'Union européenne soit les États-Unis, d'une part, et les trois pays du Maghreb, d'autre part, rapporterait 4 à 5 milliards de dollars supplémentaires, soit 3 à 4,5% de croissance du PIB. Et qu'enfin, si l'Union européenne et les États-Unis devaient créer des zones de libre-échange au Maghreb, l'impact positif sur le PIB pourrait atteindre 8% en Tunisie, 6% en Algérie et 4% au Maroc.

En effet, les économies de la région sont complémentaires .

Si l'Algérie dispose de ressources en hydrocarbures et en industries lourdes dont le Maroc est dépourvu, celui-ci compte des savoir-faire absents chez son voisin dans la finance, l'agriculture, les TIC ou le logement social.

La production d'engrais et de phosphates pourrait se faire de façon plus efficiente si le Maroc pouvait avoir accès aux ressources en gaz de l'Algérie à travers une liaison fixe permanente entre les deux pays. La signature d'un accord entre le groupe public algérien Sonatrach et l'Office marocain de l'électricité (ONE) d'un accord portant sur la livraison de 640 millions de m 3 de gaz pendant 10 ans constitue à cet égard un signal positif.

Le rapprochement est éminemment souhaité par l'ensemble des chefs d'entreprises privées  qui ont établi des contacts réguliers. Les patronats de Tunisie, d'Algérie, de Libye, du Maroc et de Mauritanie ont signé le 1 er juillet à Tunis un plan d'action pour lutter contre l'économie informelle.

Comme l'a déclaré Mme Christine Lagarde, directrice générale du FMI 276 ( * ) : « Aucune des économies du Maghreb n'est suffisamment grande pour assurer à elle seule sa prospérité, ce n'est qu'ensemble qu'elles peuvent devenir prospères ».

2. L'Union du Maghreb arabe : un fonctionnement réduit

L'Union du Maghreb arabe a été créée en 1989, mais son fonctionnement est réduit.

Carte n° 80 : Etats membres de l'Union du Maghreb arabe

La déclaration de Tanger du 28 avril 1958 adoptée par les dirigeants des trois partis historiques des pays du Maghreb (l'Istiqlal au Maroc, le Parti constitutionnel tunisien, et le FLN pour l'Algérie, non encore indépendante) a posé les jalons pour la création d'une union maghrébine. Cette ambition s'est concrétisée avec la signature par les cinq chefs d'Etats du traité fondateur de l'Union du Maghreb arabe (UMA) de Marrakech le 17 février 1989.

La non-résolution de la question du Sahara occidental a donc « un effet de pesanteur » pour reprendre l'expression du secrétaire général de l'UMA, M. Habib Ben Yahia.

Les chefs d'Etat de l'UMA ne se sont pas réunis depuis 1994, à la fermeture de la frontière entre le Maroc et l'Algérie . Après sa visite en Libye le 2 janvier 2012, le président Marzouki a effectué une tournée régionale (Maroc, Mauritanie, Algérie) en février 2012 pour relancer le projet d'Union régionale (UMA), mais son initiative n'a pas été couronnée de succès.

Certains observateurs comme Luis Martinez, directeur de recherche au CERI, estimaient qu'il y aurait plus de chance de voir se concrétiser des projets entre l'Egypte, la Libye et la Tunisie qu'au sein de l'UMA. Un accord de libre-échange a été conclu en 2004 à Agadir entre le Maroc, l'Egypte, la Jordanie et la Tunisie. On notera également le processus d'association du Maroc au Conseil de coopération des Etats du Golfe -autant de tendances centrifuges qui traduisent le blocage de la coopération intermaghrébine.

On notera également que les pays membre de l'UMA sont associés à la mise en place, dans la mouvance de la Ligue arabe d'une « Grande zone arabe de libre échange ».

Cette organisation fonctionne au niveau technique à travers des comités d'experts, mais est restée peu active sur le terrain politique ou de la mise en oeuvre des projets.

L'UMA fonctionne néanmoins comme un forum de discussion entre les Etats avec des réunions au niveau ministériel.

Les 8 et 9 janvier 2013, la 5e conférence sur l'intégration économique maghrébine a réuni à Nouakchott en Mauritanie la directrice du Fonds monétaire international (FMI), Christine Lagarde, et des délégations de l'Union du Maghreb arabe (UMA). Des Conseils des ministres de l'Intérieur se sont tenus également, la dernière en date, le 22 avril 2013 à Rabat, qui a consacré «la volonté de concertation et de coordination» des pays membres, en particulier dans les domaines sécuritaires, de lutte contre le terrorisme et la lutte contre le trafic de drogue.

Elle peut devenir un lieu de définition de projets communs comme l'interconnexion de réseau de communication. Un projet de banque maghrébine d'investissement et de commerce extérieur a été annoncé en 2010, mais il tarde à voir le jour.

3. Des relations bilatérales maintenues entre voisins

Malgré les changements de régime et en raison des risques sécuritaires, les Etats de la région n'ont donc pas rompu tous les ponts.

a) Algérie : maintenir le dialogue et maintenir les distances

Pour l'Algérie, l'arrivée à ses frontières de gouvernements dirigés par des partis islamistes constitue un bouleversement qui pourrait faire évoluer son positionnement géopolitique.

Elle recherche aujourd'hui un terrain d'entente avec les nouveaux dirigeants.

L'Algérie a pris acte de la reconnaissance du gouvernement libyen par les Nations unies, a officiellement reconnu le Conseil national de transition en septembre 2011 et a tourné la page du différend sur l'intervention militaire étrangère en Libye. Elle recentre ses relations avec Tripoli sur la sécurité 277 ( * ) .

Malgré des divergences sur l'UMA et la persistance d'inquiétudes sur l'évolution interne de son voisin tunisien (notamment le développement de l'activité de groupes terroristes, l'Algérie affiche sa volonté de coopérer étroitement avec la Tunisie 278 ( * ) . Une coopération étroite au niveau politique et militaire (échange de renseignement, bouclage de la frontière côté algérien) a été mise en place.

Conscients de leur isolement, les responsables algériens avaient semblé, fin 2011 279 ( * ) -début 2012, vouloir mettre entre parenthèses le différend bilatéral sur le Sahara occidental et établir avec le Maroc des relations plus apaisées. Ces bonnes dispositions ont fait long feu. L'Algérie a renoué avec sa politique traditionnelle à l'égard de Rabat, fondée sur le rapport de forces. Le ton est à nouveau monté à propos du Sahara, et diverses raisons sont avancées par Alger pour différer la réouverture, un temps envisagé, de la frontière commune (fermée depuis 1994).

b) Tunisie : coopérer avec le voisinage, une nécessité

À la suite des événements dans le Djbel Chaâmbi, de nombreux déplacements et contacts avec l'Algérie aux niveaux politique et militaire ont eu lieu, la région étant frontalière avec ce pays. Il est clair que la menace terroriste va amener les deux pays à coopérer davantage.

Au cours de la crise libyenne, les autorités tunisiennes ont soutenu l'action de la France au sein de la Ligue arabe. Les Tunisiens sont conscients que la reconstruction de la Libye est une opportunité pour leurs entreprises et leur main d'oeuvre ; le Président Marzouki y a effectué sa première visite officielle en janvier 2012. Ils s'inquiètent de la dégradation de la situation sécuritaire dans ce pays. Les autorités tunisiennes et, notamment les ministres de la défense et des affaires étrangères, ont indiqué l'existence de mission tunisienne de coopération et de formation de la police libyenne.

Une des premières initiatives diplomatiques du président Marzouki a été d'essayer sans succès de relancer l'UMA.

c) Libye : un besoin d'assistance pour le contrôle des frontières

Les enjeux de politique extérieure de la Libye se mesurent à l'aune de sa situation politique intérieure . Pour le moment, la principale préoccupation est le contrôle des frontières et la reconstruction de son appareil de sécurité. Des contacts sont semble-t-il engagés avec l'Algérie et la Tunisie pour un appui en matière de conseil et de formation.

d) Maroc : un intérêt fort pour l'ouverture des frontières

Le Maroc aurait tout à gagner à l'ouverture des frontières et à un apaisement des tensions avec l'Algérie . Il est dépourvu de ressources en hydrocarbures et obligé de se fournir auprès de producteurs éloignés alors que son voisin pourrait satisfaire une grande partie de ses besoins. Pour des raisons de sécurité, le Maroc reste toutefois attentif à ne pas se placer en situation de dépendance.

Il est celui des pays du Maghreb qui dispose de stratégies de rechange grâce aux liens développés avec l'Europe, l'Afrique occidentale et centrale, les États-Unis et les États du Golfe.

Il entretient des relations de bon voisinage avec la Mauritanie, mais toujours un peu empreintes de méfiance pour des raisons historiques, ainsi qu'avec la Tunisie et le Libye, mais l'ancrage relationnel concret est plus faible avec ces deux derniers pays.

e) Mauritanie : maintenir un équilibre entre ses voisins du Nord

La Mauritanie a manifesté de plus en plus clairement depuis 1999 et sa sortie de la CEDEAO sa vocation nord-africaine. Elle s'efforce de se tenir à l'équilibre dans ses relations avec l'Algérie et le Maroc, mais reste encore économiquement tournée avec l'Afrique de l'Ouest pour une partie de ces échanges économiques.


* 273 Les 1 600 km de frontières communes sont fermées depuis 1994 à la suite de l'attentat meurtrier à Marrakech.

* 274 Comment lutter contre le chômage des jeunes au Maghreb Bafd 2011 http://www.afdb.org/fileadmin/uploads/afdb/Documents/Publications/North%20Africa%20ch%C3%B4mage%20Fran%C3%A7ais%20ok_North%20Africa%20Quaterly%20Analytical.pdf

* 275 Citée dans la note de la BAfD : Eizenstat, S. et Hufbauer, G.C. (2008) 'Executive Summary', in Hufbauer, G.C. et Brunel, C. (eds) Maghreb Regional and Global Integration: A Dream to be Fulfilled (Washington :Peterson Institute for International International Economics).

* 276 Nouakchott 9 janvier 2013.

* 277 Plusieurs réunions ministérielles ont été tenues en mars 2012 à Tripoli et en janvier 2013 à Ghadamès incluant également la Tunisie. La dimension sécuritaire est conditionnante des autres volets d'une possible coopération.

* 278 L'accueil du président du parti Ennahdha, Rached Ghannouchi, par le président Bouteflika dès sa victoire électorale d'octobre 2011 indiquait une neutralité de l'Algérie, conforme à sa doctrine de non-ingérence et n'était pas hostile aux islamistes. La visite du président Marzouki a été plus controversée en raison de la position qu'il a affichée sur la question du Sahara et de sa proposition de relance de l'UMA.

* 279 Une attitude courtoise a été observée lors de la victoire du PJD au Maroc en novembre.

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